Conseil d'État
N° 475734
ECLI:FR:CECHR:2024:475734.20241108
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Alexandra Bratos, rapporteure
M. Laurent Domingo, rapporteur public
Lecture du vendredi 8 novembre 2024
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 475734, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juillet et 9 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Institut Iliade pour la longue mémoire européenne demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 10 mai 2023 relative à l'interdiction des manifestations et rassemblements d'ultra-droite ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 475772, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 et 16 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Cercle Droit et Liberté demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 10 mai 2023 relative à l'interdiction des manifestations et rassemblements d'ultra-droite ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code pénal ;
- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Bratos, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Les associations Institut Iliade pour la longue mémoire européenne et Cercle Droit et Liberté demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 10 mai 2023 relative à l'interdiction des manifestations et rassemblements d'ultra-droite. Les deux requêtes sont dirigées contre la même circulaire. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une manifestation sur la voie publique ayant eu lieu à Paris le 6 mai 2023, ayant pour objet une " marche silencieuse en hommage à Sébastien Deyzieu ", militant décédé le 7 mai 1994 lors d'une manifestation d'extrême-droite organisée par le " Groupe Union défense " (GUD) et les " Jeunesses nationalistes révolutionnaires " (JNR), le ministre de l'intérieur et des outre-mer a indiqué, le 9 mai 2023, au cours d'une séance de questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale, qu'il avait donné pour instruction que toutes les manifestations, déclarées par des militants d'ultra-droite ou d'extrême-droite, soient désormais interdites par les préfets. Le 10 mai 2023, le ministre a adressé la circulaire attaquée aux préfets, intitulée " Interdiction des manifestations et rassemblements de l'ultra-droite ", laquelle invite les préfets, après avoir mentionné les troubles à l'ordre public provoqués par la manifestation du 6 mai 2023, à accorder une attention particulière aux déclarations de manifestations portées par des individus issus de groupes dissous, appelant à la haine contre autrui ou se revendiquant de l'action violente et à prendre, par arrêté, les mesures d'interdiction qui s'imposent pour éviter la réitération de tels événements. L'annexe de la circulaire rappelle la jurisprudence applicable aux interdictions de spectacle pouvant être transposée aux interdictions de manifestations.
3. Il appartient aux autorités titulaires du pouvoir de police administrative, afin de prévenir les troubles à l'ordre public, de prendre les mesures adaptées, nécessaires et proportionnées que peut appeler, le cas échéant, l'exercice de la liberté de manifester. Il revient au préfet, qui a compétence pour interdire, en vertu des articles L. 211-4 et R. 211-1 du code de la sécurité intérieure, une manifestation projetée de nature à troubler l'ordre public, d'apprécier, sous le contrôle du juge administratif et à la date à laquelle il se prononce, la réalité et l'ampleur des risques de troubles à l'ordre public susceptibles de résulter de chaque manifestation déclarée ou prévue, en fonction de son objet, déclaré ou réel, de ses caractéristiques propres et des moyens dont il dispose pour assurer la sécurité publique, et de déterminer au cas par cas s'il y a lieu d'interdire une manifestation. Il appartient, pour sa part, au ministre de l'intérieur, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous son autorité, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, sous réserve des compétences attribuées à d'autres autorités par les textes législatifs et réglementaires en vigueur et dans le respect des lois et règlements applicables.
4. En premier lieu, en dépit de l'intitulé de son objet, la circulaire attaquée ne prescrit pas, et ne pourrait avoir légalement pour effet, d'interdire, de manière générale et absolue, tout rassemblement ou manifestation organisé par une personne ou une organisation appartenant au courant politique dit d'ultra-droite. En l'édictant, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, ainsi qu'il lui était loisible de le faire dans l'exercice de sa compétence, a appelé l'attention des préfets sur les déclarations de manifestations émanant de personnes ou d'organisations de cette mouvance, identifiées comme véhiculant une idéologie encourageant ou justifiant la discrimination, la haine ou la violence à l'encontre des personnes et les atteintes aux biens susceptibles de provoquer des troubles graves à l'ordre public, notamment des troubles matériels, des appels à la violence, des défilés et manifestations de personnes masquées et la commission d'infractions pénales telles que la reconstitution de groupe dissous et la négation de crimes contre l'humanité, réprimés respectivement aux articles 431-15 du code pénal et 24 bis de la loi du 29 juillet 1881. La circulaire concerne les seules manifestations qui présenteraient ces caractéristiques et rappelle le cadre juridique applicable, le cas échéant, aux interdictions de manifestation. Par suite, les moyens des requêtes tirés de ce que le ministre de l'intérieur aurait illégalement édicté une interdiction de l'ensemble des manifestations relevant de " l'ultra-droite " doivent être écartés.
5. En deuxième lieu, s'il est loisible à une autorité publique de prendre des circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit, elle n'est jamais tenue de le faire. Elle n'est pas davantage tenue de régir l'ensemble des situations existantes dans un acte unique. Par suite, eu égard à la nature de la circulaire attaquée, les associations requérantes ne sauraient, en tout état de cause, utilement invoquer une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et du principe de non-discrimination en faisant valoir que la circulaire ne concerne pas les manifestations organisées par d'autres mouvances politiques.
6. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de la circulaire qu'elles attaquent. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les requêtes des associations Institut Iliade pour la longue mémoire européenne et Cercle Droit et Liberté sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée aux associations Institut Iliade pour la longue mémoire européenne et Cercle Droit et Liberté et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et Mme Alexandra Bratos, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 8 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Bratos
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana
N° 475734
ECLI:FR:CECHR:2024:475734.20241108
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Alexandra Bratos, rapporteure
M. Laurent Domingo, rapporteur public
Lecture du vendredi 8 novembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 475734, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juillet et 9 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Institut Iliade pour la longue mémoire européenne demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 10 mai 2023 relative à l'interdiction des manifestations et rassemblements d'ultra-droite ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 475772, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 et 16 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Cercle Droit et Liberté demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 10 mai 2023 relative à l'interdiction des manifestations et rassemblements d'ultra-droite ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code pénal ;
- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Bratos, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Les associations Institut Iliade pour la longue mémoire européenne et Cercle Droit et Liberté demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 10 mai 2023 relative à l'interdiction des manifestations et rassemblements d'ultra-droite. Les deux requêtes sont dirigées contre la même circulaire. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une manifestation sur la voie publique ayant eu lieu à Paris le 6 mai 2023, ayant pour objet une " marche silencieuse en hommage à Sébastien Deyzieu ", militant décédé le 7 mai 1994 lors d'une manifestation d'extrême-droite organisée par le " Groupe Union défense " (GUD) et les " Jeunesses nationalistes révolutionnaires " (JNR), le ministre de l'intérieur et des outre-mer a indiqué, le 9 mai 2023, au cours d'une séance de questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale, qu'il avait donné pour instruction que toutes les manifestations, déclarées par des militants d'ultra-droite ou d'extrême-droite, soient désormais interdites par les préfets. Le 10 mai 2023, le ministre a adressé la circulaire attaquée aux préfets, intitulée " Interdiction des manifestations et rassemblements de l'ultra-droite ", laquelle invite les préfets, après avoir mentionné les troubles à l'ordre public provoqués par la manifestation du 6 mai 2023, à accorder une attention particulière aux déclarations de manifestations portées par des individus issus de groupes dissous, appelant à la haine contre autrui ou se revendiquant de l'action violente et à prendre, par arrêté, les mesures d'interdiction qui s'imposent pour éviter la réitération de tels événements. L'annexe de la circulaire rappelle la jurisprudence applicable aux interdictions de spectacle pouvant être transposée aux interdictions de manifestations.
3. Il appartient aux autorités titulaires du pouvoir de police administrative, afin de prévenir les troubles à l'ordre public, de prendre les mesures adaptées, nécessaires et proportionnées que peut appeler, le cas échéant, l'exercice de la liberté de manifester. Il revient au préfet, qui a compétence pour interdire, en vertu des articles L. 211-4 et R. 211-1 du code de la sécurité intérieure, une manifestation projetée de nature à troubler l'ordre public, d'apprécier, sous le contrôle du juge administratif et à la date à laquelle il se prononce, la réalité et l'ampleur des risques de troubles à l'ordre public susceptibles de résulter de chaque manifestation déclarée ou prévue, en fonction de son objet, déclaré ou réel, de ses caractéristiques propres et des moyens dont il dispose pour assurer la sécurité publique, et de déterminer au cas par cas s'il y a lieu d'interdire une manifestation. Il appartient, pour sa part, au ministre de l'intérieur, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous son autorité, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, sous réserve des compétences attribuées à d'autres autorités par les textes législatifs et réglementaires en vigueur et dans le respect des lois et règlements applicables.
4. En premier lieu, en dépit de l'intitulé de son objet, la circulaire attaquée ne prescrit pas, et ne pourrait avoir légalement pour effet, d'interdire, de manière générale et absolue, tout rassemblement ou manifestation organisé par une personne ou une organisation appartenant au courant politique dit d'ultra-droite. En l'édictant, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, ainsi qu'il lui était loisible de le faire dans l'exercice de sa compétence, a appelé l'attention des préfets sur les déclarations de manifestations émanant de personnes ou d'organisations de cette mouvance, identifiées comme véhiculant une idéologie encourageant ou justifiant la discrimination, la haine ou la violence à l'encontre des personnes et les atteintes aux biens susceptibles de provoquer des troubles graves à l'ordre public, notamment des troubles matériels, des appels à la violence, des défilés et manifestations de personnes masquées et la commission d'infractions pénales telles que la reconstitution de groupe dissous et la négation de crimes contre l'humanité, réprimés respectivement aux articles 431-15 du code pénal et 24 bis de la loi du 29 juillet 1881. La circulaire concerne les seules manifestations qui présenteraient ces caractéristiques et rappelle le cadre juridique applicable, le cas échéant, aux interdictions de manifestation. Par suite, les moyens des requêtes tirés de ce que le ministre de l'intérieur aurait illégalement édicté une interdiction de l'ensemble des manifestations relevant de " l'ultra-droite " doivent être écartés.
5. En deuxième lieu, s'il est loisible à une autorité publique de prendre des circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit, elle n'est jamais tenue de le faire. Elle n'est pas davantage tenue de régir l'ensemble des situations existantes dans un acte unique. Par suite, eu égard à la nature de la circulaire attaquée, les associations requérantes ne sauraient, en tout état de cause, utilement invoquer une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et du principe de non-discrimination en faisant valoir que la circulaire ne concerne pas les manifestations organisées par d'autres mouvances politiques.
6. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de la circulaire qu'elles attaquent. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les requêtes des associations Institut Iliade pour la longue mémoire européenne et Cercle Droit et Liberté sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée aux associations Institut Iliade pour la longue mémoire européenne et Cercle Droit et Liberté et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et Mme Alexandra Bratos, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 8 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Bratos
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana