Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 449872, lecture du 30 juin 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:449872.20230630

Décision n° 449872
30 juin 2023
Conseil d'État

N° 449872
ECLI:FR:CECHR:2023:449872.20230630
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
M. Bruno Bachini, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET;AARPI De Guillenchmidt & Associés, avocats


Lecture du vendredi 30 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 449872, par une requête, enregistrée le 18 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Der Grüne Punkt Duales System Deutschland GmbH (DSD) et la société PRO Europe Sprl demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre de la transition écologique du 30 novembre 2020 relatif aux signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 450134, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 février 2021 et 26 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française des industries de la détergence, l'association nationale des industries alimentaires, la fédération du commerce et de la distribution, la fédération des entreprises de la beauté et le groupement français des fabricants de produits à usage unique pour l'hygiène demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre de la transition écologique du 30 novembre 2020 relatif aux signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

3° Sous le n° 450158, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 février 2021 et 26 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française des industries de la détergence, l'association nationale des industries alimentaires, la fédération du commerce et de la distribution, la fédération des entreprises de la beauté et le groupement français des fabricants de produits à usage unique pour l'hygiène demandent au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre de la transition écologique du 25 décembre 2020 portant modification de l'arrêté du 29 novembre 2016 relatif à la procédure d'agrément et portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des emballages ménagers et son annexe ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir le point II. 4° de l'annexe à cet arrêté ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'Etat de modifier le point II. 4° de cette annexe afin que l'obligation de fait de supprimer le Point Vert ne s'applique qu'à compter du 1er janvier 2022 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 ;
- la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Der Grüne Punkt Duales System Deutschland GmbH (DSD) et autre ;



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 541-9-3 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 17 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire : " Tout produit mis sur le marché à destination des ménages soumis au I de l'article L. 541-10, à l'exclusion des emballages ménagers de boissons en verre, fait l'objet d'une signalétique informant le consommateur que ce produit fait l'objet de règles de tri. / Cette signalétique est accompagnée d'une information précisant les modalités de tri ou d'apport du déchet issu du produit. Si plusieurs éléments du produit ou des déchets issus du produit font l'objet de modalités de tri différentes, ces modalités sont détaillées élément par élément. Ces informations figurent sur le produit, son emballage ou, à défaut, dans les autres documents fournis avec le produit, sans préjudice des symboles apposés en application d'autres dispositions. L'ensemble de cette signalétique est regroupé de manière dématérialisée et est disponible en ligne pour en faciliter l'assimilation et en expliciter les modalités et le sens. / L'éco-organisme chargé de cette signalétique veille à ce que l'information inscrite sur les emballages ménagers et précisant les modalités de tri ou d'apport du déchet issu du produit évolue vers une uniformisation dès lors que plus de 50 % de la population est couverte par un dispositif harmonisé (...) ". Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 541-10-3 du même code introduit par l'article 62 de cette même loi : " Les signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit sont affectés d'une pénalité qui ne peut être inférieure au montant de la contribution financière nécessaire à la gestion des déchets. Ces signalétiques et marquages sont définis par arrêté du ministre chargé de l'environnement ".

3. D'une part, aux termes de l'article 1er de l'arrêté de la ministre de la transition écologique du 30 novembre 2020 relatif aux signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit : " Pour l'application du 5éme alinéa de l'article L. 541-10-3 du code de l'environnement, les signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit sont les figures graphiques représentant deux ou plusieurs flèches enroulées et inscrites dans un cercle, à l'exception : / 1° De la signalétique définie à l'annexe de l'article R. 541-12-17 du code de l'environnement ; / 2° Des signalétiques encadrées réglementairement par un autre Etat membre de l'Union européenne dès lors que ces signalétiques informent le consommateur que le produit fait l'objet d'une règle de tri ou que le produit est recyclable. / 3° Des logos associés à la marque sous laquelle est vendu ou distribué un produit ou associés à l'entreprise qui vend ou distribue le produit ".

4. D'autre part, aux termes du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020 portant modification de l'arrêté du 29 novembre 2016 relatif à la procédure d'agrément et portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des emballages ménagers : " (...) Signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri : / A partir du 1er avril 2021, une pénalité équivalente au montant de la contribution hors primes ou autres pénalités est affectée aux emballages de produits sur lesquels est apposée une des signalétiques ou un des marquages définis en application du 5ème alinéa de l'article L. 541-10-3. Sont exemptés de cette pénalité : / - les produits emballés ou les emballages fabriqués ou importés avant le 1er avril 2021 qui bénéficient d'un délai d'écoulement des stocks n'excédant pas 18 mois à compter de cette date ; /- les produits emballés ou les emballages fabriqués ou importés sur lesquels cette signalétique ou ce marquage sont apposés en application d'une obligation réglementaire fixée par un autre Etat membre de l'Union européenne, lorsque le producteur commercialise le produit dans un emballage identique sur le territoire national et dans cet autre Etat membre, et jusqu'au 1er janvier 2022. Ces emballages ou produits emballés avant cette date bénéficient en outre d'un délai d'écoulement des stocks n'excédant pas 12 mois à compter de cette date ".

5. Par leurs requêtes n° 449872 et n° 450134, la société Der Grüne Punkt Duales System Deutschland et autre, d'une part, l'association française des industries de la détergence et autres, d'autre part, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 30 novembre 2020. Eu égard aux moyens soulevés dans leur requête n° 450158, l'association française des industries de la détergence et autres doivent, par ailleurs, être regardés comme demandant uniquement l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions, citées au point 4, du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020 modifiant le cahier des charges des éco-organismes, lesquelles sont divisibles des autres dispositions de l'arrêté et de son annexe.

6. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que le dernier alinéa de l'article L. 541-10-3 du code de l'environnement, issu de l'article 62 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, a pour objet de pénaliser financièrement les producteurs qui utilisent des emballages sur lesquels est apposée une signalétique susceptible d'induire en erreur les consommateurs en leur laissant croire qu'elle vaudrait consigne de tri. En définissant les signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit comme étant les " figures graphiques représentant deux ou plusieurs flèches enroulées et inscrites dans un cercle ", l'arrêté du 30 novembre 2020 vise de façon indirecte mais non équivoque la signalétique " Point Vert ", laquelle est couramment utilisée dans de nombreux pays en Europe. Il en va de même du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020 prévoyant les conditions d'application dans le temps de la pénalité.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires à la requête n° 449872 :

7. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la société Der Grüne Punkt Duales System Deutschland est propriétaire de la marque " Point vert ", signalant l'adhésion des fabricants d'emballage à un système de contribution financière au recyclage des déchets d'emballage, qui, comme il a été dit au point 6, est visée par les dispositions de l'arrêté du 30 novembre 2020 relatif aux signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit, d'autre part, que la société PRO Europe coordonne les programmes européens de valorisation et de recyclage des emballages et des déchets d'emballage utilisant principalement cette marque dont elle est, en outre, le concédant général pour toute l'Europe à l'exception de l'Allemagne. Dès lors, le ministre de la transition écologique et de la cohésion territoriale n'est pas fondé à soutenir que ces sociétés ne justifient pas d'un intérêt suffisamment direct et certain de nature à leur donner qualité pour demander l'annulation de l'arrêté qu'elles attaquent et la fin de non-recevoir qu'il soulève doit, par suite, être rejetée.

Sur le fond :

8. Aux termes du 1 de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information : " Sous réserve de l'article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet (...) ". Le f) du 1 de l'article 1er de cette directive définit une " règle technique " comme : " une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent, dont l'observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l'établissement d'un opérateur de services ou l'utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l'article 7, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l'importation, la commercialisation ou l'utilisation d'un produit ou interdisant de fournir ou d'utiliser un service ou de s'établir comme prestataire de services ". Le d) du 1 de l'article 1er de cette directive définit une " autre exigence " comme " une exigence, autre qu'une spécification technique, imposée à l'égard d'un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l'environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d'utilisation, de recyclage, de réemploi ou d'élimination lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation ".

9. En désignant la signalétique " Point Vert " comme étant de nature à induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu des produits sur lesquels elle est apposée et comme devant, à ce titre, être affectée d'une pénalité, les dispositions réglementaires attaquées introduisent une exigence, imposée pour des motifs de protection de l'environnement, qui porte sur le cycle de vie des produits concernés et est de nature à influencer de manière significative leur commercialisation. Elles doivent, par suite, être regardées comme entrant dans le champ des " règles techniques " au sens de la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015.

10. Lorsqu'une règle technique résulte, en droit interne, de la combinaison de dispositions de nature législative et de dispositions d'application de nature réglementaire, il n'y a pas lieu, en application du 1 de l'article 5 de la directive 2015/1535/CE, de communiquer à la Commission européenne les dispositions réglementaires d'application relatives à cette règle technique lorsque, d'une part, le texte législatif détermine la règle technique en cause d'une manière suffisamment précise pour que ses effets puissent être évalués par la Commission européenne et les Etats membres de l'Union européenne, d'autre part, que la disposition législative a été communiquée conformément à la directive et, enfin, que les dispositions réglementaires d'application n'ajoutent pas d'autre règle technique relevant de cette obligation de communication.

11. En l'espèce, s'il ressort des pièces du dossier que les autorités françaises ont notifié à la Commission européenne le 20 juillet 2020 les dispositions de l'article L. 541-10-3 du code de l'environnement, issues de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, en application desquelles les dispositions attaquées de l'arrêté du 30 novembre 2020 et du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020 ont été prises, la communication de ces dispositions législatives, qui se bornent à définir un régime général de pénalité affectant les signalétiques et marquages pouvant induire en erreur sur les règles de tri ou d'apport du déchet, n'a, en tout état de cause, pu permettre, à elle seule, à la Commission d'évaluer pleinement les effets de la règle technique introduite, qui s'applique exclusivement à une signalétique donnée, dénommée " Point Vert ", et n'a, par suite, pas suffi à satisfaire à l'obligation de notification résultant de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535.

12. Il résulte ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, que les requérants sont fondés à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêté du 30 novembre 2020 et du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, d'une part, la somme de 4 000 euros à verser à l'association française des industries de la détergence et autres, d'autre part, la somme de 2 000 euros à verser à la société Der Grüne Punkt Duales System Deutschland et autre.




D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêté du 30 novembre 2020 relatif aux signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit et le 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020 portant modification du cahier des charges des éco-organismes sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera, d'une part, à la société Der Grüne Punkt Duales System Deutschland et autre une somme de 2 000 euros, d'autre part, à l'association française des industries de la détergence et autres une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Der Grüne Punkt Duales System Deutschland GmbH, première dénommée, et à l'association française des industries de la détergence, première dénommée, pour l'ensemble des requérants, ainsi qu'au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 31 mai 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 30 juin 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse