Conseil d'État
N° 475093
ECLI:FR:CECHR:2024:475093.20241016
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Pierre Boussaroque, rapporteur
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SCP GURY & MAITRE, avocats
Lecture du mercredi 16 octobre 2024
La société par actions simplifiée Genedis a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 mai 2019 par lequel le maire de Lyon a accordé à la société à responsabilité limitée Immobilière Abraham Bloch un permis de construire en vue de la réalisation d'un ensemble immobilier au 8, rue Abraham Bloch, ainsi que la décision du 13 septembre 2019 de la même autorité rejetant son recours gracieux. Par un jugement n° 1908876 du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 21LY02999 du 18 avril 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Immobilière Abraham Bloch contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 juin et 15 septembre 2023 et le 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Immobilière Abraham Bloch demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Genedis la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury, Maître, avocat de la société Immobilière Abraham Bloch et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la société Genedis ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Immobilière Abraham Bloch a obtenu le 10 mai 2019 du maire de Lyon un permis de construire pour la réalisation d'un ensemble immobilier d'une surface de plancher de 23 500 mètres carrés comprenant un immeuble de bureaux, des locaux d'activités comportant des laboratoires alimentaires et un établissement et service d'aide par le travail, une crèche, un restaurant d'entreprise, des espaces de formation et un parking. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 avril 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 15 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé ce permis de construire à la demande de la société Genedis, locataire des locaux existants devant être démolis pour faire place au projet litigieux.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. " Aux termes de l'article L. 600-1-3 du même code : " Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. "
3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Il appartient ensuite au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci.
4. Pour juger que la société Genedis justifiait d'un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre du permis de construire délivré le 10 mai 2019, la cour s'est fondée sur les circonstances qu'elle se prévalait de sa qualité de locataire, en vertu d'un bail commercial en cours à la date à laquelle la demande du permis de construire litigieux avait été affichée en mairie le 3 octobre 2018, de l'immeuble existant, implanté sur le terrain d'assiette du projet et ayant vocation à être démoli pour les besoins de sa réalisation, et que le permis autorisant cette démolition avait été délivré le 4 décembre 2018, postérieurement à la date de cet affichage. En admettant que la qualité de locataire de l'immeuble existant conférait à la société requérante un intérêt suffisant pour demander l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire litigieux, alors que ce permis, par lui-même, n'était pas de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance par la société du bien occupé, au sens des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce.
5. Il suit de là que la société Immobilière Abraham Bloch est, pour ce motif, fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Ainsi qu'il a été dit au point 4, la société Genedis, locataire de l'immeuble ayant vocation à être démoli pour permettre la réalisation de la construction autorisée par le permis de construire qu'elle attaque, ne justifie pas, au sens des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de ce permis de construire. Par suite, la société Abraham Bloch est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a fait droit à la demande de la société requérante, qui doit être rejetée comme irrecevable.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Genedis une somme de 3 000 euros à verser à la société Immobilière Abraham Bloch au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce que la somme demandée au même titre par la société Genedis soit mise à la charge de la société Immobilière Abraham Bloch, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 18 avril 2023 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.
Article 2 : Le jugement du 15 juillet 2021 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 3 : La demande présentée par la société Genedis devant le tribunal administratif de Lyon est rejetée.
Article 4 : La société Genedis versera à la société Immobilière Abraham Bloch une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société Genedis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Immobilière Abraham Bloch et à la société par actions simplifiée Genedis.
Copie en sera adressée à la commune de Lyon.
Délibéré à l'issue de la séance du 2 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 16 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Pierre Boussaroque
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly
N° 475093
ECLI:FR:CECHR:2024:475093.20241016
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Pierre Boussaroque, rapporteur
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SCP GURY & MAITRE, avocats
Lecture du mercredi 16 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
La société par actions simplifiée Genedis a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 mai 2019 par lequel le maire de Lyon a accordé à la société à responsabilité limitée Immobilière Abraham Bloch un permis de construire en vue de la réalisation d'un ensemble immobilier au 8, rue Abraham Bloch, ainsi que la décision du 13 septembre 2019 de la même autorité rejetant son recours gracieux. Par un jugement n° 1908876 du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 21LY02999 du 18 avril 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Immobilière Abraham Bloch contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 juin et 15 septembre 2023 et le 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Immobilière Abraham Bloch demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Genedis la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury, Maître, avocat de la société Immobilière Abraham Bloch et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la société Genedis ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Immobilière Abraham Bloch a obtenu le 10 mai 2019 du maire de Lyon un permis de construire pour la réalisation d'un ensemble immobilier d'une surface de plancher de 23 500 mètres carrés comprenant un immeuble de bureaux, des locaux d'activités comportant des laboratoires alimentaires et un établissement et service d'aide par le travail, une crèche, un restaurant d'entreprise, des espaces de formation et un parking. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 avril 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 15 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé ce permis de construire à la demande de la société Genedis, locataire des locaux existants devant être démolis pour faire place au projet litigieux.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. " Aux termes de l'article L. 600-1-3 du même code : " Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. "
3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Il appartient ensuite au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci.
4. Pour juger que la société Genedis justifiait d'un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre du permis de construire délivré le 10 mai 2019, la cour s'est fondée sur les circonstances qu'elle se prévalait de sa qualité de locataire, en vertu d'un bail commercial en cours à la date à laquelle la demande du permis de construire litigieux avait été affichée en mairie le 3 octobre 2018, de l'immeuble existant, implanté sur le terrain d'assiette du projet et ayant vocation à être démoli pour les besoins de sa réalisation, et que le permis autorisant cette démolition avait été délivré le 4 décembre 2018, postérieurement à la date de cet affichage. En admettant que la qualité de locataire de l'immeuble existant conférait à la société requérante un intérêt suffisant pour demander l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire litigieux, alors que ce permis, par lui-même, n'était pas de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance par la société du bien occupé, au sens des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce.
5. Il suit de là que la société Immobilière Abraham Bloch est, pour ce motif, fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Ainsi qu'il a été dit au point 4, la société Genedis, locataire de l'immeuble ayant vocation à être démoli pour permettre la réalisation de la construction autorisée par le permis de construire qu'elle attaque, ne justifie pas, au sens des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de ce permis de construire. Par suite, la société Abraham Bloch est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a fait droit à la demande de la société requérante, qui doit être rejetée comme irrecevable.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Genedis une somme de 3 000 euros à verser à la société Immobilière Abraham Bloch au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce que la somme demandée au même titre par la société Genedis soit mise à la charge de la société Immobilière Abraham Bloch, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 18 avril 2023 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.
Article 2 : Le jugement du 15 juillet 2021 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 3 : La demande présentée par la société Genedis devant le tribunal administratif de Lyon est rejetée.
Article 4 : La société Genedis versera à la société Immobilière Abraham Bloch une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société Genedis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Immobilière Abraham Bloch et à la société par actions simplifiée Genedis.
Copie en sera adressée à la commune de Lyon.
Délibéré à l'issue de la séance du 2 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 16 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Pierre Boussaroque
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly