Conseil d'État
N° 454637
ECLI:FR:CECHR:2022:454637.20220519
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS ; SCP SPINOSI, avocats
Lecture du jeudi 19 mai 2022
Vu la procédure suivante :
La société BDM Architectes a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon de condamner le centre hospitalier François Dunan à lui verser la somme de 27 624,57 euros au titre d'une note d'honoraires, assortie des intérêts au taux légal ainsi que de la capitalisation des intérêts. Par un jugement n° 1700006 du 13 juillet 2018, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 18BX03526 du 17 mai 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Patriarche, venant aux droits de la société BDM Architectes, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par cette société devant le tribunal administratif.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 14 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Patriarche demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier François Dunan la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de M. A... B... de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la société Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Patriarche et à la SCP Spinosi, avocat du centre hospitalier François Dunan ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, par un acte d'engagement signé le 6 juin 2003, le groupement solidaire d'entreprises constitué par la société BDM Architectes, la société Socotrap Ingénierie International, la société AEC Ingénierie, la société TLR Architectures, dont le mandataire était la société BDM Architectes, s'est vu confier la maîtrise d'oeuvre des travaux de construction du centre hospitalier François Dunan à Saint-Pierre-et-Miquelon. Par un jugement du 13 juillet 2018, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté la demande de la société BDM Architectes tendant à la condamnation du centre hospitalier François Dunan à lui verser la somme de 27 624,67 euros correspondant au règlement de l'une de ses notes d'honoraires. La société Patriarche, venant aux droits de la société BDM Architectes, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 mai 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant par la voie de l'évocation après avoir annulé le jugement de première instance, a rejeté la demande comme irrecevable.
2. Les entreprises ayant formé un groupement solidaire pour l'exécution du marché dont elles sont titulaires sont réputées, dès lors qu'aucune répartition des tâches n'a été faite entre elles par le marché, se représenter mutuellement. Il en résulte que leurs conclusions doivent être regardées comme présentées au nom et pour le compte des membres du groupement et qu'elles peuvent tendre au paiement du solde global du marché.
3. Toutefois, d'une part, la représentation mutuelle de membres de groupement cesse lorsque, présents dans l'instance, ils formulent des conclusions divergentes. D'autre part, un membre d'un groupement solidaire, qu'il en soit ou non le mandataire, est recevable à demander le paiement, pour son propre compte, des seules prestations qu'il a personnellement effectuées, y compris lorsque le marché ne précise pas la répartition des tâches entre les membres de ce groupement. Lorsque le maître d'ouvrage acquitte les sommes correspondant à ces prestations ou est condamné par le juge du contrat à les verser, il est libéré de sa dette à concurrence du montant des sommes correspondantes à l'égard de l'ensemble des membres du groupement.
4. Il en résulte qu'en se fondant sur la circonstance qu'aucune répartition des tâches n'avait été prévue par le marché entre les membres du groupement solidaire dont était membre la société BDM Architectes, pour en déduire que cette société n'était pas recevable à demander le paiement des seules prestations qu'elle avait elle-même effectuées, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit. Il suit de là que la société Patriarche est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Patriarche qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier François Dunan la somme de 3 000 euros à verser à la société Patriarche au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 17 mai 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : Le centre hospitalier François Dunan versera à la société Patriarche la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier François Dunan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Patriarche et au centre hospitalier François Dunan.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. François Lelièvre, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 19 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. François Lelièvre
La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat
N° 454637
ECLI:FR:CECHR:2022:454637.20220519
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS ; SCP SPINOSI, avocats
Lecture du jeudi 19 mai 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société BDM Architectes a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon de condamner le centre hospitalier François Dunan à lui verser la somme de 27 624,57 euros au titre d'une note d'honoraires, assortie des intérêts au taux légal ainsi que de la capitalisation des intérêts. Par un jugement n° 1700006 du 13 juillet 2018, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 18BX03526 du 17 mai 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Patriarche, venant aux droits de la société BDM Architectes, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par cette société devant le tribunal administratif.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 14 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Patriarche demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier François Dunan la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de M. A... B... de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la société Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Patriarche et à la SCP Spinosi, avocat du centre hospitalier François Dunan ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, par un acte d'engagement signé le 6 juin 2003, le groupement solidaire d'entreprises constitué par la société BDM Architectes, la société Socotrap Ingénierie International, la société AEC Ingénierie, la société TLR Architectures, dont le mandataire était la société BDM Architectes, s'est vu confier la maîtrise d'oeuvre des travaux de construction du centre hospitalier François Dunan à Saint-Pierre-et-Miquelon. Par un jugement du 13 juillet 2018, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté la demande de la société BDM Architectes tendant à la condamnation du centre hospitalier François Dunan à lui verser la somme de 27 624,67 euros correspondant au règlement de l'une de ses notes d'honoraires. La société Patriarche, venant aux droits de la société BDM Architectes, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 mai 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant par la voie de l'évocation après avoir annulé le jugement de première instance, a rejeté la demande comme irrecevable.
2. Les entreprises ayant formé un groupement solidaire pour l'exécution du marché dont elles sont titulaires sont réputées, dès lors qu'aucune répartition des tâches n'a été faite entre elles par le marché, se représenter mutuellement. Il en résulte que leurs conclusions doivent être regardées comme présentées au nom et pour le compte des membres du groupement et qu'elles peuvent tendre au paiement du solde global du marché.
3. Toutefois, d'une part, la représentation mutuelle de membres de groupement cesse lorsque, présents dans l'instance, ils formulent des conclusions divergentes. D'autre part, un membre d'un groupement solidaire, qu'il en soit ou non le mandataire, est recevable à demander le paiement, pour son propre compte, des seules prestations qu'il a personnellement effectuées, y compris lorsque le marché ne précise pas la répartition des tâches entre les membres de ce groupement. Lorsque le maître d'ouvrage acquitte les sommes correspondant à ces prestations ou est condamné par le juge du contrat à les verser, il est libéré de sa dette à concurrence du montant des sommes correspondantes à l'égard de l'ensemble des membres du groupement.
4. Il en résulte qu'en se fondant sur la circonstance qu'aucune répartition des tâches n'avait été prévue par le marché entre les membres du groupement solidaire dont était membre la société BDM Architectes, pour en déduire que cette société n'était pas recevable à demander le paiement des seules prestations qu'elle avait elle-même effectuées, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit. Il suit de là que la société Patriarche est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Patriarche qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier François Dunan la somme de 3 000 euros à verser à la société Patriarche au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 17 mai 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : Le centre hospitalier François Dunan versera à la société Patriarche la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier François Dunan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Patriarche et au centre hospitalier François Dunan.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. François Lelièvre, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 19 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. François Lelièvre
La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat