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Ariane Web: Conseil d'État 489094, lecture du 28 mars 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:489094.20240328

Décision n° 489094
28 mars 2024
Conseil d'État

N° 489094
ECLI:FR:CECHS:2024:489094.20240328
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Jean-Philippe Mochon, président
Mme Amel Hafid, rapporteur
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du jeudi 28 mars 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 23 juin 2023 par laquelle la directrice du centre hospitalier Alpes-Isère a prononcé à son encontre la sanction d'une révocation. Par une ordonnance n° 2306215 du 19 octobre 2023, le juge des référés a suspendu l'exécution de cette décision et a enjoint au centre hospitalier Alpes-Isère de procéder, à titre provisoire, à la réintégration de M. B... dans un délai de quinze jours.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés le 27 octobre et le 10 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier Alpes-Isère demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret 89-822 du 7 novembre 1989 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier Alpes-Isère et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B....


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. B..., agent des services hospitaliers au sein de l'unité spécialisée dans les troubles du spectre autistique au sein du centre hospitalier Alpes-Isère, a fait l'objet, le 23 juin 2023, de la sanction de révocation, entraînant sa radiation des cadres, en raison notamment de faits de violence physique et psychologique à l'encontre de patients vulnérables et de propos à caractère sexuel tenus à l'égard de collègues. Le centre hospitalier Alpes-Isère se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 19 octobre 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, saisi par M. B..., a, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, suspendu l'exécution de cette décision et lui a enjoint de réintégrer M. B... dans un délai de quinze jours.

3. Pour suspendre l'exécution de la décision contestée, le juge des référés du tribunal administratif a retenu comme de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité les moyens tirés de ce que, premièrement, le caractère contradictoire de la procédure avait été méconnu, deuxièmement, la sanction été prise en méconnaissance de l'article L. 532-13 du code général de la fonction publique en l'absence de communication avant la séance du conseil de discipline du rapport précisant les faits reprochés et les circonstances dans lesquelles ils ont été commis et, troisièmement, la matérialité des faits reprochés n'était pas établie.

4. En premier lieu, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire peut légalement infliger à un agent une sanction sur le fondement de témoignages qu'elle a anonymisés à la demande des témoins, lorsque la communication de leur identité serait de nature à leur porter préjudice. Dans le cas où l'agent se plaint de ne pas avoir été mis à même de demander communication ou de ne pas avoir obtenu communication d'une pièce ou d'un témoignage utile à sa défense, il appartient au juge d'apprécier, au vu de l'ensemble des éléments qui ont été communiqués à l'agent, si celui-ci a été privé de la garantie d'assurer utilement sa défense.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, si le centre hospitalier s'est, pour justifier des fautes retenues à l'encontre de M. B..., fondé sur les témoignages de plusieurs agents recueillis dans le cadre d'une enquête interne, qui avaient été anonymisés à leur demande en raison du risque de préjudice qu'ils encouraient, ces témoignages, ont cependant fait l'objet de comptes rendus exhaustifs communiqués à M. B..., comportant des indications suffisamment précises, notamment sur la teneur des actes, des gestes et propos reprochés à Mme B... et les circonstances dans lesquels ils avaient été commis, pour que leur anonymisation n'ait pas pu avoir pour effet de priver l'intéressé de la faculté de comprendre les faits qui lui étaient reprochés et d'assurer utilement sa défense. Par suite, le centre hospitalier requérant est fondé à soutenir qu'en jugeant qu'était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de ce que la sanction méconnaît la procédure contradictoire, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une dénaturation des pièces du dossier.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 532-13 du code général de la fonction publique : " Le conseil de discipline est saisi par un rapport de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Ce rapport précise les faits reprochés au fonctionnaire hospitalier poursuivi, ainsi que les circonstances dans lesquelles ils ont été commis ". Ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet d'imposer que le rapport transmis au conseil de discipline soit communiqué à l'agent poursuivi. Par suite, en jugeant qu'était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de la méconnaissance par la décision attaquée des dispositions de l'article L. 532-13 du code général de la fonction publique en l'absence de communication avant la séance du conseil de discipline du rapport précisant les faits reprochés et les circonstances dans lesquelles ils ont été commis, le juge des référés a commis une erreur de droit.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le centre hospitalier, pour justifier des fautes retenues à l'encontre de M. B..., s'est fondé sur des témoignages concordants, lesquels ont été systématiquement recueillis sous l'autorité de cadres de ce centre qui ont attesté de leur authenticité en apposant leur signature sur les relevés retraçant les propos de leurs auteurs. Par suite, en retenant qu'était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de ce que les faits n'étaient pas matériellement établis, alors que M. B... n'apportait aucun élément à même de justifier cette conviction, le juge des référés a de nouveau dénaturé les pièces du dossier.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que le centre hospitalier Alpes-Isère est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée et de statuer sur les demandes à fins de suspension et d'injonction présentées par M. B... en application de l'article L. 821-1 du code de justice administrative.

10. Pour demander la suspension de la sanction litigieuse, M. B... soutient que l'enquête administrative fondée sur des témoignages anonymisés ne lui est pas opposable, que la véracité et l'authenticité des témoignages ne sont pas établies, que la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 532-13 du code général de la fonction publique, que la décision a été prise en violation des articles 11 et 12 du décret du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière, qu'il a été privé d'une procédure contradictoire, que la décision est insuffisamment motivée, que le conseil de discipline n'a pas été régulièrement saisi, que la décision est entachée d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation. En l'état de l'instruction, aucun de ces moyens n'est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'urgence, que M. B... n'est pas fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision du 18 août 2023 prononçant sa révocation. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de la réintégrer dans ses fonctions ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier Alpes-Isère, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 500 euros au titre de ces dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 19 octobre 2023 est annulée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier Alpes-Isère et par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier Alpes-Isère et à M. A... B...
Délibéré à l'issue de la séance du 29 février 2024 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 mars 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Amel Hafid
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet