Conseil d'État
N° 467931
ECLI:FR:CEORD:2022:467931.20221024
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP DE NERVO, POUPET, avocats
Lecture du lundi 24 octobre 2022
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 30 septembre, 13, 19 et 21 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association du lotissement du domaine d'Avoriaz (ALDA) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision n° 2022-1486-RDPI du 19 juillet 2022 par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) l'a mise en demeure de se conformer à ses obligations relatives à l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et de rendre compte de l'exécution de cette décision ;
2°) de mettre à la charge de l'ARCEP la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, d'une part, que l'exécution de la décision attaquée implique soit une refonte globale de son réseau dont le coût est très supérieur à son budget annuel, soit une adaptation dont le coût avoisinerait celui de ce budget, d'autre part, que les travaux devraient être engagés immédiatement, sans pouvoir être achevés avant 18 mois, et, enfin, qu'aucun intérêt public ne s'attache à l'exécution de cette décision et, enfin, qu'on ne saurait lui reprocher un manque de diligence ;
- l'ARCEP a entaché sa décision d'inexactitude matérielle des faits et d'une inexacte qualification juridique des faits en estimant que son réseau était de type " Fiber to the Home " (A...) et relevait ainsi des dispositions de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, alors qu'elle ne maîtrise que la partie horizontale et non l'intégralité de la boucle desservant l'utilisateur final, et n'est pas un opérateur d'immeuble au sens de la réglementation applicable à de tels réseaux ;
- la décision contestée a été prise en méconnaissance des dispositions combinées des articles L. 32-1 et L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques en ce qu'elle n'a pas pris en considération les particularités de la station d'Avoriaz et de son réseau et a mis à sa charge des obligations non raisonnables et disproportionnées, dès lors notamment qu'elle conduira à la superposition du réseau existant, du nouveau réseau à réaliser et de celui que le syndicat des énergies et de l'aménagement numérique de la Haute-Savoie (SYANE) est en train de déployer ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que l'ARCEP, en la mettant en demeure de respecter l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès à son réseau et de publication d'une offre d'accès, a pris une décision automatique qui ne tient aucun compte des circonstances particulières qui lui étaient soumises.
Par un mémoire en défense et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 10, 19 et 21 octobre 2022, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
La requête a été communiquée aux sociétés Net and You et Real Project Partner, qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des postes et des communications électroniques ;
- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
- la loi n° 66-457 du 2 juillet 1966 ;
- l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association du lotissement du domaine d'Avoriaz et, d'autre part, l'ARCEP et les sociétés Net and You et Real Project Partner ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 14 octobre 2022, à 10 heures :
- Me Poupet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de l'Association du lotissement du domaine d'Avoriaz, ainsi que les représentants de l'Association du lotissement du domaine d'Avoriaz ;
- les représentants de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 19 octobre 2022 à 17 heures, puis au 21 octobre 2022 à 16 heures ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur le cadre juridique du litige :
2. En premier lieu, il résulte de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques qu'il appartient à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) de prendre, dans son domaine de compétence et dans des conditions objectives et transparentes, des mesures qui doivent être " raisonnables et proportionnées " en vue d'atteindre une série d'objectifs dont, aux 3° et 4° du II, " le développement de l'investissement, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques " et " l'aménagement et l'intérêt des territoires et la diversité de la concurrence dans les territoires ", et, aux 1° et 2° du III, " l'exercice, au bénéfice des utilisateurs, d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques " et " la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ".
3. En deuxième lieu, le I de l'article L. 34-8 du même code prévoit que " l'accès ", défini par le 8° de l'article L. 32 de ce code comme " toute mise à disposition de moyens, matériels ou logiciels, ou de services, en vue de permettre au bénéficiaire de fournir des services de communications électroniques ", fait l'objet d'une convention de droit privé entre les parties concernées, qui en détermine les conditions techniques et financières. L'ARCEP peut, pour réaliser les objectifs qui lui sont assignés par l'article L. 32-1 du même code, imposer, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l'accès à des conditions équitables, de sa propre initiative ou à la demande d'une des parties.
4. En troisième lieu, en vertu du I de l'article L. 34-8-3 du même code, propre à l'accès aux réseaux à très haut débit en fibre optique dits " A... ", pour " fiber to the home " (fibre jusqu'à l'abonné), ou boucle locale optique mutualisée : " Toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final fait droit aux demandes raisonnables d'accès à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d'opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final. / L'accès est fourni dans des conditions transparentes et non discriminatoires en un point déterminé par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, situé, sauf dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, hors des limites de propriété privée et permettant le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables. Dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, l'accès peut consister en la mise à disposition d'installations et d'éléments de réseau spécifiques demandés par un opérateur antérieurement à l'équipement de l'immeuble en lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, moyennant la prise en charge d'une part équitable des coûts par cet opérateur. Tout refus d'accès est motivé ". L'article L. 33-6 du même code prévoit que les conditions d'installation, de gestion, d'entretien et de remplacement par un opérateur des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un ou plusieurs utilisateurs finals, dans les parties communes bâties et non bâties d'un immeuble régi par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ou dans les voies, équipements ou espaces communs des lotissements régis par l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires, font l'objet d'une convention entre cet opérateur et le syndicat de copropriétaires ou l'association syndicale de propriétaires, et que ces opérations sont en principe réalisées aux frais de l'opérateur.
5. Par une décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009, l'ARCEP a précisé les règles applicables aux réseaux entrant dans le champ d'application des dispositions mentionnées au point 4 et aux opérateurs qui en sont responsables. Cette décision prévoit que l'opérateur d'immeuble, défini comme " toute personne chargée de l'établissement ou de la gestion d'une ou plusieurs lignes dans un immeuble bâti, notamment dans le cadre d'une convention d'installation, d'entretien, de remplacement ou de gestion des lignes signée avec le propriétaire ou le syndicat de copropriétaires, en application de l'article L. 33-6 du code des postes et des communications électroniques ", offre aux autres opérateurs l'accès aux lignes au niveau d'un point de mutualisation afin de permettre à ces derniers, dès lors qu'ils y raccordent leurs propres équipements, de proposer aux utilisateurs finals des services de communications électroniques. Ces règles ont été précisées, s'agissant des zones dites moins denses, qui correspondent aux secteurs autres que les zones très denses énumérées à l'annexe I de la même décision, par une décision de l'ARCEP n° 2010-1312 du 14 décembre 2010. Cette décision prévoit, à son article 6, que l'opérateur d'immeuble - ou opérateur d'infrastructure, offre aux opérateurs tiers l'accès aux lignes de communications électroniques, dans les formes précisées à l'article 8, au niveau du point de mutualisation, sous forme passive et dans des conditions raisonnables, objectives, transparentes et non discriminatoires, et, à l'article 3, que le point de mutualisation, qui doit se trouver en-dehors des limites de propriété privée des immeubles, doit être dimensionné et localisé de telle sorte qu'il permet de desservir une zone, dite zone arrière, regroupant au moins 300 locaux, professionnels ou d'habitation, existants, ou 1000 locaux, selon que l'opérateur d'immeuble propose ou non une offre de raccordement distant respectant des conditions tarifaires fixées par cette décision. Selon l'article 10 de cette décision, l'opérateur d'immeuble est tenu, antérieurement à l'installation du point de mutualisation, de publier différentes offres de cofinancement et de location, précisant les conditions d'accès aux lignes par les autres opérateurs.
6. Enfin, il résulte du I de l'article L. 36-11 du même code que l'ARCEP peut, d'office ou à la demande d'une personne morale concernée, sanctionner les manquements, commis par des exploitants de réseau et des fournisseurs de services de communications électroniques, aux dispositions législatives et réglementaires au respect desquelles elle a pour mission de veiller et aux textes et décisions pris en application de celles-ci. La personne mise en cause doit préalablement être mise en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai fixé par l'ARCEP. En vertu des II et III du même article, lorsque la personne ne se conforme pas à cette mise en demeure dans le délai prescrit, l'ARCEP peut engager, à son encontre, des poursuites susceptibles de donner lieu, à l'issue d'une procédure contradictoire, à une sanction prononcée par la formation restreinte de l'Autorité, incluant des sanctions pécuniaires, la suspension totale ou partielle, pour un mois au plus, du droit d'établir un réseau de communications électroniques ou de fournir un service de communications électroniques, ou le retrait de ce droit, dans la limite de trois ans.
7. L'association syndicale libre " Association du lotissement du domaine d'Avoriaz " (ALDA), dont sont membres les propriétaires des lots compris dans ce lotissement situé dans la commune de Morzine, a déployé, à partir de l'année 2015, des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique ayant vocation à permettre la desserte des occupants de près de 5000 locaux situés dans le périmètre du lotissement, en lieu et place du réseau coaxial qu'elle avait installé à la fin des années 1960. Il résulte de l'instruction que cette infrastructure, située en zone moins dense au sens des décisions mentionnées au point 5, est composée de trois segments interconnectés formant une boucle locale optique : en premier lieu, une partie " horizontale ", dont l'ALDA est maître d'ouvrage et dont la supervision et la maintenance ont été confiées au groupement d'intérêt économique SUMNET, reliant la tête de réseau, qui héberge les équipement actifs de l'association, aux points de raccordement technique (PRT), également appelés " boîtiers de pied d'immeuble ", situés en général au sous-sol de chaque immeuble collectif desservi ; en deuxième lieu, pour les immeubles collectifs, une partie " verticale ", également dénommée " colonne montante ", dont le syndicat des copropriétaires de l'immeuble collectif concerné est maître d'ouvrage, qui permet, depuis le PRT, de desservir chaque étage de l'immeuble par un câble abritant une fibre par local à desservir et l'installation, sur chaque palier, d'un boîtier appelé point de branchement optique (PBO) ; et, en troisième et dernier lieu, une partie " terminale ", assurant le raccordement final de l'utilisateur, dont la réalisation est financée par chaque copropriétaire ou résident et réalisée sous sa responsabilité, permettant de relier le PBO situé à son étage à la prise terminale optique - ou dispositif de terminaison intérieure optique - se trouvant dans son local et auquel son modem est connecté.
8. Les sociétés Net and You et Real Project Partner, qui souhaitent conjointement proposer des offres internet à très haut débit aux résidents du lotissement, ont demandé en vain à l'ALDA de leur donner accès à son réseau sur le fondement des dispositions de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques et des décisions mentionnées au point 5. Saisie par ces deux sociétés sur le fondement de l'article L. 36-11 du même code, l'ARCEP, estimant que le réseau déployé par l'ALDA desservait des utilisateurs finals et relevait du champ d'application des dispositions de cet article L. 34-8-3, mais qu'il n'était pas conforme aux prescriptions des décisions mentionnées au point 5, a, par une décision n° 2022-1486-RDPI du 19 juillet 2022 rendue publique, mis en demeure cette association de respecter, au plus tard le 19 juillet 2023, l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès à ce réseau " A... " et de publier une offre d'accès conformément à ces dispositions et aux articles 6, 8 et 10 de sa décision n° 2010-1312. L'article 2 de la décision attaquée fait obligation à l'ALDA de justifier auprès de la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction de l'ARCEP, au plus tard le 19 septembre 2023, du respect de l'échéance du 19 juillet 2023. L'ALDA, qui a sollicité l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, demande au juge des référés du Conseil d'Etat la suspension de son exécution, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.
Sur l'urgence
9. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension de l'exécution d'un acte administratif, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, lorsque cette exécution porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications apportées par le requérant, si les effets de l'acte en litige sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
10. L'ALDA soutient que l'exécution de la mise en demeure qu'elle conteste impliquerait pour elle de procéder soit à la réalisation d'un nouveau réseau à très haut débit en fibre optique pour un coût total d'environ 1,8 million d'euros, alors que son budget annuel s'élève à environ 1,2 million d'euros, soit à l'adaptation de son réseau à un coût équivalent à ce budget, et nécessiterait d'engager au plus vite les travaux nécessaires, dont elle estime la durée à au moins 18 mois, alors que l'ARCEP ne lui a accordé qu'un délai de 12 mois.
11. D'une part, il résulte de l'instruction que le réseau déployé par l'ALDA, dont celle-ci considère qu'il ne relève pas du champ d'application de l'article L. 34-8-3 mentionné au point 4, n'a pas été conçu selon l'architecture propre aux boucles locales optiques mutualisées, conformément aux prescriptions de la décision n° 2010-1312 mentionnée au point 5, en l'absence notamment de points de mutualisation situés en-dehors des limites de propriété privée et desservant une zone arrière d'une taille conforme à cette décision, et de liens de transport permettant de les raccorder entre eux. Selon l'étude du cabinet de conseil Tactis missionné par l'association postérieurement à la mise en demeure litigieuse, si la partie verticale du réseau pourrait être réutilisée moyennant certaines adaptations, la partie horizontale nécessiterait quant à elle des modifications présentant une certaine complexité touchant à la nécessité d'installer dans un emplacement approprié un noeud de raccordement optique et à la nécessité de regrouper des câbles, actuellement de petite capacité, vers les points de mutualisation à définir. Il ressort en outre de la même étude, et n'est pas sérieusement contesté par l'ARCEP, que l'adaptation du réseau existant impliquerait très probablement de longues coupures de service pour les utilisateurs finals, à la différence de la construction, plus coûteuse, d'un nouveau réseau. En dépit de certaines insuffisances méthodologiques et imprécisions de cette étude relevées à juste titre par l'ARCEP, laquelle n'apporte toutefois aucun élément d'appréciation en sens contraire, il existe, au vu de l'instruction, un risque réel que l'exécution de la mise en demeure litigieuse implique soit la réalisation d'un nouveau réseau, soit une adaptation lourde de ce dernier, dont le coût pourrait selon le cas excéder ou avoisiner le budget annuel de l'association, alors que celle-ci, qui a pour objet de créer et de gérer l'ensemble des voies non communales, ouvrages et équipements communs du lotissement, vient de réaliser d'importants investissements pour le déploiement du réseau à très haut débit existant. Il n'est, en outre, pas sérieusement contesté par l'ARCEP que l'échéance impartie à l'ALDA par la mise en demeure attaquée implique que celle-ci engage au plus vite les études, consultations et travaux nécessaires. Dans ces conditions, l'exécution de la mise en demeure est susceptible d'affecter gravement et à brève échéance la situation financière de l'association. L'absence d'exécution de la mise en demeure dans le délai imparti expose quant à elle l'ALDA aux sanctions mentionnées au point 6.
12. D'autre part, il ne peut être reproché à l'ALDA, qui soutenait à titre principal, lors de la procédure contradictoire préalable devant l'ARCEP, qu'elle ne relevait pas du champ d'application des dispositions de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, de ne pas avoir fait procéder à une étude de faisabilité de la mise en conformité de son réseau avec ces prescriptions avant l'édiction de la mise en demeure litigieuse, ni d'avoir attendu de disposer des résultats de l'étude commandée au cabinet Tactis à la suite de cette mise en demeure et au cours de la période estivale pour introduire la présente demande de suspension. En outre, si l'ALDA a indiqué, en mai 2018, dans une contribution à une consultation publique organisée par l'ARCEP sur un projet de recommandation relative à la cohérence des déploiements en fibre optique jusqu'à l'abonné, qu'elle était disposée à consentir à tout autre opérateur l'accès à son réseau au titre des dispositions de cet article L. 34-8-3, elle demandait simultanément qu'il soit tenu compte de la configuration particulière de celui-ci afin d'y adapter les règles applicables en zones moins denses. En tout état de cause, il ne peut être considéré qu'elle se serait délibérément placée dans une situation illégitime en déployant un réseau non conforme aux décisions mentionnées au point 5, alors qu'elle a fait valoir auprès de l'ARCEP, dès le mois d'octobre 2019, qu'elle estimait finalement ne pas relever de ces dispositions telles qu'interprétées et précisées par cette autorité et que cette dernière, qui peut agir d'office sur le fondement de l'article L. 36-11 du même code, ne l'a mise en demeure de se conformer à ces obligations que le 19 juillet 2022.
13. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas soutenu en défense, que la suspension de l'exécution de la mise en demeure attaquée porterait gravement atteinte à un intérêt public, en particulier au regard des besoins exprimés par les résidents du lotissement ou de la nécessité de permettre à des opérateurs tiers de commercialiser des services de communications électroniques auprès de ces derniers.
14. Il résulte de tout ce qui précède que, au vu de l'instruction, la condition d'urgence exigée par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme satisfaite.
Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux
15. En premier lieu, l'ALDA soutient que l'ARCEP s'est fondée sur des faits matériellement inexacts et a inexactement qualifié les faits de l'espèce en estimant qu'elle avait déployé des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique desservant les utilisateurs finals et relevant ainsi du champ d'application des dispositions de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, obligeant en conséquence l'ALDA à le mettre en conformité avec les prescriptions des décisions mentionnées au point 5, alors que l'association n'est propriétaire et responsable que de la partie horizontale de la boucle, jusqu'aux boîtiers de pied d'immeuble inclus, et que le raccordement final des locaux des utilisateurs finals suppose, dans chaque immeuble en copropriété, que le syndicat des copropriétaires décide de faire réaliser la partie verticale.
16. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que cette association a initié et supervisé à partir de 2015 le déploiement de l'intégralité de la boucle locale en cause, incluant la partie verticale dont la réalisation est confiée aux copropriétés membres de l'association et qui est utilisée par cette dernière afin de fournir des services de communications électroniques aux résidents. Elle assure à ce titre la réception des travaux réalisés par le maître d'oeuvre choisi par la copropriété avant connexion à la partie horizontale au niveau des points de raccordement technique situés en pied d'immeuble qui sont sa propriété, afin, comme elle l'a indiqué dans le cadre de la procédure contradictoire devant l'ARCEP, de garantir la performance des services qu'elle délivre en qualité d'opérateur de communications électroniques déclaré auprès de cette autorité en vertu des dispositions de l'article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques. D'autre part, la desserte des utilisateurs finals des immeubles non collectifs est directement assurée par cette partie horizontale dont l'ALDA a la maîtrise d'ouvrage, sous réserve du raccordement final qui incombe à ces derniers. Enfin, cette boucle n'est pas réservée à l'usage d'une ou plusieurs personnes constituant un groupe fermé d'utilisateurs, en vue d'échanger des communications internes au sein de ce groupe, et ne peut donc être regardée comme un réseau indépendant au sens du 5° de l'article L. 32 du même code. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'ARCEP a entaché sa décision d'inexactitude matérielle des faits de l'espèce et les a inexactement qualifiés en regardant l'ALDA comme un opérateur d'immeuble, et en estimant que les lignes de communications électroniques qu'elle a déployées entrent dans le champ d'application de l'article L. 34-8-3 de ce code, n'est pas, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
17. En deuxième lieu, la décision attaquée procède à une analyse circonstanciée des faits de l'espèce qu'elle expose longuement, pour en conclure que, " au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 " du code des postes et des communications électroniques, qu'elle cite, " l'Autorité estime qu'il est justifié et proportionné de mettre en demeure l'ALDA de se conformer aux obligations " résultant des dispositions mentionnées aux points 4 et 5. Par suite, le moyen tiré de ce que l'ARCEP aurait pris une décision " automatique ", sans tenir compte des circonstances particulières de l'espèce, et aurait ainsi entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, n'est pas propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
18. En troisième et dernier lieu, en revanche, il résulte de l'instruction qu'un réseau public à très haut débit jusqu'à l'abonné est en cours de déploiement dans le domaine d'Avoriaz, à l'initiative du syndicat des énergies et de l'aménagement numérique de Haute-Savoie (SYANE), avec une mise en service prévue en 2023, soit à une échéance proche de - voire plus rapprochée que - la fin des travaux qui s'avèreraient nécessaires, le cas échéant, pour exécuter la mise en demeure litigieuse. Les opérateurs commerciaux intéressés pourront avoir accès à cette boucle locale optique mutualisée sur le fondement de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques afin de commercialiser leurs propres offres auprès des résidents du lotissement. S'il est vrai que la desserte effective de ces résidents par ce réseau resterait subordonnée à l'accord des syndicats de copropriétaires pour la réalisation, par le SYANE, des travaux nécessaires dans leur immeuble et si, selon l'ARCEP, la préexistence du réseau déployé par l'ALDA pourrait constituer un motif sérieux et légitime de refus au sens du II de l'article 1er de la loi du 2 juillet 1966 relative à l'installation d'antennes réceptrices de radiodiffusion, ce qui aurait pour effet de perpétuer l'exclusivité dont bénéficie cette association pour fournir des services de communications électroniques aux résidents concernés, un tel refus, à le supposer légal au regard des conditions posées par ces dispositions malgré les différences dans la nature et la qualité des services proposés, résulterait du choix des syndicats de copropriétaires, dont font partie les utilisateurs finals, de ne pas bénéficier de ce service, alors même que de tels travaux d'installation sont gratuits. Au surplus, une telle circonstance, hypothétique à la date de la décision attaquée, serait susceptible, si elle se réalisait à l'avenir, d'être prise en compte par l'ARCEP pour apprécier la nécessité d'une intervention de sa part.
19. D'autre part, l'association requérante soutient, sans être sérieusement contredite sur ce point, que les locaux desservis constituent, pour environ 90 % d'entre eux, des résidences secondaires dont les occupants sont moins enclins à souscrire des abonnements à l'année auprès d'opérateurs commerciaux, à des prix s'élevant à quelques dizaines d'euros par mois, alors que, une fois le raccordement final réalisé - ce qui est déjà le cas pour environ 70 % des locaux relevant du lotissement - et le modem acquis par l'utilisateur - ce qui est le cas de près de 50 % des locaux, l'usager peut accéder aux services de communications électroniques à très haut débit proposés par l'ALDA sans abonnement payant, le coût de fonctionnement du service étant couvert par la cotisation annuelle acquittée par les membres de l'association au titre des charges générales, indépendamment de l'utilisation du service, pour un montant de moins d'un euro par an et par mètre carré.
20. Enfin, il est constant que la société Net and You, agissant conjointement avec la société Real Project Partner, est le seul opérateur commercial ayant, à ce jour, manifesté un intérêt pour la fourniture de services de communications électroniques aux résidents du lotissement du domaine d'Avoriaz. Elle offre d'ailleurs d'ores et déjà ces prestations aux résidents de plusieurs copropriétés qui en ont exprimé le souhait, en utilisant les fibres optiques disponibles de la partie horizontale du réseau auxquelles l'ALDA lui donne matériellement accès. Cette association lui a à cet égard proposé de conclure des conventions d'accès sur le fondement des dispositions de l'article L. 34-8 du code de postes et des communications électroniques rappelées au point 3, sans qu'il soit établi en l'espèce que les conditions ainsi offertes, qui doivent être équitables, sous le contrôle de l'ARCEP, seraient sensiblement moins avantageuses qu'un accès par des points de mutualisation situés en-dehors des propriétés privées, comme le prévoit, en zone moins dense, la décision de l'ARCEP n° 2010-1312.
21. Dans ces circonstances particulières, mises en regard du coût des travaux qui s'avéreraient nécessaires, le cas échéant, pour exécuter la mise en demeure, le moyen tiré de ce qu'en imposant à l'ALDA de se conformer aux obligations résultant de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques et des décisions prises pour son application, en particulier à l'obligation de réaliser des points de mutualisation en-dehors de l'emprise des propriétés privées desservies, l'ARCEP a pris une décision qui n'est pas raisonnable et proportionnée au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, en particulier l'exercice d'une concurrence effective et loyale entre opérateurs " au bénéfice des utilisateurs ", est propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
22. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de la mise en demeure de l'ARCEP. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de la décision n° 2022-1486-RDPI du 19 juillet 2022 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse est suspendue.
Article 2 : L'Etat versera à l'Association du lotissement du domaine d'Avoriaz une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association du lotissement du domaine d'Avoriaz et à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
Copie en sera adressée aux sociétés Net et You et Real Project Partner.
Fait à Paris, le 24 octobre 2022
Signé : Alexandre Lallet
N° 467931
ECLI:FR:CEORD:2022:467931.20221024
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP DE NERVO, POUPET, avocats
Lecture du lundi 24 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 30 septembre, 13, 19 et 21 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association du lotissement du domaine d'Avoriaz (ALDA) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision n° 2022-1486-RDPI du 19 juillet 2022 par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) l'a mise en demeure de se conformer à ses obligations relatives à l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et de rendre compte de l'exécution de cette décision ;
2°) de mettre à la charge de l'ARCEP la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, d'une part, que l'exécution de la décision attaquée implique soit une refonte globale de son réseau dont le coût est très supérieur à son budget annuel, soit une adaptation dont le coût avoisinerait celui de ce budget, d'autre part, que les travaux devraient être engagés immédiatement, sans pouvoir être achevés avant 18 mois, et, enfin, qu'aucun intérêt public ne s'attache à l'exécution de cette décision et, enfin, qu'on ne saurait lui reprocher un manque de diligence ;
- l'ARCEP a entaché sa décision d'inexactitude matérielle des faits et d'une inexacte qualification juridique des faits en estimant que son réseau était de type " Fiber to the Home " (A...) et relevait ainsi des dispositions de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, alors qu'elle ne maîtrise que la partie horizontale et non l'intégralité de la boucle desservant l'utilisateur final, et n'est pas un opérateur d'immeuble au sens de la réglementation applicable à de tels réseaux ;
- la décision contestée a été prise en méconnaissance des dispositions combinées des articles L. 32-1 et L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques en ce qu'elle n'a pas pris en considération les particularités de la station d'Avoriaz et de son réseau et a mis à sa charge des obligations non raisonnables et disproportionnées, dès lors notamment qu'elle conduira à la superposition du réseau existant, du nouveau réseau à réaliser et de celui que le syndicat des énergies et de l'aménagement numérique de la Haute-Savoie (SYANE) est en train de déployer ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que l'ARCEP, en la mettant en demeure de respecter l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès à son réseau et de publication d'une offre d'accès, a pris une décision automatique qui ne tient aucun compte des circonstances particulières qui lui étaient soumises.
Par un mémoire en défense et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 10, 19 et 21 octobre 2022, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
La requête a été communiquée aux sociétés Net and You et Real Project Partner, qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des postes et des communications électroniques ;
- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
- la loi n° 66-457 du 2 juillet 1966 ;
- l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association du lotissement du domaine d'Avoriaz et, d'autre part, l'ARCEP et les sociétés Net and You et Real Project Partner ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 14 octobre 2022, à 10 heures :
- Me Poupet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de l'Association du lotissement du domaine d'Avoriaz, ainsi que les représentants de l'Association du lotissement du domaine d'Avoriaz ;
- les représentants de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 19 octobre 2022 à 17 heures, puis au 21 octobre 2022 à 16 heures ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur le cadre juridique du litige :
2. En premier lieu, il résulte de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques qu'il appartient à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) de prendre, dans son domaine de compétence et dans des conditions objectives et transparentes, des mesures qui doivent être " raisonnables et proportionnées " en vue d'atteindre une série d'objectifs dont, aux 3° et 4° du II, " le développement de l'investissement, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques " et " l'aménagement et l'intérêt des territoires et la diversité de la concurrence dans les territoires ", et, aux 1° et 2° du III, " l'exercice, au bénéfice des utilisateurs, d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques " et " la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ".
3. En deuxième lieu, le I de l'article L. 34-8 du même code prévoit que " l'accès ", défini par le 8° de l'article L. 32 de ce code comme " toute mise à disposition de moyens, matériels ou logiciels, ou de services, en vue de permettre au bénéficiaire de fournir des services de communications électroniques ", fait l'objet d'une convention de droit privé entre les parties concernées, qui en détermine les conditions techniques et financières. L'ARCEP peut, pour réaliser les objectifs qui lui sont assignés par l'article L. 32-1 du même code, imposer, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l'accès à des conditions équitables, de sa propre initiative ou à la demande d'une des parties.
4. En troisième lieu, en vertu du I de l'article L. 34-8-3 du même code, propre à l'accès aux réseaux à très haut débit en fibre optique dits " A... ", pour " fiber to the home " (fibre jusqu'à l'abonné), ou boucle locale optique mutualisée : " Toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final fait droit aux demandes raisonnables d'accès à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d'opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final. / L'accès est fourni dans des conditions transparentes et non discriminatoires en un point déterminé par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, situé, sauf dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, hors des limites de propriété privée et permettant le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables. Dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, l'accès peut consister en la mise à disposition d'installations et d'éléments de réseau spécifiques demandés par un opérateur antérieurement à l'équipement de l'immeuble en lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, moyennant la prise en charge d'une part équitable des coûts par cet opérateur. Tout refus d'accès est motivé ". L'article L. 33-6 du même code prévoit que les conditions d'installation, de gestion, d'entretien et de remplacement par un opérateur des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un ou plusieurs utilisateurs finals, dans les parties communes bâties et non bâties d'un immeuble régi par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ou dans les voies, équipements ou espaces communs des lotissements régis par l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires, font l'objet d'une convention entre cet opérateur et le syndicat de copropriétaires ou l'association syndicale de propriétaires, et que ces opérations sont en principe réalisées aux frais de l'opérateur.
5. Par une décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009, l'ARCEP a précisé les règles applicables aux réseaux entrant dans le champ d'application des dispositions mentionnées au point 4 et aux opérateurs qui en sont responsables. Cette décision prévoit que l'opérateur d'immeuble, défini comme " toute personne chargée de l'établissement ou de la gestion d'une ou plusieurs lignes dans un immeuble bâti, notamment dans le cadre d'une convention d'installation, d'entretien, de remplacement ou de gestion des lignes signée avec le propriétaire ou le syndicat de copropriétaires, en application de l'article L. 33-6 du code des postes et des communications électroniques ", offre aux autres opérateurs l'accès aux lignes au niveau d'un point de mutualisation afin de permettre à ces derniers, dès lors qu'ils y raccordent leurs propres équipements, de proposer aux utilisateurs finals des services de communications électroniques. Ces règles ont été précisées, s'agissant des zones dites moins denses, qui correspondent aux secteurs autres que les zones très denses énumérées à l'annexe I de la même décision, par une décision de l'ARCEP n° 2010-1312 du 14 décembre 2010. Cette décision prévoit, à son article 6, que l'opérateur d'immeuble - ou opérateur d'infrastructure, offre aux opérateurs tiers l'accès aux lignes de communications électroniques, dans les formes précisées à l'article 8, au niveau du point de mutualisation, sous forme passive et dans des conditions raisonnables, objectives, transparentes et non discriminatoires, et, à l'article 3, que le point de mutualisation, qui doit se trouver en-dehors des limites de propriété privée des immeubles, doit être dimensionné et localisé de telle sorte qu'il permet de desservir une zone, dite zone arrière, regroupant au moins 300 locaux, professionnels ou d'habitation, existants, ou 1000 locaux, selon que l'opérateur d'immeuble propose ou non une offre de raccordement distant respectant des conditions tarifaires fixées par cette décision. Selon l'article 10 de cette décision, l'opérateur d'immeuble est tenu, antérieurement à l'installation du point de mutualisation, de publier différentes offres de cofinancement et de location, précisant les conditions d'accès aux lignes par les autres opérateurs.
6. Enfin, il résulte du I de l'article L. 36-11 du même code que l'ARCEP peut, d'office ou à la demande d'une personne morale concernée, sanctionner les manquements, commis par des exploitants de réseau et des fournisseurs de services de communications électroniques, aux dispositions législatives et réglementaires au respect desquelles elle a pour mission de veiller et aux textes et décisions pris en application de celles-ci. La personne mise en cause doit préalablement être mise en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai fixé par l'ARCEP. En vertu des II et III du même article, lorsque la personne ne se conforme pas à cette mise en demeure dans le délai prescrit, l'ARCEP peut engager, à son encontre, des poursuites susceptibles de donner lieu, à l'issue d'une procédure contradictoire, à une sanction prononcée par la formation restreinte de l'Autorité, incluant des sanctions pécuniaires, la suspension totale ou partielle, pour un mois au plus, du droit d'établir un réseau de communications électroniques ou de fournir un service de communications électroniques, ou le retrait de ce droit, dans la limite de trois ans.
7. L'association syndicale libre " Association du lotissement du domaine d'Avoriaz " (ALDA), dont sont membres les propriétaires des lots compris dans ce lotissement situé dans la commune de Morzine, a déployé, à partir de l'année 2015, des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique ayant vocation à permettre la desserte des occupants de près de 5000 locaux situés dans le périmètre du lotissement, en lieu et place du réseau coaxial qu'elle avait installé à la fin des années 1960. Il résulte de l'instruction que cette infrastructure, située en zone moins dense au sens des décisions mentionnées au point 5, est composée de trois segments interconnectés formant une boucle locale optique : en premier lieu, une partie " horizontale ", dont l'ALDA est maître d'ouvrage et dont la supervision et la maintenance ont été confiées au groupement d'intérêt économique SUMNET, reliant la tête de réseau, qui héberge les équipement actifs de l'association, aux points de raccordement technique (PRT), également appelés " boîtiers de pied d'immeuble ", situés en général au sous-sol de chaque immeuble collectif desservi ; en deuxième lieu, pour les immeubles collectifs, une partie " verticale ", également dénommée " colonne montante ", dont le syndicat des copropriétaires de l'immeuble collectif concerné est maître d'ouvrage, qui permet, depuis le PRT, de desservir chaque étage de l'immeuble par un câble abritant une fibre par local à desservir et l'installation, sur chaque palier, d'un boîtier appelé point de branchement optique (PBO) ; et, en troisième et dernier lieu, une partie " terminale ", assurant le raccordement final de l'utilisateur, dont la réalisation est financée par chaque copropriétaire ou résident et réalisée sous sa responsabilité, permettant de relier le PBO situé à son étage à la prise terminale optique - ou dispositif de terminaison intérieure optique - se trouvant dans son local et auquel son modem est connecté.
8. Les sociétés Net and You et Real Project Partner, qui souhaitent conjointement proposer des offres internet à très haut débit aux résidents du lotissement, ont demandé en vain à l'ALDA de leur donner accès à son réseau sur le fondement des dispositions de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques et des décisions mentionnées au point 5. Saisie par ces deux sociétés sur le fondement de l'article L. 36-11 du même code, l'ARCEP, estimant que le réseau déployé par l'ALDA desservait des utilisateurs finals et relevait du champ d'application des dispositions de cet article L. 34-8-3, mais qu'il n'était pas conforme aux prescriptions des décisions mentionnées au point 5, a, par une décision n° 2022-1486-RDPI du 19 juillet 2022 rendue publique, mis en demeure cette association de respecter, au plus tard le 19 juillet 2023, l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès à ce réseau " A... " et de publier une offre d'accès conformément à ces dispositions et aux articles 6, 8 et 10 de sa décision n° 2010-1312. L'article 2 de la décision attaquée fait obligation à l'ALDA de justifier auprès de la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction de l'ARCEP, au plus tard le 19 septembre 2023, du respect de l'échéance du 19 juillet 2023. L'ALDA, qui a sollicité l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, demande au juge des référés du Conseil d'Etat la suspension de son exécution, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.
Sur l'urgence
9. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension de l'exécution d'un acte administratif, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, lorsque cette exécution porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications apportées par le requérant, si les effets de l'acte en litige sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
10. L'ALDA soutient que l'exécution de la mise en demeure qu'elle conteste impliquerait pour elle de procéder soit à la réalisation d'un nouveau réseau à très haut débit en fibre optique pour un coût total d'environ 1,8 million d'euros, alors que son budget annuel s'élève à environ 1,2 million d'euros, soit à l'adaptation de son réseau à un coût équivalent à ce budget, et nécessiterait d'engager au plus vite les travaux nécessaires, dont elle estime la durée à au moins 18 mois, alors que l'ARCEP ne lui a accordé qu'un délai de 12 mois.
11. D'une part, il résulte de l'instruction que le réseau déployé par l'ALDA, dont celle-ci considère qu'il ne relève pas du champ d'application de l'article L. 34-8-3 mentionné au point 4, n'a pas été conçu selon l'architecture propre aux boucles locales optiques mutualisées, conformément aux prescriptions de la décision n° 2010-1312 mentionnée au point 5, en l'absence notamment de points de mutualisation situés en-dehors des limites de propriété privée et desservant une zone arrière d'une taille conforme à cette décision, et de liens de transport permettant de les raccorder entre eux. Selon l'étude du cabinet de conseil Tactis missionné par l'association postérieurement à la mise en demeure litigieuse, si la partie verticale du réseau pourrait être réutilisée moyennant certaines adaptations, la partie horizontale nécessiterait quant à elle des modifications présentant une certaine complexité touchant à la nécessité d'installer dans un emplacement approprié un noeud de raccordement optique et à la nécessité de regrouper des câbles, actuellement de petite capacité, vers les points de mutualisation à définir. Il ressort en outre de la même étude, et n'est pas sérieusement contesté par l'ARCEP, que l'adaptation du réseau existant impliquerait très probablement de longues coupures de service pour les utilisateurs finals, à la différence de la construction, plus coûteuse, d'un nouveau réseau. En dépit de certaines insuffisances méthodologiques et imprécisions de cette étude relevées à juste titre par l'ARCEP, laquelle n'apporte toutefois aucun élément d'appréciation en sens contraire, il existe, au vu de l'instruction, un risque réel que l'exécution de la mise en demeure litigieuse implique soit la réalisation d'un nouveau réseau, soit une adaptation lourde de ce dernier, dont le coût pourrait selon le cas excéder ou avoisiner le budget annuel de l'association, alors que celle-ci, qui a pour objet de créer et de gérer l'ensemble des voies non communales, ouvrages et équipements communs du lotissement, vient de réaliser d'importants investissements pour le déploiement du réseau à très haut débit existant. Il n'est, en outre, pas sérieusement contesté par l'ARCEP que l'échéance impartie à l'ALDA par la mise en demeure attaquée implique que celle-ci engage au plus vite les études, consultations et travaux nécessaires. Dans ces conditions, l'exécution de la mise en demeure est susceptible d'affecter gravement et à brève échéance la situation financière de l'association. L'absence d'exécution de la mise en demeure dans le délai imparti expose quant à elle l'ALDA aux sanctions mentionnées au point 6.
12. D'autre part, il ne peut être reproché à l'ALDA, qui soutenait à titre principal, lors de la procédure contradictoire préalable devant l'ARCEP, qu'elle ne relevait pas du champ d'application des dispositions de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, de ne pas avoir fait procéder à une étude de faisabilité de la mise en conformité de son réseau avec ces prescriptions avant l'édiction de la mise en demeure litigieuse, ni d'avoir attendu de disposer des résultats de l'étude commandée au cabinet Tactis à la suite de cette mise en demeure et au cours de la période estivale pour introduire la présente demande de suspension. En outre, si l'ALDA a indiqué, en mai 2018, dans une contribution à une consultation publique organisée par l'ARCEP sur un projet de recommandation relative à la cohérence des déploiements en fibre optique jusqu'à l'abonné, qu'elle était disposée à consentir à tout autre opérateur l'accès à son réseau au titre des dispositions de cet article L. 34-8-3, elle demandait simultanément qu'il soit tenu compte de la configuration particulière de celui-ci afin d'y adapter les règles applicables en zones moins denses. En tout état de cause, il ne peut être considéré qu'elle se serait délibérément placée dans une situation illégitime en déployant un réseau non conforme aux décisions mentionnées au point 5, alors qu'elle a fait valoir auprès de l'ARCEP, dès le mois d'octobre 2019, qu'elle estimait finalement ne pas relever de ces dispositions telles qu'interprétées et précisées par cette autorité et que cette dernière, qui peut agir d'office sur le fondement de l'article L. 36-11 du même code, ne l'a mise en demeure de se conformer à ces obligations que le 19 juillet 2022.
13. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas soutenu en défense, que la suspension de l'exécution de la mise en demeure attaquée porterait gravement atteinte à un intérêt public, en particulier au regard des besoins exprimés par les résidents du lotissement ou de la nécessité de permettre à des opérateurs tiers de commercialiser des services de communications électroniques auprès de ces derniers.
14. Il résulte de tout ce qui précède que, au vu de l'instruction, la condition d'urgence exigée par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme satisfaite.
Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux
15. En premier lieu, l'ALDA soutient que l'ARCEP s'est fondée sur des faits matériellement inexacts et a inexactement qualifié les faits de l'espèce en estimant qu'elle avait déployé des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique desservant les utilisateurs finals et relevant ainsi du champ d'application des dispositions de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, obligeant en conséquence l'ALDA à le mettre en conformité avec les prescriptions des décisions mentionnées au point 5, alors que l'association n'est propriétaire et responsable que de la partie horizontale de la boucle, jusqu'aux boîtiers de pied d'immeuble inclus, et que le raccordement final des locaux des utilisateurs finals suppose, dans chaque immeuble en copropriété, que le syndicat des copropriétaires décide de faire réaliser la partie verticale.
16. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que cette association a initié et supervisé à partir de 2015 le déploiement de l'intégralité de la boucle locale en cause, incluant la partie verticale dont la réalisation est confiée aux copropriétés membres de l'association et qui est utilisée par cette dernière afin de fournir des services de communications électroniques aux résidents. Elle assure à ce titre la réception des travaux réalisés par le maître d'oeuvre choisi par la copropriété avant connexion à la partie horizontale au niveau des points de raccordement technique situés en pied d'immeuble qui sont sa propriété, afin, comme elle l'a indiqué dans le cadre de la procédure contradictoire devant l'ARCEP, de garantir la performance des services qu'elle délivre en qualité d'opérateur de communications électroniques déclaré auprès de cette autorité en vertu des dispositions de l'article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques. D'autre part, la desserte des utilisateurs finals des immeubles non collectifs est directement assurée par cette partie horizontale dont l'ALDA a la maîtrise d'ouvrage, sous réserve du raccordement final qui incombe à ces derniers. Enfin, cette boucle n'est pas réservée à l'usage d'une ou plusieurs personnes constituant un groupe fermé d'utilisateurs, en vue d'échanger des communications internes au sein de ce groupe, et ne peut donc être regardée comme un réseau indépendant au sens du 5° de l'article L. 32 du même code. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'ARCEP a entaché sa décision d'inexactitude matérielle des faits de l'espèce et les a inexactement qualifiés en regardant l'ALDA comme un opérateur d'immeuble, et en estimant que les lignes de communications électroniques qu'elle a déployées entrent dans le champ d'application de l'article L. 34-8-3 de ce code, n'est pas, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
17. En deuxième lieu, la décision attaquée procède à une analyse circonstanciée des faits de l'espèce qu'elle expose longuement, pour en conclure que, " au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 " du code des postes et des communications électroniques, qu'elle cite, " l'Autorité estime qu'il est justifié et proportionné de mettre en demeure l'ALDA de se conformer aux obligations " résultant des dispositions mentionnées aux points 4 et 5. Par suite, le moyen tiré de ce que l'ARCEP aurait pris une décision " automatique ", sans tenir compte des circonstances particulières de l'espèce, et aurait ainsi entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, n'est pas propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
18. En troisième et dernier lieu, en revanche, il résulte de l'instruction qu'un réseau public à très haut débit jusqu'à l'abonné est en cours de déploiement dans le domaine d'Avoriaz, à l'initiative du syndicat des énergies et de l'aménagement numérique de Haute-Savoie (SYANE), avec une mise en service prévue en 2023, soit à une échéance proche de - voire plus rapprochée que - la fin des travaux qui s'avèreraient nécessaires, le cas échéant, pour exécuter la mise en demeure litigieuse. Les opérateurs commerciaux intéressés pourront avoir accès à cette boucle locale optique mutualisée sur le fondement de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques afin de commercialiser leurs propres offres auprès des résidents du lotissement. S'il est vrai que la desserte effective de ces résidents par ce réseau resterait subordonnée à l'accord des syndicats de copropriétaires pour la réalisation, par le SYANE, des travaux nécessaires dans leur immeuble et si, selon l'ARCEP, la préexistence du réseau déployé par l'ALDA pourrait constituer un motif sérieux et légitime de refus au sens du II de l'article 1er de la loi du 2 juillet 1966 relative à l'installation d'antennes réceptrices de radiodiffusion, ce qui aurait pour effet de perpétuer l'exclusivité dont bénéficie cette association pour fournir des services de communications électroniques aux résidents concernés, un tel refus, à le supposer légal au regard des conditions posées par ces dispositions malgré les différences dans la nature et la qualité des services proposés, résulterait du choix des syndicats de copropriétaires, dont font partie les utilisateurs finals, de ne pas bénéficier de ce service, alors même que de tels travaux d'installation sont gratuits. Au surplus, une telle circonstance, hypothétique à la date de la décision attaquée, serait susceptible, si elle se réalisait à l'avenir, d'être prise en compte par l'ARCEP pour apprécier la nécessité d'une intervention de sa part.
19. D'autre part, l'association requérante soutient, sans être sérieusement contredite sur ce point, que les locaux desservis constituent, pour environ 90 % d'entre eux, des résidences secondaires dont les occupants sont moins enclins à souscrire des abonnements à l'année auprès d'opérateurs commerciaux, à des prix s'élevant à quelques dizaines d'euros par mois, alors que, une fois le raccordement final réalisé - ce qui est déjà le cas pour environ 70 % des locaux relevant du lotissement - et le modem acquis par l'utilisateur - ce qui est le cas de près de 50 % des locaux, l'usager peut accéder aux services de communications électroniques à très haut débit proposés par l'ALDA sans abonnement payant, le coût de fonctionnement du service étant couvert par la cotisation annuelle acquittée par les membres de l'association au titre des charges générales, indépendamment de l'utilisation du service, pour un montant de moins d'un euro par an et par mètre carré.
20. Enfin, il est constant que la société Net and You, agissant conjointement avec la société Real Project Partner, est le seul opérateur commercial ayant, à ce jour, manifesté un intérêt pour la fourniture de services de communications électroniques aux résidents du lotissement du domaine d'Avoriaz. Elle offre d'ailleurs d'ores et déjà ces prestations aux résidents de plusieurs copropriétés qui en ont exprimé le souhait, en utilisant les fibres optiques disponibles de la partie horizontale du réseau auxquelles l'ALDA lui donne matériellement accès. Cette association lui a à cet égard proposé de conclure des conventions d'accès sur le fondement des dispositions de l'article L. 34-8 du code de postes et des communications électroniques rappelées au point 3, sans qu'il soit établi en l'espèce que les conditions ainsi offertes, qui doivent être équitables, sous le contrôle de l'ARCEP, seraient sensiblement moins avantageuses qu'un accès par des points de mutualisation situés en-dehors des propriétés privées, comme le prévoit, en zone moins dense, la décision de l'ARCEP n° 2010-1312.
21. Dans ces circonstances particulières, mises en regard du coût des travaux qui s'avéreraient nécessaires, le cas échéant, pour exécuter la mise en demeure, le moyen tiré de ce qu'en imposant à l'ALDA de se conformer aux obligations résultant de l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques et des décisions prises pour son application, en particulier à l'obligation de réaliser des points de mutualisation en-dehors de l'emprise des propriétés privées desservies, l'ARCEP a pris une décision qui n'est pas raisonnable et proportionnée au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, en particulier l'exercice d'une concurrence effective et loyale entre opérateurs " au bénéfice des utilisateurs ", est propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
22. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de la mise en demeure de l'ARCEP. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de la décision n° 2022-1486-RDPI du 19 juillet 2022 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse est suspendue.
Article 2 : L'Etat versera à l'Association du lotissement du domaine d'Avoriaz une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association du lotissement du domaine d'Avoriaz et à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
Copie en sera adressée aux sociétés Net et You et Real Project Partner.
Fait à Paris, le 24 octobre 2022
Signé : Alexandre Lallet