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Ariane Web: Conseil d'État 472156, lecture du 18 octobre 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:472156.20241018

Décision n° 472156
18 octobre 2024
Conseil d'État

N° 472156
ECLI:FR:CECHS:2024:472156.20241018
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
M. Cyril Roger-Lacan, président
Mme Stéphanie Vera, rapporteure
M. Frédéric Puigserver, rapporteur public
BERTRAND, avocats


Lecture du vendredi 18 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'association Aide à l'initiative dans le respect de l'environnement (AIRE) et l'association Avenir d'Alet ont demandé à la cour administrative d'appel de Toulouse, d'une part, d'annuler l'arrêté de la préfète de l'Aude du 9 juin 2020 édictant des prescriptions complémentaires pour l'exploitation, par la société Saint-Polycarpe Energies, d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent comportant cinq aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Saint-Polycarpe, d'autre part, à titre principal, d'enjoindre à la société Saint-Polycarpe Energies de déposer une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées et à la préfète de l'Aude de réexaminer le dossier en fonction de la suite donnée à cette demande et, à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète de l'Aude de déterminer des mesures permettant d'éviter, réduire et compenser les atteintes portées par le projet à l'environnement et à la biodiversité.

Par un arrêt n° 20TL04717 du 20 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Toulouse a, d'une part, réformé les articles 2 et 7 de l'arrêté attaqué, et d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 mars et 7 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Avenir d'Alet demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en ce qu'il ne fait que partiellement droit à sa requête ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit au surplus des conclusions de sa requête ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Saint-Polycarpe Energies la somme de 3 000 euros à verser à Me Bertrand, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bertrand, avocat de l'association Avenir d'Alet ;



Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 18 décembre 2008, le préfet de l'Aude a délivré à la société Saint-Polycarpe Energies un permis de construire pour la création d'un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs sur un terrain situé au lieu-dit " Le Plantidou " sur le territoire de la commune de Saint-Polycarpe. Par une décision du 14 août 2012, il a accordé à cette même société le bénéfice des droits acquis pour ce parc éolien, relevant désormais de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement. Le préfet de l'Aude a ensuite prorogé le délai de mise en service de ce parc par un nouvel arrêté du 20 septembre 2018, puis a édicté des prescriptions complémentaires applicables à cette installation par un arrêté en date du 9 juin 2020. Par un arrêt du 20 octobre 2022 contre lequel l'association Avenir d'Alet se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Toulouse a, d'une part, réformé les articles 2 et 7 de l'arrêté du 9 juin 2020 édictant des prescriptions complémentaires, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête présentée contre cet arrêté par cette association et l'association Aide à l'initiative dans le respect de l'environnement.

2. D'une part, aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, dans sa version applicable au litige : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées (...) avant le 1er mars 2017, ainsi que les permis de construire en cours de validité à cette même date autorisant les projets d'installation d'éoliennes terrestres sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont (...) modifiées ". Aux termes du I de l'article L. 181-2 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l'application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments suivants, lorsque le projet d'activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l'article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite : (...) 5° Dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats en application du 4° de l'article L. 411-2 (...) ". Aux termes du II de l'article L. 181-3 du même code : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; (...) ". L'article L. 411-2 du code de l'environnement permet d'accorder des dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1 du même code, lesquelles portent, notamment, sur la destruction et la perturbation intentionnelle des espèces animales protégées, la destruction de végétaux protégés ainsi que la destruction, l'altération ou la dégradation de leurs habitats naturels ou d'espèces, aux conditions qu'il précise.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 181-14 du code de l'environnement : " Toute modification substantielle des activités, installations, ouvrages ou travaux qui relèvent de l'autorisation environnementale est soumise à la délivrance d'une nouvelle autorisation, qu'elle intervienne avant la réalisation du projet ou lors de sa mise en oeuvre ou de son exploitation. / En dehors des modifications substantielles, toute modification notable intervenant dans les mêmes circonstances est portée à la connaissance de l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation environnementale dans les conditions définies par le décret prévu à l'article L. 181-32. / L'autorité administrative peut imposer toute prescription complémentaire nécessaire au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 à l'occasion de ces modifications, mais aussi à tout moment s'il apparaît que le respect de ces dispositions n'est pas assuré par l'exécution des prescriptions préalablement édictées. ". Aux termes de l'article R. 181-45 du même code : " Les prescriptions complémentaires prévues par le dernier alinéa de l'article L. 181-14 sont fixées par des arrêtés complémentaires du préfet (...) / Ces arrêtés peuvent imposer les mesures additionnelles que le respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 rend nécessaire ou atténuer les prescriptions initiales dont le maintien en l'état n'est plus justifié. / (...) ".

4. Il résulte des dispositions citées au point 2 que les permis de construire en cours de validité à la date du 1er mars 2017 autorisant les projets d'installation d'éoliennes terrestres sont considérés, à compter de cette date, comme des autorisations environnementales auxquelles les dispositions du chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l'environnement sont applicables, notamment lorsque ces installations sont modifiées. Cette autorisation environnementale tient ainsi lieu des divers autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés au I de l'article L. 181-2 du code de l'environnement, au nombre desquels figure la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats prévue à l'article L. 411-2. Il s'ensuit que le préfet qui envisagerait de prendre, postérieurement à la délivrance du permis de construire, un nouvel arrêté comportant des prescriptions imposées à l'exploitant, est tenu, quand bien même ces prescriptions seraient identiques à celles imposées par l'arrêté délivrant le permis, d'apprécier celles-ci en fonction des circonstances prévalant à la date de sa décision, et notamment celles relatives aux espèces protégées.

5. Dès lors, en jugeant inopérants les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué est illégal en ce qu'il omet de prévoir une étude d'impact complémentaire relative à la protection des espèces animales, ne comporte pas de prescriptions suffisantes en matière de préservation de l'avifaune et des chiroptères et s'abstient de prescrire une procédure de demande de dérogation aux interdictions relatives aux espèces protégées au motif que les prescriptions relatives à la protection de l'avifaune qu'il comporte se bornent à réitérer celles déjà imposées par l'arrêté préfectoral du 18 décembre 2008 ayant délivré un permis de construire à la société Saint-Polycarpe Energies, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que l'association requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de sa requête.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société Saint-Polycarpe Energies les sommes de 1 500 euros chacun à verser à Me Bertrand, avocat de l'association Avenir d'Alet, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Toulouse est annulé en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de la requête de l'association Avenir d'Alet.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Toulouse.
Article 3 : L'Etat et la société Saint-Polycarpe Energies verseront chacun à Me Bertrand, avocat de l'association Avenir d'Alet, les sommes de 1 500 euros, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Avenir d'Alet, à la société Saint-Polycarpe Energies et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2024 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 18 octobre 2024.


Le président :
Signé : M. Cyril Roger-Lacan
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo



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