Conseil d'État
N° 470899
ECLI:FR:CEORD:2023:470899.20230220
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON ; SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats
Lecture du lundi 20 février 2023
Vu la procédure suivante :
La société Podeliha a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 8 décembre 2022 du maire de la commune du Mans prononçant la fermeture de l'établissement La Croix d'or situé 44 rue Sièyes au Mans. Par une ordonnance n° 2300444 du 13 janvier 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, d'une part, suspendu l'exécution de l'arrêté du 8 décembre 2022 et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 janvier et 7 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune du Mans demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 13 janvier 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la requête de la société Podeliha ;
3°) de mettre à la charge de la société Podeliha la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, en premier lieu, la situation dont se prévaut la société Podeliha lui est exclusivement imputable, faute qu'elle ait régularisé la situation de l'immeuble ou procédé au relogement de ses résidents handicapés depuis l'avis de la commission de sécurité d'avril 2022, en deuxième lieu, cette société ne démontre pas être dans l'impossibilité de proposer un hébergement temporaire à ces derniers et se trouve, en tout état de cause, légalement tenue de le faire et, en dernier lieu, il convient de tenir compte de l'imminence et de la gravité des risques que prévient l'arrêté contesté ;
- il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à la libre disposition d'un bien par son propriétaire ;
- cette atteinte est, en tout état de cause, justifiée par la police spéciale des établissements recevant du public et les locaux destinés aux handicapés du 44, rue Sieyès au Mans constituent bien un tel établissement ;
- cette atteinte n'est, en tout état de cause, pas grave dès lors que l'arrêté contesté ne porte que sur 16 des logements de la société Podeliha, à mettre au regard d'un parc locatif de 27 000 logements détenu par celle-ci.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2023, la société Podeliha conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence est satisfaite, que les locaux en litige ne constituent pas un établissement recevant du public, que la procédure suivie par la commune du Mans n'a, en tout état de cause, à tort pas impliqué l'association ADIMC 72, gestionnaire d'un tel établissement s'il existe, et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune du Mans et, d'autre part, la société Podeliha ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 février 2023, à 11 heures :
- Me Prigent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune du Mans ;
- Me Gaschignard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Podeliha ;
- les représentants de la société Podeliha ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 15 février 2023 à 12 heures ;
Par deux mémoires, enregistrés les 13 et 15 février 2023, la commune du Mans maintient ses conclusions.
Par un mémoire, enregistré le 13 février 2023, la société Podeliha maintient ses conclusions.
Le conseil départemental de la Sarthe a produit des observations, enregistrées le 14 février 2023.
L'association départementale des infirmes moteurs et cérébraux de la Sarthe a produit des observations, enregistrées le 14 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP) ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. La société Podeliha, société anonyme d'habitations à loyer modéré (SA d'HLM) dont l'activité s'exerce sur le territoire de la région Pays de la Loire, est propriétaire d'un immeuble situé 44, rue Sieyès au Mans, comprenant un rez-de-chaussée et quatre étages. Au sein de cet immeuble, en vertu d'une convention de réservation passée entre la SA d'HLM Le Foyer Manceau, aux droits de laquelle vient la société Podeliha et l'Association départementale des infirmes moteurs cérébraux de la Sarthe (ADIMC 72), modifiée par deux avenants ultérieurs, quinze logements, sur les vingt-trois que compte l'immeuble, sont réservés, pour quatorze d'entre eux, à des personnes présentées par l'ADIMC 72, et pour le dernier, situé au rez-de-chaussée, au personnel de cette dernière. Le 14 avril 2022, la commission de sécurité d'arrondissement, à la suite d'une visite de l'immeuble, a émis un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation de l'établissement que constituait, selon elle, l'ensemble des quinze logements concernés par la convention de réservation. Le maire du Mans a, ensuite, par une lettre recommandée en date du 29 avril 2022, indiqué à la société Podeliha que, accueillant quatorze personnes en situation de handicap, l'établissement en question relevait de la réglementation applicable aux établissements recevant du public de type J et de cinquième catégorie et a demandé que soient, en conséquence, prises diverses mesures de sécurité découlant de ce classement. Il a, ensuite, le 23 juin 2022, mis en demeure la société Podeliha de mettre en oeuvre ces mesures puis a, après avoir adressé le 15 novembre 2022 un nouveau courrier de mise en demeure, pris le 8 décembre 2022 un arrêté dont l'article 1er prévoit la fermeture au public de " l'établissement dénommé Podeliha - La Croix d'or de type J et de catégorie 5ème situé 44 rue Sieyès ". La commune du Mans relève appel de l'ordonnance du 13 janvier 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu l'exécution de cet arrêté.
Sur le cadre juridique du litige :
3. D'une part, aux termes du paragraphe I de l'article L. 143-3 du code de la construction et de l'habitation : " Sans préjudice de l'exercice par les autorités de police de leurs pouvoirs généraux et dans le cadre de leurs compétences respectives, le maire ou le représentant de l'Etat dans le département peuvent par arrêté, pris après avis de la commission de sécurité compétente, ordonner la fermeture des établissements recevant du public en infraction avec les règles de sécurité propres à ce type d'établissement, jusqu'à la réalisation des travaux de mise en conformité. / L'arrêté de fermeture est pris après mise en demeure restée sans effet de l'exploitant ou du propriétaire de se conformer aux aménagements et travaux prescrits ou de fermer son établissement dans le délai imparti. " Aux termes de l'article R. 143-3 du même code : " Les constructeurs, propriétaires et exploitants des établissements recevant du public sont tenus, tant au moment de la construction qu'au cours de l'exploitation, de respecter les mesures de prévention et de sauvegarde propres à assurer la sécurité des personnes ; ces mesures sont déterminées compte tenu de la nature de l'exploitation, des dimensions des locaux, de leur mode de construction, du nombre de personnes pouvant y être admises et de leur aptitude à se soustraire aux effets d'un incendie. " Aux termes de la première phrase de l'article R. 143-12 de ce code : " Le ministre de l'intérieur précise dans un règlement de sécurité les conditions d'application des règles définies au présent chapitre. " Enfin, il ressort des articles R. 143-18 et R. 143-19 du même code que les établissements sont répartis en types selon la nature de leur exploitation et, quel que soit leur type, classés en catégories, d'après l'effectif du public.
4. D'autre part, il ressort des dispositions combinées de l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP) que les établissements de type J sont les structures d'accueil pour personnes âgées et personnes handicapées et que ces structures, lorsqu'elles assurent l'hébergement d'adultes handicapés, relèvent de la quatrième catégorie si la capacité d'hébergement est supérieure ou égale à 20 personnes et de la cinquième catégorie lorsque celle-ci est au moins égale à 7 personnes.
Sur le litige :
5. Il résulte de l'instruction et, notamment, de la note de présentation architecturale jointe, en 1992, au dossier de demande de permis de construire de l'immeuble du 44, rue Sieyès que celui-ci a, dès l'origine, été conçu dans le but de contenir, dans ses premier et deuxième étages, quatorze logements destinés à accueillir des personnes handicapées. Il ressort, par ailleurs, de la convention de réservation et de ses avenants mentionnés au point 2 que, d'une part, le propriétaire des lieux s'engage à consentir aux personnes présentées par l'ADIMC 72 la location de ces logements à la condition qu'elles soient, par ailleurs, éligibles à un logement HLM et, d'autre part, que l'ADIMC 72 a, en 1994 et 1995, financé des travaux supplémentaires pour améliorer l'accueil de ces personnes à hauteur de près d'un million de francs.
6. Il résulte, par ailleurs, de l'instruction, en premier lieu, que les quatorze logements en question font partie des vingt-et-une places du service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH) que l'ADIMC 72 est, en vertu d'un arrêté du 3 août 2004 du préfet et du président du conseil général de la Sarthe, autorisé à gérer au Mans, en deuxième lieu, que les personnes concernées, aux termes de l'article 2 du même arrêté, sont porteuses de handicaps sévères et ont besoin de l'aide d'une tierce personne pour accomplir les actes de la vie quotidienne, ce qui est confirmé par le département de la Sarthe dans les observations qu'il a produites à l'occasion du présent litige, en troisième lieu, que les mêmes personnes bénéficient d'un suivi médico-social par le SAMSAH, qui dispose à cet effet de subventions du département de la Sarthe et de l'Agence régionale de santé des Pays de Loire et, en dernier lieu, que ce même SAMSAH les assistait, jusqu'à une époque récente, pour les actes de la vie quotidienne et que cette assistance est, désormais, assurée par le réseau associatif de services à la personne ADMR, financé à cet effet par mobilisation de la prestation compensatoire du handicap.
7. Il résulte de l'effet combiné des éléments de l'espèce mentionnés aux points 5 et 6, et notamment de la concentration, qu'ils impliquent, en un lieu unique de personnes dont l'aptitude à se soustraire aux effets d'un incendie est nécessairement diminuée, alors que cette aptitude est au nombre des paramètres à retenir pour l'appréciation des mesures en vue d'assurer la sécurité des personnes contre l'incendie en vertu de l'article R. 143-3 du code de la construction et de l'habitation cité au point 3, que les espaces destinés à loger des personnes handicapées de l'immeuble du 44, rue Sieyès au Mans constituent un établissement destiné à recevoir du public au sens de la réglementation de sécurité contre l'incendie et pour l'application des dispositions de celle-ci. Ne sauraient y faire obstacle les circonstances, mentionnées en défense par la société Podeliha ou par l'ADIMC 72 dans ses observations, que les personnes handicapées concernées sont titulaires d'un contrat de location et non pas admis dans un établissement médico-social, que l'immeuble ne comporte pas de lieu collectif de vie, contrairement à un tel établissement et, enfin, que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé, par sa décision n° 355835 du 17 juin 2014, que le SAMSAH du Mans ne pouvait recevoir cette qualification pour l'application de dispositions du code de l'action sociale et des familles, qui sont dépourvues de rapport avec cette même réglementation de sécurité contre l'incendie.
8. Il résulte de ce qui est dit ci-dessus que la commune du Mans est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a retenu que la réglementation applicable aux établissements recevant du public ne s'appliquait pas en l'espèce et en a déduit que l'arrêté du maire du Mans en litige portait à la liberté de la société Podeliha de disposer de ses biens une atteinte grave et manifestement illégale.
9. Comme il est dit ci-dessus, la réglementation concernant les établissements recevant du public s'applique aux locaux habités par des personnes handicapées de l'immeuble en litige et il est constant que ces locaux n'y sont pas conformes. Dès lors, si la société Podeliha reproche à la commune du Mans, en premier lieu, de ne pas avoir impliqué l'ADIMC 72 dans la procédure, alors que le rôle de cette association aurait dû conduire à la regarder comme étant l'exploitant des locaux au sens de cette réglementation, en deuxième lieu, de ne pas avoir indiqué de façon claire la nature et l'échéancier des mesures à prendre pour que ceux-ci lui soient rendus conformes, en troisième lieu, de ne pas s'être assurée concrètement de l'existence de possibilités de relogement des personnes handicapées dans des conditions adaptées à leur situation, il ne résulte pas de l'instruction que l'arrêté contesté porterait une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant que soit ordonnée une mesure en application des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative citées au point 1. En conséquence, la demande de la société Podeliha, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'urgence, ne peut qu'être rejetée.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune du Mans, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'ordonnance du 13 janvier 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.
Article 2 : La demande de la société Podeliha devant ce tribunal et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune du Mans et à la société Podeliha.
Copie en sera adressée au conseil départemental de la Sarthe ainsi qu'à l'association départementale des infirmes moteurs cérébraux de la Sarthe.
