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Ariane Web: Conseil d'État 497482, lecture du 19 novembre 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:497482.20241119

Décision n° 497482
19 novembre 2024
Conseil d'État

N° 497482
ECLI:FR:CECHR:2024:497482.20241119
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Antoine Berger, rapporteur
Mme Maïlys Lange, rapporteure publique
GUERMONPREZ-TANNER, avocats


Lecture du mardi 19 novembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct et deux autres mémoires, enregistrés le 3 septembre et les 8 et 24 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'association NEXEM et l'union départementale des associations familiales de Haute-Savoie demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 2 juillet 2024 relatif au contrôle des comptes de gestion pris en application de l'article 512 du code civil et de l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, du 4 juillet 2024 fixant la rémunération du professionnel qualifié chargé du contrôle des comptes de gestion en application de l'article 512 du code civil, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 512 du code civil.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code civil, notamment son article 512 ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Guermonprez-Tanner, avocat de l'association NEXEM et autre et à la SCP Boucard-Maman, avocat de l'association ProMaje et autre ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'association ProMaje et la société ProMage doivent être regardées, en l'état du dossier, comme justifiant, en leur qualité de spécialistes de la vérification de comptes de gestion en tutelle, curatelle et mandats de protection future, d'un intérêt au maintien du décret et de l'arrêté contestés par la requête de l'association NEXEM et autre. Dès lors, leur intervention en défense à la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association NEXEM et autre à l'appui de leur requête, présentée par un mémoire distinct, doit être admise pour l'examen de cette question prioritaire de constitutionnalité.

3. L'article 415 du code civil dispose que " les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire ", celle-ci étant " instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne ". L'article 416 du même code dispose que " le juge des tutelles et le procureur de la République exercent une surveillance générale des mesures de protection de leur ressort ". L'article 512 du code civil, dans sa version résultant de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, prévoit que : " Pour les majeurs protégés, les comptes de gestion sont vérifiés et approuvés annuellement par le subrogé tuteur lorsqu'il en a été nommé un ou par le conseil de famille lorsqu'il est fait application de l'article 457. Lorsque plusieurs personnes ont été désignées dans les conditions de l'article 447 pour la gestion patrimoniale, les comptes annuels de gestion doivent être signés par chacune d'elles, ce qui vaut approbation. En cas de difficulté, le juge statue sur la conformité des comptes à la requête de l'une des personnes chargées de la mesure de protection. / Par dérogation au premier alinéa du présent article, lorsque l'importance et la composition du patrimoine de la personne protégée le justifient, le juge désigne, dès réception de l'inventaire du budget prévisionnel, un professionnel qualifié chargé de la vérification et de l'approbation des comptes dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Le juge fixe dans sa décision les modalités selon lesquelles le tuteur soumet à ce professionnel le compte de gestion, accompagné des pièces justificatives, en vue de ces opérations. / En l'absence de désignation d'un subrogé tuteur, d'un co-tuteur, d'un tuteur adjoint ou d'un conseil de famille, le juge fait application du deuxième alinéa du présent article ".

4. Les associations requérantes soutiennent, d'une part, que les dispositions de l'article 512 du code civil ont pour effet de déléguer à des personnes privées la mission de vérification et d'approbation des comptes des majeurs protégés, qu'elles estiment relever des missions dont l'exercice incombe par nature à l'Etat et, d'autre part, qu'en s'abstenant de définir les conditions dans lesquelles cette mission doit être exercée par les professionnels concernés, le législateur a privé de garanties légales les exigences constitutionnelles résultant des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

5. En premier lieu, les dispositions litigieuses de l'article 512 du code civil définissent les conditions dans lesquelles les comptes des majeurs protégés sont vérifiés et approuvés annuellement, sous le contrôle du juge, en tenant compte des modalités selon lesquelles la protection des majeurs est assurée. Il résulte de ces dispositions que la vérification et l'approbation annuelle des comptes par le subrogé tuteur est la règle, les modalités de cette approbation étant adaptées lorsque plusieurs personnes ont été désignées pour la gestion patrimoniale. Le législateur a toutefois prévu que, lorsque l'importance et la composition du patrimoine de la personne protégée le justifient, ou en l'absence de subrogé tuteur, de co-tuteur, de tuteur adjoint ou d'un conseil de famille, le juge puisse désigner un professionnel qualifié chargé de la vérification et de l'approbation des comptes dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Contrairement à ce qui est soutenu par les requérants, les dispositions contestées, qui permettent au juge de disposer d'éléments d'expertise pour l'exercice de sa mission de contrôle des mesures de protection ne conduisent pas à déléguer à des personnes privées une mission dont l'exercice incomberait par nature à l'Etat. Le grief tiré de ce que le législateur aurait, par ces dispositions, délégué à des personnes privées l'exercice d'une telle mission est ainsi dépourvu de sérieux.

6. En second lieu, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel, notamment par sa décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, si les exigences constitutionnelles résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 impliquent la mise en oeuvre d'une politique de solidarité nationale, il appartient au législateur, pour satisfaire à cette exigence, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées. En particulier, il lui est à tout moment loisible, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Il ne lui est pas moins loisible d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et qui peuvent comporter la modification ou la suppression de dispositions qu'il estime excessives ou inutiles. Cependant, l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.

7. En outre, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé par sa décision n° 2011-136 QPC du 17 juin 2011, si l'existence d'un financement public des mesures de protection lorsque la personne protégée ne dispose pas des ressources pour en assumer le coût met en oeuvre le onzième alinéa du Préambule de 1946, cette exigence constitutionnelle n'impose pas que la collectivité publique prenne en charge, quel que soit leur coût, toutes les diligences susceptibles d'être accomplies au titre d'une mesure de protection juridique.

8. Les dispositions contestées par la question prioritaire de constitutionnalité prévoient que les comptes de gestion établis par le tuteur d'un majeur protégé sont vérifiés et approuvés annuellement par le subrogé tuteur, lorsqu'il en a été nommé un, par le conseil de famille ou, par dérogation, lorsque l'importance et la composition du patrimoine de la personne protégée le justifient, ou en l'absence de subrogé tuteur, de co-tuteur, de tuteur adjoint ou d'un conseil de famille, par un professionnel qualifié désigné par le juge dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. La vérification et l'approbation des comptes de gestion est ainsi réalisée, sous le contrôle du juge compétent, selon des conditions adaptées à la situation et au patrimoine dont dispose le majeur protégé. Contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes, les exigences constitutionnelles résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de 1946 n'imposaient pas au législateur de définir lui-même les obligations d'ordre statutaire ou déontologique auxquelles sont soumis les professionnels qualifiés désignés par le juge dans le cadre fixé par l'article 512 du code civil, ni les conditions dans lesquelles le coût des opérations de vérification et d'approbation des comptes est pris en charge. Par suite le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence et privé de garanties légales les exigences constitutionnelles résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 n'a pas de caractère sérieux.

9. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association NEXEM et autre.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association NEXEM, à l'union départementale des associations familiales de Haute-Savoie, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur, au garde des sceaux, ministre de la justice, à l'association ProMaje et à la société ProMage.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.