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Ariane Web: Conseil d'État 416727, lecture du 12 mai 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:416727.20220512

Décision n° 416727
12 mai 2022
Conseil d'État

N° 416727
ECLI:FR:CECHR:2022:416727.20220512
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Mathieu Le Coq, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
SCP BOUZIDI, BOUHANNA, avocats


Lecture du jeudi 12 mai 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une décision du 25 juin 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de la société Icade Promotion Logement, devenue Icade Promotion, tendant à l'annulation de l'arrêt n° 16VE03905 du 19 octobre 2017 de la cour administrative d'appel de Versailles, a sursis à statuer sur ce pourvoi jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

1°) L'article 392 de la directive du 28 novembre 2006 doit-il être interprété comme réservant l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons d'immeubles dont l'acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée sans que l'assujetti qui les revend ait eu le droit d'opérer la déduction de cette taxe ' Ou permet-il d'appliquer ce régime à des opérations de livraisons d'immeubles dont l'acquisition n'a pas été soumise à cette taxe, soit parce que cette acquisition ne relève pas du champ d'application de celle-ci, soit parce que, tout en relevant de son champ, elle s'en trouve exonérée '

2°) L'article 392 de la directive du 28 novembre 2006 doit-il être interprété comme excluant l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes :
- lorsque ces terrains, acquis non bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir ;
- lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications) '

Par un arrêt du 30 septembre 2021 (C-299/20), la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 11 janvier 2022, la société Icade Promotion conclut aux mêmes fins que son pourvoi. Elle reprend les mêmes moyens et soutient, en outre, en cas de règlement de l'affaire au fond, après cassation, que les opérations de cession des terrains à bâtir en litige ne sont pas soumises à la TVA sur la marge dès lors que ces terrains n'avaient pas la qualité de terrain à bâtir lorsqu'ils ont été acquis par elle, que les prix d'acquisition des terrains n'incorporent pas de montant de TVA qui aurait été acquitté en amont par les vendeurs initiaux, qu'elle est fondée à demander le remboursement de la somme de 3 765 348 euros pour la TVA sur la marge collectée en mars 2008 au titre de la période de mai 2007 à mars 2008, qu'il n'y a pas lieu d'en retrancher la TVA qu'elle a déduite au titre de son activité de lotisseur et enfin qu'à supposer qu'il y ait lieu de procéder à une telle soustraction, elle est fondée à demander la somme de 2 967 256 euros.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêt C-299/20 de la Cour de justice de l'Union européenne du 30 septembre 2021 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la société Icade Promotion ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 avril 2022, présentée par la société Icade Promotion ;



Considérant ce qui suit :

1. Par une décision avant dire droit du 25 juin 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a sursis à statuer sur le pourvoi de la société Icade Promotion dirigé contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 19 octobre 2017 ayant rejeté son appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 27 avril 2012 qui avait rejeté sa demande de restitution de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qu'elle a acquittée au titre des périodes d'imposition allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions qu'il lui a renvoyées à titre préjudiciel. Par un arrêt du 30 septembre 2021 (C-299/20), la Cour de justice a répondu à ces questions.

2. Aux termes de l'article 35 du code général des impôts : " I. Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : 1° Personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles (...) 3° Personnes qui procèdent à la cession d'un terrain divisé en lots destinés à être construits lorsque le terrain a été acquis à cet effet (...) ". Aux termes de l'article 257 du même code, dans sa rédaction applicable aux périodes d'imposition en litige : " Sont également soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) / 6° Sous réserve du 7° : / a) Les opérations qui portent sur des immeubles (...) et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux ; / (...) 7° Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles. / Ces opérations sont imposables même lorsqu'elles revêtent un caractère civil. / 1. Sont notamment visés : / a) Les ventes (...) de terrains à bâtir, des biens assimilés à ces terrains par le A de l'article 1594-0 G (...) ; / Sont notamment visés par le premier alinéa, les terrains pour lesquels, dans un délai de quatre ans à compter de la date de l'acte qui constate l'opération, l'acquéreur (...) obtient le permis de construire ou commence les travaux nécessaires pour édifier un immeuble ou un groupe d'immeubles ou pour construire de nouveaux locaux en surélévation. / Ces dispositions ne sont pas applicables aux terrains acquis par des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation, (...) ". Aux termes de l'article 268 du même code, dans sa rédaction applicable aux périodes d'imposition en litige : " En ce qui concerne les opérations visées au 6° de l'article 257, la base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par la différence entre : / a. D'une part, le prix exprimé et les charges qui viennent s'y ajouter, ou la valeur vénale du bien si elle est supérieure au prix majoré des charges ; / b. D'autre part, (...) les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du bien (...) ".

3. Il résulte des dispositions combinées des 1° et 3° du I de l'article 35, du 6° de l'article 257 et de l'article 268 du code général des impôts que les opérations qui portent sur des terrains à bâtir et sont réalisées par des marchands de biens ou des lotisseurs sont soumises à la TVA sur la marge en application du 6° de l'article 257 pour autant qu'elles ne relèvent pas du 7° du même article. Ces opérations entrent dans le champ d'application du 7° de cet article si elles ont eu lieu, à la date de la cession, en vue de la production ou de la livraison d'immeubles, à l'exception des cessions à des personnes physiques de terrains en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation.

4. Aux termes de l'article 2 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Sont soumises à la TVA les opérations suivantes : a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d'un État membre par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 12 de cette directive : " 1. Les Etats membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l'article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes : (...) / b) la livraison d'un terrain à bâtir (...) ". L'article 135 de la directive dispose que : " 1. Les Etats membres exonèrent les opérations suivantes : (...) / k) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l'article 12, paragraphe 1, point b) (...) ". Selon l'article 392 de la directive : " Les Etats membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ".

5. Par son arrêt du 30 septembre 2021 (C-299/20) par lequel elle s'est prononcée sur les questions que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, lui avait soumises, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 doit être interprété en ce sens qu'il permet d'appliquer le régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir aussi bien lorsque leur acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée sans que l'assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe que lorsque leur acquisition n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée alors que le prix auquel l'assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de taxe sur la valeur ajoutée qui a été acquitté en amont par le vendeur initial. Toutefois, en dehors de ces cas, cette disposition ne s'applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l'acquisition initiale n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée.

6. La Cour de justice a également dit pour droit que l'article 392 de la directive 2006/112/CE doit être interprété en ce sens qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir, mais qu'il n'exclut pas l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots ou la réalisation de travaux d'aménagement permettant l'installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l'instar, notamment, des réseaux de gaz ou d'électricité.

7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 5 que les dispositions combinées des 6° et 7° de l'article 257 et de l'article 268 du code général des impôts sont incompatibles avec les dispositions de l'article 392 de la directive 2006/112/CE en tant qu'elles soumettent au régime de la TVA sur la marge les cessions de terrains à bâtir réalisées par des revendeurs assujettis, au profit des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation, lorsque l'acquisition initiale du terrain à bâtir par le revendeur n'a pas été soumise à la TVA, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée, et que le prix auquel le revendeur a acquis ces biens n'incorpore pas un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial. Il s'ensuit que la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit en jugeant que ces dispositions étaient compatibles avec l'article 392 de cette directive.

8. Toutefois, il résulte de la combinaison des dispositions du a) du paragraphe 1 de l'article 2 et du k) du paragraphe 1 de l'article 135 de la directive 2006/112/CE que toute livraison de terrains à bâtir réalisée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel doit, en principe, être soumise à la TVA. Le régime de taxation sur la marge, prévu à l'article 392 de cette directive, constitue une dérogation au régime de droit commun de l'article 73 de la même directive en vertu duquel la TVA est calculée sur la totalité du prix de vente. Dès lors que les dispositions combinées des 6° et 7° de l'article 257 et de l'article 268 du code général des impôts ne sont incompatibles avec la directive 2006/112/CE qu'en tant qu'elles soumettent les opérations décrites au point 5 à une TVA calculée sur la marge et non à la TVA calculée sur le prix total, la société Icade Promotion ne peut utilement invoquer une telle incompatibilité pour demander la restitution de la TVA qu'elle a acquittée, calculée sur la seule marge. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué aux motifs retenus par la cour aux points 8 et 9 de l'arrêt attaqué.

9. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été au point 6 que la circonstance que la société Icade Promotion a procédé, dans le cadre de son activité de lotisseur, à des travaux de viabilisation des terrains préalablement à leur revente à des particuliers est par elle-même sans incidence sur l'application du régime de la TVA sur la marge prévue par les dispositions combinées du 6° de l'article 257 et de l'article 268 du code général des impôts aux opérations de cession de terrains à bâtir qui entrent dans le champ de la taxe. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, peut être substitué aux motifs retenus par la cour aux points 5 et 6 de l'arrêt attaqué. Il s'ensuit que les moyens du pourvoi dirigés contre ces motifs de l'arrêt attaqué, tirés d'une dénaturation des pièces du dossier, d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.

10. En troisième lieu, si, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, le principe de neutralité fiscale de la taxe sur la valeur ajoutée s'oppose, d'une part, à ce que des livraisons de biens semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée ainsi que, d'autre part, à ce que les opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la taxe sur la valeur ajoutée, la société Icade Promotion ne saurait utilement se prévaloir de ce principe au motif que les opérations de vente effectuées par les départements, communes et établissements publics et relatives à des terrains leur appartenant pouvaient être exonérées de taxe sauf option contraire en application du 1° du 5 de l'article 261 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur lors de la période d'imposition en litige, dès lors que, par cette disposition, le législateur a seulement entendu maintenir l'exonération dont bénéficiaient ces opérations avant l'entrée en vigueur de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, comme l'autorisaient les dispositions du b) du paragraphe 3 de l'article 28 de cette directive, désormais reprises à l'article 371 de la directive 2006/112/CE. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu au point 10 de l'arrêt attaqué. Le moyen du pourvoi dirigé contre ce motif de l'arrêt attaqué, tiré d'une erreur de droit, ne peut, par conséquent, qu'être écarté.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le pourvoi de la société Icade Promotion doit être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Icade Promotion est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Icade Promotion et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Mathieu Herondart, M. Hervé Cassagnabère, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 12 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Mathieu Le Coq
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin


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