Fait à Paris, le 20 février 2023
Signé : Philippe Josse
N° 470899
ECLI:FR:CEORD:2023:470899.20230220
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON ; SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats
Lecture du lundi 20 février 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Podeliha a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 8 décembre 2022 du maire de la commune du Mans prononçant la fermeture de l'établissement La Croix d'or situé 44 rue Sièyes au Mans. Par une ordonnance n° 2300444 du 13 janvier 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, d'une part, suspendu l'exécution de l'arrêté du 8 décembre 2022 et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 janvier et 7 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune du Mans demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 13 janvier 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la requête de la société Podeliha ;
3°) de mettre à la charge de la société Podeliha la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, en premier lieu, la situation dont se prévaut la société Podeliha lui est exclusivement imputable, faute qu'elle ait régularisé la situation de l'immeuble ou procédé au relogement de ses résidents handicapés depuis l'avis de la commission de sécurité d'avril 2022, en deuxième lieu, cette société ne démontre pas être dans l'impossibilité de proposer un hébergement temporaire à ces derniers et se trouve, en tout état de cause, légalement tenue de le faire et, en dernier lieu, il convient de tenir compte de l'imminence et de la gravité des risques que prévient l'arrêté contesté ;
- il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à la libre disposition d'un bien par son propriétaire ;
- cette atteinte est, en tout état de cause, justifiée par la police spéciale des établissements recevant du public et les locaux destinés aux handicapés du 44, rue Sieyès au Mans constituent bien un tel établissement ;
- cette atteinte n'est, en tout état de cause, pas grave dès lors que l'arrêté contesté ne porte que sur 16 des logements de la société Podeliha, à mettre au regard d'un parc locatif de 27 000 logements détenu par celle-ci.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2023, la société Podeliha conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence est satisfaite, que les locaux en litige ne constituent pas un établissement recevant du public, que la procédure suivie par la commune du Mans n'a, en tout état de cause, à tort pas impliqué l'association ADIMC 72, gestionnaire d'un tel établissement s'il existe, et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune du Mans et, d'autre part, la société Podeliha ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 février 2023, à 11 heures :
- Me Prigent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune du Mans ;
- Me Gaschignard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Podeliha ;
- les représentants de la société Podeliha ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 15 février 2023 à 12 heures ;
Par deux mémoires, enregistrés les 13 et 15 février 2023, la commune du Mans maintient ses conclusions.
Par un mémoire, enregistré le 13 février 2023, la société Podeliha maintient ses conclusions.
Le conseil départemental de la Sarthe a produit des observations, enregistrées le 14 février 2023.
L'association départementale des infirmes moteurs et cérébraux de la Sarthe a produit des observations, enregistrées le 14 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP) ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. La société Podeliha, société anonyme d'habitations à loyer modéré (SA d'HLM) dont l'activité s'exerce sur le territoire de la région Pays de la Loire, est propriétaire d'un immeuble situé 44, rue Sieyès au Mans, comprenant un rez-de-chaussée et quatre étages. Au sein de cet immeuble, en vertu d'une convention de réservation passée entre la SA d'HLM Le Foyer Manceau, aux droits de laquelle vient la société Podeliha et l'Association départementale des infirmes moteurs cérébraux de la Sarthe (ADIMC 72), modifiée par deux avenants ultérieurs, quinze logements, sur les vingt-trois que compte l'immeuble, sont réservés, pour quatorze d'entre eux, à des personnes présentées par l'ADIMC 72, et pour le dernier, situé au rez-de-chaussée, au personnel de cette dernière. Le 14 avril 2022, la commission de sécurité d'arrondissement, à la suite d'une visite de l'immeuble, a émis un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation de l'établissement que constituait, selon elle, l'ensemble des quinze logements concernés par la convention de réservation. Le maire du Mans a, ensuite, par une lettre recommandée en date du 29 avril 2022, indiqué à la société Podeliha que, accueillant quatorze personnes en situation de handicap, l'établissement en question relevait de la réglementation applicable aux établissements recevant du public de type J et de cinquième catégorie et a demandé que soient, en conséquence, prises diverses mesures de sécurité découlant de ce classement. Il a, ensuite, le 23 juin 2022, mis en demeure la société Podeliha de mettre en oeuvre ces mesures puis a, après avoir adressé le 15 novembre 2022 un nouveau courrier de mise en demeure, pris le 8 décembre 2022 un arrêté dont l'article 1er prévoit la fermeture au public de " l'établissement dénommé Podeliha - La Croix d'or de type J et de catégorie 5ème situé 44 rue Sieyès ". La commune du Mans relève appel de l'ordonnance du 13 janvier 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu l'exécution de cet arrêté.
Sur le cadre juridique du litige :
3. D'une part, aux termes du paragraphe I de l'article L. 143-3 du code de la construction et de l'habitation : " Sans préjudice de l'exercice par les autorités de police de leurs pouvoirs généraux et dans le cadre de leurs compétences respectives, le maire ou le représentant de l'Etat dans le département peuvent par arrêté, pris après avis de la commission de sécurité compétente, ordonner la fermeture des établissements recevant du public en infraction avec les règles de sécurité propres à ce type d'établissement, jusqu'à la réalisation des travaux de mise en conformité. / L'arrêté de fermeture est pris après mise en demeure restée sans effet de l'exploitant ou du propriétaire de se conformer aux aménagements et travaux prescrits ou de fermer son établissement dans le délai imparti. " Aux termes de l'article R. 143-3 du même code : " Les constructeurs, propriétaires et exploitants des établissements recevant du public sont tenus, tant au moment de la construction qu'au cours de l'exploitation, de respecter les mesures de prévention et de sauvegarde propres à assurer la sécurité des personnes ; ces mesures sont déterminées compte tenu de la nature de l'exploitation, des dimensions des locaux, de leur mode de construction, du nombre de personnes pouvant y être admises et de leur aptitude à se soustraire aux effets d'un incendie. " Aux termes de la première phrase de l'article R. 143-12 de ce code : " Le ministre de l'intérieur précise dans un règlement de sécurité les conditions d'application des règles définies au présent chapitre. " Enfin, il ressort des articles R. 143-18 et R. 143-19 du même code que les établissements sont répartis en types selon la nature de leur exploitation et, quel que soit leur type, classés en catégories, d'après l'effectif du public.
4. D'autre part, il ressort des dispositions combinées de l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP) que les établissements de type J sont les structures d'accueil pour personnes âgées et personnes handicapées et que ces structures, lorsqu'elles assurent l'hébergement d'adultes handicapés, relèvent de la quatrième catégorie si la capacité d'hébergement est supérieure ou égale à 20 personnes et de la cinquième catégorie lorsque celle-ci est au moins égale à 7 personnes.
Sur le litige :
5. Il résulte de l'instruction et, notamment, de la note de présentation architecturale jointe, en 1992, au dossier de demande de permis de construire de l'immeuble du 44, rue Sieyès que celui-ci a, dès l'origine, été conçu dans le but de contenir, dans ses premier et deuxième étages, quatorze logements destinés à accueillir des personnes handicapées. Il ressort, par ailleurs, de la convention de réservation et de ses avenants mentionnés au point 2 que, d'une part, le propriétaire des lieux s'engage à consentir aux personnes présentées par l'ADIMC 72 la location de ces logements à la condition qu'elles soient, par ailleurs, éligibles à un logement HLM et, d'autre part, que l'ADIMC 72 a, en 1994 et 1995, financé des travaux supplémentaires pour améliorer l'accueil de ces personnes à hauteur de près d'un million de francs.
6. Il résulte, par ailleurs, de l'instruction, en premier lieu, que les quatorze logements en question font partie des vingt-et-une places du service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH) que l'ADIMC 72 est, en vertu d'un arrêté du 3 août 2004 du préfet et du président du conseil général de la Sarthe, autorisé à gérer au Mans, en deuxième lieu, que les personnes concernées, aux termes de l'article 2 du même arrêté, sont porteuses de handicaps sévères et ont besoin de l'aide d'une tierce personne pour accomplir les actes de la vie quotidienne, ce qui est confirmé par le département de la Sarthe dans les observations qu'il a produites à l'occasion du présent litige, en troisième lieu, que les mêmes personnes bénéficient d'un suivi médico-social par le SAMSAH, qui dispose à cet effet de subventions du département de la Sarthe et de l'Agence régionale de santé des Pays de Loire et, en dernier lieu, que ce même SAMSAH les assistait, jusqu'à une époque récente, pour les actes de la vie quotidienne et que cette assistance est, désormais, assurée par le réseau associatif de services à la personne ADMR, financé à cet effet par mobilisation de la prestation compensatoire du handicap.
7. Il résulte de l'effet combiné des éléments de l'espèce mentionnés aux points 5 et 6, et notamment de la concentration, qu'ils impliquent, en un lieu unique de personnes dont l'aptitude à se soustraire aux effets d'un incendie est nécessairement diminuée, alors que cette aptitude est au nombre des paramètres à retenir pour l'appréciation des mesures en vue d'assurer la sécurité des personnes contre l'incendie en vertu de l'article R. 143-3 du code de la construction et de l'habitation cité au point 3, que les espaces destinés à loger des personnes handicapées de l'immeuble du 44, rue Sieyès au Mans constituent un établissement destiné à recevoir du public au sens de la réglementation de sécurité contre l'incendie et pour l'application des dispositions de celle-ci. Ne sauraient y faire obstacle les circonstances, mentionnées en défense par la société Podeliha ou par l'ADIMC 72 dans ses observations, que les personnes handicapées concernées sont titulaires d'un contrat de location et non pas admis dans un établissement médico-social, que l'immeuble ne comporte pas de lieu collectif de vie, contrairement à un tel établissement et, enfin, que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé, par sa décision n° 355835 du 17 juin 2014, que le SAMSAH du Mans ne pouvait recevoir cette qualification pour l'application de dispositions du code de l'action sociale et des familles, qui sont dépourvues de rapport avec cette même réglementation de sécurité contre l'incendie.
8. Il résulte de ce qui est dit ci-dessus que la commune du Mans est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a retenu que la réglementation applicable aux établissements recevant du public ne s'appliquait pas en l'espèce et en a déduit que l'arrêté du maire du Mans en litige portait à la liberté de la société Podeliha de disposer de ses biens une atteinte grave et manifestement illégale.
9. Comme il est dit ci-dessus, la réglementation concernant les établissements recevant du public s'applique aux locaux habités par des personnes handicapées de l'immeuble en litige et il est constant que ces locaux n'y sont pas conformes. Dès lors, si la société Podeliha reproche à la commune du Mans, en premier lieu, de ne pas avoir impliqué l'ADIMC 72 dans la procédure, alors que le rôle de cette association aurait dû conduire à la regarder comme étant l'exploitant des locaux au sens de cette réglementation, en deuxième lieu, de ne pas avoir indiqué de façon claire la nature et l'échéancier des mesures à prendre pour que ceux-ci lui soient rendus conformes, en troisième lieu, de ne pas s'être assurée concrètement de l'existence de possibilités de relogement des personnes handicapées dans des conditions adaptées à leur situation, il ne résulte pas de l'instruction que l'arrêté contesté porterait une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant que soit ordonnée une mesure en application des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative citées au point 1. En conséquence, la demande de la société Podeliha, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'urgence, ne peut qu'être rejetée.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune du Mans, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 13 janvier 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.
Article 2 : La demande de la société Podeliha devant ce tribunal et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune du Mans et à la société Podeliha.
Copie en sera adressée au conseil départemental de la Sarthe ainsi qu'à l'association départementale des infirmes moteurs cérébraux de la Sarthe.
Fait à Paris, le 20 février 2023
Signé : Philippe Josse