Conseil d'État
N° 440987
ECLI:FR:CECHR:2021:440987.20210928
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Mathieu Le Coq, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
Lecture du mardi 28 septembre 2021
Vu la procédure suivante :
La société à responsabilité limitée (SARL) Saint-Exupéry Holding a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1502477 du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 18NC03242 du 8 avril 2020, la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel de la société Saint-Exupéry Holding, a annulé ce jugement et prononcé la décharge des droits et pénalités en litige.
Par un pourvoi, enregistré le 2 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un protocole d'accord du 10 décembre 2008, M. A..., auquel s'est substitué la société à responsabilité limitée (SARL) Saint-Exupéry Holding, s'est engagé à céder la société Westwings, dont il détenait la totalité des parts, à la société Metland, filiale de la société PSP, pour un prix total de 2 400 000 euros composé, d'une part, de la remise de 1 800 actions de la société Metland, d'une valeur de 960 000 euros, en contrepartie de l'apport à cette dernière de 400 actions de la société Westwings, la société PSP s'engageant à racheter ces actions à M. A... au terme d'un délai de trois ans ou immédiatement après la rupture du contrat de travail de celui-ci et, d'autre part, du versement d'une somme de 1 440 000 euros, correspondant à la vente des 600 autres actions de la société Westwings, en partie sous forme de distribution de dividendes par la société Metland pour un montant de 800 000 euros payable en douze mensualités. La société Saint-Exupéry Holding a exposé des frais d'avocat et d'instance à l'occasion du litige qui s'est élevé entre les parties au sujet du versement d'une partie des dividendes à hauteur de 400 000 euros et de l'exécution de la promesse de rachat des titres de la société Metland remis à M. A.... A la suite d'une vérification de comptabilité de la société Saint-Exupéry Holding, l'administration a remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces frais d'avocat et d'instance. Par un jugement du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société Saint-Exupéry Holding tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée à laquelle elle a été assujettie pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Le ministre se pourvoit contre l'arrêt du 8 avril 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel de la société Saint-Exupéry Holding, a annulé ce jugement et prononcé la décharge des droits et pénalités en litige.
2. Aux termes du 1 du I de l'article 271 du code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe à la valeur ajoutée applicable à cette opération ". Il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière des dispositions de l'article 1er et de l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, que l'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit. Le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant l'acquisition de biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction. En l'absence d'un tel lien, un assujetti est toutefois fondé à déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des biens et services lorsque les dépenses liées à l'acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti.
3. Pour faire droit à la demande de décharge des impositions en litige, la cour administrative d'appel de Nancy, après avoir constaté que la société Saint-Exupéry Holding exerçait une activité de holding mixte, a jugé d'une part que la cession par cette société des titres de la société Westwings avait le caractère d'une opération purement patrimoniale, d'autre part que cette société établissait que les frais d'avocat et d'instance qu'elle avaient engagés en vue d'obtenir en justice le paiement du solde du prix de cette cession n'avaient pas été incorporés dans ce prix et qu'elle était par suite en droit de déduire la taxe ayant grevé ces dépenses au titre de ses frais généraux. Toutefois, dès lors qu'elle jugeait que ces dépenses se rattachaient à une opération à caractère purement patrimonial, qui n'entrait pas dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui impliquait qu'elles ne présentaient pas un lien direct et immédiat avec l'ensemble de l'activité économique de la société Saint-Exupéry Holding assujettie à cette taxe, la cour ne pouvait sans erreur de droit conclure à la déductibilité de la taxe qui a grevé ces frais d'avocat et d'instance, au motif inopérant qu'ils n'avaient pas été incorporés dans le prix de cession des titres.
4. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Si la société Saint-Exupéry Holding soutient que les dépenses d'avocat et d'instance engagées en vue d'obtenir en justice le paiement du solde du prix de la cession des titres de la société Westwings avaient pour objet la préservation des actifs nécessaires à la réalisation de son objet social, consistant en la fourniture de prestations de services au profit de ses filiales et de tiers, il ne résulte pas de l'instruction qu'au-delà de son statut de propriétaire de titres, elle se serait immiscée dans la gestion des sociétés Westwings et Metland et leur aurait fourni des prestations de services soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, la société Saint-Exupéry Holding n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que les dépenses en cause, qui se rattachaient à une opération présentant un caractère purement patrimonial, ne pouvaient ouvrir droit à déduction et a par suite rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe en litige.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 8 avril 2020 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la société Saint-Exupéry Holding devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Saint-Exupéry Holding.
N° 440987
ECLI:FR:CECHR:2021:440987.20210928
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Mathieu Le Coq, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
Lecture du mardi 28 septembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société à responsabilité limitée (SARL) Saint-Exupéry Holding a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1502477 du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 18NC03242 du 8 avril 2020, la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel de la société Saint-Exupéry Holding, a annulé ce jugement et prononcé la décharge des droits et pénalités en litige.
Par un pourvoi, enregistré le 2 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un protocole d'accord du 10 décembre 2008, M. A..., auquel s'est substitué la société à responsabilité limitée (SARL) Saint-Exupéry Holding, s'est engagé à céder la société Westwings, dont il détenait la totalité des parts, à la société Metland, filiale de la société PSP, pour un prix total de 2 400 000 euros composé, d'une part, de la remise de 1 800 actions de la société Metland, d'une valeur de 960 000 euros, en contrepartie de l'apport à cette dernière de 400 actions de la société Westwings, la société PSP s'engageant à racheter ces actions à M. A... au terme d'un délai de trois ans ou immédiatement après la rupture du contrat de travail de celui-ci et, d'autre part, du versement d'une somme de 1 440 000 euros, correspondant à la vente des 600 autres actions de la société Westwings, en partie sous forme de distribution de dividendes par la société Metland pour un montant de 800 000 euros payable en douze mensualités. La société Saint-Exupéry Holding a exposé des frais d'avocat et d'instance à l'occasion du litige qui s'est élevé entre les parties au sujet du versement d'une partie des dividendes à hauteur de 400 000 euros et de l'exécution de la promesse de rachat des titres de la société Metland remis à M. A.... A la suite d'une vérification de comptabilité de la société Saint-Exupéry Holding, l'administration a remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces frais d'avocat et d'instance. Par un jugement du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société Saint-Exupéry Holding tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée à laquelle elle a été assujettie pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Le ministre se pourvoit contre l'arrêt du 8 avril 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel de la société Saint-Exupéry Holding, a annulé ce jugement et prononcé la décharge des droits et pénalités en litige.
2. Aux termes du 1 du I de l'article 271 du code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe à la valeur ajoutée applicable à cette opération ". Il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière des dispositions de l'article 1er et de l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, que l'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit. Le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant l'acquisition de biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction. En l'absence d'un tel lien, un assujetti est toutefois fondé à déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des biens et services lorsque les dépenses liées à l'acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti.
3. Pour faire droit à la demande de décharge des impositions en litige, la cour administrative d'appel de Nancy, après avoir constaté que la société Saint-Exupéry Holding exerçait une activité de holding mixte, a jugé d'une part que la cession par cette société des titres de la société Westwings avait le caractère d'une opération purement patrimoniale, d'autre part que cette société établissait que les frais d'avocat et d'instance qu'elle avaient engagés en vue d'obtenir en justice le paiement du solde du prix de cette cession n'avaient pas été incorporés dans ce prix et qu'elle était par suite en droit de déduire la taxe ayant grevé ces dépenses au titre de ses frais généraux. Toutefois, dès lors qu'elle jugeait que ces dépenses se rattachaient à une opération à caractère purement patrimonial, qui n'entrait pas dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui impliquait qu'elles ne présentaient pas un lien direct et immédiat avec l'ensemble de l'activité économique de la société Saint-Exupéry Holding assujettie à cette taxe, la cour ne pouvait sans erreur de droit conclure à la déductibilité de la taxe qui a grevé ces frais d'avocat et d'instance, au motif inopérant qu'ils n'avaient pas été incorporés dans le prix de cession des titres.
4. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Si la société Saint-Exupéry Holding soutient que les dépenses d'avocat et d'instance engagées en vue d'obtenir en justice le paiement du solde du prix de la cession des titres de la société Westwings avaient pour objet la préservation des actifs nécessaires à la réalisation de son objet social, consistant en la fourniture de prestations de services au profit de ses filiales et de tiers, il ne résulte pas de l'instruction qu'au-delà de son statut de propriétaire de titres, elle se serait immiscée dans la gestion des sociétés Westwings et Metland et leur aurait fourni des prestations de services soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, la société Saint-Exupéry Holding n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que les dépenses en cause, qui se rattachaient à une opération présentant un caractère purement patrimonial, ne pouvaient ouvrir droit à déduction et a par suite rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe en litige.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 8 avril 2020 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la société Saint-Exupéry Holding devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Saint-Exupéry Holding.