Conseil d'État
N° 462954
ECLI:FR:CEORD:2022:462954.20220516
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
Mme A Egerszegi, rapporteur
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
Lecture du lundi 16 mai 2022
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 12 avril et 6 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... et le groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs (dit " la GALE ") demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret du 30 mars 2022 par lequel le Président de la République a prononcé la dissolution du groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser à chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard aux effets inhérents à une mesure de dissolution administrative et à la période électorale actuelle qui justifie une préservation accrue de la liberté de réunion, d'expression et de manifestation ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d'association, de réunion, d'expression et d'opinion ;
- la décision attaquée est entachée d'illégalité dès lors que, d'une part, elle a été prise avant l'expiration du délai dont ils disposaient pour faire valoir leurs observations et, par suite, à l'issue d'une procédure non contradictoire et, d'autre part, elle a été notifiée à une personne qui n'était pas le dirigeant du mouvement ;
- elle est entachée d'illégalité dès lors que les faits qui la fondent sont inexacts, et en tout état de cause, ne leur sont pas imputables, que le recours à la critique est un droit reconnu et légitime, issu de la liberté d'expression, et qu'elle est fondée sur des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ayant modifié l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
- elle est entachée d'illégalité par voie de conséquence de l'inconventionnalité de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure dans sa version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;
- elle est disproportionnée en ce que les faits qui leur sont reprochés ne causent aucun trouble grave à l'ordre public ;
- elle est entachée d'un détournement de pouvoir dès lors qu'aucune motivation d'intérêt général ne la justifie et qu'elle est motivée par l'imminence des élections présidentielles ;
- elle porte atteinte à la liberté d'association, à la liberté de réunion, à la liberté d'expression et à la liberté d'opinion dès lors que la dissolution de l'association n'est justifiée par aucun motif légal, ni par un quelconque trouble grave à l'ordre public, qu'elle est fondée sur des faits inexacts et, en tout état de cause, qui ne leur sont pas imputables, qu'elle a pour effet d'interdire toute critique à l'égard des institutions et qu'elle a pour objet d'interdire de manière absolue à tous ses membres, qu'ils soient actifs ou sympathisants, de se réunir ;
- elle porte une atteinte au droit à la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de M. C... dès lors qu'il vit avec sa compagne, Mme E... B..., et sa soeur, Mme D... C..., supposées membres du groupement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, que les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure sont inopérants et que les autres moyens ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une intervention, enregistrée le 9 mai 2022, Mme E... B... demande que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête n° 462954 et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle se réfère aux moyens exposés dans la requête.
Par une intervention, enregistrée le 9 mai 2022, Mme D... C... demande que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête n° 462954 et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle se réfère aux moyens exposés dans la requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
-le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... C..., le Groupe Antifasciste Lyon et Environs, Mme E... B..., et Mme D... C..., et d'autre part, le Premier ministre et le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 11 mai 2022, à 10 heures :
- Me Lyon Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C... et autre ;
- M. C... ;
- les représentants de M. C... et autre ;
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. M. C... et le groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs, dit " la GALE ", demandent l'annulation du décret du 30 mars 2022 par lequel le Président de la République a prononcé la dissolution de ce groupement sur le fondement du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Le décret contesté est fondé sur trois motifs, le premier tiré de ce que le groupement dit " la GALE " mène des actions violentes, le deuxième tiré de ce que le groupement appelle à la haine et à la violence contre les forces de l'ordre, le dernier tiré de ce que le groupement est très actif sur les réseaux sociaux en légitimant la violence contre ses adversaires et en laissant figurer, sous ses publications, des commentaires d'une même violence.
3. Mmes B... et C... justifient d'un intérêt suffisant à la suspension de l'exécution du décret contesté. Ainsi, leurs interventions sont recevables.
4. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction issue de l'article 16 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent (...) à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ; ". Ces dispositions prévoient la dissolution d'associations ou groupements de fait dont les activités troublent gravement l'ordre public. Elles permettent d'imputer aux associations et groupements de fait les agissements commis par leurs membres, en cette qualité, ou les agissements directement liés aux activités de l'association ou du groupement dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient.
5. En premier lieu, le ministre de l'intérieur, au soutien du motif tiré de ce que le groupement dit " la GALE " mènerait des actions violentes, invoque plusieurs évènements ponctuels survenus en 2014, 2017 et 2021. Toutefois, si ce groupement a relayé sur les réseaux sociaux des messages appelant à des manifestations, dont certaines non déclarées et qui ont pu générer des troubles graves à l'ordre public notamment dans le cadre de la contestation dite " des gilets jaunes " et contre le " passe sanitaire ", il ne résulte pas de l'instruction qu'il ait été à l'origine de ces appels ni que les agissements violents commis à l'occasion de ces manifestations aient été directement liés aux activités de ce groupement. Par ailleurs, la circonstance que des membres ou sympathisants du groupement aient participé à certaines de ces manifestations, en qualité de " militants antifascistes ", ne saurait, à elle-seule, conduire à imputer au groupement dissous les éventuels agissements violents commis lors de ces manifestations. A cet égard, il résulte notamment de l'instruction que les faits relevés à l'encontre de M. C... le 4 avril 2021 lors de la manifestation non déclarée organisée en soutien à la cause kurde, et à l'encontre de quatre membres ou sympathisants du groupement le 28 août 2021 lors d'une manifestation contre le " passe sanitaire ", ayant donné lieu à leur condamnation à une peine contraventionnelle de 4ème classe pour violences volontaires sans ITT, ne sauraient être regardés, eu égard à leur nature, leur contexte et leur caractère isolé, comme des agissements violents au sens du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure précité. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que les dégradations de biens concernant des locaux de groupements d'extrême-droite, de l'Institut des sciences sociales, économiques et politique, de la police aux frontières ou du consulat de Turquie à Lyon et ses environs, dont le groupement a rendu compte sur les réseaux sociaux, aient été le fait de ce dernier.
6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que le groupement de fait dit " la GALE ", revendique mener un combat politique contre le fascisme, le racisme, le capitalisme et les institutions d'Etat notamment les forces de l'ordre et la justice. Très actif sur les réseaux sociaux, il affirme privilégier, " en tant que groupe antifasciste autonome et révolutionnaire, l'action directe comme un outil de lutte ". Ce positionnement et la terminologie employée ne sauraient, en eux-mêmes, caractériser, une provocation à des agissements violents au sens du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. De même, si le groupement relaie, parfois avec une complaisance contestable, les violences commises à l'encontre des forces de l'ordre, la revendication par le groupement d'un discours très critique à l'égard de l'institution policière ne saurait caractériser, à elle-seule, une provocation à des agissements violents, au sens du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Par ailleurs, la circonstance que des membres ou sympathisants du groupement aient participé au festival " antifafest " les 10 et 11 décembre 2021 à Vaux-en-Velin ne saurait conduire à imputer à ce groupement, qui n'était pas l'organisateur de la manifestation, la responsabilité des propos anti-police qui auraient été prononcés sur scène à cette occasion. Il s'ensuit que si le groupement dit " la GALE " tient des propos radicaux et parfois brutaux, il ne peut manifestement, en l'état de l'instruction, être regardé comme appelant à commettre des agissements violents contre les forces de l'ordre au sens et pour l'application du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, second motif du décret contesté.
7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que ne peuvent être regardées, à elles-seules, comme une légitimation du recours à la violence, les publications sur les réseaux sociaux du groupement dit " la GALE ", lesquelles s'inscrivent dans le cadre du positionnement politique " antifasciste " et " anticapitaliste " du mouvement. Il en est ainsi, en particulier, des photographies de tags " Mort aux nazis " sur les locaux du local du groupement d'extrême-droite Terra Nostra, des commentaires " On va se venger ", publié à la suite de l'incendie d'une mosquée, et " pour une bonne dissolution, une seule solution : vive la chaux vive ", publié en référence aux dissolutions des groupements d'extrême-droite Unité radicale, Bloc identitaire et Génération identitaire, des formules " deux banques ont eu le bonjour du bloc anticapitaliste ", figurant dans le compte-rendu d'une manifestation, et " c'est cela qui nous tient à coeur en tant qu'antifascistes : des ripostes collectives et multiples d'autodéfense populaire ". Il en est de même du recours au mot-clé " #feuauxprisons " ou du dessin d'un centre de rétention administrative en flammes intitulé " feu aux centres de rétention ", à l'appui de publications dénonçant de supposées violences d'Etat. Il en résulte que la violence des propos qui peut être reprochée au groupement dit " la GALE ", ne peut cependant, en l'état de l'instruction, être regardée, manifestement, comme entrant dans les prévisions du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
8. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'état de l'instruction, les éléments retenus dans le décret contesté à l'appui des trois motifs qui fondent la dissolution du groupement de fait dit " la GALE ", pris tant isolément que dans leur ensemble, ne sont pas de nature à justifier, manifestement, cette dissolution au regard du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Par suite, l'exécution de ce décret porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales de réunion et d'association.
9. Dès lors, la condition d'urgence étant remplie eu égard aux effets de la mesure et aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de suspendre l'exécution du décret du 30 mars 2022 prononçant la dissolution du groupement de fait dit " la GALE ", sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 3 000 euros à verser à M. C... et autre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit versée, par l'Etat, aux intervenantes qui ne sont pas parties à l'instance.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Les interventions de Mmes B... et C... sont admises.
Article 2 : L'exécution du décret du 30 mars 2022 prononçant la dissolution du groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs est suspendue.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... et autre la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mmes B... et C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... C..., au Groupe Antifasciste Lyon et Environs, à Mme E... B..., à Mme D... C..., au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Président de la République.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 mai 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwarz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Nathalie Escaut et Mme Anne Egerszegi, conseillères d'Etat, juges des référés.
Fait à Paris, le 16 mai 2022
Signé : Rémy Schwarz
N° 462954
ECLI:FR:CEORD:2022:462954.20220516
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
Mme A Egerszegi, rapporteur
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
Lecture du lundi 16 mai 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 12 avril et 6 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... et le groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs (dit " la GALE ") demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret du 30 mars 2022 par lequel le Président de la République a prononcé la dissolution du groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser à chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard aux effets inhérents à une mesure de dissolution administrative et à la période électorale actuelle qui justifie une préservation accrue de la liberté de réunion, d'expression et de manifestation ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d'association, de réunion, d'expression et d'opinion ;
- la décision attaquée est entachée d'illégalité dès lors que, d'une part, elle a été prise avant l'expiration du délai dont ils disposaient pour faire valoir leurs observations et, par suite, à l'issue d'une procédure non contradictoire et, d'autre part, elle a été notifiée à une personne qui n'était pas le dirigeant du mouvement ;
- elle est entachée d'illégalité dès lors que les faits qui la fondent sont inexacts, et en tout état de cause, ne leur sont pas imputables, que le recours à la critique est un droit reconnu et légitime, issu de la liberté d'expression, et qu'elle est fondée sur des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ayant modifié l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
- elle est entachée d'illégalité par voie de conséquence de l'inconventionnalité de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure dans sa version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;
- elle est disproportionnée en ce que les faits qui leur sont reprochés ne causent aucun trouble grave à l'ordre public ;
- elle est entachée d'un détournement de pouvoir dès lors qu'aucune motivation d'intérêt général ne la justifie et qu'elle est motivée par l'imminence des élections présidentielles ;
- elle porte atteinte à la liberté d'association, à la liberté de réunion, à la liberté d'expression et à la liberté d'opinion dès lors que la dissolution de l'association n'est justifiée par aucun motif légal, ni par un quelconque trouble grave à l'ordre public, qu'elle est fondée sur des faits inexacts et, en tout état de cause, qui ne leur sont pas imputables, qu'elle a pour effet d'interdire toute critique à l'égard des institutions et qu'elle a pour objet d'interdire de manière absolue à tous ses membres, qu'ils soient actifs ou sympathisants, de se réunir ;
- elle porte une atteinte au droit à la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de M. C... dès lors qu'il vit avec sa compagne, Mme E... B..., et sa soeur, Mme D... C..., supposées membres du groupement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, que les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure sont inopérants et que les autres moyens ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une intervention, enregistrée le 9 mai 2022, Mme E... B... demande que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête n° 462954 et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle se réfère aux moyens exposés dans la requête.
Par une intervention, enregistrée le 9 mai 2022, Mme D... C... demande que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête n° 462954 et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle se réfère aux moyens exposés dans la requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
-le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... C..., le Groupe Antifasciste Lyon et Environs, Mme E... B..., et Mme D... C..., et d'autre part, le Premier ministre et le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 11 mai 2022, à 10 heures :
- Me Lyon Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C... et autre ;
- M. C... ;
- les représentants de M. C... et autre ;
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. M. C... et le groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs, dit " la GALE ", demandent l'annulation du décret du 30 mars 2022 par lequel le Président de la République a prononcé la dissolution de ce groupement sur le fondement du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Le décret contesté est fondé sur trois motifs, le premier tiré de ce que le groupement dit " la GALE " mène des actions violentes, le deuxième tiré de ce que le groupement appelle à la haine et à la violence contre les forces de l'ordre, le dernier tiré de ce que le groupement est très actif sur les réseaux sociaux en légitimant la violence contre ses adversaires et en laissant figurer, sous ses publications, des commentaires d'une même violence.
3. Mmes B... et C... justifient d'un intérêt suffisant à la suspension de l'exécution du décret contesté. Ainsi, leurs interventions sont recevables.
4. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction issue de l'article 16 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent (...) à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ; ". Ces dispositions prévoient la dissolution d'associations ou groupements de fait dont les activités troublent gravement l'ordre public. Elles permettent d'imputer aux associations et groupements de fait les agissements commis par leurs membres, en cette qualité, ou les agissements directement liés aux activités de l'association ou du groupement dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient.
5. En premier lieu, le ministre de l'intérieur, au soutien du motif tiré de ce que le groupement dit " la GALE " mènerait des actions violentes, invoque plusieurs évènements ponctuels survenus en 2014, 2017 et 2021. Toutefois, si ce groupement a relayé sur les réseaux sociaux des messages appelant à des manifestations, dont certaines non déclarées et qui ont pu générer des troubles graves à l'ordre public notamment dans le cadre de la contestation dite " des gilets jaunes " et contre le " passe sanitaire ", il ne résulte pas de l'instruction qu'il ait été à l'origine de ces appels ni que les agissements violents commis à l'occasion de ces manifestations aient été directement liés aux activités de ce groupement. Par ailleurs, la circonstance que des membres ou sympathisants du groupement aient participé à certaines de ces manifestations, en qualité de " militants antifascistes ", ne saurait, à elle-seule, conduire à imputer au groupement dissous les éventuels agissements violents commis lors de ces manifestations. A cet égard, il résulte notamment de l'instruction que les faits relevés à l'encontre de M. C... le 4 avril 2021 lors de la manifestation non déclarée organisée en soutien à la cause kurde, et à l'encontre de quatre membres ou sympathisants du groupement le 28 août 2021 lors d'une manifestation contre le " passe sanitaire ", ayant donné lieu à leur condamnation à une peine contraventionnelle de 4ème classe pour violences volontaires sans ITT, ne sauraient être regardés, eu égard à leur nature, leur contexte et leur caractère isolé, comme des agissements violents au sens du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure précité. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que les dégradations de biens concernant des locaux de groupements d'extrême-droite, de l'Institut des sciences sociales, économiques et politique, de la police aux frontières ou du consulat de Turquie à Lyon et ses environs, dont le groupement a rendu compte sur les réseaux sociaux, aient été le fait de ce dernier.
6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que le groupement de fait dit " la GALE ", revendique mener un combat politique contre le fascisme, le racisme, le capitalisme et les institutions d'Etat notamment les forces de l'ordre et la justice. Très actif sur les réseaux sociaux, il affirme privilégier, " en tant que groupe antifasciste autonome et révolutionnaire, l'action directe comme un outil de lutte ". Ce positionnement et la terminologie employée ne sauraient, en eux-mêmes, caractériser, une provocation à des agissements violents au sens du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. De même, si le groupement relaie, parfois avec une complaisance contestable, les violences commises à l'encontre des forces de l'ordre, la revendication par le groupement d'un discours très critique à l'égard de l'institution policière ne saurait caractériser, à elle-seule, une provocation à des agissements violents, au sens du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Par ailleurs, la circonstance que des membres ou sympathisants du groupement aient participé au festival " antifafest " les 10 et 11 décembre 2021 à Vaux-en-Velin ne saurait conduire à imputer à ce groupement, qui n'était pas l'organisateur de la manifestation, la responsabilité des propos anti-police qui auraient été prononcés sur scène à cette occasion. Il s'ensuit que si le groupement dit " la GALE " tient des propos radicaux et parfois brutaux, il ne peut manifestement, en l'état de l'instruction, être regardé comme appelant à commettre des agissements violents contre les forces de l'ordre au sens et pour l'application du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, second motif du décret contesté.
7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que ne peuvent être regardées, à elles-seules, comme une légitimation du recours à la violence, les publications sur les réseaux sociaux du groupement dit " la GALE ", lesquelles s'inscrivent dans le cadre du positionnement politique " antifasciste " et " anticapitaliste " du mouvement. Il en est ainsi, en particulier, des photographies de tags " Mort aux nazis " sur les locaux du local du groupement d'extrême-droite Terra Nostra, des commentaires " On va se venger ", publié à la suite de l'incendie d'une mosquée, et " pour une bonne dissolution, une seule solution : vive la chaux vive ", publié en référence aux dissolutions des groupements d'extrême-droite Unité radicale, Bloc identitaire et Génération identitaire, des formules " deux banques ont eu le bonjour du bloc anticapitaliste ", figurant dans le compte-rendu d'une manifestation, et " c'est cela qui nous tient à coeur en tant qu'antifascistes : des ripostes collectives et multiples d'autodéfense populaire ". Il en est de même du recours au mot-clé " #feuauxprisons " ou du dessin d'un centre de rétention administrative en flammes intitulé " feu aux centres de rétention ", à l'appui de publications dénonçant de supposées violences d'Etat. Il en résulte que la violence des propos qui peut être reprochée au groupement dit " la GALE ", ne peut cependant, en l'état de l'instruction, être regardée, manifestement, comme entrant dans les prévisions du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
8. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'état de l'instruction, les éléments retenus dans le décret contesté à l'appui des trois motifs qui fondent la dissolution du groupement de fait dit " la GALE ", pris tant isolément que dans leur ensemble, ne sont pas de nature à justifier, manifestement, cette dissolution au regard du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Par suite, l'exécution de ce décret porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales de réunion et d'association.
9. Dès lors, la condition d'urgence étant remplie eu égard aux effets de la mesure et aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de suspendre l'exécution du décret du 30 mars 2022 prononçant la dissolution du groupement de fait dit " la GALE ", sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 3 000 euros à verser à M. C... et autre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit versée, par l'Etat, aux intervenantes qui ne sont pas parties à l'instance.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions de Mmes B... et C... sont admises.
Article 2 : L'exécution du décret du 30 mars 2022 prononçant la dissolution du groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs est suspendue.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... et autre la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mmes B... et C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... C..., au Groupe Antifasciste Lyon et Environs, à Mme E... B..., à Mme D... C..., au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Président de la République.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 mai 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwarz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Nathalie Escaut et Mme Anne Egerszegi, conseillères d'Etat, juges des référés.
Fait à Paris, le 16 mai 2022
Signé : Rémy Schwarz