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Ariane Web: Conseil d'État 469663, lecture du 10 mars 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:469663.20230310

Décision n° 469663
10 mars 2023
Conseil d'État

N° 469663
ECLI:FR:CECHR:2023:469663.20230310
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Christophe Barthelemy, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP SPINOSI, avocats


Lecture du vendredi 10 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme D... A..., M. C... B... et la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, à l'appui de leur demande présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le préfet de Mayotte a ordonné l'évacuation et la destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, commune de Mamoudzou, ont produit un mémoire, enregistré le 23 novembre 2022 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2205231, 2205236 et 2205345 du 8 décembre 2022, enregistrée le 13 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 11-1 de la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise, Mme A..., M. B... et la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que, par un mémoire enregistré le 9 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les deux premiers d'entre eux soutiennent que les dispositions de l'article 11-1 de la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011, issues de l'article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent la compétence confiée au législateur par l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, alors qu'elles portent atteinte au respect de la vie privée, aux principes de fraternité et de sauvegarde de la dignité humaine et au droit d'exercer un recours juridictionnel effectif.

Par un mémoire, enregistré le 16 janvier 2023, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen demande au Conseil d'Etat d'admettre son intervention et de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A....

Par un mémoire, enregistré le 20 janvier 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il soutient que la question n'est ni nouvelle, ni sérieuse.

La Défenseure des droits, en application de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2001 relative au Défenseur des droits, a présenté des observations, enregistrées le 15 février 2023.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée à la Première ministre, qui n'a pas produit d'observations.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de Mme A... et de M. B....



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, issu de l'article 197 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " I.- À Mayotte et en Guyane, lorsque des locaux ou installations édifiés sans droit ni titre constituent un habitat informel au sens du deuxième alinéa de l'article 1er-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, forment un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d'assiette et présentent des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique, le représentant de l'État dans le département peut, par arrêté, ordonner aux occupants de ces locaux et installations d'évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à leur démolition à l'issue de l'évacuation. L'arrêté prescrit toutes mesures nécessaires pour empêcher l'accès et l'usage de cet ensemble de locaux et installations au fur et à mesure de leur évacuation. / Un rapport motivé établi par les services chargés de l'hygiène et de la sécurité placés sous l'autorité du représentant de l'État dans le département et une proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant sont annexés à l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent I. / Le même arrêté précise le délai accordé pour évacuer et démolir les locaux et installations mentionnés au même premier alinéa, qui ne peut être inférieur à un mois à compter de la notification de l'arrêté et de ses annexes aux occupants et aux propriétaires. Lorsque le propriétaire est non occupant, le délai accordé pour procéder à la démolition est allongé de huit jours à compter de l'évacuation volontaire des lieux. À défaut de pouvoir identifier les propriétaires, notamment en l'absence de mention au fichier immobilier ou au livre foncier, la notification les concernant est valablement effectuée par affichage à la mairie de la commune et sur la façade des locaux et installations concernés. / (...) / III.- L'obligation d'évacuer les lieux et l'obligation de les démolir résultant des arrêtés mentionnés aux I et II ne peuvent faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration des délais accordés pour y procéder volontairement, ni avant que le tribunal administratif n'ait statué, s'il a été saisi, par le propriétaire ou l'occupant concerné, dans les délais d'exécution volontaire, d'un recours dirigé contre ces décisions sur le fondement des articles L. 521-1 à L. 521-3 du code de justice administrative. L'État supporte les frais liés à l'exécution d'office des mesures prescrites ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de Mayotte a pris le 19 septembre 2022, sur le fondement des dispositions de l'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011, un arrêté par lequel il a ordonné l'évacuation et la démolition des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, sur la commune de Mamoudzou. Mme A... et M. B..., occupants de l'une de ces constructions, et la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cet arrêté. Par un mémoire distinct, ces mêmes requérants ont saisi le juge des référés de la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011. Par une ordonnance du 8 décembre 2022, le juge des référés a décidé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité des dispositions législatives contestées à la Constitution, de suspendre l'exécution de l'arrêté du préfet de Mayotte du 19 septembre 2022 et de rejeter les conclusions présentées par la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le mémoire présenté par la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen :

4. Partie à l'instance devant le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte en tant qu'auteur de la demande de suspension, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen doit être regardée comme présentant devant le Conseil d'Etat des observations pour l'examen de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant le juge des référés par mémoire distinct et transmise par celui-ci au Conseil d'Etat, et non comme formant une demande d'intervention à ce titre, nonobstant le rejet par le juge des référés de sa demande en référé et de ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. D'une part, il est constant que les dispositions de l'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011 sont applicables au litige principal et qu'elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

6. D'autre part, en premier lieu, si les mesures de police administrative susceptibles d'affecter l'exercice des libertés constitutionnellement garanties doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public et proportionnées à cet objectif, il ressort des pièces du dossier que les dispositions législatives contestées, qui ne sont applicables qu'à Mayotte et en Guyane, ont pour objet de doter l'autorité administrative, confrontée dans ces départements à un phénomène massif d'habitat informel illicite, des moyens de répondre aux menaces qui en découlent, tant en raison des atteintes à la propriété que des risques de troubles à l'ordre public, ainsi que pour la santé et la salubrité publiques. Eu égard à l'ensemble des conditions et garanties qui entourent la mise en oeuvre de ces dispositions, subordonnée à l'existence de risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques et à l'établissement d'un rapport motivé rédigé par les services d'hygiène et de sécurité, assortie d'une obligation de proposer un relogement ou un hébergement d'urgence à chaque occupant et d'un délai d'exécution d'au moins un mois, voire un mois et huit jours, ainsi que d'un recours suspensif devant le juge des référés du tribunal administratif, le grief tiré de ce qu'elles n'assureraient pas une conciliation équilibrée entre la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine doit être écarté. Il en va de même, en tout état de cause et pour les mêmes motifs, du grief tiré de l'atteinte au principe de fraternité.

7. En prévoyant, en deuxième lieu, que les dispositions législatives contestées s'appliquent à des locaux ou installations qui forment un " ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d'assiette ", le législateur a visé le regroupement dans un même périmètre de locaux ou installations occupés sans droit ni titre. En prévoyant par ailleurs que leur mise en oeuvre est subordonnée à une " proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant ", il a entendu prendre en compte la situation personnelle et familiale des personnes concernées, et notamment leurs facteurs de vulnérabilité. Le grief tiré de ce qu'en s'abstenant de définir la notion d'" ensemble homogène " et celle de " proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant ", les dispositions de l'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011 n'auraient pas institué des garanties légales suffisantes, dans des conditions de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée, ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, la question de la méconnaissance par les dispositions contestées du principe constitutionnel du droit au recours effectif n'a pas été soumise au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte et ne peut dès lors être présentée pour la première fois devant le Conseil d'État, saisi, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, d'une ordonnance de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la méconnaissance d'autres dispositions de la Constitution, principes et objectifs de valeur constitutionnelle.

9. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A..., M. B... et la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme D... A..., à M. C... B..., à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 février 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 mars 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Christophe Barthélemy
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras


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