Conseil d'État
N° 474372
ECLI:FR:CECHR:2024:474372.20241118
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Stéphanie Vera, rapporteure
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats
Lecture du lundi 18 novembre 2024
Vu la procédure suivante :
D'une part, la Ligue pour la protection des oiseaux et l'association Charente Nature ont demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2019 du préfet de la Charente accordant à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire l'autorisation d'installer et exploiter huit aérogénérateurs et trois postes de livraison sur le territoire des communes de Moulins-sur-Tardoire, Vouthon et Saint-Germain-de-Montbron, ainsi que le nouvel arrêté préfectoral du 14 janvier 2020 abrogeant et remplaçant cet arrêté du 22 juillet 2019. D'autre part, l'association A bout de souffle Vouthon Val de Tardoire, M. O... M..., Mme T... N..., M. K... R..., M. J... G..., M. B... L..., M. U... P..., Mme Q... S..., M. E... C..., M. F... D..., M. I... V... et M. A... H... ont demandé à la même cour d'annuler le seul arrêté du 14 janvier 2020.
Par un arrêt nos 20BX00331, 20BX01834 du 21 mars 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a sursis à statuer sur les conclusions de ces requêtes jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois, afin de permettre à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire de procéder à la régularisation de l'illégalité mentionnée au point 35 de son arrêt, par l'obtention d'une dérogation au titre des articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement.
Par un pourvoi, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique enregistrés les 22 mai et 4 septembre 2023 et le 9 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a jugé illégale l'autorisation d'exploiter faute de comporter une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces protégées prévues à l'article L. 411-1 du code de l'environnement et fait application de l'article L. 181-18 du même code ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les requêtes de la Ligue de protection des oiseaux et autre et de l'association A bout de souffle Vouthon Val de Tardoire et autres ;
3°) de mettre à la charge de la Ligue de protection des oiseaux et autre et de l'association A bout de souffle Vouthon Val de Tardoire et autres la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la Ligue de protection des oiseaux et autres ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 octobre 2024, présentée par la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 5 décembre 2016, la SARL Ferme éolienne de Bandiat Tardoire a déposé une demande d'autorisation unique portant sur une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent regroupant neuf aérogénérateurs d'une puissance maximale de 27 MW. Par un arrêté du 22 juillet 2019, la préfète de la Charente a autorisé l'installation de huit aérogénérateurs d'une hauteur de 180 mètres en bout de pale, six sur les communes de Vouthon et de Vilhonneur devenue Moulins-sur-Tardoire et deux sur la commune de Saint-Germain-de-Montbron, et de trois postes de livraison. La Ligue pour la protection des oiseaux et l'association Charente Nature ont demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2019 ainsi que le nouvel arrêté préfectoral d'autorisation du 14 janvier 2020 l'abrogeant et le remplaçant. L'association A bout de souffle Vouthon Val de Tardoire et onze autres requérants ont demandé à la même cour d'annuler l'arrêté du 14 janvier 2020. La société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 21 mars 2023, en tant que celui-ci, faisant application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, a sursis à statuer sur les conclusions des requêtes jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois en vue de permettre la régularisation d'une illégalité tenant au défaut de dérogation aux interdictions de destruction d'espèces protégées prévues à l'article L. 411-1 du même code.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. En premier lieu, dès lors que la cour, par son arrêt avant-dire droit, a estimé qu'une dérogation espèces protégées aurait dû être sollicitée et décidé de surseoir à statuer en vue de permettre à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire de procéder à la régularisation de cette illégalité, elle n'avait pas à répondre, dans cet arrêt, aux conclusions présentées par cette société tendant à ce qu'elle assortisse l'autorisation d'installation de prescriptions complémentaires.
3. En second lieu, la cour ayant expressément mentionné dans les motifs de son arrêt les directives 92/43/CEE du 21 mai 1992 et 2009/147/CE du 30 novembre 2009 dont elle a fait application, le moyen tiré de ce que la cour aurait entaché son arrêt d'irrégularité en omettant de mentionner ces directives dans les visas de son arrêt ne peut qu'être écarté.
Sur la dérogation dite " espèces protégées " :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) / II.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation (...) ". Au titre des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, figure " la protection de la nature, de l'environnement ".
5. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, qui transposent en droit interne l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats ", que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, comme le prévoient les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
6. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
7. En premier lieu, la cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, d'une part, que le secteur d'implantation du projet se situait à proximité de milieux naturels protégés présentant un fort intérêt chiroptérologique et que l'étude d'impact mettait en exergue un fort taux d'activité et une diversité d'espèces de chiroptères dont certaines sont connues pour être sensibles au risque éolien, d'autre part, que la zone d'implantation du projet constituait une zone utilisée pour le transit et la chasse des chiroptères, notamment du minioptère de Schreibers, et que les éoliennes seraient implantées à proximité de lisières boisées. La cour a estimé, sans davantage dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, que les mesures de réduction prévues par la société pétitionnaire, telles que la mise en place d'un plan de bridage des aérogénérateurs en temps réel de type Pro-Bat et la désactivation des détecteurs de mouvements sur l'éclairage extérieur des éoliennes, eu égard à l'importance des enjeux et à l'absence de certitude sur la fiabilité du dispositif proposé, n'étaient pas de nature à diminuer le risque pour les espèces, et notamment les risques de collision, de barotraumatisme et de perte d'habitats pour les chiroptères. En déduisant de ces éléments, alors même qu'elle n'a pas expressément mentionné le plan de bridage statique prévu par l'arrêté, que le projet devait être regardé comme susceptible d'affecter la conservation des chiroptères et de leurs habitats et que l'autorisation contestée était illégale en tant qu'elle ne comportait pas de dérogation au titre des espèces protégées, la cour n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
8. C'est, en second lieu, sans contradiction de motifs que la cour administrative d'appel a pu juger que si le projet faisant l'objet de l'autorisation préfectorale nécessitait une dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, les mesures prévues par l'arrêté attaqué n'étaient pas insusceptibles de permettre de garantir la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code.
Sur le sursis à statuer en vue d'une régularisation de l'autorisation :
9. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, dans sa version alors applicable, dispose que " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : (...) / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. (...) ".
10. D'une part, lorsque le juge administratif met en oeuvre les pouvoirs qu'il tient du 2° de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, il est tenu, avant de surseoir à statuer, d'inviter les parties à présenter leurs observations, lesquelles peuvent porter aussi bien sur le caractère régularisable des vices identifiés que sur les modalités de la régularisation, notamment le délai pour y parvenir. Il appartient alors au juge de fixer le délai dans lequel doit lui être notifiée l'autorisation modificative en tenant compte des mesures à prendre pour régulariser le vice retenu et des éventuelles contraintes dont l'ont informé les parties. Ce délai ne peut être utilement critiqué devant le juge de cassation qu'au stade de la contestation de la décision avant-dire droit.
11. D'autre part, s'il résulte des dispositions citées au point 9 que le juge peut à tout moment, à l'issue du délai qu'il a fixé dans sa décision avant dire droit, statuer sur la demande d'annulation de l'autorisation attaquée et, le cas échéant, y faire droit si aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée, il ne saurait toutefois se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu'il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité de l'autorisation attaquée. Par ailleurs, les requérants parties à l'instance ayant donné lieu à la décision avant dire droit sont recevables à contester la légalité de la mesure de régularisation produite dans le cadre de cette instance, tant que le juge n'a pas statué au fond, sans condition de délai.
12. En l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que la cour a sursis à statuer sur les conclusions des requêtes de la LPO et de l'association Charente Nature, d'une part, et de l'association A bout de souffle Vouthon Val de Tardoire et autres, d'autre part, jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt pour permettre à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire de lui notifier le cas échéant une dérogation " espèces protégées ". Il ne résulte pas des pièces du dossier soumis à la cour que le délai de régularisation qu'elle a ainsi fixé serait manifestement insuffisant.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la Ligue de protection des oiseaux et autres qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire une somme globale de 3 000 euros à verser à la Ligue de protection des oiseaux et autres au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire est rejeté.
Article 2 : La société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire versera une somme globale de 3 000 euros à la Ligue de protection des oiseaux et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire et à la Ligue de protection des oiseaux, première dénommée pour l'ensemble des défendeurs.
Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 octobre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, Mme Nathalie Destais, conseillers d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 18 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
N° 474372
ECLI:FR:CECHR:2024:474372.20241118
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Stéphanie Vera, rapporteure
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats
Lecture du lundi 18 novembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
D'une part, la Ligue pour la protection des oiseaux et l'association Charente Nature ont demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2019 du préfet de la Charente accordant à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire l'autorisation d'installer et exploiter huit aérogénérateurs et trois postes de livraison sur le territoire des communes de Moulins-sur-Tardoire, Vouthon et Saint-Germain-de-Montbron, ainsi que le nouvel arrêté préfectoral du 14 janvier 2020 abrogeant et remplaçant cet arrêté du 22 juillet 2019. D'autre part, l'association A bout de souffle Vouthon Val de Tardoire, M. O... M..., Mme T... N..., M. K... R..., M. J... G..., M. B... L..., M. U... P..., Mme Q... S..., M. E... C..., M. F... D..., M. I... V... et M. A... H... ont demandé à la même cour d'annuler le seul arrêté du 14 janvier 2020.
Par un arrêt nos 20BX00331, 20BX01834 du 21 mars 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a sursis à statuer sur les conclusions de ces requêtes jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois, afin de permettre à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire de procéder à la régularisation de l'illégalité mentionnée au point 35 de son arrêt, par l'obtention d'une dérogation au titre des articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement.
Par un pourvoi, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique enregistrés les 22 mai et 4 septembre 2023 et le 9 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a jugé illégale l'autorisation d'exploiter faute de comporter une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces protégées prévues à l'article L. 411-1 du code de l'environnement et fait application de l'article L. 181-18 du même code ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les requêtes de la Ligue de protection des oiseaux et autre et de l'association A bout de souffle Vouthon Val de Tardoire et autres ;
3°) de mettre à la charge de la Ligue de protection des oiseaux et autre et de l'association A bout de souffle Vouthon Val de Tardoire et autres la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la Ligue de protection des oiseaux et autres ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 octobre 2024, présentée par la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 5 décembre 2016, la SARL Ferme éolienne de Bandiat Tardoire a déposé une demande d'autorisation unique portant sur une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent regroupant neuf aérogénérateurs d'une puissance maximale de 27 MW. Par un arrêté du 22 juillet 2019, la préfète de la Charente a autorisé l'installation de huit aérogénérateurs d'une hauteur de 180 mètres en bout de pale, six sur les communes de Vouthon et de Vilhonneur devenue Moulins-sur-Tardoire et deux sur la commune de Saint-Germain-de-Montbron, et de trois postes de livraison. La Ligue pour la protection des oiseaux et l'association Charente Nature ont demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2019 ainsi que le nouvel arrêté préfectoral d'autorisation du 14 janvier 2020 l'abrogeant et le remplaçant. L'association A bout de souffle Vouthon Val de Tardoire et onze autres requérants ont demandé à la même cour d'annuler l'arrêté du 14 janvier 2020. La société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 21 mars 2023, en tant que celui-ci, faisant application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, a sursis à statuer sur les conclusions des requêtes jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois en vue de permettre la régularisation d'une illégalité tenant au défaut de dérogation aux interdictions de destruction d'espèces protégées prévues à l'article L. 411-1 du même code.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. En premier lieu, dès lors que la cour, par son arrêt avant-dire droit, a estimé qu'une dérogation espèces protégées aurait dû être sollicitée et décidé de surseoir à statuer en vue de permettre à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire de procéder à la régularisation de cette illégalité, elle n'avait pas à répondre, dans cet arrêt, aux conclusions présentées par cette société tendant à ce qu'elle assortisse l'autorisation d'installation de prescriptions complémentaires.
3. En second lieu, la cour ayant expressément mentionné dans les motifs de son arrêt les directives 92/43/CEE du 21 mai 1992 et 2009/147/CE du 30 novembre 2009 dont elle a fait application, le moyen tiré de ce que la cour aurait entaché son arrêt d'irrégularité en omettant de mentionner ces directives dans les visas de son arrêt ne peut qu'être écarté.
Sur la dérogation dite " espèces protégées " :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) / II.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation (...) ". Au titre des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, figure " la protection de la nature, de l'environnement ".
5. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, qui transposent en droit interne l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats ", que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, comme le prévoient les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
6. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
7. En premier lieu, la cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, d'une part, que le secteur d'implantation du projet se situait à proximité de milieux naturels protégés présentant un fort intérêt chiroptérologique et que l'étude d'impact mettait en exergue un fort taux d'activité et une diversité d'espèces de chiroptères dont certaines sont connues pour être sensibles au risque éolien, d'autre part, que la zone d'implantation du projet constituait une zone utilisée pour le transit et la chasse des chiroptères, notamment du minioptère de Schreibers, et que les éoliennes seraient implantées à proximité de lisières boisées. La cour a estimé, sans davantage dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, que les mesures de réduction prévues par la société pétitionnaire, telles que la mise en place d'un plan de bridage des aérogénérateurs en temps réel de type Pro-Bat et la désactivation des détecteurs de mouvements sur l'éclairage extérieur des éoliennes, eu égard à l'importance des enjeux et à l'absence de certitude sur la fiabilité du dispositif proposé, n'étaient pas de nature à diminuer le risque pour les espèces, et notamment les risques de collision, de barotraumatisme et de perte d'habitats pour les chiroptères. En déduisant de ces éléments, alors même qu'elle n'a pas expressément mentionné le plan de bridage statique prévu par l'arrêté, que le projet devait être regardé comme susceptible d'affecter la conservation des chiroptères et de leurs habitats et que l'autorisation contestée était illégale en tant qu'elle ne comportait pas de dérogation au titre des espèces protégées, la cour n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
8. C'est, en second lieu, sans contradiction de motifs que la cour administrative d'appel a pu juger que si le projet faisant l'objet de l'autorisation préfectorale nécessitait une dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, les mesures prévues par l'arrêté attaqué n'étaient pas insusceptibles de permettre de garantir la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code.
Sur le sursis à statuer en vue d'une régularisation de l'autorisation :
9. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, dans sa version alors applicable, dispose que " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : (...) / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. (...) ".
10. D'une part, lorsque le juge administratif met en oeuvre les pouvoirs qu'il tient du 2° de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, il est tenu, avant de surseoir à statuer, d'inviter les parties à présenter leurs observations, lesquelles peuvent porter aussi bien sur le caractère régularisable des vices identifiés que sur les modalités de la régularisation, notamment le délai pour y parvenir. Il appartient alors au juge de fixer le délai dans lequel doit lui être notifiée l'autorisation modificative en tenant compte des mesures à prendre pour régulariser le vice retenu et des éventuelles contraintes dont l'ont informé les parties. Ce délai ne peut être utilement critiqué devant le juge de cassation qu'au stade de la contestation de la décision avant-dire droit.
11. D'autre part, s'il résulte des dispositions citées au point 9 que le juge peut à tout moment, à l'issue du délai qu'il a fixé dans sa décision avant dire droit, statuer sur la demande d'annulation de l'autorisation attaquée et, le cas échéant, y faire droit si aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée, il ne saurait toutefois se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu'il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité de l'autorisation attaquée. Par ailleurs, les requérants parties à l'instance ayant donné lieu à la décision avant dire droit sont recevables à contester la légalité de la mesure de régularisation produite dans le cadre de cette instance, tant que le juge n'a pas statué au fond, sans condition de délai.
12. En l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que la cour a sursis à statuer sur les conclusions des requêtes de la LPO et de l'association Charente Nature, d'une part, et de l'association A bout de souffle Vouthon Val de Tardoire et autres, d'autre part, jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt pour permettre à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire de lui notifier le cas échéant une dérogation " espèces protégées ". Il ne résulte pas des pièces du dossier soumis à la cour que le délai de régularisation qu'elle a ainsi fixé serait manifestement insuffisant.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la Ligue de protection des oiseaux et autres qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire une somme globale de 3 000 euros à verser à la Ligue de protection des oiseaux et autres au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire est rejeté.
Article 2 : La société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire versera une somme globale de 3 000 euros à la Ligue de protection des oiseaux et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire et à la Ligue de protection des oiseaux, première dénommée pour l'ensemble des défendeurs.
Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 octobre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, Mme Nathalie Destais, conseillers d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 18 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain