Conseil d'État
N° 491862
ECLI:FR:CECHS:2024:491862.20240514
Inédit au recueil Lebon
10ème chambre
M. Bertrand Dacosta, président
Mme Sophie Delaporte, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
Lecture du mardi 14 mai 2024
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 février et 24 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association International Restitutions demande au Conseil d'Etat :
1°) de déclarer inexistants la décision de spoliation par le roi François 1er du portrait de Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, dit La Joconde ou Monna Lisa réalisé par Léonard de Vinci, ainsi que tous les actes pris sur le fondement de cette décision ;
2°) d'ordonner que soit rétablie la licéité de la composition des collections du Musée du Louvre en tant qu'elles comportent ce portrait ;
3°) d'ordonner, au titre de la gestion d'affaires qu'elle exerce pour le compte des descendants des héritiers du peintre, la radiation de l'inventaire du musée du Louvre du portrait ;
4°) de renvoyer tout intéressé à se pourvoir afin qu'il soit statué par le juge judiciaire sur la dévolution du portrait.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code civil ;
- le code du patrimoine ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. L'association International Restitutions soutient que le roi François 1er se serait approprié en 1519 le portrait de Lisa Gherardini, dit La Joconde ou Monna Lisa, réalisé par Léonard de Vinci, après la mort de celui-ci, en application du " droit d'aubaine " institué par une ordonnance de Louis XI du 21 avril 1475. Elle demande au Conseil d'Etat de déclarer nulle et non avenue cette " décision ", et de déclarer par voie de conséquence nuls et non avenus tous les actes dont elle soutient qu'ils ont été pris sur son fondement.
2. En premier lieu, la circonstance que l'association International Restitutions se soit donnée pour objet statutaire " de veiller à la licéité de la composition des collections des musées publics " et " de protéger le patrimoine culturel mobilier afin qu'il reste à disposition des populations autochtones dans le lieu ou le pays d'origine de création de manière à conserver, affirmer et promouvoir leur identité culturelle et la puissance créatrice de leur histoire " n'est pas de nature à lui conférer un intérêt lui donnant qualité pour introduire devant le juge de l'excès de pouvoir une action tendant à contester l'appartenance de biens au domaine public mobilier de l'Etat afin de permettre la restitution de ceux-ci aux personnes dont elle soutient qu'elles en seraient les légitimes propriétaires, seules ces dernières ayant intérêt, le cas échéant, à introduire une action en justice pour obtenir la restitution de ces biens. L'association ne saurait davantage soutenir qu'elle aurait vocation à représenter ces personnes au titre de la " gestion d'affaires ". La requête de l'association " International Restitutions " est donc, à ce premier titre, manifestement irrecevable.
3. En second lieu, des conclusions tendant à ce que soient déclarées nulles et non avenues par le juge administratif des " décisions " par lesquelles, sous l'Ancien régime, l'autorité souveraine aurait acquis et incorporé des biens dans le domaine de la Couronne, biens qui font désormais partie du domaine public, sont manifestement irrecevables. Tel est le cas des conclusions dirigées contre la prétendue décision par laquelle le roi François 1er se serait, selon l'association requérante, approprié en 1519 le portrait de La Joconde.
4. Il résulte de ce qui précède que la requête de l'association International Restitutions est entachée d'irrecevabilités manifestes insusceptibles d'être couvertes en cours d'instance et doit être rejetée par application des dispositions de l'article R. 351-4 du code de justice administrative, y compris ses conclusions tendant à l'annulation par voie de conséquence des actes qui auraient été pris sur le fondement de la " décision " de 1519, ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association tirée de ce que les dispositions de l'ordonnance du 21 avril 1475 porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
5. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ". En l'espèce, la présente requête de l'association International Restitutions présente un caractère abusif. Dès lors, il y a lieu de la condamner à payer une amende de 3 000 euros.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'association International Restitutions est rejetée.
Article 2 : L'association International Restitutions est condamnée à payer une amende de 3 000 euros.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association International Restitutions.
Copie en sera adressée au président du Conseil constitutionnel, à la ministre de la culture, à la présidente de l'établissement public du musée du Louvre et au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France.
N° 491862
ECLI:FR:CECHS:2024:491862.20240514
Inédit au recueil Lebon
10ème chambre
M. Bertrand Dacosta, président
Mme Sophie Delaporte, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
Lecture du mardi 14 mai 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 février et 24 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association International Restitutions demande au Conseil d'Etat :
1°) de déclarer inexistants la décision de spoliation par le roi François 1er du portrait de Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, dit La Joconde ou Monna Lisa réalisé par Léonard de Vinci, ainsi que tous les actes pris sur le fondement de cette décision ;
2°) d'ordonner que soit rétablie la licéité de la composition des collections du Musée du Louvre en tant qu'elles comportent ce portrait ;
3°) d'ordonner, au titre de la gestion d'affaires qu'elle exerce pour le compte des descendants des héritiers du peintre, la radiation de l'inventaire du musée du Louvre du portrait ;
4°) de renvoyer tout intéressé à se pourvoir afin qu'il soit statué par le juge judiciaire sur la dévolution du portrait.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code civil ;
- le code du patrimoine ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. L'association International Restitutions soutient que le roi François 1er se serait approprié en 1519 le portrait de Lisa Gherardini, dit La Joconde ou Monna Lisa, réalisé par Léonard de Vinci, après la mort de celui-ci, en application du " droit d'aubaine " institué par une ordonnance de Louis XI du 21 avril 1475. Elle demande au Conseil d'Etat de déclarer nulle et non avenue cette " décision ", et de déclarer par voie de conséquence nuls et non avenus tous les actes dont elle soutient qu'ils ont été pris sur son fondement.
2. En premier lieu, la circonstance que l'association International Restitutions se soit donnée pour objet statutaire " de veiller à la licéité de la composition des collections des musées publics " et " de protéger le patrimoine culturel mobilier afin qu'il reste à disposition des populations autochtones dans le lieu ou le pays d'origine de création de manière à conserver, affirmer et promouvoir leur identité culturelle et la puissance créatrice de leur histoire " n'est pas de nature à lui conférer un intérêt lui donnant qualité pour introduire devant le juge de l'excès de pouvoir une action tendant à contester l'appartenance de biens au domaine public mobilier de l'Etat afin de permettre la restitution de ceux-ci aux personnes dont elle soutient qu'elles en seraient les légitimes propriétaires, seules ces dernières ayant intérêt, le cas échéant, à introduire une action en justice pour obtenir la restitution de ces biens. L'association ne saurait davantage soutenir qu'elle aurait vocation à représenter ces personnes au titre de la " gestion d'affaires ". La requête de l'association " International Restitutions " est donc, à ce premier titre, manifestement irrecevable.
3. En second lieu, des conclusions tendant à ce que soient déclarées nulles et non avenues par le juge administratif des " décisions " par lesquelles, sous l'Ancien régime, l'autorité souveraine aurait acquis et incorporé des biens dans le domaine de la Couronne, biens qui font désormais partie du domaine public, sont manifestement irrecevables. Tel est le cas des conclusions dirigées contre la prétendue décision par laquelle le roi François 1er se serait, selon l'association requérante, approprié en 1519 le portrait de La Joconde.
4. Il résulte de ce qui précède que la requête de l'association International Restitutions est entachée d'irrecevabilités manifestes insusceptibles d'être couvertes en cours d'instance et doit être rejetée par application des dispositions de l'article R. 351-4 du code de justice administrative, y compris ses conclusions tendant à l'annulation par voie de conséquence des actes qui auraient été pris sur le fondement de la " décision " de 1519, ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association tirée de ce que les dispositions de l'ordonnance du 21 avril 1475 porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
5. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ". En l'espèce, la présente requête de l'association International Restitutions présente un caractère abusif. Dès lors, il y a lieu de la condamner à payer une amende de 3 000 euros.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'association International Restitutions est rejetée.
Article 2 : L'association International Restitutions est condamnée à payer une amende de 3 000 euros.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association International Restitutions.
Copie en sera adressée au président du Conseil constitutionnel, à la ministre de la culture, à la présidente de l'établissement public du musée du Louvre et au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France.