Conseil d'État
N° 443335
ECLI:FR:CECHR:2021:443335.20211230
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Frédéric Pacoud, rapporteur
M. Vincent Villette, rapporteur public
LE PRADO ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du jeudi 30 décembre 2021
Vu la procédure suivante :
Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler le titre exécutoire d'un montant de 425 180,20 euros émis le 31 mai 2016 par le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde, correspondant aux interventions effectuées dans le cadre de l'activité du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) au cours de l'année 2015 ou, à titre subsidiaire, d'annuler ce titre exécutoire en tant qu'il excède 1 642 interventions, et de prononcer la décharge des sommes correspondantes. Par un jugement n° 1603216 du 13 février 2018, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 18BX01534 du 23 juin 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie par le CHU de Bordeaux, a déchargé celui-ci de l'obligation de payer les interventions du SDIS de la Gironde effectuées au cours de l'année 2015 pour le compte du " SMUR d'Arès ", réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire à son arrêt et rejeté le surplus de ses conclusions.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 août et 24 novembre 2020 et 13 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CHU de Bordeaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à ses conclusions ;
2°) de mettre à la charge du SDIS de la Gironde la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- l'arrêté du 24 avril 2009 relatif à la mise en oeuvre du référentiel portant sur l'organisation du secours à la personne et de l'aide médicale urgente ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Bordeaux et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du service départemental d'incendie et de secours de la Gironde ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde ont conclu le 14 juin 2007 une convention relative au remboursement des interventions du SDIS dans le cadre de l'activité de la structure mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) relevant du CHU de Bordeaux. En vertu de l'article 2 de cette convention, le SDIS participe au fonctionnement de cette structure sur demande de la régulation médicale du centre de réception et de régulation des appels, dit " centre 15 ", chaque demande devant être confirmée par écrit ou par moyen électronique dans les deux jours, et l'article 3 précisant que le champ d'application de la convention " trouve sa limite dans les obligations de continuité de service du SDIS et l'exécution de ses missions propres ". Son article 4 prévoit que dans le cadre de telles interventions, le SDIS met à disposition des véhicules de secours et leur équipage chargé de la conduite, du brancardage, et le cas échéant de tâches de secourisme et son article 5 que, pour les missions prévues par la convention, les équipages du SDIS sont placés sous la coordination fonctionnelle du médecin régulateur puis du médecin de la SMUR, dès que celui-ci a rejoint l'équipage du SDIS. L'article 8 fixe les modalités du remboursement des interventions du SDIS par le CHU de Bordeaux, par référence à un coût unitaire forfaitaire du transport, qui s'élevait pour l'année 2015 à 118,80 euros, et à un forfait annuel au-delà duquel sont facturés les transports excédant de 15 % ce forfait. Le 31 mai 2016, le SDIS de la Gironde a émis un titre exécutoire d'un montant de 425 185,20 euros correspondant, pour 190 080 euros, à la facturation du forfait annuel de 1 600 interventions et, pour 235 105,20 euros à 1 979 interventions facturables au-delà du forfait, réalisées selon lui au cours de l'année 2015 dans le cadre de cette convention. Par un jugement du 13 février 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande du CHU de Bordeaux tendant à l'annulation de ce titre exécutoire et à la décharge de l'obligation de payer les sommes contestées. Par un arrêt du 23 juin 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie par le CHU de Bordeaux, l'a déchargé de l'obligation de payer les interventions du SDIS de la Gironde effectuées au cours de l'année 2015 pour le compte de la " SMUR d'Arès " et a rejeté le surplus de ses conclusions. Le CHU de Bordeaux se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à ses conclusions.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Les services d'incendie et de secours (...) / concourent, avec les autres services et professionnels concernés, (...) aux secours d'urgence. / Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes : (...) / 4° Les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation ". L'article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que : " Les dépenses directement imputables aux opérations de secours au sens des dispositions de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales sont prises en charge par le service départemental d'incendie et de secours (...) ". L'article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales dispose, dans sa rédaction alors applicable, que : " Le service départemental d'incendie et de secours n'est tenu de procéder qu'aux seules interventions qui se rattachent directement à ses missions de service public définies à l'article L. 1424-2. / (...) Les interventions effectuées par les services d'incendie et de secours à la demande de la régulation médicale du centre 15, lorsque celle-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés, et qui ne relèvent pas de l'article L. 1424-2, font l'objet d'une prise en charge financière par les établissements de santé, sièges des services d'aide médicale d'urgence. / Les conditions de cette prise en charge sont fixées par une convention entre le service départemental d'incendie et de secours et l'hôpital siège du service d'aide médicale d'urgence, selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 6311-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " L'aide médicale urgente a pour objet, en relation notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d'organisation des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état ". L'article L. 6311-2 du même code prévoit, dans sa rédaction alors applicable, que : " Seuls les établissements de santé peuvent être autorisés, conformément au chapitre II du titre II du livre Ier de la présente partie, à comporter une ou plusieurs unités participant au service d'aide médicale urgente, dont les missions et l'organisation sont fixées par voie réglementaire. / Un centre de réception et de régulation des appels est installé dans les services d'aide médicale urgente. (...) / Dans le respect du secret médical, les centres de réception et de régulation des appels sont interconnectés avec les dispositifs des services de police et d'incendie et de secours. / Les services d'aide médicale urgente et les services concourant à l'aide médicale urgente sont tenus d'assurer le transport des patients pris en charge dans le plus proche des établissements offrant des moyens disponibles adaptés à leur état, sous réserve du respect du libre choix ". L'article R. 6311-1 du même code précise que : " Les services d'aide médicale urgente ont pour mission de répondre par des moyens exclusivement médicaux aux situations d'urgence. / Lorsqu'une situation d'urgence nécessite la mise en oeuvre conjointe de moyens médicaux et de moyens de sauvetage, les services d'aide médicale urgente joignent leurs moyens à ceux qui sont mis en oeuvre par les services d'incendie et de secours " et l'article R. 6311-2 que : " Pour l'application de l'article R. 6311-1, les services d'aide médicale urgente : / (...) 2° Déterminent et déclenchent, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels ; / (...) 4° Organisent, le cas échéant, le transport dans un établissement public ou privé en faisant appel à un service public ou à une entreprise privée de transports sanitaires (...) ". L'article R. 6123-15 de ce code dispose que : " Dans le cadre de l'aide médicale urgente, la structure mobile d'urgence et de réanimation mentionnée à l'article R. 6123-1 a pour mission : / 1° D'assurer, en permanence, en tous lieux et prioritairement hors de l'établissement de santé auquel il est rattaché, la prise en charge d'un patient dont l'état requiert de façon urgente une prise en charge médicale et de réanimation, et, le cas échéant, et après régulation par le SAMU, le transport de ce patient vers un établissement de santé (...) ". L'article D. 6124-12 de ce code permet aux services d'incendie et de secours de mettre des équipages et véhicules à disposition d'une structure mobile d'urgence et de réanimation dans le cadre, qui régit alors cette mise à disposition, d'une convention avec l'établissement de santé autorisé à disposer d'une telle structure. Il résulte de l'article R. 6312-15 du même code que ces services, indépendamment de la conclusion d'une telle convention, peuvent être amenés à intervenir pour effectuer des transports sanitaires d'urgence faute de moyens de transport sanitaire.
4. Enfin, le paragraphe II.B.1 du titre I du référentiel commun du 25 juin 2008 relatif à l'organisation du secours à personne et de l'aide médicale urgente, annexé à l'arrêté de la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et de la ministre de la santé et des sports du 24 avril 2009, prévoit, pour renforcer la coordination des services publics de façon à apporter la réponse la plus adaptée aux situations d'urgence, d'une part, que tous les appels pour secours et soins d'urgence font l'objet de la régulation médicale par le service d'aide médicale urgente (SAMU) et, d'autre part, que dans les situations de " départ réflexe ", correspondant notamment à l'urgence vitale identifiée à l'appel et aux interventions sur la voie publique ou dans les lieux publics, l'engagement des moyens des services d'incendie et de secours en vue de secours d'urgence précède la régulation médicale, laquelle se fait alors dans les meilleurs délais. En vertu de la circulaire interministérielle du 5 juin 2015 relative à l'application de l'arrêté du 24 avril 2009 relatif à la mise en oeuvre du référentiel portant sur l'organisation du secours à personne et de l'aide médicale urgente : " En cas de départ réflexe des moyens du SIS, la régulation médicale par le SAMU intervient dans les meilleurs délais après le déclenchement des moyens du SIS afin de s'assurer de la pertinence des moyens déjà engagés (compétence mobilisée et vecteur utilisé) et de les compléter le cas échéant ".
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les services départementaux d'incendie et de secours ne doivent supporter la charge que des interventions qui se rattachent directement aux missions de service public définies à l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales. Figurent au nombre de ces missions celles qui relèvent des secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes, y compris l'évacuation de ces personnes vers un établissement de santé.
6. Il résulte également de ces dispositions qu'il incombe aux services d'aide médicale urgente de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état et, à cette fin, au centre de réception et de régulation des appels, dit " centre 15 ", installé dans ces services, de déterminer et déclencher, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels, le cas échéant en organisant un transport sanitaire d'urgence faisant appel à une entreprise privée de transport sanitaire ou, au besoin, aux services d'incendie et de secours.
Sur le pourvoi :
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la convention conclue par le CHU de Bordeaux et le SDIS de la Gironde, citée au point 1, l'a été pour permettre que, dans le cadre prévu par l'article D. 6124-12 du code de la santé publique, les moyens du SDIS soient, sur demande du " centre 15 ", mis à la disposition de la SMUR pour l'exercice par cette dernière de ses missions, et elle précise à son article 3 qu'elle " trouve sa limite dans les obligations de continuité de service du SDIS et l'exécution de ses missions propres ". Elle ne saurait ainsi régir les interventions du SDIS relevant des missions qui sont dévolues à celui-ci par l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, qu'il est tenu d'assurer et de prendre en charge et lors desquelles il ne peut être regardé comme mettant ses moyens à la disposition d'une SMUR dans le cadre d'une convention librement conclue en vertu de l'article D. 6124-12 du code de la santé publique. Par suite, lorsque le SDIS, après avoir engagé ses moyens dans une situation de " départ réflexe ", laquelle relève de ses missions de service public au titre du 4° de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, procède à l'évacuation de la personne secourue vers un établissement de santé, il lui incombe d'assumer la charge financière de ce transport qui doit être regardé, en vertu des mêmes dispositions, quelle que soit la gravité de l'état de la personne secourue, comme le prolongement des missions de secours d'urgence aux accidentés ou blessés qui lui sont dévolues. La circonstance que la structure mobile d'urgence et de réanimation soit également intervenue sur décision du médecin coordonnateur du " centre 15 " pour assurer, au titre de ses missions propres, la prise en charge médicale urgente de la personne, est sans incidence sur les obligations légales du SDIS, parmi lesquelles figure celle d'assurer l'évacuation de la personne qu'il a secourue vers un établissement de santé. Il en résulte qu'en jugeant que les circonstances de l'arrivée des secours d'urgence sur les lieux sont sans incidence sur le fait que le coût du transport dit " de jonction " jusqu'au CHU réalisé avec les moyens du SDIS incombe à l'établissement hospitalier, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, que le CHU de Bordeaux est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions d'appel.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SDIS de la Gironde une somme de 3 000 euros à verser au CHU de Bordeaux, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du CHU de Bordeaux qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 23 juin 2020 est annulé en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de la requête d'appel du centre hospitalier universitaire de Bordeaux.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans la même mesure à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : Le service départemental d'incendie et de secours de la Gironde versera au centre hospitalier universitaire de Bordeaux une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du service départemental d'incendie et de secours de la Gironde présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire de Bordeaux et au service départemental d'incendie et de secours de la Gironde.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2021 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre ; Mme A... D..., Mme G... I..., M. H... E..., M. B... F..., Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat ; Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes et M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 30 décembre 2021.
La présidente :
Signé : Mme Maud Vialettes
Le rapporteur :
Signé : M. Frédéric Pacoud
La secrétaire :
Signé : Mme J... C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
N° 443335
ECLI:FR:CECHR:2021:443335.20211230
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Frédéric Pacoud, rapporteur
M. Vincent Villette, rapporteur public
LE PRADO ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
Lecture du jeudi 30 décembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler le titre exécutoire d'un montant de 425 180,20 euros émis le 31 mai 2016 par le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde, correspondant aux interventions effectuées dans le cadre de l'activité du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) au cours de l'année 2015 ou, à titre subsidiaire, d'annuler ce titre exécutoire en tant qu'il excède 1 642 interventions, et de prononcer la décharge des sommes correspondantes. Par un jugement n° 1603216 du 13 février 2018, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 18BX01534 du 23 juin 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie par le CHU de Bordeaux, a déchargé celui-ci de l'obligation de payer les interventions du SDIS de la Gironde effectuées au cours de l'année 2015 pour le compte du " SMUR d'Arès ", réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire à son arrêt et rejeté le surplus de ses conclusions.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 août et 24 novembre 2020 et 13 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CHU de Bordeaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à ses conclusions ;
2°) de mettre à la charge du SDIS de la Gironde la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- l'arrêté du 24 avril 2009 relatif à la mise en oeuvre du référentiel portant sur l'organisation du secours à la personne et de l'aide médicale urgente ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Bordeaux et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du service départemental d'incendie et de secours de la Gironde ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde ont conclu le 14 juin 2007 une convention relative au remboursement des interventions du SDIS dans le cadre de l'activité de la structure mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) relevant du CHU de Bordeaux. En vertu de l'article 2 de cette convention, le SDIS participe au fonctionnement de cette structure sur demande de la régulation médicale du centre de réception et de régulation des appels, dit " centre 15 ", chaque demande devant être confirmée par écrit ou par moyen électronique dans les deux jours, et l'article 3 précisant que le champ d'application de la convention " trouve sa limite dans les obligations de continuité de service du SDIS et l'exécution de ses missions propres ". Son article 4 prévoit que dans le cadre de telles interventions, le SDIS met à disposition des véhicules de secours et leur équipage chargé de la conduite, du brancardage, et le cas échéant de tâches de secourisme et son article 5 que, pour les missions prévues par la convention, les équipages du SDIS sont placés sous la coordination fonctionnelle du médecin régulateur puis du médecin de la SMUR, dès que celui-ci a rejoint l'équipage du SDIS. L'article 8 fixe les modalités du remboursement des interventions du SDIS par le CHU de Bordeaux, par référence à un coût unitaire forfaitaire du transport, qui s'élevait pour l'année 2015 à 118,80 euros, et à un forfait annuel au-delà duquel sont facturés les transports excédant de 15 % ce forfait. Le 31 mai 2016, le SDIS de la Gironde a émis un titre exécutoire d'un montant de 425 185,20 euros correspondant, pour 190 080 euros, à la facturation du forfait annuel de 1 600 interventions et, pour 235 105,20 euros à 1 979 interventions facturables au-delà du forfait, réalisées selon lui au cours de l'année 2015 dans le cadre de cette convention. Par un jugement du 13 février 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande du CHU de Bordeaux tendant à l'annulation de ce titre exécutoire et à la décharge de l'obligation de payer les sommes contestées. Par un arrêt du 23 juin 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie par le CHU de Bordeaux, l'a déchargé de l'obligation de payer les interventions du SDIS de la Gironde effectuées au cours de l'année 2015 pour le compte de la " SMUR d'Arès " et a rejeté le surplus de ses conclusions. Le CHU de Bordeaux se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à ses conclusions.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Les services d'incendie et de secours (...) / concourent, avec les autres services et professionnels concernés, (...) aux secours d'urgence. / Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes : (...) / 4° Les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation ". L'article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que : " Les dépenses directement imputables aux opérations de secours au sens des dispositions de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales sont prises en charge par le service départemental d'incendie et de secours (...) ". L'article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales dispose, dans sa rédaction alors applicable, que : " Le service départemental d'incendie et de secours n'est tenu de procéder qu'aux seules interventions qui se rattachent directement à ses missions de service public définies à l'article L. 1424-2. / (...) Les interventions effectuées par les services d'incendie et de secours à la demande de la régulation médicale du centre 15, lorsque celle-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés, et qui ne relèvent pas de l'article L. 1424-2, font l'objet d'une prise en charge financière par les établissements de santé, sièges des services d'aide médicale d'urgence. / Les conditions de cette prise en charge sont fixées par une convention entre le service départemental d'incendie et de secours et l'hôpital siège du service d'aide médicale d'urgence, selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 6311-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " L'aide médicale urgente a pour objet, en relation notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d'organisation des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état ". L'article L. 6311-2 du même code prévoit, dans sa rédaction alors applicable, que : " Seuls les établissements de santé peuvent être autorisés, conformément au chapitre II du titre II du livre Ier de la présente partie, à comporter une ou plusieurs unités participant au service d'aide médicale urgente, dont les missions et l'organisation sont fixées par voie réglementaire. / Un centre de réception et de régulation des appels est installé dans les services d'aide médicale urgente. (...) / Dans le respect du secret médical, les centres de réception et de régulation des appels sont interconnectés avec les dispositifs des services de police et d'incendie et de secours. / Les services d'aide médicale urgente et les services concourant à l'aide médicale urgente sont tenus d'assurer le transport des patients pris en charge dans le plus proche des établissements offrant des moyens disponibles adaptés à leur état, sous réserve du respect du libre choix ". L'article R. 6311-1 du même code précise que : " Les services d'aide médicale urgente ont pour mission de répondre par des moyens exclusivement médicaux aux situations d'urgence. / Lorsqu'une situation d'urgence nécessite la mise en oeuvre conjointe de moyens médicaux et de moyens de sauvetage, les services d'aide médicale urgente joignent leurs moyens à ceux qui sont mis en oeuvre par les services d'incendie et de secours " et l'article R. 6311-2 que : " Pour l'application de l'article R. 6311-1, les services d'aide médicale urgente : / (...) 2° Déterminent et déclenchent, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels ; / (...) 4° Organisent, le cas échéant, le transport dans un établissement public ou privé en faisant appel à un service public ou à une entreprise privée de transports sanitaires (...) ". L'article R. 6123-15 de ce code dispose que : " Dans le cadre de l'aide médicale urgente, la structure mobile d'urgence et de réanimation mentionnée à l'article R. 6123-1 a pour mission : / 1° D'assurer, en permanence, en tous lieux et prioritairement hors de l'établissement de santé auquel il est rattaché, la prise en charge d'un patient dont l'état requiert de façon urgente une prise en charge médicale et de réanimation, et, le cas échéant, et après régulation par le SAMU, le transport de ce patient vers un établissement de santé (...) ". L'article D. 6124-12 de ce code permet aux services d'incendie et de secours de mettre des équipages et véhicules à disposition d'une structure mobile d'urgence et de réanimation dans le cadre, qui régit alors cette mise à disposition, d'une convention avec l'établissement de santé autorisé à disposer d'une telle structure. Il résulte de l'article R. 6312-15 du même code que ces services, indépendamment de la conclusion d'une telle convention, peuvent être amenés à intervenir pour effectuer des transports sanitaires d'urgence faute de moyens de transport sanitaire.
4. Enfin, le paragraphe II.B.1 du titre I du référentiel commun du 25 juin 2008 relatif à l'organisation du secours à personne et de l'aide médicale urgente, annexé à l'arrêté de la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et de la ministre de la santé et des sports du 24 avril 2009, prévoit, pour renforcer la coordination des services publics de façon à apporter la réponse la plus adaptée aux situations d'urgence, d'une part, que tous les appels pour secours et soins d'urgence font l'objet de la régulation médicale par le service d'aide médicale urgente (SAMU) et, d'autre part, que dans les situations de " départ réflexe ", correspondant notamment à l'urgence vitale identifiée à l'appel et aux interventions sur la voie publique ou dans les lieux publics, l'engagement des moyens des services d'incendie et de secours en vue de secours d'urgence précède la régulation médicale, laquelle se fait alors dans les meilleurs délais. En vertu de la circulaire interministérielle du 5 juin 2015 relative à l'application de l'arrêté du 24 avril 2009 relatif à la mise en oeuvre du référentiel portant sur l'organisation du secours à personne et de l'aide médicale urgente : " En cas de départ réflexe des moyens du SIS, la régulation médicale par le SAMU intervient dans les meilleurs délais après le déclenchement des moyens du SIS afin de s'assurer de la pertinence des moyens déjà engagés (compétence mobilisée et vecteur utilisé) et de les compléter le cas échéant ".
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les services départementaux d'incendie et de secours ne doivent supporter la charge que des interventions qui se rattachent directement aux missions de service public définies à l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales. Figurent au nombre de ces missions celles qui relèvent des secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes, y compris l'évacuation de ces personnes vers un établissement de santé.
6. Il résulte également de ces dispositions qu'il incombe aux services d'aide médicale urgente de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état et, à cette fin, au centre de réception et de régulation des appels, dit " centre 15 ", installé dans ces services, de déterminer et déclencher, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels, le cas échéant en organisant un transport sanitaire d'urgence faisant appel à une entreprise privée de transport sanitaire ou, au besoin, aux services d'incendie et de secours.
Sur le pourvoi :
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la convention conclue par le CHU de Bordeaux et le SDIS de la Gironde, citée au point 1, l'a été pour permettre que, dans le cadre prévu par l'article D. 6124-12 du code de la santé publique, les moyens du SDIS soient, sur demande du " centre 15 ", mis à la disposition de la SMUR pour l'exercice par cette dernière de ses missions, et elle précise à son article 3 qu'elle " trouve sa limite dans les obligations de continuité de service du SDIS et l'exécution de ses missions propres ". Elle ne saurait ainsi régir les interventions du SDIS relevant des missions qui sont dévolues à celui-ci par l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, qu'il est tenu d'assurer et de prendre en charge et lors desquelles il ne peut être regardé comme mettant ses moyens à la disposition d'une SMUR dans le cadre d'une convention librement conclue en vertu de l'article D. 6124-12 du code de la santé publique. Par suite, lorsque le SDIS, après avoir engagé ses moyens dans une situation de " départ réflexe ", laquelle relève de ses missions de service public au titre du 4° de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, procède à l'évacuation de la personne secourue vers un établissement de santé, il lui incombe d'assumer la charge financière de ce transport qui doit être regardé, en vertu des mêmes dispositions, quelle que soit la gravité de l'état de la personne secourue, comme le prolongement des missions de secours d'urgence aux accidentés ou blessés qui lui sont dévolues. La circonstance que la structure mobile d'urgence et de réanimation soit également intervenue sur décision du médecin coordonnateur du " centre 15 " pour assurer, au titre de ses missions propres, la prise en charge médicale urgente de la personne, est sans incidence sur les obligations légales du SDIS, parmi lesquelles figure celle d'assurer l'évacuation de la personne qu'il a secourue vers un établissement de santé. Il en résulte qu'en jugeant que les circonstances de l'arrivée des secours d'urgence sur les lieux sont sans incidence sur le fait que le coût du transport dit " de jonction " jusqu'au CHU réalisé avec les moyens du SDIS incombe à l'établissement hospitalier, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, que le CHU de Bordeaux est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions d'appel.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SDIS de la Gironde une somme de 3 000 euros à verser au CHU de Bordeaux, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du CHU de Bordeaux qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 23 juin 2020 est annulé en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de la requête d'appel du centre hospitalier universitaire de Bordeaux.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans la même mesure à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : Le service départemental d'incendie et de secours de la Gironde versera au centre hospitalier universitaire de Bordeaux une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du service départemental d'incendie et de secours de la Gironde présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire de Bordeaux et au service départemental d'incendie et de secours de la Gironde.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2021 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre ; Mme A... D..., Mme G... I..., M. H... E..., M. B... F..., Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat ; Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes et M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 30 décembre 2021.
La présidente :
Signé : Mme Maud Vialettes
Le rapporteur :
Signé : M. Frédéric Pacoud
La secrétaire :
Signé : Mme J... C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :