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Ariane Web: Conseil d'État 454264, lecture du 14 avril 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:454264.20220414

Décision n° 454264
14 avril 2022
Conseil d'État

N° 454264
ECLI:FR:CECHR:2022:454264.20220414
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Alexandre Lapierre , rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
sarl CABINET BRIARD, avocats


Lecture du jeudi 14 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. M... G... a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 et 2011 ainsi que de la cotisation supplémentaire de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2011. Par un jugement n° 1701971 du 7 février 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19BX01425 du 4 mai 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. G... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 juillet 2021, 5 octobre 2021 et 31 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. G... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de M. G... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. G... est associé de la société civile Verte Forêt, qui exerce une activité de gestion d'un portefeuille mobilier constitué pour l'essentiel de contrats de capitalisations souscrits auprès de compagnies d'assurance et est soumise au régime fiscal des sociétés de personnes. La société Verte Forêt a procédé au rachat partiel de quatre contrats de capitalisation en 2010 et de deux autres contrats en 2011. Par des résolutions des assemblées générales ordinaires annuelles de la société du 30 juin 2011 et 28 juin 2012, les comptes de la société ont été approuvés aux 31 décembre 2010 et 2011 et les bénéfices de cette société, arrêtés conformément à l'article 18 de ses statuts, c'est-à-dire en fonction de la variation de son actif net entre l'ouverture et la clôture de l'exercice en tenant compte de la valeur réelle des éléments le composant, ont été répartis par inscription sur le compte courant de chaque associé, au prorata de ses droits sociaux. Par une proposition de rectification du 29 novembre 2013, l'administration a réintégré les sommes correspondant à ces bénéfices, au prorata de leurs droits sociaux, dans les revenus imposables des associés puis a, en conséquence, mis à la charge de M. G... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 2010 et 2011 ainsi qu'une cotisation supplémentaire de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus au titre de l'année 2011. Le 3 août 2017, l'administration fiscale a rejeté la réclamation contentieuse par laquelle M. G... a contesté l'ensemble de ces impositions supplémentaires tout en lui accordant un dégrèvement partiel. Par jugement du 7 février 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté la demande de M. G... tendant à la décharge des impositions supplémentaires restant à sa charge. M. G... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 mai 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ce jugement.

Sur les impositions établies au titre de l'exercice 2010 :

2. Aux termes de l'article 125-0 A du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - 1° Les produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation ainsi qu'aux placements de même nature souscrits auprès d'entreprises d'assurance établies en France sont, lors du dénouement du contrat, soumis à l'impôt sur le revenu (...) Les produits en cause sont constitués par la différence entre les sommes remboursées au bénéficiaire et le montant des primes versées (...) II. - Les dispositions de l'article 125 A, à l'exception des II à IV de cet article, sont applicables aux produits prévus au I (...) III. - Le prélèvement est établi, liquidé et recouvré sous les mêmes garanties et sanctions que celui mentionné à l'article 125 A (...) ".

3. Aux termes de l'article 125 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Sous réserve des dispositions du 1 de l'article 119 bis et de l'article 125 B, les personnes physiques qui bénéficient d'intérêts, arrérages et produits de toute nature de fonds d'Etat, obligations, titres participatifs, bons et autres titres de créances, dépôts, cautionnements et comptes courants, peuvent opter pour leur assujettissement à un prélèvement qui libère les revenus auxquels il s'applique de l'impôt sur le revenu, lorsque la personne qui assure le paiement de ces revenus est établie en France (...) ". Le second alinéa de l'article 41 duodecies E de l'annexe III au code général des impôts précise que : " L'option, qui est irrévocable, est exercée au plus tard lors de l'encaissement des revenus ".

4. En application de ces dispositions, une faculté d'option est ouverte aux contribuables personnes physiques qui, pour l'imposition des revenus qu'elles visent, peuvent choisir de les intégrer dans leur revenu global annuel soumis à l'impôt sur le revenu selon le barème progressif ou de les assujettir à un prélèvement forfaitaire libératoire de l'impôt sur le revenu. Ce prélèvement est opéré à la source par le débiteur ou par la personne qui assure le paiement des revenus, de sorte qu'il ne peut résulter que d'un choix exprimé par le bénéficiaire des produits au plus tard au moment de ce paiement.

5. La cour a relevé que si M. G... soutenait que la société civile Verte Forêt avait versé au Trésor public, par virement du 15 juillet 2011, la somme de 108 995 euros correspondant au prélèvement forfaitaire libératoire dû à raison des gains de rachat partiel de quatre contrats de capitalisation en 2010 et produisait une attestation bancaire indiquant qu'un virement de ce montant avait été réalisé à cette date, l'administration faisait valoir qu'elle n'avait trouvé trace ni d'une déclaration d'option formée au plus tard lors de l'encaissement des revenus en litige, ni du paiement de ce prélèvement. Elle a estimé que cette seule attestation, qui n'était corroborée par aucun autre élément de l'instruction, ne suffisait pas à établir que le contribuable avait opté pour le prélèvement forfaitaire libératoire en temps utile et l'avait acquitté. Elle a, à cet égard, écarté comme dépourvue d'incidence la circonstance qu'une autre société civile détenue par des membres de la famille du contribuable se serait acquittée du prélèvement forfaitaire libératoire à la même date à raison d'autres opérations de rachat partiel de contrats de capitalisation. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation. Elle a pu, sans erreur de droit et sans insuffisance de motivation, en déduire que le requérant ne pouvait contester le redressement effectué par le service en se prévalant de ce qu'il se serait acquitté du prélèvement forfaitaire libératoire.

Sur les impositions établies au titre de l'année 2011 :

6. Aux termes de l'article 8 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de l'article 6, les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. (...) / Il en est de même, sous les mêmes conditions : / 1° Des membres des sociétés civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l'une des formes de sociétés visées au 1 de l'article 206 et qui, sous réserve des exceptions prévues à l'article 239 ter, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (...) ". Il résulte de ces dispositions que les bénéfices réalisés par une société civile qui n'a pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux sont soumis à l'impôt sur le revenu entre les mains des associés, qui sont ainsi réputés avoir personnellement réalisé une part de ces bénéfices. La quote-part du bénéfice d'une telle société doit être regardée comme ayant été, dès que ce bénéfice a été constaté au niveau de la société, acquise par l'associé, sans qu'il y ait lieu de rechercher si celui-ci a ou non perçu les sommes correspondantes.

7. Aux termes de l'article 238 bis K du même code : " I. Lorsque des droits dans une société ou un groupement mentionnés aux articles 8, 239 quater, 239 quater B ou 239 quater C sont inscrits à l'actif d'une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou d'une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l'impôt sur le revenu de plein droit selon un régime de bénéfice réel, la part de bénéfice correspondant à ces droits est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par la personne ou l'entreprise qui détient ces droits (...) / II. Dans tous les autres cas, la part de bénéfice ainsi que les profits résultant de la cession des droits sociaux sont déterminés et imposés en tenant compte de la nature de l'activité et du montant des recettes de la société ou du groupement ".

8. Après avoir relevé que les comptes de la société Verte Forêt avaient été approuvés au 31 décembre 2011 et que les bénéfices de la société, arrêtés conformément à l'article 18 de ses statuts, avaient été répartis entre les associés par inscription au crédit de leur compte courant au prorata de leurs droits sociaux, la cour administrative d'appel a jugé que les bénéfices ainsi déterminés, y compris la part de gains latents qu'ils comportaient du fait de ce mode de calcul statutaire dès lors que la répartition avait fait disparaître ce caractère latent, devaient être inclus, à concurrence de la quote-part de chaque associé, dans ses revenus imposables au titre de l'année en cause. En statuant ainsi, alors que la société Verte Forêt n'avait pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et que l'ensemble de ses associés relevaient du II de l'article 238 bis K du code général des impôts, de sorte que ces derniers étaient soumis à l'impôt sur le revenu à concurrence de leur quote-part des revenus de la société déterminés en application des dispositions de l'article 125-0 A du code général des impôts, indépendamment de la répartition de ces revenus et sans qu'aient d'incidence à cet égard les modalités de calcul du résultat que la société était statutairement tenue de déterminer à seule fin d'information de ces mêmes associés, la cour a commis une erreur de droit. M. G... est, par suite, fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, en tant qu'il statue sur les impositions établies au titre de l'année 2011.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. Il résulte de l'instruction que, compte tenu du dégrèvement prononcé par l'administration préalablement à la saisine du tribunal administratif par le contribuable en vue de tenir compte de ce qu'avait été soumise à l'impôt entre les mains de celui-ci sa quote-part des gains de rachats de contrats de capitalisation perçus par la société au cours de l'année 2011, ne sont en litige que les impositions supplémentaires procédant de la taxation de la différence entre la quote-part du contribuable dans les bénéfices de la société Verte Forêt arrêtés en application de l'article 18 de ses statuts et la quote-part des revenus de cette société déterminés en application des dispositions de l'article 125-0 A du code général des impôts. Il résulte, par suite, de ce qui a été dit au point 8 que M. G... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'il attaque, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.

11. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. G... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 4 mai 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux et le jugement du 7 février 2019 du tribunal administratif de Pau sont annulés en tant qu'ils statuent sur les impositions établies au titre de l'année 2011.
Article 2 : M. G... est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de prélèvements sociaux et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011.
Article 3 : L'Etat versera à M. G... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. G... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. M... G... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 4 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. J... C..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. H... L..., M. D... K..., M. I... F..., M. B... N..., M. Jonathan Bosredon, conseillers d'Etat et M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 14 avril 2022.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Alexandre Lapierre
La secrétaire :
Signé : Mme A... E...


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