Conseil d'État
N° 448911
ECLI:FR:CECHR:2023:448911.20230125
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE, avocats
Lecture du mercredi 25 janvier 2023
Vu les procédures suivantes :
L'association Van d'Osier, la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de France, M. E... B..., Mme F... L..., M. et Mme J... G..., Mlle O... C..., Mme N... D..., M. et Mme K... H... et Mme I... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Marne du 9 mars 2015 autorisant la société Haut-Vannier à exploiter dix-sept éoliennes et quatre postes de livraison sur le territoire des communes de Fayl-Billot, Pierremont-sur-Amance et Pressigny.
Par un premier jugement n° 1501817 du 10 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a sursis à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 9 mars 2015, pour permettre l'édiction d'une autorisation d'exploiter modificative destinée à régulariser le vice tenant au caractère incomplet du dossier soumis à enquête publique concernant les capacités financières de l'exploitant et enjoint au préfet de la Haute-Marne de prendre les mesures nécessaires à l'organisation de la phase d'information du public sur les capacités financières de la société Haut-Vannier. Puis, le préfet de la Haute-Marne ayant communiqué au tribunal, dans le délai qui lui était prescrit, l'arrêté modificatif du 5 juillet 2019 permettant la régularisation du vice en question, le tribunal administratif a, par un second jugement n° 1501817 du 12 décembre 2019, rejeté la demande de l'association Van d'Osier et autres.
Par un arrêt n° 20NC00434-20NC02421 du 19 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de l'association Van d'Osier et de la société pour la protection des paysages et de l'esthétique en France, annulé ces jugements et l'arrêté préfectoral du 9 mars 2015.
1° Sous le n° 448911, par un pourvoi enregistré le 19 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Haut-Vannier demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'association Van d'Osier la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 449054, par un pourvoi enregistré le 25 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 19 novembre 2020.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Haut-Vannier et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association Van d'Osier ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Haut-Vannier a demandé l'autorisation d'exploiter vingt-neuf éoliennes, d'une hauteur de 182 mètres chacune, et quatre postes de livraison sur le territoire des communes de Fayl-Billot, Pierremont-sur-Amance, Poinson-lès-Fayl et Pressigny. Par un arrêté du 9 mars 2015, le préfet de la Haute-Marne a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exploiter les aérogénérateurs désignés E 10 à E 13, E 18 à E 20 et E 25 à E 29, et l'a autorisée à exploiter les dix-sept autres éoliennes (E1 à E9, E 14 à E17, et E21 à E24) et les quatre postes de livraison, sous réserve du respect de certaines prescriptions. L'association Van d'Osier, la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de France et plusieurs particuliers ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler cet arrêté. Par un premier jugement du 10 janvier 2019, le tribunal administratif a, en application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sursis à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 9 mars 2015 pour permettre l'édiction d'une autorisation d'exploiter modificative destinée à régulariser le vice tenant au caractère incomplet du dossier soumis à enquête publique concernant les capacités financières de l'exploitant et enjoint au préfet de la Haute-Marne de prendre les mesures nécessaires à l'organisation de la phase d'information du public sur les capacités financières de la société Haut-Vannier et d'en assurer la publicité. Le préfet ayant communiqué, dans le délai qui lui était prescrit, l'arrêté modificatif du 5 juillet 2019 permettant la régularisation du vice relevé, le tribunal administratif a, par un second jugement du 12 décembre 2019, rejeté la demande d'annulation. Par un arrêt du 19 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a fait droit à l'appel formé contre ce jugement par l'association Van d'Osier et la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de France en annulant les jugements des 10 janvier et 12 décembre 2019 et les arrêtés préfectoraux des 9 mars 2015 et 5 juillet 2019 sans mettre en oeuvre les pouvoirs que le juge tient du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement. Par deux pourvois, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, la société Haut-Vannier et la ministre de la transition écologique se pourvoient en cassation contre cet arrêt.
