Conseil d'État
N° 452798
ECLI:FR:CESEC:2022:452798.20220603
Publié au recueil Lebon
Section
M. Bruno Delsol, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du vendredi 3 juin 2022
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 452798, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 mai 2021 et 26 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'intérieur et du ministre des outre-mer en date du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux titres de séjour dont la demande s'effectue au moyen d'un téléservice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 452806, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 20 mai 2021 et le 14 mars 2022, La Cimade, la Ligue des droits de l'homme, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, le Secours Catholique Caritas France, le Syndicat des avocats de France et l'UNEF demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'intérieur et du ministre des outre-mer en date du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux titres de séjour dont la demande s'effectue au moyen d'un téléservice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
3° Sous le n° 454716, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 juillet et 12 octobre 2021 et le 26 avril 2022, le Conseil national des barreaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 mai 2021 modifiant l'arrêté du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux titres de séjour dont la demande s'effectue au moyen d'un téléservice ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n° 2005-12 du 11 février 2005 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil national des barreaux et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de La Cimade et autres ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 mai 2022 sous le n° 452806, présentée par La Cimade et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour modifie notamment les dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la délivrance des titres de séjour. L'article R. 431-2 de ce code, dans sa rédaction issue de ce décret, prévoit ainsi que, pour les catégories de titres de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l'immigration, les demandes s'effectuent au moyen d'un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté. L'arrêté du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction initiale, rend ces dispositions applicables à compter du 1er mai 2021 aux demandes de cartes de séjour temporaires portant la mention " étudiant " ou " étudiant-programme de mobilité ", aux demandes de cartes de séjour pluriannuelles portant les mêmes mentions, et aux certificats de résidence algériens portant la mention " étudiant ". L'arrêté du 19 mai 2021 modifiant l'arrêté du 27 avril 2021 rend ces mêmes dispositions applicables, à compter, selon les cas, du 25 mai 2021 ou du 7 juin 2021, aux cartes de séjour portant la mention " passeport talent ", " passeport talent-carte bleue européenne ", " passeport talent-chercheur ", " passeport talent-chercheur programme mobilité " ou " passeport talent (famille) ".
2. La première requête du Conseil national des barreaux et la requête de La Cimade et autres sont dirigées contre le décret du 24 mars 2021 et contre l'arrêté du 27 avril 2021. La seconde requête du Conseil national des barreaux est dirigée contre l'arrêté du 19 mai 2021. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
Sur l'intérêt pour agir du Conseil national des barreaux et du Syndicat des avocats de France :
3. D'une part, le Conseil national des barreaux, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale régi par les dispositions de l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques, a principalement pour objet de représenter la profession d'avocat auprès des pouvoirs publics, d'unifier les règles et usages de la profession, de définir les principes d'organisation de la formation et d'en harmoniser les programmes. Les dispositions contestées, du seul fait qu'elles affecteraient la situation de certains clients des avocats et pourraient les conduire à recourir à leurs services, n'ont pas, sur les conditions d'exercice de la profession, des incidences suffisamment directes et certaines pour que le Conseil national des barreaux justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation.
4. D'autre part, le Syndicat des avocats de France, dont les statuts prévoient qu'il constitue un syndicat professionnel ayant pour objet la défense des intérêts matériels et moraux de la profession, et qui ne saurait utilement se prévaloir des termes généraux de ces mêmes statuts relatifs à la défense des droits et libertés, ne justifie pas davantage d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation des dispositions qu'il conteste.
5. Il résulte de ce qui précède que les deux requêtes du Conseil national des barreaux sont irrecevables et doivent, par suite, être rejetées, et que les conclusions de la requête n° 452806 sont irrecevables en tant qu'elles émanent du Syndicat des avocats de France.
Sur les conclusions de La Cimade et autres dirigées contre le décret du 24 mars 2021 et l'arrêté du 27 avril 2021 :
En ce qui concerne l'obligation d'accomplir des démarches administratives par la voie d'un téléservice :
6. En premier lieu, l'obligation d'avoir recours à un téléservice pour accomplir une démarche administrative auprès d'un service de l'Etat, et notamment pour demander la délivrance d'une autorisation, dès lors qu'elle n'a pas pour effet de modifier les conditions légales auxquelles est subordonnée sa délivrance, ne met pas en cause, par elle-même, les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, non plus qu'aucune autre règle ou aucun autre principe dont l'article 34 ou d'autres dispositions de la Constitution prévoient qu'ils relèvent du domaine de la loi.
7. En deuxième lieu, l'article L. 112-8 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Toute personne, dès lors qu'elle s'est identifiée préalablement auprès d'une administration, peut, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat, adresser à celle-ci, par voie électronique, une demande, une déclaration, un document ou une information, ou lui répondre par la même voie. Cette administration est régulièrement saisie et traite la demande, la déclaration, le document ou l'information sans lui demander la confirmation ou la répétition de son envoi sous une autre forme ". L'article L. 112-9 du même code précise que : " (...) Lorsqu'elle met en place un ou plusieurs téléservices, l'administration rend accessibles leurs modalités d'utilisation, notamment les modes de communication possibles. Ces modalités s'imposent au public. / Lorsqu'elle a mis en place un téléservice réservé à l'accomplissement de certaines démarches administratives, une administration n'est régulièrement saisie par voie électronique que par l'usage de ce téléservice. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article L. 112-10 du même code : " L'application des articles L. 112-8 et L. 112-9 à certaines démarches administratives peut être écartée, par décret en Conseil d'Etat, pour des motifs d'ordre public, de défense et de sécurité nationale, de bonne administration, ou lorsque la présence personnelle du demandeur apparaît nécessaire ". Ces dispositions créent, sauf lorsqu'y font obstacle les considérations mentionnées à l'article L. 112-10, un droit, pour les usagers, de saisir l'administration par voie électronique, sans le leur imposer. Contrairement à ce qui est soutenu, elles ne font cependant pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire édicte une obligation d'accomplir des démarches administratives par la voie d'un téléservice.
8. En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, ni les principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant le service public et de continuité du service public, ni le droit à la compensation du handicap énoncé par l'article L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles, ni le principe de non-discrimination reconnu par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni, en tout état de cause, les autres droits garantis par la même convention, l'article 9 de la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ou la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ne font obstacle, par principe, à ce que soit rendu obligatoire le recours à un téléservice pour accomplir une démarche administrative, et notamment pour demander la délivrance d'une autorisation.
9. Toutefois, le pouvoir réglementaire ne saurait édicter une telle obligation qu'à la condition de permettre l'accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l'exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l'objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l'outil numérique mis en oeuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l'accès aux services en ligne ou dans leur maniement.
En ce qui concerne l'obligation faite aux ressortissants étrangers de présenter certaines demandes de titre de séjour par la voie d'un téléservice :
10. Eu égard aux caractéristiques du public concerné, à la diversité et à la complexité des situations des demandeurs et aux conséquences qu'a sur la situation d'un étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, l'enregistrement de sa demande, il incombe au pouvoir règlementaire, lorsqu'il impose le recours à un téléservice pour l'obtention de certains titres de séjour, de prévoir les dispositions nécessaires pour que bénéficient d'un accompagnement les personnes qui ne disposent pas d'un accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés soit dans leur utilisation, soit dans l'accomplissement des démarches administratives. Il lui incombe, en outre, pour les mêmes motifs, de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution, pour le cas où certains demandeurs se heurteraient, malgré cet accompagnement, à l'impossibilité de recourir au téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement.
11. Aux termes du second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret contesté : " Les personnes qui ne sont pas en mesure d'effectuer elles-mêmes le dépôt en ligne de leur demande bénéficient d'un accueil et d'un accompagnement leur permettant d'accomplir cette formalité. Le ministre chargé de l'immigration fixe les modalités de cet accueil et de cet accompagnement. " Ces dispositions font ainsi obligation au ministre de définir précisément, sous le contrôle du juge administratif, des modalités adaptées et de les rendre effectives, y compris par un accueil physique lorsqu'un accueil à distance ne suffit pas à assurer l'accompagnement approprié. En revanche, elles ne prévoient pas de solution de substitution destinée, par exception, à répondre au cas où, alors même que l'étranger aurait préalablement accompli toutes les diligences qui lui incombent et aurait notamment fait appel au dispositif d'accueil et d'accompagnement prévu, il se trouverait dans l'impossibilité d'utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement. Les requérants sont, par suite, fondés à soutenir que sont entachés d'illégalité le décret attaqué en tant qu'il ne comporte pas de dispositions en ce sens, ainsi que, par voie de conséquence et dans la même mesure, l'arrêté du 27 avril 2021 qui, en application de ce décret, détermine les catégories de demandes qui doivent être effectuées au moyen du téléservice.
12. En outre, l'arrêté du 27 avril 2021 rend, pour les catégories de titres de séjour qu'il mentionne, l'obligation de recourir au téléservice applicable à compter du 1er mai de la même année. Il ressort des éléments produits par le ministre de l'intérieur en réponse à une mesure d'instruction ordonnée par la 10ème chambre de la section du contentieux que le ministre n'a fixé les modalités de l'accueil et de l'accompagnement imposées par le second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers que par une circulaire du 20 août 2021, qui prévoit leur mise en oeuvre complète à compter du 1er novembre 2021. L'arrêté du 27 avril 2021 est donc illégal en tant qu'il ne fixait pas ces modalités d'accueil et d'accompagnement.
En ce qui concerne les autres moyens de la requête :
Quant à la méconnaissance de la réglementation relative à l'accessibilité du service aux personnes atteintes de handicap :
13. Les I et II de l'article 47 de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées prévoient que les services de communication au public en ligne de certains organismes, notamment ceux des personnes morales de droit public, doivent être accessibles aux personnes handicapées et que cette obligation est mise en oeuvre dans la mesure où elle ne crée pas une charge disproportionnée pour l'organisme concerné. Le IV prévoit que la page d'accueil de tout service de communication au public en ligne comporte une mention clairement visible précisant s'il est ou non conforme aux règles relatives à l'accessibilité, que tous ces services donnent aisément et directement accès notamment à la déclaration d'accessibilité, et que la méconnaissance de ces deux obligations donne lieu à une sanction administrative. Il n'en résulte, ni que l'acte qui rend obligatoire le recours à un téléservice devrait réitérer ces exigences, qui s'imposent en tout état de cause, ni que leur respect serait une condition de la légalité d'un tel acte. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 47 de la loi du 11 février 2005 ne peut, par suite, qu'être écarté.
Quant à la protection des données à caractère personnel :
14. Le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF2) " est autorisé par l'article L. 142-1 et les articles R. 142-11 à R. 142-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il a pour finalités de garantir le droit au séjour des ressortissants étrangers en situation régulière et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers en France des ressortissants étrangers. Le décret attaqué se borne à apporter à ce traitement les modifications nécessaires pour les besoins du téléservice. En particulier, l'article 4 précise en conséquence la définition des finalités et l'article 5 ajoute à la liste des personnes ayant accès aux données les agents de l'Agence nationale des titres sécurisés chargés de l'accompagnement des usagers. Les articles 6 et 7 mettent à jour, par une référence au règlement du 27 avril 2016 dit règlement général sur la protection des données (" RGPD "), les dispositions, existantes, qui fixent les conditions dans lesquelles s'exercent les droits d'information, d'accès, de rectification et à la limitation des données, et qui prévoient que le droit d'opposition ne s'applique pas.
15. L'article 5 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés permet le traitement de données personnelles sans le consentement de la personne lorsque notamment il est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement. Le 1 de l'article 23 du RGPD prévoit que le droit national peut apporter des limitations au droit d'opposition notamment lorsqu'une telle limitation respecte l'essence des libertés et droits fondamentaux et qu'elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir des objectifs importants d'intérêt public général. Aux termes du second alinéa de l'article 56 de la loi du 6 janvier 1978, le droit d'opposition " ne s'applique pas lorsque le traitement répond à une obligation légale ". Eu égard aux finalités rappelées au point précédent, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret et l'arrêté attaqués seraient illégaux aux motifs qu'ils ne garantissent pas le consentement des personnes dont les données sont recueillies et qu'ils apportent une dérogation au droit d'opposition. Par ailleurs, le décret et l'arrêté contestés n'avaient pas à rappeler les principes relatifs au traitement des données à caractère personnel énoncés par l'article 5 du RGPD, ni les obligations du responsable de traitement fixées par l'article 24 du même règlement. Enfin, le droit d'information n'impose pas que l'acte portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel, ni l'acte modifiant ses caractéristiques, fixe les modalités d'une telle information. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du RGPD et de la loi du 6 janvier 1978 doivent en tout état de cause être écartés.
16. Il résulte de tout ce qui précède que La Cimade et autres sont fondés à demander l'annulation du décret du 24 mars 2021 en tant qu'il ne prévoit pas la solution de substitution mentionnée au point 11 de la présente décision et de l'arrêté du 27 avril 2021, d'une part, dans la même mesure, et, d'autre part, en tant qu'il ne prévoyait pas les modalités d'accueil et d'accompagnement prévues au second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France.
17. Les annulations partielles motivées par l'absence de la solution de substitution mentionnée au point précédent impliquent nécessairement que le décret attaqué soit complété par des dispositions prévoyant celle-ci, en renvoyant, le cas échéant, au ministre compétent le soin d'en préciser les modalités. Dans l'attente que cette réglementation complémentaire soit édictée, ces mêmes annulations ont nécessairement pour conséquence que, si un étranger venait à se trouver, par l'effet des circonstances envisagées au point 11, confronté à l'impossibilité de déposer sa demande par la voie du téléservice, l'autorité administrative serait tenue, par exception, de permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité.
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme totale de 4 000 euros à verser à La Cimade, à la Ligue des droits de l'homme, au Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, au Secours Catholique Caritas France et à l'UNEF. Les dispositions du même article font obstacle à ce qu'une somme soit attribuée à ce titre au Conseil national des barreaux et au Syndicat des avocats de France.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes n° 452798 et n° 454716 du Conseil national des barreaux sont rejetées.
Article 2 : Le décret du 24 mars 2021 est annulé en tant qu'il ne prévoit pas la solution de substitution mentionnée au point 11 de la présente décision. L'arrêté du 27 avril 2021 est annulé dans la même mesure. Ces annulations comportent pour les autorités administratives les obligations énoncées au point 17 de la présente décision.
Article 3 : L'arrêté du 27 avril 2021 est annulé en tant qu'il ne prévoyait pas les modalités d'accueil et d'accompagnement prévues au second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France.
Article 4 : L'Etat versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme totale de 4 000 euros à La Cimade, à la Ligue des droits de l'homme, au Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, au Secours Catholique Caritas France et à l'UNEF.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 452806 est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au Conseil national des barreaux, à La Cimade, première requérante dénommée dans la requête n° 452806, à la Première ministre, au ministre de l'intérieur et à la ministre des outre-mer.
Copie en sera adressée à la Défenseure des droits.
N° 452798
ECLI:FR:CESEC:2022:452798.20220603
Publié au recueil Lebon
Section
M. Bruno Delsol, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du vendredi 3 juin 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 452798, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 mai 2021 et 26 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'intérieur et du ministre des outre-mer en date du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux titres de séjour dont la demande s'effectue au moyen d'un téléservice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 452806, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 20 mai 2021 et le 14 mars 2022, La Cimade, la Ligue des droits de l'homme, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, le Secours Catholique Caritas France, le Syndicat des avocats de France et l'UNEF demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'intérieur et du ministre des outre-mer en date du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux titres de séjour dont la demande s'effectue au moyen d'un téléservice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
3° Sous le n° 454716, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 juillet et 12 octobre 2021 et le 26 avril 2022, le Conseil national des barreaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 mai 2021 modifiant l'arrêté du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux titres de séjour dont la demande s'effectue au moyen d'un téléservice ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n° 2005-12 du 11 février 2005 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil national des barreaux et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de La Cimade et autres ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 mai 2022 sous le n° 452806, présentée par La Cimade et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour modifie notamment les dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la délivrance des titres de séjour. L'article R. 431-2 de ce code, dans sa rédaction issue de ce décret, prévoit ainsi que, pour les catégories de titres de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l'immigration, les demandes s'effectuent au moyen d'un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté. L'arrêté du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction initiale, rend ces dispositions applicables à compter du 1er mai 2021 aux demandes de cartes de séjour temporaires portant la mention " étudiant " ou " étudiant-programme de mobilité ", aux demandes de cartes de séjour pluriannuelles portant les mêmes mentions, et aux certificats de résidence algériens portant la mention " étudiant ". L'arrêté du 19 mai 2021 modifiant l'arrêté du 27 avril 2021 rend ces mêmes dispositions applicables, à compter, selon les cas, du 25 mai 2021 ou du 7 juin 2021, aux cartes de séjour portant la mention " passeport talent ", " passeport talent-carte bleue européenne ", " passeport talent-chercheur ", " passeport talent-chercheur programme mobilité " ou " passeport talent (famille) ".
2. La première requête du Conseil national des barreaux et la requête de La Cimade et autres sont dirigées contre le décret du 24 mars 2021 et contre l'arrêté du 27 avril 2021. La seconde requête du Conseil national des barreaux est dirigée contre l'arrêté du 19 mai 2021. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
Sur l'intérêt pour agir du Conseil national des barreaux et du Syndicat des avocats de France :
3. D'une part, le Conseil national des barreaux, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale régi par les dispositions de l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques, a principalement pour objet de représenter la profession d'avocat auprès des pouvoirs publics, d'unifier les règles et usages de la profession, de définir les principes d'organisation de la formation et d'en harmoniser les programmes. Les dispositions contestées, du seul fait qu'elles affecteraient la situation de certains clients des avocats et pourraient les conduire à recourir à leurs services, n'ont pas, sur les conditions d'exercice de la profession, des incidences suffisamment directes et certaines pour que le Conseil national des barreaux justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation.
4. D'autre part, le Syndicat des avocats de France, dont les statuts prévoient qu'il constitue un syndicat professionnel ayant pour objet la défense des intérêts matériels et moraux de la profession, et qui ne saurait utilement se prévaloir des termes généraux de ces mêmes statuts relatifs à la défense des droits et libertés, ne justifie pas davantage d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation des dispositions qu'il conteste.
5. Il résulte de ce qui précède que les deux requêtes du Conseil national des barreaux sont irrecevables et doivent, par suite, être rejetées, et que les conclusions de la requête n° 452806 sont irrecevables en tant qu'elles émanent du Syndicat des avocats de France.
Sur les conclusions de La Cimade et autres dirigées contre le décret du 24 mars 2021 et l'arrêté du 27 avril 2021 :
En ce qui concerne l'obligation d'accomplir des démarches administratives par la voie d'un téléservice :
6. En premier lieu, l'obligation d'avoir recours à un téléservice pour accomplir une démarche administrative auprès d'un service de l'Etat, et notamment pour demander la délivrance d'une autorisation, dès lors qu'elle n'a pas pour effet de modifier les conditions légales auxquelles est subordonnée sa délivrance, ne met pas en cause, par elle-même, les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, non plus qu'aucune autre règle ou aucun autre principe dont l'article 34 ou d'autres dispositions de la Constitution prévoient qu'ils relèvent du domaine de la loi.
7. En deuxième lieu, l'article L. 112-8 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Toute personne, dès lors qu'elle s'est identifiée préalablement auprès d'une administration, peut, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat, adresser à celle-ci, par voie électronique, une demande, une déclaration, un document ou une information, ou lui répondre par la même voie. Cette administration est régulièrement saisie et traite la demande, la déclaration, le document ou l'information sans lui demander la confirmation ou la répétition de son envoi sous une autre forme ". L'article L. 112-9 du même code précise que : " (...) Lorsqu'elle met en place un ou plusieurs téléservices, l'administration rend accessibles leurs modalités d'utilisation, notamment les modes de communication possibles. Ces modalités s'imposent au public. / Lorsqu'elle a mis en place un téléservice réservé à l'accomplissement de certaines démarches administratives, une administration n'est régulièrement saisie par voie électronique que par l'usage de ce téléservice. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article L. 112-10 du même code : " L'application des articles L. 112-8 et L. 112-9 à certaines démarches administratives peut être écartée, par décret en Conseil d'Etat, pour des motifs d'ordre public, de défense et de sécurité nationale, de bonne administration, ou lorsque la présence personnelle du demandeur apparaît nécessaire ". Ces dispositions créent, sauf lorsqu'y font obstacle les considérations mentionnées à l'article L. 112-10, un droit, pour les usagers, de saisir l'administration par voie électronique, sans le leur imposer. Contrairement à ce qui est soutenu, elles ne font cependant pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire édicte une obligation d'accomplir des démarches administratives par la voie d'un téléservice.
8. En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, ni les principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant le service public et de continuité du service public, ni le droit à la compensation du handicap énoncé par l'article L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles, ni le principe de non-discrimination reconnu par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni, en tout état de cause, les autres droits garantis par la même convention, l'article 9 de la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ou la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ne font obstacle, par principe, à ce que soit rendu obligatoire le recours à un téléservice pour accomplir une démarche administrative, et notamment pour demander la délivrance d'une autorisation.
9. Toutefois, le pouvoir réglementaire ne saurait édicter une telle obligation qu'à la condition de permettre l'accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l'exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l'objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l'outil numérique mis en oeuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l'accès aux services en ligne ou dans leur maniement.
En ce qui concerne l'obligation faite aux ressortissants étrangers de présenter certaines demandes de titre de séjour par la voie d'un téléservice :
10. Eu égard aux caractéristiques du public concerné, à la diversité et à la complexité des situations des demandeurs et aux conséquences qu'a sur la situation d'un étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, l'enregistrement de sa demande, il incombe au pouvoir règlementaire, lorsqu'il impose le recours à un téléservice pour l'obtention de certains titres de séjour, de prévoir les dispositions nécessaires pour que bénéficient d'un accompagnement les personnes qui ne disposent pas d'un accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés soit dans leur utilisation, soit dans l'accomplissement des démarches administratives. Il lui incombe, en outre, pour les mêmes motifs, de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution, pour le cas où certains demandeurs se heurteraient, malgré cet accompagnement, à l'impossibilité de recourir au téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement.
11. Aux termes du second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret contesté : " Les personnes qui ne sont pas en mesure d'effectuer elles-mêmes le dépôt en ligne de leur demande bénéficient d'un accueil et d'un accompagnement leur permettant d'accomplir cette formalité. Le ministre chargé de l'immigration fixe les modalités de cet accueil et de cet accompagnement. " Ces dispositions font ainsi obligation au ministre de définir précisément, sous le contrôle du juge administratif, des modalités adaptées et de les rendre effectives, y compris par un accueil physique lorsqu'un accueil à distance ne suffit pas à assurer l'accompagnement approprié. En revanche, elles ne prévoient pas de solution de substitution destinée, par exception, à répondre au cas où, alors même que l'étranger aurait préalablement accompli toutes les diligences qui lui incombent et aurait notamment fait appel au dispositif d'accueil et d'accompagnement prévu, il se trouverait dans l'impossibilité d'utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement. Les requérants sont, par suite, fondés à soutenir que sont entachés d'illégalité le décret attaqué en tant qu'il ne comporte pas de dispositions en ce sens, ainsi que, par voie de conséquence et dans la même mesure, l'arrêté du 27 avril 2021 qui, en application de ce décret, détermine les catégories de demandes qui doivent être effectuées au moyen du téléservice.
12. En outre, l'arrêté du 27 avril 2021 rend, pour les catégories de titres de séjour qu'il mentionne, l'obligation de recourir au téléservice applicable à compter du 1er mai de la même année. Il ressort des éléments produits par le ministre de l'intérieur en réponse à une mesure d'instruction ordonnée par la 10ème chambre de la section du contentieux que le ministre n'a fixé les modalités de l'accueil et de l'accompagnement imposées par le second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers que par une circulaire du 20 août 2021, qui prévoit leur mise en oeuvre complète à compter du 1er novembre 2021. L'arrêté du 27 avril 2021 est donc illégal en tant qu'il ne fixait pas ces modalités d'accueil et d'accompagnement.
En ce qui concerne les autres moyens de la requête :
Quant à la méconnaissance de la réglementation relative à l'accessibilité du service aux personnes atteintes de handicap :
13. Les I et II de l'article 47 de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées prévoient que les services de communication au public en ligne de certains organismes, notamment ceux des personnes morales de droit public, doivent être accessibles aux personnes handicapées et que cette obligation est mise en oeuvre dans la mesure où elle ne crée pas une charge disproportionnée pour l'organisme concerné. Le IV prévoit que la page d'accueil de tout service de communication au public en ligne comporte une mention clairement visible précisant s'il est ou non conforme aux règles relatives à l'accessibilité, que tous ces services donnent aisément et directement accès notamment à la déclaration d'accessibilité, et que la méconnaissance de ces deux obligations donne lieu à une sanction administrative. Il n'en résulte, ni que l'acte qui rend obligatoire le recours à un téléservice devrait réitérer ces exigences, qui s'imposent en tout état de cause, ni que leur respect serait une condition de la légalité d'un tel acte. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 47 de la loi du 11 février 2005 ne peut, par suite, qu'être écarté.
Quant à la protection des données à caractère personnel :
14. Le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF2) " est autorisé par l'article L. 142-1 et les articles R. 142-11 à R. 142-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il a pour finalités de garantir le droit au séjour des ressortissants étrangers en situation régulière et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers en France des ressortissants étrangers. Le décret attaqué se borne à apporter à ce traitement les modifications nécessaires pour les besoins du téléservice. En particulier, l'article 4 précise en conséquence la définition des finalités et l'article 5 ajoute à la liste des personnes ayant accès aux données les agents de l'Agence nationale des titres sécurisés chargés de l'accompagnement des usagers. Les articles 6 et 7 mettent à jour, par une référence au règlement du 27 avril 2016 dit règlement général sur la protection des données (" RGPD "), les dispositions, existantes, qui fixent les conditions dans lesquelles s'exercent les droits d'information, d'accès, de rectification et à la limitation des données, et qui prévoient que le droit d'opposition ne s'applique pas.
15. L'article 5 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés permet le traitement de données personnelles sans le consentement de la personne lorsque notamment il est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement. Le 1 de l'article 23 du RGPD prévoit que le droit national peut apporter des limitations au droit d'opposition notamment lorsqu'une telle limitation respecte l'essence des libertés et droits fondamentaux et qu'elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir des objectifs importants d'intérêt public général. Aux termes du second alinéa de l'article 56 de la loi du 6 janvier 1978, le droit d'opposition " ne s'applique pas lorsque le traitement répond à une obligation légale ". Eu égard aux finalités rappelées au point précédent, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret et l'arrêté attaqués seraient illégaux aux motifs qu'ils ne garantissent pas le consentement des personnes dont les données sont recueillies et qu'ils apportent une dérogation au droit d'opposition. Par ailleurs, le décret et l'arrêté contestés n'avaient pas à rappeler les principes relatifs au traitement des données à caractère personnel énoncés par l'article 5 du RGPD, ni les obligations du responsable de traitement fixées par l'article 24 du même règlement. Enfin, le droit d'information n'impose pas que l'acte portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel, ni l'acte modifiant ses caractéristiques, fixe les modalités d'une telle information. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du RGPD et de la loi du 6 janvier 1978 doivent en tout état de cause être écartés.
16. Il résulte de tout ce qui précède que La Cimade et autres sont fondés à demander l'annulation du décret du 24 mars 2021 en tant qu'il ne prévoit pas la solution de substitution mentionnée au point 11 de la présente décision et de l'arrêté du 27 avril 2021, d'une part, dans la même mesure, et, d'autre part, en tant qu'il ne prévoyait pas les modalités d'accueil et d'accompagnement prévues au second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France.
17. Les annulations partielles motivées par l'absence de la solution de substitution mentionnée au point précédent impliquent nécessairement que le décret attaqué soit complété par des dispositions prévoyant celle-ci, en renvoyant, le cas échéant, au ministre compétent le soin d'en préciser les modalités. Dans l'attente que cette réglementation complémentaire soit édictée, ces mêmes annulations ont nécessairement pour conséquence que, si un étranger venait à se trouver, par l'effet des circonstances envisagées au point 11, confronté à l'impossibilité de déposer sa demande par la voie du téléservice, l'autorité administrative serait tenue, par exception, de permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité.
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme totale de 4 000 euros à verser à La Cimade, à la Ligue des droits de l'homme, au Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, au Secours Catholique Caritas France et à l'UNEF. Les dispositions du même article font obstacle à ce qu'une somme soit attribuée à ce titre au Conseil national des barreaux et au Syndicat des avocats de France.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes n° 452798 et n° 454716 du Conseil national des barreaux sont rejetées.
Article 2 : Le décret du 24 mars 2021 est annulé en tant qu'il ne prévoit pas la solution de substitution mentionnée au point 11 de la présente décision. L'arrêté du 27 avril 2021 est annulé dans la même mesure. Ces annulations comportent pour les autorités administratives les obligations énoncées au point 17 de la présente décision.
Article 3 : L'arrêté du 27 avril 2021 est annulé en tant qu'il ne prévoyait pas les modalités d'accueil et d'accompagnement prévues au second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France.
Article 4 : L'Etat versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme totale de 4 000 euros à La Cimade, à la Ligue des droits de l'homme, au Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, au Secours Catholique Caritas France et à l'UNEF.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 452806 est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au Conseil national des barreaux, à La Cimade, première requérante dénommée dans la requête n° 452806, à la Première ministre, au ministre de l'intérieur et à la ministre des outre-mer.
Copie en sera adressée à la Défenseure des droits.