Conseil d'État
N° 470565
ECLI:FR:CECHR:2023:470565.20231221
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Sara-Lou Gerber, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
Lecture du jeudi 21 décembre 2023
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 janvier,14 avril et 22 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2022-704 du 16 novembre 2022 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir aux stipulations de l'article 2-3-8 de sa convention ainsi qu'aux dispositions des articles 1er et 3 de la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent ;
2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2018-11 du 18 avril 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société C8 demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision n° 2022-704 du 16 novembre 2022 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer, à l'avenir, aux stipulations de l'article 2-3-8 de sa convention du 29 mai 2019 ainsi qu'aux dispositions des articles 1er et 3 de la délibération du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent, après des propos tenus les 18, 19 et 24 octobre 2022 par l'animateur de l'émission " Touche pas à mon poste " à la suite du meurtre d'une enfant.
Sur la légalité externe :
2. En premier lieu, contrairement à ce qui est allégué, il ne ressort pas des pièces du dossier que les règles de convocation applicables aux délibérations du collège de l'Arcom aient été méconnues lors de la séance du 16 novembre 2022 au cours de laquelle a été adoptée la mise en demeure attaquée.
3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'Arcom n'aurait pas pris en compte les observations transmises par la société C8 neuf jours avant l'édiction de la décision litigieuse. En particulier, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'imposait à l'Arcom de répondre aux observations de l'éditeur dans sa décision qui, dans la mesure où elle énonce les motifs de droit et de fait pour lesquels elle retient l'existence d'un manquement ainsi que la mise en demeure qu'elle en déduit, est suffisamment motivée.
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne le cadre juridique :
4. Aux termes de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa version issue de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias et de la loi du 25 octobre 2021 relative à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, qui y a substitué l'Arcom au Conseil supérieur de l'audiovisuel : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l'article 1er de la présente loi. ". Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que les exigences qu'elles formulent s'appliquent également aux programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information, concourent à son traitement.
5. Pour la mise en oeuvre de ces dispositions, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a adopté la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent, que la société C8 s'est engagée à respecter par les stipulations de l'article 2-3-8 de la convention qu'elle a conclue le 29 mai 2019 avec ce même Conseil.
En ce qui concerne le champ d'application de la délibération n° 2018-11 :
6. Les dispositions de la délibération du 18 avril 2018 s'appliquent, comme il a été dit au point 4, à l'ensemble des programmes concourant au traitement de l'information. En estimant que tel était le cas de l'émission " Touche pas à mon poste ", qui mêle information et divertissement, l'Arcom n'a pas méconnu le champ d'application des dispositions précitées et n'a, par suite et contrairement à ce qui est soutenu, pas privé sa décision de base légale.
En ce qui concerne les manquements à l'article 3 de la délibération n° 2018-11 :
7. Aux termes de l'article 3 de la délibération du 18 avril 2018 : " Dans le respect du droit à l'information, la diffusion d'émissions, d'images, de propos ou de documents relatifs à des procédures judiciaires ou à des faits susceptibles de donner lieu à une information judiciaire nécessite qu'une attention particulière soit portée au respect de la vie privée, au respect de la présomption d'innocence (...). Lorsqu'une procédure judiciaire en cours est évoquée à l'antenne, l'éditeur doit veiller à ce que : /- l'affaire soit traitée avec mesure, rigueur et honnêteté ; /- le traitement de l'affaire ne constitue pas une entrave caractérisée à cette procédure ; /- la présentation des différentes thèses en présence soit assurée, en veillant notamment à ce que les parties en cause ou leurs représentants soient mis en mesure de faire connaître leur point de vue ". Ces dispositions imposent notamment aux éditeurs, lorsque les programmes abordent des procédures judiciaires en cours, de traiter l'affaire avec mesure et de porter une attention particulière au respect de la présomption d'innocence.
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'au cours des trois séquences litigieuses, l'animateur de l'émission a désigné, de manière réitérée, voire provocatrice, la personne mise en cause comme " présumée coupable ", ce terme étant repris par un bandeau incrusté sur l'écran, " coupable " et " coupable pour tout le monde ". En estimant qu'en raison de tels propos, l'éditeur du service avait manqué à son obligation de veiller au respect de la présomption d'innocence, l'Arcom, eu égard au rôle central que cet animateur joue dans l'émission et quand bien même plusieurs autres intervenants ont eu une expression plus mesurée, a fait une exacte application des dispositions rappelées au point 7.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'alors que la procédure judiciaire venait de débuter, l'animateur a pris position de manière particulièrement insistante et tranchée sur les conditions dans lesquelles devait se tenir le procès pénal de la personne mise en cause et la peine devant lui être infligée. En estimant dans ces conditions que l'éditeur de l'émission avait également manqué à son obligation de traiter une procédure judiciaire en cours avec mesure, rigueur et honnêteté, l'Arcom a aussi fait une exacte application de ces dispositions.
En ce qui concerne les manquements à l'article 1er de la délibération n° 2018-11 :
10. Aux termes du dernier alinéa de l'article 1er de la délibération du 18 avril 2018, l'éditeur : " veille au respect d'une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l'expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d'antenne ". Ces dispositions ne font pas obstacle à la définition par l'éditeur d'un service conventionné d'une ligne éditoriale déterminant son traitement de l'information. Elles lui imposent cependant, y compris dans les programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information, concourent à son traitement, même sous l'angle de la polémique, de n'aborder les questions prêtant à controverse qu'en veillant à une distinction entre la présentation des faits et leur commentaire et, dans la mesure requise par l'exigence légale d'honnêteté de l'information, à l'expression de points de vue différents. Cette dernière nécessité s'apprécie notamment au regard du sujet traité, de l'auteur et de la teneur des propos exprimés ainsi que de la nature de l'émission et de son public et du contexte de sa diffusion.
11. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours des séquences des 18 et 19 octobre 2022, l'animateur de l'émission a choisi d'aborder, à la suite d'un fait divers dramatique survenu quelques jours plus tôt, la question du traitement pénal des personnes suspectées d'avoir commis des meurtres d'enfants. Il a, à ces occasions, longuement exprimé son opinion sur la nécessité de juger sans délai les intéressés et de leur infliger des peines automatiques de réclusion à perpétuité, quel que soit l'état de leur discernement au moment des faits. Au cours de la séquence litigieuse du 24 octobre, l'animateur, qui entendait répondre à la polémique que les deux précédentes séquences avaient suscitée, a réitéré cette position de manière particulièrement appuyée, seul à l'image, pendant une dizaine de minutes, avant que les autres intervenants ne s'expriment, aux fins, essentiellement, de lui apporter leur soutien face aux critiques dont il avait fait l'objet. Dans ces circonstances, l'exigence d'honnêteté de l'information imposait que les positions exprimées par l'animateur sur cette question prêtant à controverse donnent lieu à une contradiction suffisante de la part d'autres participants. Or, s'il est vrai que ces positions ont été présentées comme l'opinion personnelle de l'animateur et qu'elles ont, lors des séquences des 18 et 19 octobre, été débattues de façon argumentée par les invités et chroniqueurs de l'émission, il ressort du visionnage de la séquence du 24 octobre que les très brèves et timides réserves exprimées par l'un des invités sur les propos polémiques longuement réitérés par l'animateur n'ont, dans les circonstances de l'espèce, même en tenant compte des positions divergentes exprimées au cours des deux précédentes séquences et du rappel, au cours de l'émission, des critiques adressées à l'animateur et auxquelles celui-ci réagissait, pas été de nature à garantir une présentation honnête de la question traitée.
12. Par suite, en estimant que l'éditeur avait, au cours de la séquence du 24 octobre 2022, méconnu son obligation, figurant à l'article 1er de la délibération n° 2018-11 précitée, de veiller à une présentation honnête des questions prêtant à controverse, l'Arcom a fait une exacte application de ces dispositions.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société C8 doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de la société C8 est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société C8 et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 21 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Sara-Lou Gerber
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras
N° 470565
ECLI:FR:CECHR:2023:470565.20231221
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Sara-Lou Gerber, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
Lecture du jeudi 21 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 janvier,14 avril et 22 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2022-704 du 16 novembre 2022 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir aux stipulations de l'article 2-3-8 de sa convention ainsi qu'aux dispositions des articles 1er et 3 de la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent ;
2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2018-11 du 18 avril 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société C8 demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision n° 2022-704 du 16 novembre 2022 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer, à l'avenir, aux stipulations de l'article 2-3-8 de sa convention du 29 mai 2019 ainsi qu'aux dispositions des articles 1er et 3 de la délibération du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent, après des propos tenus les 18, 19 et 24 octobre 2022 par l'animateur de l'émission " Touche pas à mon poste " à la suite du meurtre d'une enfant.
Sur la légalité externe :
2. En premier lieu, contrairement à ce qui est allégué, il ne ressort pas des pièces du dossier que les règles de convocation applicables aux délibérations du collège de l'Arcom aient été méconnues lors de la séance du 16 novembre 2022 au cours de laquelle a été adoptée la mise en demeure attaquée.
3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'Arcom n'aurait pas pris en compte les observations transmises par la société C8 neuf jours avant l'édiction de la décision litigieuse. En particulier, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'imposait à l'Arcom de répondre aux observations de l'éditeur dans sa décision qui, dans la mesure où elle énonce les motifs de droit et de fait pour lesquels elle retient l'existence d'un manquement ainsi que la mise en demeure qu'elle en déduit, est suffisamment motivée.
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne le cadre juridique :
4. Aux termes de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa version issue de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias et de la loi du 25 octobre 2021 relative à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, qui y a substitué l'Arcom au Conseil supérieur de l'audiovisuel : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l'article 1er de la présente loi. ". Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que les exigences qu'elles formulent s'appliquent également aux programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information, concourent à son traitement.
5. Pour la mise en oeuvre de ces dispositions, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a adopté la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent, que la société C8 s'est engagée à respecter par les stipulations de l'article 2-3-8 de la convention qu'elle a conclue le 29 mai 2019 avec ce même Conseil.
En ce qui concerne le champ d'application de la délibération n° 2018-11 :
6. Les dispositions de la délibération du 18 avril 2018 s'appliquent, comme il a été dit au point 4, à l'ensemble des programmes concourant au traitement de l'information. En estimant que tel était le cas de l'émission " Touche pas à mon poste ", qui mêle information et divertissement, l'Arcom n'a pas méconnu le champ d'application des dispositions précitées et n'a, par suite et contrairement à ce qui est soutenu, pas privé sa décision de base légale.
En ce qui concerne les manquements à l'article 3 de la délibération n° 2018-11 :
7. Aux termes de l'article 3 de la délibération du 18 avril 2018 : " Dans le respect du droit à l'information, la diffusion d'émissions, d'images, de propos ou de documents relatifs à des procédures judiciaires ou à des faits susceptibles de donner lieu à une information judiciaire nécessite qu'une attention particulière soit portée au respect de la vie privée, au respect de la présomption d'innocence (...). Lorsqu'une procédure judiciaire en cours est évoquée à l'antenne, l'éditeur doit veiller à ce que : /- l'affaire soit traitée avec mesure, rigueur et honnêteté ; /- le traitement de l'affaire ne constitue pas une entrave caractérisée à cette procédure ; /- la présentation des différentes thèses en présence soit assurée, en veillant notamment à ce que les parties en cause ou leurs représentants soient mis en mesure de faire connaître leur point de vue ". Ces dispositions imposent notamment aux éditeurs, lorsque les programmes abordent des procédures judiciaires en cours, de traiter l'affaire avec mesure et de porter une attention particulière au respect de la présomption d'innocence.
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'au cours des trois séquences litigieuses, l'animateur de l'émission a désigné, de manière réitérée, voire provocatrice, la personne mise en cause comme " présumée coupable ", ce terme étant repris par un bandeau incrusté sur l'écran, " coupable " et " coupable pour tout le monde ". En estimant qu'en raison de tels propos, l'éditeur du service avait manqué à son obligation de veiller au respect de la présomption d'innocence, l'Arcom, eu égard au rôle central que cet animateur joue dans l'émission et quand bien même plusieurs autres intervenants ont eu une expression plus mesurée, a fait une exacte application des dispositions rappelées au point 7.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'alors que la procédure judiciaire venait de débuter, l'animateur a pris position de manière particulièrement insistante et tranchée sur les conditions dans lesquelles devait se tenir le procès pénal de la personne mise en cause et la peine devant lui être infligée. En estimant dans ces conditions que l'éditeur de l'émission avait également manqué à son obligation de traiter une procédure judiciaire en cours avec mesure, rigueur et honnêteté, l'Arcom a aussi fait une exacte application de ces dispositions.
En ce qui concerne les manquements à l'article 1er de la délibération n° 2018-11 :
10. Aux termes du dernier alinéa de l'article 1er de la délibération du 18 avril 2018, l'éditeur : " veille au respect d'une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l'expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d'antenne ". Ces dispositions ne font pas obstacle à la définition par l'éditeur d'un service conventionné d'une ligne éditoriale déterminant son traitement de l'information. Elles lui imposent cependant, y compris dans les programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information, concourent à son traitement, même sous l'angle de la polémique, de n'aborder les questions prêtant à controverse qu'en veillant à une distinction entre la présentation des faits et leur commentaire et, dans la mesure requise par l'exigence légale d'honnêteté de l'information, à l'expression de points de vue différents. Cette dernière nécessité s'apprécie notamment au regard du sujet traité, de l'auteur et de la teneur des propos exprimés ainsi que de la nature de l'émission et de son public et du contexte de sa diffusion.
11. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours des séquences des 18 et 19 octobre 2022, l'animateur de l'émission a choisi d'aborder, à la suite d'un fait divers dramatique survenu quelques jours plus tôt, la question du traitement pénal des personnes suspectées d'avoir commis des meurtres d'enfants. Il a, à ces occasions, longuement exprimé son opinion sur la nécessité de juger sans délai les intéressés et de leur infliger des peines automatiques de réclusion à perpétuité, quel que soit l'état de leur discernement au moment des faits. Au cours de la séquence litigieuse du 24 octobre, l'animateur, qui entendait répondre à la polémique que les deux précédentes séquences avaient suscitée, a réitéré cette position de manière particulièrement appuyée, seul à l'image, pendant une dizaine de minutes, avant que les autres intervenants ne s'expriment, aux fins, essentiellement, de lui apporter leur soutien face aux critiques dont il avait fait l'objet. Dans ces circonstances, l'exigence d'honnêteté de l'information imposait que les positions exprimées par l'animateur sur cette question prêtant à controverse donnent lieu à une contradiction suffisante de la part d'autres participants. Or, s'il est vrai que ces positions ont été présentées comme l'opinion personnelle de l'animateur et qu'elles ont, lors des séquences des 18 et 19 octobre, été débattues de façon argumentée par les invités et chroniqueurs de l'émission, il ressort du visionnage de la séquence du 24 octobre que les très brèves et timides réserves exprimées par l'un des invités sur les propos polémiques longuement réitérés par l'animateur n'ont, dans les circonstances de l'espèce, même en tenant compte des positions divergentes exprimées au cours des deux précédentes séquences et du rappel, au cours de l'émission, des critiques adressées à l'animateur et auxquelles celui-ci réagissait, pas été de nature à garantir une présentation honnête de la question traitée.
12. Par suite, en estimant que l'éditeur avait, au cours de la séquence du 24 octobre 2022, méconnu son obligation, figurant à l'article 1er de la délibération n° 2018-11 précitée, de veiller à une présentation honnête des questions prêtant à controverse, l'Arcom a fait une exacte application de ces dispositions.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société C8 doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de la société C8 est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société C8 et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 21 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Sara-Lou Gerber
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras