Conseil d'État
N° 452547
ECLI:FR:CECHR:2022:452547.20220412
Publié au recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Alban de Nervaux, rapporteur
M. Frédéric Dieu, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats
Lecture du mardi 12 avril 2022
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 mai, 6 août et 28 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération Sud Education demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande, qu'il a reçue le 13 janvier 2021, tendant à la modification des dispositions du décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " et " Réseau d'éducation prioritaire ", afin d'inclure les assistants d'éducation dans la liste des catégories de personnels bénéficiant de l'indemnité de sujétions créée par ce décret ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de modifier, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, les dispositions de ce décret, afin d'inclure les assistants d'éducation dans la liste des catégories de personnels bénéficiant de l'indemnité de sujétions créée par ce décret ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 ;
- le décret n° 2003-484 du 6 juin 2003 ;
- le décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 ;
- le décret n° 2016-1171 du 29 août 2016 ;
- le décret n° 2021-825 du 28 juin 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alban de Nervaux, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération Sud Éducation ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 mars 2022, présentée par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;
Considérant ce qui suit :
1. La Fédération Sud Education demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à la modification des dispositions du décret du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " (REP+) et " Réseau d'éducation prioritaire " (REP), afin d'inclure les assistants d'éducation dans la liste des catégories de personnels bénéficiant de l'indemnité créée par ce décret, et d'enjoindre au Premier ministre de prendre des dispositions réglementaires en ce sens.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, en vertu des dispositions des articles 1er et 6 du décret du 28 août 2015, une indemnité de sujétions est allouée aux personnels enseignants, aux conseillers principaux d'éducation, aux personnels de direction, aux personnels administratifs et techniques, aux psychologues de l'éducation nationale de la spécialité " éducation, développement et apprentissage " qui exercent leurs fonctions dans les écoles ou établissements relevant, respectivement, du programme " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " (REP+) ou du programme " Réseau d'éducation prioritaire " (REP), ainsi qu'aux personnels sociaux et de santé affectés dans ces écoles ou établissements. En vertu de l'article 11 du même décret, cette indemnité de sujétions est allouée aux psychologues de l'éducation nationale de la spécialité " éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle " ainsi qu'aux personnels sociaux et de santé qui, même sans être affectés dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ ou REP, exercent leurs fonctions dans au moins une de ces écoles ou établissements.
3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 29 août 2016 relatif aux agents contractuels recrutés pour exercer des fonctions d'enseignement, d'éducation et d'orientation dans les écoles, les établissements publics d'enseignement du second degré ou les services relevant du ministre chargé de l'éducation nationale : " Des agents contractuels peuvent être recrutés pour exercer des fonctions d'enseignement, d'éducation et d'orientation dans les écoles, les établissements publics d'enseignement du second degré ou les services relevant du ministre chargé de l'éducation nationale, en application des articles 4, 6, 6 bis, 6 quater et 6 quinquies de la loi du 11 janvier 1984. (...) ". Aux termes de l'article 11 du même décret : " Les agents contractuels régis par le présent décret perçoivent, dans les mêmes conditions que les agents titulaires exerçant les mêmes fonctions, les primes et indemnités dont ces derniers bénéficient, sauf disposition réglementaire en réservant expressément le bénéfice aux seuls fonctionnaires ". En conséquence de ces dispositions, les agents contractuels exerçant des fonctions d'enseignement, d'orientation et d'éducation dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ ou REP bénéficient de l'indemnité de sujétions prévue par le décret du 28 août 2015.
4. Enfin, aux termes de l'article L. 916-1 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire : " Des assistants d'éducation sont recrutés par les établissements d'enseignement mentionnés au chapitre II du titre Ier et au titre II du livre IV pour exercer des fonctions d'assistance à l'équipe éducative en lien avec le projet d'établissement, notamment pour l'encadrement et la surveillance des élèves. / Les assistants d'éducation inscrits dans une formation dispensée par un établissement d'enseignement supérieur délivrant un diplôme préparant au concours d'accès aux corps des personnels enseignants ou d'éducation peuvent se voir confier progressivement des fonctions de soutien, d'accompagnement, d'éducation et d'enseignement. / A l'issue de leur contrat, les assistants d'éducation peuvent demander à faire valider l'expérience acquise dans les conditions définies par les articles L. 2323-10, L. 6111-1, L. 6311-1, L. 6411-1 et L. 6422-1 du code du travail. / Les assistants d'éducation peuvent exercer leurs fonctions dans l'établissement qui les a recrutés, dans un ou plusieurs autres établissements ainsi que, compte tenu des besoins appréciés par l'autorité administrative, dans une ou plusieurs écoles. Dans ce dernier cas, les directeurs d'école peuvent participer à la procédure de recrutement. / Les assistants d'éducation sont recrutés par des contrats d'une durée maximale de trois ans, renouvelables dans la limite d'une période d'engagement totale de six ans. Un décret définit les conditions dans lesquelles l'Etat peut conclure un contrat à durée indéterminée avec une personne ayant exercé pendant six ans en qualité d'assistant d'éducation, en vue de poursuivre ses missions. / Le dispositif des assistants d'éducation est destiné à bénéficier en priorité à des étudiants boursiers. / Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret pris après avis du comité technique ministériel du ministère chargé de l'éducation. Ce décret précise les droits reconnus aux assistants d'éducation au titre des articles L. 970-1 à L. 970-4 du même code, les modalités d'aménagement de leur temps de travail, en particulier pour ceux qui sont astreints à un service de nuit, ainsi que les conditions dans lesquelles les assistants d'éducation mentionnés au deuxième alinéa du présent article peuvent exercer des fonctions pédagogiques, d'enseignement ou d'éducation. Il peut déroger, dans la mesure justifiée par la nature de leurs missions, aux dispositions générales prises pour l'application de l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ".
5. Aux termes de l'article 1er du décret du 6 juin 2003 fixant les conditions de recrutement et d'emploi des assistants d'éducation : " Les assistants d'éducation accomplissent, en application de l'article L. 916-1 et du premier alinéa de l'article L. 916-2 du code de l'éducation susvisé, dans les établissements d'enseignement et les écoles, sous la direction des autorités chargées de l'organisation du service, les fonctions suivantes : / 1° Encadrement et surveillance des élèves dans les établissements ou les écoles, y compris le service d'internat, et, en dehors de ceux-ci, dans le cadre d'activités nécessitant un accompagnement des élèves ; / 2° Appui aux personnels enseignants pour le soutien et l'accompagnement pédagogiques ; (...) / 4° Aide à l'utilisation des nouvelles technologies ; / 5° Participation à toute activité éducative, sportive, sociale, artistique ou culturelle complémentaire aux enseignements ; / 6° Participation à l'aide aux devoirs et aux leçons ; / 7° Participation aux actions de prévention et de sécurité conduites au sein de l'établissement. / Le contrat précise les fonctions pour lesquelles l'assistant d'éducation est recruté ainsi que les établissements ou les écoles au sein desquels il exerce ". Aux termes de l'article 3 de ce même décret : " Les candidats aux fonctions d'assistant d'éducation doivent être titulaires du baccalauréat, ou d'un titre ou diplôme de niveau IV au sens de l'article L. 335-6 du code de l'éducation susvisé, ou d'un titre ou diplôme de niveau égal ou supérieur. Les candidats aux fonctions mentionnées au 2° de l'article 1er sont recrutés prioritairement parmi les étudiants se destinant aux carrières de l'enseignement. Ils doivent être titulaires soit d'un titre ou diplôme sanctionnant au moins deux années d'études après le baccalauréat, ou de niveau III au sens de l'article L. 335-6 du code de l'éducation susvisé, soit d'un autre titre ou diplôme de niveau égal ou supérieur (...) ".
6. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Ces modalités de mise en oeuvre du principe d'égalité sont applicables à l'édiction de normes régissant la situation d'agents publics qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.
7. Il ressort des pièces du dossier que le décret du 28 août 2015 a institué une indemnité, dite de sujétions, au bénéfice des personnels qu'il énumère et qui sont affectés ou exercent dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ ou REP. Cette indemnité vise, d'une part, à prendre en compte les sujétions particulières attachées aux conditions d'exercice par ces personnels de leurs fonctions et à les inciter à demander une affectation et à servir durablement dans ces écoles ou établissements, de façon à y améliorer la stabilité des équipes pédagogiques et de vie scolaire, et, d'autre part, à la suite de la modification du décret du 28 août 2015 par le décret du 28 juin 2021, à valoriser l'engagement professionnel collectif des équipes exerçant dans une école ou un établissement relevant du programme REP+.
8. Le décret du 28 août 2015 accorde le bénéfice de cette indemnité de sujétions à l'ensemble des personnels enseignants, des conseillers principaux d'éducation, des personnels de direction, des personnels administratifs et techniques, des psychologues de l'éducation nationale de la spécialité " éducation, développement et apprentissage " qui exercent leurs fonctions dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ et REP. En vertu des dispositions du décret du 29 août 2016, les agents contractuels recrutés pour exercer des fonctions d'enseignement, d'éducation et d'orientation dans ces mêmes écoles ou établissements bénéficient également de cette indemnité de sujétions, sans qu'y fasse obstacle, le cas échéant, la circonstance qu'ils soient recrutés par contrat à durée déterminée.
9. Il ressort des pièces du dossier que, au regard de la nature de leurs missions et des conditions d'exercice de leurs fonctions, les assistants d'éducation servant dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ et REP sont exposés à des sujétions comparables à celles des personnels titulaires et contractuels bénéficiant de l'indemnité de sujétions en application des décrets du 28 août 2015 et du 29 août 2016 et qu'ils participent, de par leur mission d'assistance des équipes éducatives, à l'engagement professionnel collectif de ces équipes. Les circonstances, avancées par le ministre en défense, tenant à la particularité de leur statut, à leurs conditions de recrutement, effectué directement par l'établissement, et à la durée maximale de leur période d'engagement, qui reste, en l'état des dispositions applicables à la date de la présente décision, limitée à six années, ne sont pas de nature, eu égard à l'objet de l'indemnité instituée par le décret du 28 août 2015, à justifier de les exclure du bénéfice de l'indemnité en cause.
10. Par suite, en excluant les assistants d'éducation des catégories de personnels bénéficiant de cette indemnité de sujétions, le pouvoir réglementaire a créé une différence de traitement sans rapport avec l'objet du texte qui institue cette indemnité et a méconnu, ainsi, le principe d'égalité. Il en résulte que la Fédération Sud Education est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision qu'elle attaque.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. L'annulation de la décision refusant de modifier les dispositions réglementaires relatives au régime de l'indemnité de sujétions en tant que ces dispositions excluent les assistants d'éducation des catégories de personnels bénéficiant de cette indemnité implique nécessairement la modification de ces dispositions réglementaires, de façon à rétablir l'égalité de traitement de l'ensemble des agents concernés. Il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, d'ordonner la modification de ces dispositions dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la fédération requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur la demande de Fédération Sud Education tendant à la modification des dispositions du décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " et " Réseau d'éducation prioritaire ", afin d'y inclure les assistants d'éducation dans la liste des catégories de personnels bénéficiant de l'indemnité de sujétions créée par ce décret, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de modifier les dispositions réglementaires relatives à l'indemnité de sujétions en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " et " Réseau d'éducation prioritaire ", conformément aux motifs de la présente décision, dans un délai de six mois à compter de la notification de cette décision.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la Fédération Sud Education au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la Fédération Sud Education est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération Sud Education, au Premier ministre, au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à la ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Copie en sera adressée à la Section du rapport et des études.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 mars 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A... O..., Mme F... N..., présidentes de chambre ; M. L... I..., Mme K... M..., Mme C... H..., M. D... J..., Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat et M. Alban de Nervaux, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 12 avril 2022.
Le président :
Signé : M. P... B...
Le rapporteur :
Signé : M. Alban de Nervaux
La secrétaire :
Signé : Mme E... G...
N° 452547
ECLI:FR:CECHR:2022:452547.20220412
Publié au recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Alban de Nervaux, rapporteur
M. Frédéric Dieu, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats
Lecture du mardi 12 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 mai, 6 août et 28 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération Sud Education demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande, qu'il a reçue le 13 janvier 2021, tendant à la modification des dispositions du décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " et " Réseau d'éducation prioritaire ", afin d'inclure les assistants d'éducation dans la liste des catégories de personnels bénéficiant de l'indemnité de sujétions créée par ce décret ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de modifier, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, les dispositions de ce décret, afin d'inclure les assistants d'éducation dans la liste des catégories de personnels bénéficiant de l'indemnité de sujétions créée par ce décret ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 ;
- le décret n° 2003-484 du 6 juin 2003 ;
- le décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 ;
- le décret n° 2016-1171 du 29 août 2016 ;
- le décret n° 2021-825 du 28 juin 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alban de Nervaux, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération Sud Éducation ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 mars 2022, présentée par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;
Considérant ce qui suit :
1. La Fédération Sud Education demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à la modification des dispositions du décret du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " (REP+) et " Réseau d'éducation prioritaire " (REP), afin d'inclure les assistants d'éducation dans la liste des catégories de personnels bénéficiant de l'indemnité créée par ce décret, et d'enjoindre au Premier ministre de prendre des dispositions réglementaires en ce sens.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, en vertu des dispositions des articles 1er et 6 du décret du 28 août 2015, une indemnité de sujétions est allouée aux personnels enseignants, aux conseillers principaux d'éducation, aux personnels de direction, aux personnels administratifs et techniques, aux psychologues de l'éducation nationale de la spécialité " éducation, développement et apprentissage " qui exercent leurs fonctions dans les écoles ou établissements relevant, respectivement, du programme " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " (REP+) ou du programme " Réseau d'éducation prioritaire " (REP), ainsi qu'aux personnels sociaux et de santé affectés dans ces écoles ou établissements. En vertu de l'article 11 du même décret, cette indemnité de sujétions est allouée aux psychologues de l'éducation nationale de la spécialité " éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle " ainsi qu'aux personnels sociaux et de santé qui, même sans être affectés dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ ou REP, exercent leurs fonctions dans au moins une de ces écoles ou établissements.
3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 29 août 2016 relatif aux agents contractuels recrutés pour exercer des fonctions d'enseignement, d'éducation et d'orientation dans les écoles, les établissements publics d'enseignement du second degré ou les services relevant du ministre chargé de l'éducation nationale : " Des agents contractuels peuvent être recrutés pour exercer des fonctions d'enseignement, d'éducation et d'orientation dans les écoles, les établissements publics d'enseignement du second degré ou les services relevant du ministre chargé de l'éducation nationale, en application des articles 4, 6, 6 bis, 6 quater et 6 quinquies de la loi du 11 janvier 1984. (...) ". Aux termes de l'article 11 du même décret : " Les agents contractuels régis par le présent décret perçoivent, dans les mêmes conditions que les agents titulaires exerçant les mêmes fonctions, les primes et indemnités dont ces derniers bénéficient, sauf disposition réglementaire en réservant expressément le bénéfice aux seuls fonctionnaires ". En conséquence de ces dispositions, les agents contractuels exerçant des fonctions d'enseignement, d'orientation et d'éducation dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ ou REP bénéficient de l'indemnité de sujétions prévue par le décret du 28 août 2015.
4. Enfin, aux termes de l'article L. 916-1 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire : " Des assistants d'éducation sont recrutés par les établissements d'enseignement mentionnés au chapitre II du titre Ier et au titre II du livre IV pour exercer des fonctions d'assistance à l'équipe éducative en lien avec le projet d'établissement, notamment pour l'encadrement et la surveillance des élèves. / Les assistants d'éducation inscrits dans une formation dispensée par un établissement d'enseignement supérieur délivrant un diplôme préparant au concours d'accès aux corps des personnels enseignants ou d'éducation peuvent se voir confier progressivement des fonctions de soutien, d'accompagnement, d'éducation et d'enseignement. / A l'issue de leur contrat, les assistants d'éducation peuvent demander à faire valider l'expérience acquise dans les conditions définies par les articles L. 2323-10, L. 6111-1, L. 6311-1, L. 6411-1 et L. 6422-1 du code du travail. / Les assistants d'éducation peuvent exercer leurs fonctions dans l'établissement qui les a recrutés, dans un ou plusieurs autres établissements ainsi que, compte tenu des besoins appréciés par l'autorité administrative, dans une ou plusieurs écoles. Dans ce dernier cas, les directeurs d'école peuvent participer à la procédure de recrutement. / Les assistants d'éducation sont recrutés par des contrats d'une durée maximale de trois ans, renouvelables dans la limite d'une période d'engagement totale de six ans. Un décret définit les conditions dans lesquelles l'Etat peut conclure un contrat à durée indéterminée avec une personne ayant exercé pendant six ans en qualité d'assistant d'éducation, en vue de poursuivre ses missions. / Le dispositif des assistants d'éducation est destiné à bénéficier en priorité à des étudiants boursiers. / Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret pris après avis du comité technique ministériel du ministère chargé de l'éducation. Ce décret précise les droits reconnus aux assistants d'éducation au titre des articles L. 970-1 à L. 970-4 du même code, les modalités d'aménagement de leur temps de travail, en particulier pour ceux qui sont astreints à un service de nuit, ainsi que les conditions dans lesquelles les assistants d'éducation mentionnés au deuxième alinéa du présent article peuvent exercer des fonctions pédagogiques, d'enseignement ou d'éducation. Il peut déroger, dans la mesure justifiée par la nature de leurs missions, aux dispositions générales prises pour l'application de l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ".
5. Aux termes de l'article 1er du décret du 6 juin 2003 fixant les conditions de recrutement et d'emploi des assistants d'éducation : " Les assistants d'éducation accomplissent, en application de l'article L. 916-1 et du premier alinéa de l'article L. 916-2 du code de l'éducation susvisé, dans les établissements d'enseignement et les écoles, sous la direction des autorités chargées de l'organisation du service, les fonctions suivantes : / 1° Encadrement et surveillance des élèves dans les établissements ou les écoles, y compris le service d'internat, et, en dehors de ceux-ci, dans le cadre d'activités nécessitant un accompagnement des élèves ; / 2° Appui aux personnels enseignants pour le soutien et l'accompagnement pédagogiques ; (...) / 4° Aide à l'utilisation des nouvelles technologies ; / 5° Participation à toute activité éducative, sportive, sociale, artistique ou culturelle complémentaire aux enseignements ; / 6° Participation à l'aide aux devoirs et aux leçons ; / 7° Participation aux actions de prévention et de sécurité conduites au sein de l'établissement. / Le contrat précise les fonctions pour lesquelles l'assistant d'éducation est recruté ainsi que les établissements ou les écoles au sein desquels il exerce ". Aux termes de l'article 3 de ce même décret : " Les candidats aux fonctions d'assistant d'éducation doivent être titulaires du baccalauréat, ou d'un titre ou diplôme de niveau IV au sens de l'article L. 335-6 du code de l'éducation susvisé, ou d'un titre ou diplôme de niveau égal ou supérieur. Les candidats aux fonctions mentionnées au 2° de l'article 1er sont recrutés prioritairement parmi les étudiants se destinant aux carrières de l'enseignement. Ils doivent être titulaires soit d'un titre ou diplôme sanctionnant au moins deux années d'études après le baccalauréat, ou de niveau III au sens de l'article L. 335-6 du code de l'éducation susvisé, soit d'un autre titre ou diplôme de niveau égal ou supérieur (...) ".
6. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Ces modalités de mise en oeuvre du principe d'égalité sont applicables à l'édiction de normes régissant la situation d'agents publics qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.
7. Il ressort des pièces du dossier que le décret du 28 août 2015 a institué une indemnité, dite de sujétions, au bénéfice des personnels qu'il énumère et qui sont affectés ou exercent dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ ou REP. Cette indemnité vise, d'une part, à prendre en compte les sujétions particulières attachées aux conditions d'exercice par ces personnels de leurs fonctions et à les inciter à demander une affectation et à servir durablement dans ces écoles ou établissements, de façon à y améliorer la stabilité des équipes pédagogiques et de vie scolaire, et, d'autre part, à la suite de la modification du décret du 28 août 2015 par le décret du 28 juin 2021, à valoriser l'engagement professionnel collectif des équipes exerçant dans une école ou un établissement relevant du programme REP+.
8. Le décret du 28 août 2015 accorde le bénéfice de cette indemnité de sujétions à l'ensemble des personnels enseignants, des conseillers principaux d'éducation, des personnels de direction, des personnels administratifs et techniques, des psychologues de l'éducation nationale de la spécialité " éducation, développement et apprentissage " qui exercent leurs fonctions dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ et REP. En vertu des dispositions du décret du 29 août 2016, les agents contractuels recrutés pour exercer des fonctions d'enseignement, d'éducation et d'orientation dans ces mêmes écoles ou établissements bénéficient également de cette indemnité de sujétions, sans qu'y fasse obstacle, le cas échéant, la circonstance qu'ils soient recrutés par contrat à durée déterminée.
9. Il ressort des pièces du dossier que, au regard de la nature de leurs missions et des conditions d'exercice de leurs fonctions, les assistants d'éducation servant dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ et REP sont exposés à des sujétions comparables à celles des personnels titulaires et contractuels bénéficiant de l'indemnité de sujétions en application des décrets du 28 août 2015 et du 29 août 2016 et qu'ils participent, de par leur mission d'assistance des équipes éducatives, à l'engagement professionnel collectif de ces équipes. Les circonstances, avancées par le ministre en défense, tenant à la particularité de leur statut, à leurs conditions de recrutement, effectué directement par l'établissement, et à la durée maximale de leur période d'engagement, qui reste, en l'état des dispositions applicables à la date de la présente décision, limitée à six années, ne sont pas de nature, eu égard à l'objet de l'indemnité instituée par le décret du 28 août 2015, à justifier de les exclure du bénéfice de l'indemnité en cause.
10. Par suite, en excluant les assistants d'éducation des catégories de personnels bénéficiant de cette indemnité de sujétions, le pouvoir réglementaire a créé une différence de traitement sans rapport avec l'objet du texte qui institue cette indemnité et a méconnu, ainsi, le principe d'égalité. Il en résulte que la Fédération Sud Education est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision qu'elle attaque.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. L'annulation de la décision refusant de modifier les dispositions réglementaires relatives au régime de l'indemnité de sujétions en tant que ces dispositions excluent les assistants d'éducation des catégories de personnels bénéficiant de cette indemnité implique nécessairement la modification de ces dispositions réglementaires, de façon à rétablir l'égalité de traitement de l'ensemble des agents concernés. Il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, d'ordonner la modification de ces dispositions dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la fédération requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur la demande de Fédération Sud Education tendant à la modification des dispositions du décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " et " Réseau d'éducation prioritaire ", afin d'y inclure les assistants d'éducation dans la liste des catégories de personnels bénéficiant de l'indemnité de sujétions créée par ce décret, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de modifier les dispositions réglementaires relatives à l'indemnité de sujétions en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes " Réseau d'éducation prioritaire renforcé " et " Réseau d'éducation prioritaire ", conformément aux motifs de la présente décision, dans un délai de six mois à compter de la notification de cette décision.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la Fédération Sud Education au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la Fédération Sud Education est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération Sud Education, au Premier ministre, au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à la ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Copie en sera adressée à la Section du rapport et des études.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 mars 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A... O..., Mme F... N..., présidentes de chambre ; M. L... I..., Mme K... M..., Mme C... H..., M. D... J..., Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat et M. Alban de Nervaux, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 12 avril 2022.
Le président :
Signé : M. P... B...
Le rapporteur :
Signé : M. Alban de Nervaux
La secrétaire :
Signé : Mme E... G...