Sur l'avis émis sur l'évaluation environnementale :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou au cas par cas. (...) ". L'article L. 122-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition des articles 2 et 6 de cette directive, dispose, dans sa rédaction applicable en l'espèce, que : " I. - Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. (...) / III. - Dans le cas d'un projet relevant des catégories d'opérations soumises à étude d'impact, le dossier présentant le projet, comprenant l'étude d'impact et la demande d'autorisation, est transmis pour avis à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement. (...). / IV.- La décision de l'autorité compétente qui autorise le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage à réaliser le projet prend en considération l'étude d'impact, l'avis de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement et le résultat de la consultation du public (...) ". En vertu du III de l'article R. 122-6 du même code, dans sa version issue du décret du 29 décembre 2011 portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagement, applicable au litige, l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1, lorsqu'elle n'est ni le ministre chargé de l'environnement, dans les cas prévus au I de cet article, ni la formation compétente du Conseil général de l'environnement et du développement durable, dans les cas prévus au II de ce même article, est le préfet de la région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d'ouvrage ou d'aménagement doit être réalisé. En vertu de l'article R. 122-25 du code de l'environnement, issu du décret du 28 avril 2016 portant réforme de l'autorité environnementale, et dont les dispositions ont par la suite été transférées à l'article R. 122-21 du même code, les agents du service régional chargé de l'environnement qui apportent leur appui à la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil régional de l'environnement et de développement durable, sont placés, pour l'exercice de cet appui, sous l'autorité fonctionnelle du président de la mission régionale d'autorité environnementale.
3. L'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 a pour objet de garantir qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences. Eu égard à l'interprétation de l'article 6 de la directive du 27 juin 2001 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C-474/10, il résulte clairement des dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce que l'entité administrative concernée dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné.
4. Lorsque le préfet de région est l'autorité compétente pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région, ou dans les cas où il est chargé de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, si la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, définie par le décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable et les articles R. 122-21 et R. 122-25 du code de l'environnement, peut être regardée comme disposant, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive, il n'en va pas de même des services placés sous son autorité hiérarchique, comme en particulier la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).
5. Lorsque le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l'avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu'autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011, sauf dans le cas où c'est le même service qui a, à la fois, instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale. En particulier, les exigences de la directive, tenant à ce que l'entité administrative appelée à rendre l'avis environnemental sur le projet dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, ne peuvent être regardées comme satisfaites lorsque le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la DREAL et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, à moins que l'avis n'ait été préparé, au sein de cette direction, par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'avis de l'autorité environnementale, qui a été émis par le préfet de la région Champagne-Ardenne sur la décision attaquée prise par le préfet du département de la Haute-Marne à une date antérieure à l'entrée en vigueur du décret du 28 avril 2016 mentionné au point 2, avait été préparé par le pôle environnement durable-évaluation environnementale relevant de la mission connaissance et développement durable spécifiquement chargé de l'instruction des avis de l'autorité environnementale, mais relevant, comme le service ayant procédé à l'instruction de la demande d'autorisation, de l'autorité du directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Dans ces conditions, la cour administrative d'appel de Nancy n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que l'avis de l'autorité environnementale avait, en l'espèce, été rendu en méconnaissance des exigences de la directive du 13 décembre 2011.
Sur la mise en oeuvre de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :
7. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II. En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées ".
8. La faculté ouverte par les dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement relève de l'exercice d'un pouvoir propre du juge, qui n'est pas subordonné à la présentation de conclusions en ce sens. Lorsqu'il n'est pas saisi de telles conclusions, le juge du fond peut toujours mettre en oeuvre cette faculté, mais il n'y est pas tenu, son choix relevant d'une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation. En revanche, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, le juge est tenu de mettre en oeuvre les pouvoirs qu'il tient du 2° du I de l'article L. 181-18-du code de l'environnement si les vices qu'il retient apparaissent, au vu de l'instruction, régularisables.
9. Pour juger qu'il n'y avait pas lieu de faire droit aux conclusions dont elle était saisie et tendant à ce qu'elle mette en oeuvre le pouvoir que les dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 lui confèrent, la cour administrative d'appel a retenu que le vice tenant à l'irrégularité affectant l'avis de l'autorité environnementale n'était pas régularisable dès lors que cet avis, très positif sur le projet en cause, avait été rendu en amont de la procédure d'instruction de la demande d'autorisation, et en particulier avant le début de l'enquête publique, de sorte que la régularisation du vice entachant la procédure d'instruction de la demande d'autorisation impliquerait de reprendre cette procédure à son début et, à tout le moins, de réaliser une nouvelle enquête publique. En statuant ainsi, alors que, dans l'hypothèse d'une régularisation de l'avis de l'autorité environnementale, il lui était loisible de préciser que, dans le cas où cet avis recueilli à titre de régularisation aurait différé substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique dont le projet avait fait l'objet, une enquête publique complémentaire devrait être organisée à titre de régularisation selon les modalités prévues par les articles L. 123-14 et R. 123-23 du code de l'environnement, dans le cadre de laquelle seraient soumis au public, outre l'avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d'éventuels vices révélés par le nouvel avis et que, dans le cas où aucune modification substantielle n'aurait été apportée à l'avis, l'information du public sur le nouvel avis de l'autorité environnementale recueilli à titre de régularisation pourrait prendre la forme d'une simple publication sur internet dans les conditions prévues à l'article R. 122-7 du code de l'environnement, sans qu'il soit nécessaire qu'une enquête publique complémentaire soit réalisée, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 19 novembre 2020 doit être annulé.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la société Haut-Vannier qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Van d'Osier une somme au même titre à verser à la société Haut-Vannier.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 19 novembre 2020 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Haut-Vannier, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à l'association Van d'Osier.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 janvier 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 25 janvier 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
N° 448911
ECLI:FR:CECHR:2023:448911.20230125
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE, avocats
Lecture du mercredi 25 janvier 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
L'association Van d'Osier, la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de France, M. E... B..., Mme F... L..., M. et Mme J... G..., Mlle O... C..., Mme N... D..., M. et Mme K... H... et Mme I... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Marne du 9 mars 2015 autorisant la société Haut-Vannier à exploiter dix-sept éoliennes et quatre postes de livraison sur le territoire des communes de Fayl-Billot, Pierremont-sur-Amance et Pressigny.
Par un premier jugement n° 1501817 du 10 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a sursis à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 9 mars 2015, pour permettre l'édiction d'une autorisation d'exploiter modificative destinée à régulariser le vice tenant au caractère incomplet du dossier soumis à enquête publique concernant les capacités financières de l'exploitant et enjoint au préfet de la Haute-Marne de prendre les mesures nécessaires à l'organisation de la phase d'information du public sur les capacités financières de la société Haut-Vannier. Puis, le préfet de la Haute-Marne ayant communiqué au tribunal, dans le délai qui lui était prescrit, l'arrêté modificatif du 5 juillet 2019 permettant la régularisation du vice en question, le tribunal administratif a, par un second jugement n° 1501817 du 12 décembre 2019, rejeté la demande de l'association Van d'Osier et autres.
Par un arrêt n° 20NC00434-20NC02421 du 19 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de l'association Van d'Osier et de la société pour la protection des paysages et de l'esthétique en France, annulé ces jugements et l'arrêté préfectoral du 9 mars 2015.
1° Sous le n° 448911, par un pourvoi enregistré le 19 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Haut-Vannier demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'association Van d'Osier la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 449054, par un pourvoi enregistré le 25 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 19 novembre 2020.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Haut-Vannier et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association Van d'Osier ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Haut-Vannier a demandé l'autorisation d'exploiter vingt-neuf éoliennes, d'une hauteur de 182 mètres chacune, et quatre postes de livraison sur le territoire des communes de Fayl-Billot, Pierremont-sur-Amance, Poinson-lès-Fayl et Pressigny. Par un arrêté du 9 mars 2015, le préfet de la Haute-Marne a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exploiter les aérogénérateurs désignés E 10 à E 13, E 18 à E 20 et E 25 à E 29, et l'a autorisée à exploiter les dix-sept autres éoliennes (E1 à E9, E 14 à E17, et E21 à E24) et les quatre postes de livraison, sous réserve du respect de certaines prescriptions. L'association Van d'Osier, la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de France et plusieurs particuliers ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler cet arrêté. Par un premier jugement du 10 janvier 2019, le tribunal administratif a, en application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sursis à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 9 mars 2015 pour permettre l'édiction d'une autorisation d'exploiter modificative destinée à régulariser le vice tenant au caractère incomplet du dossier soumis à enquête publique concernant les capacités financières de l'exploitant et enjoint au préfet de la Haute-Marne de prendre les mesures nécessaires à l'organisation de la phase d'information du public sur les capacités financières de la société Haut-Vannier et d'en assurer la publicité. Le préfet ayant communiqué, dans le délai qui lui était prescrit, l'arrêté modificatif du 5 juillet 2019 permettant la régularisation du vice relevé, le tribunal administratif a, par un second jugement du 12 décembre 2019, rejeté la demande d'annulation. Par un arrêt du 19 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a fait droit à l'appel formé contre ce jugement par l'association Van d'Osier et la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de France en annulant les jugements des 10 janvier et 12 décembre 2019 et les arrêtés préfectoraux des 9 mars 2015 et 5 juillet 2019 sans mettre en oeuvre les pouvoirs que le juge tient du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement. Par deux pourvois, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, la société Haut-Vannier et la ministre de la transition écologique se pourvoient en cassation contre cet arrêt.
Sur l'avis émis sur l'évaluation environnementale :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou au cas par cas. (...) ". L'article L. 122-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition des articles 2 et 6 de cette directive, dispose, dans sa rédaction applicable en l'espèce, que : " I. - Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. (...) / III. - Dans le cas d'un projet relevant des catégories d'opérations soumises à étude d'impact, le dossier présentant le projet, comprenant l'étude d'impact et la demande d'autorisation, est transmis pour avis à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement. (...). / IV.- La décision de l'autorité compétente qui autorise le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage à réaliser le projet prend en considération l'étude d'impact, l'avis de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement et le résultat de la consultation du public (...) ". En vertu du III de l'article R. 122-6 du même code, dans sa version issue du décret du 29 décembre 2011 portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagement, applicable au litige, l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1, lorsqu'elle n'est ni le ministre chargé de l'environnement, dans les cas prévus au I de cet article, ni la formation compétente du Conseil général de l'environnement et du développement durable, dans les cas prévus au II de ce même article, est le préfet de la région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d'ouvrage ou d'aménagement doit être réalisé. En vertu de l'article R. 122-25 du code de l'environnement, issu du décret du 28 avril 2016 portant réforme de l'autorité environnementale, et dont les dispositions ont par la suite été transférées à l'article R. 122-21 du même code, les agents du service régional chargé de l'environnement qui apportent leur appui à la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil régional de l'environnement et de développement durable, sont placés, pour l'exercice de cet appui, sous l'autorité fonctionnelle du président de la mission régionale d'autorité environnementale.
3. L'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 a pour objet de garantir qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences. Eu égard à l'interprétation de l'article 6 de la directive du 27 juin 2001 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C-474/10, il résulte clairement des dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce que l'entité administrative concernée dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné.
4. Lorsque le préfet de région est l'autorité compétente pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région, ou dans les cas où il est chargé de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, si la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, définie par le décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable et les articles R. 122-21 et R. 122-25 du code de l'environnement, peut être regardée comme disposant, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive, il n'en va pas de même des services placés sous son autorité hiérarchique, comme en particulier la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).
5. Lorsque le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l'avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu'autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011, sauf dans le cas où c'est le même service qui a, à la fois, instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale. En particulier, les exigences de la directive, tenant à ce que l'entité administrative appelée à rendre l'avis environnemental sur le projet dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, ne peuvent être regardées comme satisfaites lorsque le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la DREAL et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, à moins que l'avis n'ait été préparé, au sein de cette direction, par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'avis de l'autorité environnementale, qui a été émis par le préfet de la région Champagne-Ardenne sur la décision attaquée prise par le préfet du département de la Haute-Marne à une date antérieure à l'entrée en vigueur du décret du 28 avril 2016 mentionné au point 2, avait été préparé par le pôle environnement durable-évaluation environnementale relevant de la mission connaissance et développement durable spécifiquement chargé de l'instruction des avis de l'autorité environnementale, mais relevant, comme le service ayant procédé à l'instruction de la demande d'autorisation, de l'autorité du directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Dans ces conditions, la cour administrative d'appel de Nancy n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que l'avis de l'autorité environnementale avait, en l'espèce, été rendu en méconnaissance des exigences de la directive du 13 décembre 2011.
Sur la mise en oeuvre de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :
7. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II. En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées ".
8. La faculté ouverte par les dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement relève de l'exercice d'un pouvoir propre du juge, qui n'est pas subordonné à la présentation de conclusions en ce sens. Lorsqu'il n'est pas saisi de telles conclusions, le juge du fond peut toujours mettre en oeuvre cette faculté, mais il n'y est pas tenu, son choix relevant d'une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation. En revanche, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, le juge est tenu de mettre en oeuvre les pouvoirs qu'il tient du 2° du I de l'article L. 181-18-du code de l'environnement si les vices qu'il retient apparaissent, au vu de l'instruction, régularisables.
9. Pour juger qu'il n'y avait pas lieu de faire droit aux conclusions dont elle était saisie et tendant à ce qu'elle mette en oeuvre le pouvoir que les dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 lui confèrent, la cour administrative d'appel a retenu que le vice tenant à l'irrégularité affectant l'avis de l'autorité environnementale n'était pas régularisable dès lors que cet avis, très positif sur le projet en cause, avait été rendu en amont de la procédure d'instruction de la demande d'autorisation, et en particulier avant le début de l'enquête publique, de sorte que la régularisation du vice entachant la procédure d'instruction de la demande d'autorisation impliquerait de reprendre cette procédure à son début et, à tout le moins, de réaliser une nouvelle enquête publique. En statuant ainsi, alors que, dans l'hypothèse d'une régularisation de l'avis de l'autorité environnementale, il lui était loisible de préciser que, dans le cas où cet avis recueilli à titre de régularisation aurait différé substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique dont le projet avait fait l'objet, une enquête publique complémentaire devrait être organisée à titre de régularisation selon les modalités prévues par les articles L. 123-14 et R. 123-23 du code de l'environnement, dans le cadre de laquelle seraient soumis au public, outre l'avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d'éventuels vices révélés par le nouvel avis et que, dans le cas où aucune modification substantielle n'aurait été apportée à l'avis, l'information du public sur le nouvel avis de l'autorité environnementale recueilli à titre de régularisation pourrait prendre la forme d'une simple publication sur internet dans les conditions prévues à l'article R. 122-7 du code de l'environnement, sans qu'il soit nécessaire qu'une enquête publique complémentaire soit réalisée, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 19 novembre 2020 doit être annulé.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la société Haut-Vannier qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Van d'Osier une somme au même titre à verser à la société Haut-Vannier.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 19 novembre 2020 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Haut-Vannier, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à l'association Van d'Osier.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 janvier 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 25 janvier 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain