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Ariane Web: Conseil d'État 495164, lecture du 23 octobre 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:495164.20241023

Décision n° 495164
23 octobre 2024
Conseil d'État

N° 495164
ECLI:FR:CECHS:2024:495164.20241023
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
Mme Anne Egerszegi, présidente
M. Vincent Mazauric, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteure publique
ALLEN & OVERY LLP, avocats


Lecture du mercredi 23 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 juillet et
13 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société TTR Energy et les sociétés Akuo Energy SAS, Boralex, CEH Clean Energies Holding AG, Enerparc AG, EnR44, EOS Wind France SAS, H2air, JP Energie Environnement, Neoen, Parc Eolien des Useroles, Unite, Valeco, Valorem, Volkswind GmbH, Voltalia, VSB Green Yield One GmbH, W.E.B Parc Eolien des Vallées, Eole de la Grande Combe, Eole de la Plaine d'Osne, Eole Jasseines, Eole Les Nesloises, Goudelancourt Eolien, Iper Eol Lidrezing, Moisson de Beauce I, Parc Eolien Bourbriac, Parc Eolien de Coatjegu, Parc Eolien du Chemin de Mory, FPV Bouerne, O'Mega 1, ECT Energie - Les Gabots, Anémode, Boralex Bazougeais, Boralex Cham Longe, Le Pelon, Les Vents de l'Axonais, Les Vents de l'Est Artois, Les Vents du Bapalmois, Les Vents du Cambresis, Les Vents du Catesis, Les Vents du Santerre, Parc Eolien de Noyer Bucamps, Parc Eolien des Blanches Fosses, Vent Energie Renouvelable, Ferme Eolienne de la Hotte, Ferme Eolienne du clos Boivin, Ferme Eolienne du Moulin Jérôme, Ferme Eolienne la Voie d'Artois, Ferme Eolienne le Maissel, Ferme Eolienne Terre à Flacons, Ferme Eolienne Voie de Cambrai, Pays de Montmédy Solaire 1, Pays de Montmédy Solaire 2, Pays de Montmédy Solaire 3, Pays de Montmédy Solaire 4, Pays de Montmédy Solaire 5, Boussay Energies, Sydela Energie Six Pièces, Le Parc Eolien du Cers, Beauce Energie, Belectric Pv 6, Belectric Pv 9, Brinay Energie, Soleia 31, Soleia 32, Soleia 33, Soleia 34, Soleia 35, Soleia 37, Soleia 39, Toury Energie, Azursol Est, Azursol Sud, Centrale Eolienne Chassepain, Centrale Eolienne de Viersat, Centrale Eolienne du Pays Chaumontais, Centrale Eolienne du Pays entre Madon et Moselle, Centrale Eolienne du Plateau de l'Auxois Sud, Centrale Eolienne La Garenne, Centrale Eolienne Le Mont de Malan, Centrale Eolienne Les Hauts Chemins, Centrale Photovoltaïque de Mer, Centrale Solaire Arue 1, Centrale Solaire Corbas 1, Centrale Solaire Corbas 3, Centrale Solaire Orion 8, Centrale Solaire Orion 10, Centrale Solaire Orion 11, Centrale Solaire Orion 12, Centrale Solaire Orion 17, Centrale Solaire Orion 18, Centrale Solaire Orion 19, Centrale Solaire Orion 20, Centrale Solaire Orion 21, Centrale Solaire Orion 24, Centrale Solaire Orion 26, Centrale Solaire Orion 28, Centrale Solaire Orion 36, Centrale Solaire Orion 40, Centrale Solaire Morcenx 1, Eoliennes Chemin Vert, Eoliennes Courcôme, Parc Eolien des Avaloirs, PV Cap Découverte 4bis, PV Garrigues Ouest, PV Les Poulettes, Cambon Energie, Centernach Energie, Centrale éolienne du Fenouilledes, Centrale Photovoltaïque de Saint Quentin la Tour, Centrale Solaire de la Petite Vicomte, Centrale Solaire de Montégut, Centrale Solaire du Tea Fleury-Merogis, Centrale Solaire Ema Solar, Centrales Solaires de L'Isle sur la Sorgue, Gramentes Energies, Labruguière Energies, Parc Eolien de Bel Air, Parc Eolien de la Bruyère, Parc Eolien de Lavacquerie, Parc Eolien de la Vallée de Belleuse, Parc Eolien de l'Ensinet, Parc Eolien du Mont de Maisnil, SOCPE le Chêne Courteau, SOCPE Terres de l'Abbaye, Ablaincourt Energies, Alzonne Energies, Angerville Energies, Azérables Energies, Bâalon Energies, Billom Energies, Bois d'Olivet Energies, Camiac Energies, Dampierre Energies, Hombleux Energies, La Pouyère Energies, Les Pointes Energies, Maillol Energies, Mézières Energies, Mezos Energies, Montbarbier Energies, Noé Energies, Pinvert Energies, Pontenx Energies, Saint Marcel Energies, Saint Père Energies, Saint Sébastien Energies, Totes Energies, Ferme éolienne d'Antezant la Chapelle, Ferme éolienne de Bénet 2, Ferme éolienne de Lusseray-Paizay le Tort, Ferme éolienne des Tilleuls, Ferme éolienne des Touches de Périgny, Ferme éolienne du Mont de Trême, Ferme éolienne du Lindier, Champ agrivoltaïque du Cabanon, Echauffour Energies, MTSFR-PARROC, Ombrières solaires de Jonquières, Parc éolien de Sarry, Parc solaire de Laspeyres, Parc solaire de Tresques, Parc solaire du Talagard, Eoliennes de Buléon, Eoliennes de La Chappelle au Mans, Eoliennes des Trois Plaines, Soleil de Bagnols, Soleil de Gaujac et Soleil d'Izernore demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de l'instruction en date du 16 avril 2024 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, d'autre part, de la décision du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique prescrivant à Electricité de France Obligation d'Achat (EDF OA) l'adoption de certaines modalités de facturation pour la mise en oeuvre de l'article 230 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 et le rejet des demandes de remboursement des montants réglés en application de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, et, enfin, de la décision d'EDF OA tendant à l'adoption des modalités de facturation pour la mise en oeuvre de l'article 230 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 et au rejet des demandes de remboursement des montants réglés en application de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 230 de la loi de finances pour 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'énergie ;
- la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 ;
- la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1065 QPC du 26 octobre 2023 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société TTR Energy et des sociétés Eole Sud Marne et autres, et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat des sociétés Blueberry SAS et autres et de la société Energie du partage 10 et autre ;



Considérant ce qui suit :

1. Les sociétés Blueberry SAS et autres, Eole Sud Marne et autres et Energie du partage 10 et autre doivent être regardées, en l'état du dossier, comme justifiant d'un intérêt leur donnant qualité pour intervenir au soutien de la requête de la société TTR Energy et autres. Dès lors, leur intervention au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société TTR Energy à l'appui de cette requête, présentée par un mémoire distinct, doit être admise pour l'examen de cette question.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 230 de la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 : " Le présent article s'applique à tous les contrats offrant un complément de rémunération conclus en application des articles L. 311-12 et L. 314-18 du code de l'énergie qui prévoient une limite supérieure aux sommes dont le producteur est redevable lorsque la prime à l'énergie mensuelle est négative. / A compter du 1er janvier 2022, les contrats mentionnés au premier alinéa du présent article sont ainsi modifiés : lorsque, pour un mois donné, la prime à l'énergie mensuelle est négative, le producteur est redevable de l'intégralité de la somme correspondante pour l'énergie produite ".

4. Par ces dispositions applicables à compter du 1er janvier 2022, le législateur a modifié les contrats en cours conclus par les producteurs d'énergie de source renouvelable et Electricité de France, soit à la suite d'appels d'offres, en application de l'article L. 311-12 du code de l'énergie, soit sur demande, en application de l'article L. 314-18 du même code, et prévoyant le versement par Electricité de France d'un complément de rémunération lorsque le prix de marché auquel les producteurs vendent leur production est inférieur au tarif de référence fixé, selon le cas, soit par le contrat soit par arrêté, et, à l'inverse, le reversement par les producteurs, lorsque ce tarif de référence est inférieur au prix de marché, du montant correspondant à la différence entre ces deux prix, dans la limite du montant total des aides perçues, depuis le début du contrat, au titre du complément de rémunération. Désormais, en application des dispositions contestées, le reversement dû par les producteurs à Electricité de France à raison d'un prix de marché supérieur au tarif de référence est intégral et n'est plus limité au montant total des aides perçues depuis le début du contrat.

5. Les requérantes soutiennent que, par ces dispositions, le législateur a porté, rétroactivement et jusqu'au terme des contrats en cours, atteinte à la liberté contractuelle et au droit au maintien de l'économie des situations légalement acquises garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, que cette atteinte n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général suffisant dès lors, notamment, qu'à la date à laquelle la mesure contestée a été adoptée, l'éventuel effet d'aubaine dont auraient bénéficié les producteurs à raison de la forte hausse des prix de l'électricité sur les marchés avait cessé, et qu'en tout état de cause, cette atteinte est disproportionnée en l'absence de tout mécanisme de garantie d'une rémunération raisonnable des capitaux investis. Elles soutiennent également que les dispositions contestées, en tant qu'elles procèdent à la validation des documents comptables établis dans le cadre du mécanisme institué par l'article 38 de la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, déclaré non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2023-1065 QPC du 26 octobre 2023, méconnaissent les exigences constitutionnelles découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 applicables aux lois de validation.

6. Les dispositions de l'article 230 de la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au droit au maintien de l'économie des situations légalement acquises garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.


D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions des sociétés Blueberry SAS et autres, des sociétés Eole Sud Marne et autres et de la société Energie du partage 10 et autre sont admises.
Article 2 : La question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 230 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur les conclusions de la requête présentée par la société TTR Energy et autres jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société TTR Energy, représentante unique de l'ensemble des requérantes, à la société Blueberry SAS, à la société Eole Sud Marne et à la société Energie du partage 10 pour l'ensemble des intervenants, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la société EDF.
Copie en sera adressée au Premier ministre.



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