Conseil d'État
N° 458219
ECLI:FR:CECHR:2024:458219.20240226
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Muriel Deroc, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
Lecture du lundi 26 février 2024
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 458219, par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés le 6 novembre 2021 et les 5 et 20 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Défense des milieux aquatiques demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir, en tant qu'ils fixent des quotas excessifs, l'arrêté du 20 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à l'encadrement de la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2021-2022 et l'arrêté du 21 octobre 2021 de la ministre de la mer portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2021-2022 ;
2°) à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle portant sur la validité de la décision de la Commission du 15 février 2010 approuvant le plan de gestion de l'anguille présenté par les autorités françaises ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de retenir, pour la fixation du quota total qu'il est possible de pêcher en y incluant le quota destiné au repeuplement, les estimations des possibilités de captures totales d'anguilles de moins de 12 cm proposées chaque année par le comité scientifique, issues de ses modèles à une et deux tendances avec une probabilité de 75 % d'atteindre l'objectif ;
4°) d'enjoindre à l'Etat de fixer un quota de repeuplement nul en domaine fluvial.
2° Sous le n° 461744, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 février, 23 mai et 23 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique et la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à l'encadrement de la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2021-2022, ensemble le rejet implicite de leur recours gracieux ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté en tant qu'il fixe des quotas excessifs au regard des préconisations du comité scientifique ;
3°) d'enjoindre à l'autorité compétente de fixer à 19,4 tonnes le quota total de prélèvement maximum pour les saisons à venir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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3° Sous le n° 461745, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 février, 23 mai et 23 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique et la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2021 de la ministre de la mer portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2021-2022, ensemble le rejet implicite de leur recours gracieux ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté en tant qu'il fixe des quotas excessifs au regard des préconisations du comité scientifique ;
3°) d'enjoindre à l'autorité compétente de fixer à 19,4 tonnes le quota total de prélèvement maximum pour les saisons à venir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
4° Sous le n° 463366, par une requête et trois mémoires en réplique, enregistrés le 20 avril 2022 et les 18 janvier, 20 avril et 6 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature Environnement, l'association Nature Environnement 17, l'association Bretagne vivante, l'association France Nature Environnement Pays de la Loire et l'association France Nature Environnement Normandie demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à l'encadrement de la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2021-2022, ensemble le rejet implicite de leur recours gracieux ;
2°) à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " Le pourcentage d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm pêchées qui sont affectées en vue de servir au repeuplement en application de l'article 7 du règlement n° 1100/2007 s'applique-t-il à la quantité maximale d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm qu'il est permis de pêcher pour permettre, conformément à l'article 2 du même règlement, d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'étagement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique ' A défaut, doit-on considérer que cette quantité maximale d'anguilles d'une longueur maximale inférieure à 12 cm qu'il est permis de pêcher peut intégralement être affectée à une fin autre que le repeuplement et que les anguilles d'une longueur maximale inférieure à 12 cm prélevées à des fins de repeuplement s'ajoutent à celles prélevées à d'autres fins ' " ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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5° Sous le n° 463367, par une requête et trois mémoires en réplique, enregistrés le 20 avril 2022 et les 18 janvier, 20 avril et 6 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature Environnement, l'association Nature Environnement 17, l'association Bretagne vivante, l'association France Nature Environnement Pays de la Loire et l'association France Nature Environnement Normandie demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2021 de la ministre de la mer portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2021-2022, ensemble le rejet implicite de leur recours gracieux ;
2°) à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne les deux questions préjudicielles suivantes : " Les avis rendus par le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) constituent-ils, pour l'établissement des mesures relatives à la pêche de l'anguille, les " meilleurs avis scientifiques " au sens de l'article 3 du règlement (UE) n°1380/2013 ' " et " Le pourcentage d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm pêchées qui sont affectées en vue de servir au repeuplement en application de l'article 7 du règlement n° 1100/2007 s'applique-t-il à la quantité maximale d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm qu'il est permis de pêcher pour permettre, conformément à l'article 2 même règlement, d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'étagement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique ' A défaut, doit-on considérer que cette quantité maximale d'anguilles d'une longueur maximale inférieure à 12 cm qu'il est permis de pêcher peut intégralement être affectée à une fin autre que le repeuplement et que les anguilles d'une longueur maximale inférieure à 12 cm prélevées à des fins de repeuplement s'ajoutent à celles prélevées à d'autres fins ' " ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 ;
- le règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique et de la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées le 6 février 2024, présentées sous les nos 461744 et 461745 par la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique et la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique.
Considérant ce qui suit :
1. Par des arrêtés des 20 et 21 octobre 2021, pris respectivement par la ministre de la transition écologique et la ministre de la mer, ces autorités ont fixé le quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pouvant être prélevé pour la campagne de pêche 2021-2022 à 8,45 tonnes pour les pêcheurs professionnels en eau douce et à 56,55 tonnes pour les marins pêcheurs, soit un total de 65 tonnes, qu'elles ont en outre réparti entre un quota destiné à la consommation (pour 26 tonnes au total) et un quota destiné au repeuplement (pour 39 tonnes au total), et ont défini les modalités de gestion de l'ensemble de ces quotas. Par des requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'association Défense des milieux aquatiques (DMA), la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique, la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique, et l'association France Nature Environnement et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés.
Sur le cadre juridique applicable :
2. Aux termes l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment, " garantit que les activités de pêche et d'aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d'emploi et à contribuer à la sécurité de l'approvisionnement alimentaire, (...) applique l'approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l'exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d'obtenir le rendement maximal durable, (...) met en oeuvre l'approche écosystémique de la gestion des pêches afin que les incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin soient réduites au minimum (...) ".
3. Le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes établit un cadre pour la protection et l'exploitation durable de cette espèce migratrice catadrome, se reproduisant dans la mer des Sargasses et grandissant dans les eaux douces européennes où elle passe en une dizaine d'années par trois stades de développement (anguille de moins de 12 centimètres également appelée civelle, anguille jaune et anguille argentée). Aux termes de l'article 2 de ce règlement : " (...) 3. Les États membres élaborent un plan de gestion de l'anguille pour chaque bassin hydrographique tel que défini au paragraphe 1. / 4. L'objectif de chaque plan de gestion est de réduire la mortalité anthropique afin d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'échappement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique. Le plan de gestion des anguilles est établi dans le but de réaliser cet objectif à long terme. / (...) 9. Chaque plan de gestion de l'anguille contient le calendrier prévu pour atteindre l'objectif en matière de taux d'échappement fixé au paragraphe 4, selon une approche progressive et en fonction du taux de recrutement envisagé, et comprend les mesures qui seront appliquées à partir de la première année de mise en oeuvre du plan de gestion (...) ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Sur la base d'une évaluation technique et scientifique effectuée par le comité scientifique, technique et économique de la pêche ou par un autre organisme scientifique approprié, le plan de gestion de l'anguille est approuvé par la Commission conformément à la procédure visée à l'article 30, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2371/2002. / 2. Les États membres mettent en oeuvre les plans de gestion de l'anguille approuvés par la Commission, conformément au paragraphe 1, à partir du 1er juillet 2009, ou le plus tôt possible avant cette date. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article 7 du même règlement : " 1. Si un État membre autorise la pêche d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm, (...) il affecte au moins 60 % de toutes les anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm pêchées dans ses eaux chaque année destinées à la commercialisation en vue de servir au repeuplement dans les bassins hydrographiques de l'anguille (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, la Commission européenne a approuvé le 15 février 2010 le plan de gestion de l'anguille présenté par la France, lequel énonce plusieurs objectifs intermédiaires (dits " de gestion ") dont, en ce qui concerne l'anguille de moins de 12 centimètres (civelle), pour les années 2015 et suivantes, une réduction de 60 % de la mortalité par pêche par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008.
4. Au titre des mesures prises pour l'application des règlements précités et destinées à atteindre les objectifs fixés par le plan de gestion établi en 2010, ont été adoptées des dispositions réglementaires, codifiées aux articles R. 436-65-3 du code de l'environnement et R. 922-48 du code rural et de la pêche maritime, qui interdisent la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres, respectivement en amont et en aval de la limite transversale de la mer. Ces dispositions permettent toutefois aux ministres compétents de déroger à cette interdiction en octroyant aux pêcheurs professionnels bénéficiaires d'une autorisation, pour chaque saison de pêche et pour certaines zones, des quotas de capture des anguilles de moins de 12 centimètres.
5. Il résulte de l'ensemble des dispositions qui précèdent qu'il appartient aux ministres compétents, lorsqu'ils usent du pouvoir d'autoriser par dérogation la pêche de la civelle, de retenir chaque année un quota de captures autorisées qui soit de nature, compte tenu de l'ensemble des mesures concourant à la protection de l'espèce et à la reconstitution de son stock et en mettant en oeuvre le plan de gestion de l'anguille établi par les autorités françaises, à permettre d'atteindre les objectifs que le règlement du 18 septembre 2007 prescrit de respecter à terme et, par là, à respecter les objectifs généraux de la politique commune de la pêche.
6. Il appartient également aux ministres, dans la mise en oeuvre de cette compétence, qui n'implique pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l'Union européenne mais suppose l'exercice d'un pouvoir d'appréciation, de veiller au respect des principes de prévention et de précaution respectivement garantis par les articles 3 et 5 de la Charte de l'environnement.
Sur l'application à l'espèce :
7. Il ressort des pièces du dossier que pour déterminer le quota de captures autorisées pour la campagne de pêche 2021-2022, les ministres ont recueilli l'avis d'un comité scientifique et d'un comité socio-économique, dont la mise en place est prévue dans le plan de gestion de l'anguille établi par les autorités françaises. Le comité scientifique a procédé, conformément à la demande dont il était saisi, à une estimation du niveau de prélèvement de civelles dans le milieu naturel permettant de respecter l'objectif " de gestion ", mentionné plus haut, pour les années 2015 et suivantes, de réduire de 60 % la mortalité par pêche des civelles par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008, en se fondant pour cela sur l'hypothèse que le niveau de capture est égal au niveau de mortalité, donc sans tenir compte de la contribution à la reconstitution du stock des captures destinées au repeuplement, dont il estimait la quantification incertaine. Le comité est ainsi parvenu à plusieurs estimations de plafonds totaux de captures, chacune associée à une plus ou moins grande probabilité de respecter l'objectif, qui diffèrent selon le modèle utilisé pour prévoir le niveau de recrutement de civelles, c'est-à-dire la quantité de civelles arrivant chaque année sur les côtes pour migrer vers les eaux douces, ainsi que selon l'incidence retenue, sur le niveau effectif des captures, de la diminution du nombre de pêcheurs.
8. L'administration fait valoir que, pour tenir compte à la fois de l'existence d'une contribution des actions de repeuplement à la survie de l'espèce et de l'incertitude sur l'ampleur de cette contribution, les ministres ont retenu un quota total de captures autorisées (65 tonnes) tel que sa part affectée à la consommation, égale à 40 % de ce total, corresponde au plus exigeant des plafonds proposés par le comité scientifique avec l'hypothèse d'une incidence de la baisse du nombre de pêcheurs (soit 26 tonnes).
En ce qui concerne la légalité externe des arrêtés attaqués :
9. Aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / (...) II - Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...) / Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision. / (...) ".
10. En premier lieu, il ne résulte de ces dispositions ni que l'autorité procédant à la consultation soit tenue de communiquer au public les avis qu'elle a précédemment recueillis, ni qu'elle soit tenue de se conformer aux avis exprimés lors de la consultation. Les moyens tirés de l'absence de mise à disposition de l'avis du comité scientifique et de ce que les avis défavorables émis par le public n'auraient pas été " pris en considération ", alors au demeurant qu'ils sont retracés dans la synthèse des observations, ne peuvent donc qu'être écartés.
11. En second lieu, les notes de présentation accompagnant les projets d'arrêtés soumis à la participation du public indiquent, d'une part, qu'il y a eu un déclin important du stock d'anguilles européennes et que les autorités françaises se sont engagées sur le long terme à stopper l'effondrement du stock, d'autre part, que les ministres envisagent de fixer un quota destiné à la consommation de 26 tonnes et un quota global de 65 tonnes, enfin, que la hausse proposée des quotas par rapport à la campagne 2020-2021 prend en compte les préconisations du comité scientifique qui constate un niveau de recrutement quasi-stable, un taux d'exploitation en légère baisse et propose un niveau de prélèvement des civelles en hausse. Contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes, aucun de ces éléments n'est erroné, et ni l'absence d'un bilan présentant la trajectoire de l'espèce sur plusieurs années, ni l'absence de mention de ce que le comité scientifique n'a pas tenu compte de la contribution du repeuplement et d'une indication selon laquelle la proportion de 60 % du quota total destinée au repeuplement ne correspond qu'au minimum prévu par le règlement du 18 septembre 2007, ne sont de nature à affecter la sincérité de la consultation.
En ce qui concerne la légalité interne des arrêtés attaqués :
12. En premier lieu, l'association DMA soulève un moyen tiré du défaut de publication de la décision de la Commission européenne approuvant le plan de gestion de l'anguille élaboré par les autorités françaises. Ni les arrêtés attaqués, ni les dispositions du code de l'environnement et du code rural et de la pêche maritime qui en constituent le fondement ne sont toutefois adoptés pour l'application de cette décision de la Commission, qui n'en constitue pas la base légale. Les conditions de publication de cette dernière sont ainsi sans incidence sur la légalité des décisions contestées, de sorte que le moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne du recours en appréciation de validité sollicité.
13. En deuxième lieu, la seule circonstance que le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), dans les avis qu'il rend sur les possibilités de pêche, relève depuis plus de dix ans que la pêche de l'anguille n'est pas durable et recommande un niveau de captures nul, ne saurait impliquer par elle-même que l'autorisation de captures prévue par les arrêtés attaqués est contraire aux prescriptions du c) de l'article 3 du règlement du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, aux termes duquel les mesures établies dans le cadre de cette politique le sont " conformément aux meilleurs avis scientifiques disponibles ", la prise en compte de ces avis n'ayant pas pour effet de priver l'autorité compétente pour prendre les mesures de son pouvoir d'appréciation. Le moyen tiré de cette contrariété doit donc être écarté, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur la qualification à donner aux avis du CIEM qui n'est pas pertinente pour la solution du litige.
14. En troisième lieu, il ressort clairement des dispositions citées plus haut de l'article 7 du règlement du 18 septembre 2007 qu'elles imposent seulement aux autorités nationales, lorsqu'elles fixent un quota total de captures de civelles destinées à la commercialisation, d'attribuer au moins 60 % de ce quota aux captures destinées au repeuplement, sans prescrire par elles-mêmes à quel niveau doit être fixé le quota total. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur l'interprétation de ces dispositions, le moyen tiré de ce que les ministres les auraient méconnues en déterminant le quota total dans les conditions décrites au point 8 doit également être écarté.
15. En quatrième lieu, les associations requérantes soutiennent que le niveau de captures autorisé ne permet pas d'atteindre les objectifs prescrits par les règlements du 11 décembre 2013 et du 18 septembre 2007.
16. Il ressort des pièces du dossier que le stock d'anguille européenne a connu une forte diminution à partir de 1980 et que depuis 2010 le recrutement se maintient à un niveau globalement stable mais très inférieur à celui qu'il atteignait avant 1980. L'espèce est classée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) comme étant en danger critique d'extinction. Les avis rendus par le CIEM relèvent que la population de l'espèce ne permet pas d'atteindre le rendement maximal durable. Alors que la finalité poursuivie par le règlement du 18 septembre 2007 est, en assurant la reconstitution du stock d'anguille européenne, tant de prévenir l'extinction de l'espèce que de permettre le retour à une exploitation durable, les évaluations réalisées par la Commission européenne et le CIEM constatent, à la date d'adoption des arrêtés attaqués, que les données disponibles sont insuffisantes pour établir que l'objectif fixé au 4 de son article 2, relatif à la biomasse d'anguilles argentées s'échappant vers la mer, serait atteint ou même en voie de l'être.
17. Toutefois, l'objectif énoncé dans le règlement constitue un objectif de long terme, dont l'atteinte dépend d'un ensemble de mesures qui ne se limite pas à la réglementation de la pêche des civelles, et inclut également la limitation des zones et périodes de pêche pour la pêche des anguilles aux autres stades de leur développement et diverses mesures destinées à réduire les autres facteurs de mortalité anthropique de l'anguille.
18. En ce qui concerne spécifiquement la contribution de la règlementation de la pêche des civelles à l'atteinte de l'objectif énoncé dans le règlement, le plan de gestion de l'anguille en France fixe, ainsi qu'il a été dit plus haut, un objectif intermédiaire (dit " de gestion ") pour la mortalité par pêche des civelles, à savoir à compter de 2015 une réduction de 60 % de leur taux d'exploitation, correspondant au rapport entre volume des captures et indice de recrutement, par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008. Certes, l'avis du comité scientifique mentionné au point 7 relève que les quotas de captures autorisés à partir de 2015, de l'ordre de 60 tonnes, ne permettent pas d'atteindre cet objectif de gestion, mais en retenant comme hypothèse, ainsi qu'il a été dit à ce même point 7, que le volume des captures est égal à la mortalité par pêche, sans par suite tenir compte de la contribution des captures destinées au repeuplement à la reconstitution du stock. Or, s'il ressort des études scientifiques disponibles que l'efficacité des actions de repeuplement demeure mal connue et que le taux de survie des civelles de repeuplement est plus faible que celui des civelles restées dans le milieu naturel, elles ne concluent pas à une absence d'effet du repeuplement sur la reconstitution du stock d'anguilles.
19. Dans ces conditions, en l'état des données disponibles à la date d'adoption des arrêtés attaqués, dont il ne ressort pas non plus qu'une insuffisance des autres mesures de protection mentionnées au point 17 rendrait impossible l'atteinte des objectifs prescrits par les règlements du 11 décembre 2013 et du 18 septembre 2007, il n'est pas établi que les ministres auraient, en suivant la méthode exposée au point 8 pour tenir compte à la fois de la contribution du repeuplement à la survie de l'espèce et de l'incertitude sur l'ampleur de cette contribution, fixé un quota de captures qui ne serait pas de nature à permettre l'atteinte de ces objectifs. Les associations requérantes ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que les arrêtés attaqués méconnaîtraient les dispositions des règlements du 11 décembre 2013 et du 18 septembre 2007.
20. En cinquième lieu, d'une part, si l'anguille européenne est classée comme espèce en danger critique d'extinction, le recrutement au stade de la civelle reste faible mais stable. Par suite et compte tenu des éléments qui viennent d'être mentionnés, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les quotas de captures fixés par les arrêtés attaqués, combinés aux autres mesures de protection mises en oeuvre, assureraient une prévention insuffisante des atteintes à l'environnement, en méconnaissance des exigences résultant de l'article 3 de la Charte de l'environnement. D'autre part, en l'absence d'éléments circonstanciés accréditant l'hypothèse d'un risque autre que celui, identifié et évalué, que la règlementation ici en cause vise à prévenir, les associations requérantes ne sont pas davantage fondées à soutenir que, pour parer à la réalisation d'un dommage grave et irréversible à l'environnement, les exigences résultant de l'article 5 de la Charte imposeraient l'adoption de mesures supplémentaires.
21. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier, quand bien même le plan de gestion de l'anguille établi par les autorités françaises préconise de prélever les civelles destinées au repeuplement dans les parties aval des estuaires afin de limiter leur contamination par le parasite Anguillicola crassus, que le fait que des captures destinées au repeuplement soient autorisées en eau douce rendrait impossible l'atteinte des objectifs mentionnés ci-dessus et qu'ainsi, comme le soutient l'association DMA, le ministre compétent ne pourrait, sans méconnaître le règlement du 18 septembre 2007, fixer un quota autre que nul pour ces captures.
22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des arrêtés attaqués. En conséquence, doivent également être rejetées leurs conclusions tendant au prononcé d'injonctions et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Défense des milieux aquatiques, de la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique, de la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique et de l'association France Nature Environnement et autres sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Défense des milieux aquatiques, à la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique, à la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique et à l'association France Nature Environnement, représentante unique pour l'ensemble des requérants dans les requêtes n° 463666 et 463667, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 31 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Cécile Isidoro, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 26 février 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Muriel Deroc
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin
N° 458219
ECLI:FR:CECHR:2024:458219.20240226
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Muriel Deroc, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
Lecture du lundi 26 février 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 458219, par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés le 6 novembre 2021 et les 5 et 20 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Défense des milieux aquatiques demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir, en tant qu'ils fixent des quotas excessifs, l'arrêté du 20 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à l'encadrement de la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2021-2022 et l'arrêté du 21 octobre 2021 de la ministre de la mer portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2021-2022 ;
2°) à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle portant sur la validité de la décision de la Commission du 15 février 2010 approuvant le plan de gestion de l'anguille présenté par les autorités françaises ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de retenir, pour la fixation du quota total qu'il est possible de pêcher en y incluant le quota destiné au repeuplement, les estimations des possibilités de captures totales d'anguilles de moins de 12 cm proposées chaque année par le comité scientifique, issues de ses modèles à une et deux tendances avec une probabilité de 75 % d'atteindre l'objectif ;
4°) d'enjoindre à l'Etat de fixer un quota de repeuplement nul en domaine fluvial.
2° Sous le n° 461744, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 février, 23 mai et 23 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique et la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à l'encadrement de la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2021-2022, ensemble le rejet implicite de leur recours gracieux ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté en tant qu'il fixe des quotas excessifs au regard des préconisations du comité scientifique ;
3°) d'enjoindre à l'autorité compétente de fixer à 19,4 tonnes le quota total de prélèvement maximum pour les saisons à venir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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3° Sous le n° 461745, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 février, 23 mai et 23 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique et la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2021 de la ministre de la mer portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2021-2022, ensemble le rejet implicite de leur recours gracieux ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté en tant qu'il fixe des quotas excessifs au regard des préconisations du comité scientifique ;
3°) d'enjoindre à l'autorité compétente de fixer à 19,4 tonnes le quota total de prélèvement maximum pour les saisons à venir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
4° Sous le n° 463366, par une requête et trois mémoires en réplique, enregistrés le 20 avril 2022 et les 18 janvier, 20 avril et 6 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature Environnement, l'association Nature Environnement 17, l'association Bretagne vivante, l'association France Nature Environnement Pays de la Loire et l'association France Nature Environnement Normandie demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à l'encadrement de la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2021-2022, ensemble le rejet implicite de leur recours gracieux ;
2°) à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " Le pourcentage d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm pêchées qui sont affectées en vue de servir au repeuplement en application de l'article 7 du règlement n° 1100/2007 s'applique-t-il à la quantité maximale d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm qu'il est permis de pêcher pour permettre, conformément à l'article 2 du même règlement, d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'étagement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique ' A défaut, doit-on considérer que cette quantité maximale d'anguilles d'une longueur maximale inférieure à 12 cm qu'il est permis de pêcher peut intégralement être affectée à une fin autre que le repeuplement et que les anguilles d'une longueur maximale inférieure à 12 cm prélevées à des fins de repeuplement s'ajoutent à celles prélevées à d'autres fins ' " ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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5° Sous le n° 463367, par une requête et trois mémoires en réplique, enregistrés le 20 avril 2022 et les 18 janvier, 20 avril et 6 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature Environnement, l'association Nature Environnement 17, l'association Bretagne vivante, l'association France Nature Environnement Pays de la Loire et l'association France Nature Environnement Normandie demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2021 de la ministre de la mer portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2021-2022, ensemble le rejet implicite de leur recours gracieux ;
2°) à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne les deux questions préjudicielles suivantes : " Les avis rendus par le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) constituent-ils, pour l'établissement des mesures relatives à la pêche de l'anguille, les " meilleurs avis scientifiques " au sens de l'article 3 du règlement (UE) n°1380/2013 ' " et " Le pourcentage d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm pêchées qui sont affectées en vue de servir au repeuplement en application de l'article 7 du règlement n° 1100/2007 s'applique-t-il à la quantité maximale d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm qu'il est permis de pêcher pour permettre, conformément à l'article 2 même règlement, d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'étagement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique ' A défaut, doit-on considérer que cette quantité maximale d'anguilles d'une longueur maximale inférieure à 12 cm qu'il est permis de pêcher peut intégralement être affectée à une fin autre que le repeuplement et que les anguilles d'une longueur maximale inférieure à 12 cm prélevées à des fins de repeuplement s'ajoutent à celles prélevées à d'autres fins ' " ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 ;
- le règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique et de la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées le 6 février 2024, présentées sous les nos 461744 et 461745 par la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique et la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique.
Considérant ce qui suit :
1. Par des arrêtés des 20 et 21 octobre 2021, pris respectivement par la ministre de la transition écologique et la ministre de la mer, ces autorités ont fixé le quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pouvant être prélevé pour la campagne de pêche 2021-2022 à 8,45 tonnes pour les pêcheurs professionnels en eau douce et à 56,55 tonnes pour les marins pêcheurs, soit un total de 65 tonnes, qu'elles ont en outre réparti entre un quota destiné à la consommation (pour 26 tonnes au total) et un quota destiné au repeuplement (pour 39 tonnes au total), et ont défini les modalités de gestion de l'ensemble de ces quotas. Par des requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'association Défense des milieux aquatiques (DMA), la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique, la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique, et l'association France Nature Environnement et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés.
Sur le cadre juridique applicable :
2. Aux termes l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment, " garantit que les activités de pêche et d'aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d'emploi et à contribuer à la sécurité de l'approvisionnement alimentaire, (...) applique l'approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l'exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d'obtenir le rendement maximal durable, (...) met en oeuvre l'approche écosystémique de la gestion des pêches afin que les incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin soient réduites au minimum (...) ".
3. Le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes établit un cadre pour la protection et l'exploitation durable de cette espèce migratrice catadrome, se reproduisant dans la mer des Sargasses et grandissant dans les eaux douces européennes où elle passe en une dizaine d'années par trois stades de développement (anguille de moins de 12 centimètres également appelée civelle, anguille jaune et anguille argentée). Aux termes de l'article 2 de ce règlement : " (...) 3. Les États membres élaborent un plan de gestion de l'anguille pour chaque bassin hydrographique tel que défini au paragraphe 1. / 4. L'objectif de chaque plan de gestion est de réduire la mortalité anthropique afin d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'échappement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique. Le plan de gestion des anguilles est établi dans le but de réaliser cet objectif à long terme. / (...) 9. Chaque plan de gestion de l'anguille contient le calendrier prévu pour atteindre l'objectif en matière de taux d'échappement fixé au paragraphe 4, selon une approche progressive et en fonction du taux de recrutement envisagé, et comprend les mesures qui seront appliquées à partir de la première année de mise en oeuvre du plan de gestion (...) ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Sur la base d'une évaluation technique et scientifique effectuée par le comité scientifique, technique et économique de la pêche ou par un autre organisme scientifique approprié, le plan de gestion de l'anguille est approuvé par la Commission conformément à la procédure visée à l'article 30, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2371/2002. / 2. Les États membres mettent en oeuvre les plans de gestion de l'anguille approuvés par la Commission, conformément au paragraphe 1, à partir du 1er juillet 2009, ou le plus tôt possible avant cette date. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article 7 du même règlement : " 1. Si un État membre autorise la pêche d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm, (...) il affecte au moins 60 % de toutes les anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm pêchées dans ses eaux chaque année destinées à la commercialisation en vue de servir au repeuplement dans les bassins hydrographiques de l'anguille (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, la Commission européenne a approuvé le 15 février 2010 le plan de gestion de l'anguille présenté par la France, lequel énonce plusieurs objectifs intermédiaires (dits " de gestion ") dont, en ce qui concerne l'anguille de moins de 12 centimètres (civelle), pour les années 2015 et suivantes, une réduction de 60 % de la mortalité par pêche par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008.
4. Au titre des mesures prises pour l'application des règlements précités et destinées à atteindre les objectifs fixés par le plan de gestion établi en 2010, ont été adoptées des dispositions réglementaires, codifiées aux articles R. 436-65-3 du code de l'environnement et R. 922-48 du code rural et de la pêche maritime, qui interdisent la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres, respectivement en amont et en aval de la limite transversale de la mer. Ces dispositions permettent toutefois aux ministres compétents de déroger à cette interdiction en octroyant aux pêcheurs professionnels bénéficiaires d'une autorisation, pour chaque saison de pêche et pour certaines zones, des quotas de capture des anguilles de moins de 12 centimètres.
5. Il résulte de l'ensemble des dispositions qui précèdent qu'il appartient aux ministres compétents, lorsqu'ils usent du pouvoir d'autoriser par dérogation la pêche de la civelle, de retenir chaque année un quota de captures autorisées qui soit de nature, compte tenu de l'ensemble des mesures concourant à la protection de l'espèce et à la reconstitution de son stock et en mettant en oeuvre le plan de gestion de l'anguille établi par les autorités françaises, à permettre d'atteindre les objectifs que le règlement du 18 septembre 2007 prescrit de respecter à terme et, par là, à respecter les objectifs généraux de la politique commune de la pêche.
6. Il appartient également aux ministres, dans la mise en oeuvre de cette compétence, qui n'implique pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l'Union européenne mais suppose l'exercice d'un pouvoir d'appréciation, de veiller au respect des principes de prévention et de précaution respectivement garantis par les articles 3 et 5 de la Charte de l'environnement.
Sur l'application à l'espèce :
7. Il ressort des pièces du dossier que pour déterminer le quota de captures autorisées pour la campagne de pêche 2021-2022, les ministres ont recueilli l'avis d'un comité scientifique et d'un comité socio-économique, dont la mise en place est prévue dans le plan de gestion de l'anguille établi par les autorités françaises. Le comité scientifique a procédé, conformément à la demande dont il était saisi, à une estimation du niveau de prélèvement de civelles dans le milieu naturel permettant de respecter l'objectif " de gestion ", mentionné plus haut, pour les années 2015 et suivantes, de réduire de 60 % la mortalité par pêche des civelles par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008, en se fondant pour cela sur l'hypothèse que le niveau de capture est égal au niveau de mortalité, donc sans tenir compte de la contribution à la reconstitution du stock des captures destinées au repeuplement, dont il estimait la quantification incertaine. Le comité est ainsi parvenu à plusieurs estimations de plafonds totaux de captures, chacune associée à une plus ou moins grande probabilité de respecter l'objectif, qui diffèrent selon le modèle utilisé pour prévoir le niveau de recrutement de civelles, c'est-à-dire la quantité de civelles arrivant chaque année sur les côtes pour migrer vers les eaux douces, ainsi que selon l'incidence retenue, sur le niveau effectif des captures, de la diminution du nombre de pêcheurs.
8. L'administration fait valoir que, pour tenir compte à la fois de l'existence d'une contribution des actions de repeuplement à la survie de l'espèce et de l'incertitude sur l'ampleur de cette contribution, les ministres ont retenu un quota total de captures autorisées (65 tonnes) tel que sa part affectée à la consommation, égale à 40 % de ce total, corresponde au plus exigeant des plafonds proposés par le comité scientifique avec l'hypothèse d'une incidence de la baisse du nombre de pêcheurs (soit 26 tonnes).
En ce qui concerne la légalité externe des arrêtés attaqués :
9. Aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / (...) II - Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...) / Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision. / (...) ".
10. En premier lieu, il ne résulte de ces dispositions ni que l'autorité procédant à la consultation soit tenue de communiquer au public les avis qu'elle a précédemment recueillis, ni qu'elle soit tenue de se conformer aux avis exprimés lors de la consultation. Les moyens tirés de l'absence de mise à disposition de l'avis du comité scientifique et de ce que les avis défavorables émis par le public n'auraient pas été " pris en considération ", alors au demeurant qu'ils sont retracés dans la synthèse des observations, ne peuvent donc qu'être écartés.
11. En second lieu, les notes de présentation accompagnant les projets d'arrêtés soumis à la participation du public indiquent, d'une part, qu'il y a eu un déclin important du stock d'anguilles européennes et que les autorités françaises se sont engagées sur le long terme à stopper l'effondrement du stock, d'autre part, que les ministres envisagent de fixer un quota destiné à la consommation de 26 tonnes et un quota global de 65 tonnes, enfin, que la hausse proposée des quotas par rapport à la campagne 2020-2021 prend en compte les préconisations du comité scientifique qui constate un niveau de recrutement quasi-stable, un taux d'exploitation en légère baisse et propose un niveau de prélèvement des civelles en hausse. Contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes, aucun de ces éléments n'est erroné, et ni l'absence d'un bilan présentant la trajectoire de l'espèce sur plusieurs années, ni l'absence de mention de ce que le comité scientifique n'a pas tenu compte de la contribution du repeuplement et d'une indication selon laquelle la proportion de 60 % du quota total destinée au repeuplement ne correspond qu'au minimum prévu par le règlement du 18 septembre 2007, ne sont de nature à affecter la sincérité de la consultation.
En ce qui concerne la légalité interne des arrêtés attaqués :
12. En premier lieu, l'association DMA soulève un moyen tiré du défaut de publication de la décision de la Commission européenne approuvant le plan de gestion de l'anguille élaboré par les autorités françaises. Ni les arrêtés attaqués, ni les dispositions du code de l'environnement et du code rural et de la pêche maritime qui en constituent le fondement ne sont toutefois adoptés pour l'application de cette décision de la Commission, qui n'en constitue pas la base légale. Les conditions de publication de cette dernière sont ainsi sans incidence sur la légalité des décisions contestées, de sorte que le moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne du recours en appréciation de validité sollicité.
13. En deuxième lieu, la seule circonstance que le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), dans les avis qu'il rend sur les possibilités de pêche, relève depuis plus de dix ans que la pêche de l'anguille n'est pas durable et recommande un niveau de captures nul, ne saurait impliquer par elle-même que l'autorisation de captures prévue par les arrêtés attaqués est contraire aux prescriptions du c) de l'article 3 du règlement du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, aux termes duquel les mesures établies dans le cadre de cette politique le sont " conformément aux meilleurs avis scientifiques disponibles ", la prise en compte de ces avis n'ayant pas pour effet de priver l'autorité compétente pour prendre les mesures de son pouvoir d'appréciation. Le moyen tiré de cette contrariété doit donc être écarté, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur la qualification à donner aux avis du CIEM qui n'est pas pertinente pour la solution du litige.
14. En troisième lieu, il ressort clairement des dispositions citées plus haut de l'article 7 du règlement du 18 septembre 2007 qu'elles imposent seulement aux autorités nationales, lorsqu'elles fixent un quota total de captures de civelles destinées à la commercialisation, d'attribuer au moins 60 % de ce quota aux captures destinées au repeuplement, sans prescrire par elles-mêmes à quel niveau doit être fixé le quota total. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur l'interprétation de ces dispositions, le moyen tiré de ce que les ministres les auraient méconnues en déterminant le quota total dans les conditions décrites au point 8 doit également être écarté.
15. En quatrième lieu, les associations requérantes soutiennent que le niveau de captures autorisé ne permet pas d'atteindre les objectifs prescrits par les règlements du 11 décembre 2013 et du 18 septembre 2007.
16. Il ressort des pièces du dossier que le stock d'anguille européenne a connu une forte diminution à partir de 1980 et que depuis 2010 le recrutement se maintient à un niveau globalement stable mais très inférieur à celui qu'il atteignait avant 1980. L'espèce est classée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) comme étant en danger critique d'extinction. Les avis rendus par le CIEM relèvent que la population de l'espèce ne permet pas d'atteindre le rendement maximal durable. Alors que la finalité poursuivie par le règlement du 18 septembre 2007 est, en assurant la reconstitution du stock d'anguille européenne, tant de prévenir l'extinction de l'espèce que de permettre le retour à une exploitation durable, les évaluations réalisées par la Commission européenne et le CIEM constatent, à la date d'adoption des arrêtés attaqués, que les données disponibles sont insuffisantes pour établir que l'objectif fixé au 4 de son article 2, relatif à la biomasse d'anguilles argentées s'échappant vers la mer, serait atteint ou même en voie de l'être.
17. Toutefois, l'objectif énoncé dans le règlement constitue un objectif de long terme, dont l'atteinte dépend d'un ensemble de mesures qui ne se limite pas à la réglementation de la pêche des civelles, et inclut également la limitation des zones et périodes de pêche pour la pêche des anguilles aux autres stades de leur développement et diverses mesures destinées à réduire les autres facteurs de mortalité anthropique de l'anguille.
18. En ce qui concerne spécifiquement la contribution de la règlementation de la pêche des civelles à l'atteinte de l'objectif énoncé dans le règlement, le plan de gestion de l'anguille en France fixe, ainsi qu'il a été dit plus haut, un objectif intermédiaire (dit " de gestion ") pour la mortalité par pêche des civelles, à savoir à compter de 2015 une réduction de 60 % de leur taux d'exploitation, correspondant au rapport entre volume des captures et indice de recrutement, par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008. Certes, l'avis du comité scientifique mentionné au point 7 relève que les quotas de captures autorisés à partir de 2015, de l'ordre de 60 tonnes, ne permettent pas d'atteindre cet objectif de gestion, mais en retenant comme hypothèse, ainsi qu'il a été dit à ce même point 7, que le volume des captures est égal à la mortalité par pêche, sans par suite tenir compte de la contribution des captures destinées au repeuplement à la reconstitution du stock. Or, s'il ressort des études scientifiques disponibles que l'efficacité des actions de repeuplement demeure mal connue et que le taux de survie des civelles de repeuplement est plus faible que celui des civelles restées dans le milieu naturel, elles ne concluent pas à une absence d'effet du repeuplement sur la reconstitution du stock d'anguilles.
19. Dans ces conditions, en l'état des données disponibles à la date d'adoption des arrêtés attaqués, dont il ne ressort pas non plus qu'une insuffisance des autres mesures de protection mentionnées au point 17 rendrait impossible l'atteinte des objectifs prescrits par les règlements du 11 décembre 2013 et du 18 septembre 2007, il n'est pas établi que les ministres auraient, en suivant la méthode exposée au point 8 pour tenir compte à la fois de la contribution du repeuplement à la survie de l'espèce et de l'incertitude sur l'ampleur de cette contribution, fixé un quota de captures qui ne serait pas de nature à permettre l'atteinte de ces objectifs. Les associations requérantes ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que les arrêtés attaqués méconnaîtraient les dispositions des règlements du 11 décembre 2013 et du 18 septembre 2007.
20. En cinquième lieu, d'une part, si l'anguille européenne est classée comme espèce en danger critique d'extinction, le recrutement au stade de la civelle reste faible mais stable. Par suite et compte tenu des éléments qui viennent d'être mentionnés, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les quotas de captures fixés par les arrêtés attaqués, combinés aux autres mesures de protection mises en oeuvre, assureraient une prévention insuffisante des atteintes à l'environnement, en méconnaissance des exigences résultant de l'article 3 de la Charte de l'environnement. D'autre part, en l'absence d'éléments circonstanciés accréditant l'hypothèse d'un risque autre que celui, identifié et évalué, que la règlementation ici en cause vise à prévenir, les associations requérantes ne sont pas davantage fondées à soutenir que, pour parer à la réalisation d'un dommage grave et irréversible à l'environnement, les exigences résultant de l'article 5 de la Charte imposeraient l'adoption de mesures supplémentaires.
21. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier, quand bien même le plan de gestion de l'anguille établi par les autorités françaises préconise de prélever les civelles destinées au repeuplement dans les parties aval des estuaires afin de limiter leur contamination par le parasite Anguillicola crassus, que le fait que des captures destinées au repeuplement soient autorisées en eau douce rendrait impossible l'atteinte des objectifs mentionnés ci-dessus et qu'ainsi, comme le soutient l'association DMA, le ministre compétent ne pourrait, sans méconnaître le règlement du 18 septembre 2007, fixer un quota autre que nul pour ces captures.
22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des arrêtés attaqués. En conséquence, doivent également être rejetées leurs conclusions tendant au prononcé d'injonctions et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Défense des milieux aquatiques, de la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique, de la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique et de l'association France Nature Environnement et autres sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Défense des milieux aquatiques, à la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique, à la Fédération départementale de Charente-Maritime pour la pêche et la protection du milieu aquatique et à l'association France Nature Environnement, représentante unique pour l'ensemble des requérants dans les requêtes n° 463666 et 463667, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 31 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Cécile Isidoro, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 26 février 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Muriel Deroc
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin