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Ariane Web: Conseil d'État 465759, lecture du 4 août 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:465759.20230804

Décision n° 465759
4 août 2023
Conseil d'État

N° 465759
ECLI:FR:CECHR:2023:465759.20230804
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé, président
M. Alain Seban, rapporteur
M. Maxime Boutron, rapporteur public


Lecture du vendredi 4 août 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 juillet et 13 octobre 2022 et le 2 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2022-289 du 10 mai 2022 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à ses obligations ;

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2018-11 du 18 avril 2018 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société d'exploitation d'un service d'information.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ". Aux termes de l'article 4-2-1 de la convention conclue le 27 novembre 2019 entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) concernant le service de télévision dénommé " Cnews ", diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut mettre en demeure l'éditeur de respecter les stipulations figurant dans la convention (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 10 mai 2022, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui a succédé au CSA à compter du 1er janvier 2022, a mis en demeure la SESI de respecter les obligations résultant de cette convention ainsi que de l'article 1er de la délibération du CSA du 18 avril 2018 relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent. Cette mise en demeure fait suite à la diffusion, dans l'émission " L'heure des pros 2 ", le 1er février 2022, sur le service de télévision " Cnews ", diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique, de propos du journaliste Ivan A.... La SESI demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de cette mise en demeure.

3. Aux termes de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 visée ci-dessus : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l'article 1er de la présente loi. (...) ". Aux termes de l'article 1er de la délibération du CSA du 18 avril 2018 relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent : " L'éditeur d'un service de communication audiovisuelle doit assurer l'honnêteté de l'information et des programmes qui y concourent. (...) / Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information. / Il veille au respect d'une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l'expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d'antenne. "

4. Aux termes de l'article 2-3-7 de la convention déjà mentionnée : " L'exigence d'honnêteté s'applique à l'ensemble des programmes. L'éditeur respecte la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent. " Aux termes de l'article 2-2-1 de la même convention : " L'éditeur est responsable du contenu des émissions qu'il diffuse. Il conserve en toutes circonstances la maîtrise de son antenne. " Ces stipulations ainsi que les dispositions auxquelles elles renvoient ne font pas obstacle à la définition par l'éditeur du service conventionné d'une ligne éditoriale qui peut le conduire à faire intervenir à l'antenne des personnalités développant les thèses les plus controversées, dont les propos ne sauraient être regardés comme relevant par eux même de la présentation et du traitement de l'information par l'éditeur du service. Elles lui imposent cependant, y compris dans les programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information, concourent à son traitement, même sous l'angle de la polémique, de n'aborder les questions prêtant à controverse qu'en veillant à une distinction entre la présentation des faits et leur commentaire et à l'expression de points de vue différents.

5. Lors de la séquence litigieuse, M. A..., chroniqueur régulier de l'émission, appelé à réagir à des propos tenus le même jour sur internet et diffusés sur l'antenne du service Cnews par un épidémiologiste habitué des polémiques médiatiques et présenté par l'animateur de l'émission comme " son ami ", qui avait comparé la situation des personnes non-vaccinées contre la covid-19 à celle des Juifs face aux persécutions nazies, a avancé comme un fait historique que la création du ghetto de Varsovie par les nazis en octobre 1940 avait notamment répondu à des préoccupations hygiénistes. Or, ainsi que le relève la décision attaquée, il est reconnu par l'ensemble des historiens que ces préoccupations ne constituaient qu'un prétexte. Les propos tenus lors de l'émission litigieuse par ce chroniqueur régulier étaient sans ambiguïté et n'ont fait l'objet d'aucune contradiction par l'animateur ou par les autres personnes présentes sur le plateau. En estimant que ces faits justifiaient que l'éditeur du service concerné soit mis en demeure de se conformer à l'avenir à son obligation d'honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information, l'Arcom n'a pas fait une inexacte application des pouvoirs qu'elle tient de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi que des stipulations conventionnelles rappelées ci-dessus. Elle a également estimé à juste titre que l'éditeur du service concerné avait manqué à son obligation de maîtrise de l'antenne. En adressant à la SESI la mise en demeure de respecter à l'avenir les dispositions, précédemment citées, de la convention du 27 novembre 2019 et de la délibération du 18 avril 2018 du CSA, l'Arcom n'a pas, eu égard à la nature des manquements relevés comme à l'effet d'une mise en demeure, porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Il résulte de ce qui précède que la SESI n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision qu'elle attaque. Sa requête doit, dès lors, être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SESI est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société d'exploitation d'un service d'information et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan et M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Alain Seban, conseiller d'Etat-rapporteur

Rendu le 5 août 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Alain Seban
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras