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Ariane Web: Conseil d'État 429084, lecture du 18 novembre 2020, ECLI:FR:CECHS:2020:429084.20201118

Décision n° 429084
18 novembre 2020
Conseil d'État

N° 429084
ECLI:FR:CECHS:2020:429084.20201118
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
M. Bruno Bachini, rapporteur
M. Olivier Fuchs, rapporteur public


Lecture du mercredi 18 novembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois autres mémoires, enregistrés les 22 mars, 15 octobre et 24 décembre 2019 et le 24 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme A... B... demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis négatif émis par la commission d'avancement du Conseil supérieur de la magistrature, lors de sa réunion des 19 et 20 mars 2018, sur sa demande d'intégration directe dans le corps judiciaire sur le fondement des articles 22 et 23 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 ainsi que l'avis rejetant son recours gracieux, émis par la commission réunie le 6 décembre 2018 ;

2°) d'enjoindre à la commission d'avancement du Conseil supérieur de la magistrature d'émettre un avis favorable à sa demande d'intégration directe dans la magistrature;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 euro au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a sollicité, le 25 juillet 2017, son intégration directe au premier ou au second grade de la hiérarchie judiciaire sur le fondement des articles 22 et 23 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'avis négatif émis par la commission d'avancement lors de sa réunion des 19 et 20 mars 2018 ainsi que du rejet par cette même commission de son recours gracieux lors sa séance du 6 décembre 2018.

2. Les articles 22 et 23 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans leur rédaction applicable au litige, prévoient la possibilité pour des personnes remplissant certaines conditions, notamment d'âge et d'exercice professionnel, d'être nommées directement aux fonctions respectivement du second et du premier grade de la hiérarchie judiciaire. Aux termes de l'article 23 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Peuvent être nommés directement aux fonctions du premier grade de la hiérarchie judiciaire : / 1° Les personnes remplissant les conditions prévues à l'article 16 et justifiant de quinze années au moins d'exercice professionnel les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires (...) ". En vertu de l'article 25-2 de la même ordonnance, les nominations au titre de ces articles interviennent après avis conforme de la commission d'avancement prévue à son article 34. Enfin, aux termes de l'article 31-1 du décret du 7 janvier 1993 pris pour l'application de l'ordonnance du 22 décembre 1958, lorsqu'elle statue en application notamment de l'article 25-2 de ce dernier texte " la commission prévue à l'article 34 de cette ordonnance peut, si elle l'estime nécessaire au vu du dossier d'un candidat, procéder à une audition de ce dernier ou désigner à cette fin un ou plusieurs de ses membres ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'elles ne créent pas, au profit des candidats à l'intégration directe des corps judiciaires, le droit d'être nommés à des fonctions du premier ou du second grade de la hiérarchie judiciaire et que le législateur organique a entendu investir la commission d'avancement d'un large pouvoir dans l'appréciation de l'aptitude de candidats à exercer les fonctions de magistrat.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui présente un solide parcours académique s'étant traduit par l'obtention d'une maîtrise en droit de l'urbanisme et de l'environnement puis, à la suite d'une reprise de ses études, d'un master en droit et gestion de l'environnement en 2010 et du doctorat en droit public en 2016, justifie, en outre, d'une activité professionnelle dans le domaine du conseil et de l'expertise juridiques, ayant créé et dirigé pendant de nombreuses années un cabinet intervenant dans ce domaine, ainsi que d'une pratique de la médiation judiciaire. Elle fait enfin état d'une vingtaine d'attestations très favorables fournies par des professionnels du droit ainsi que de l'avis favorable émis le 8 novembre 2017 par les chefs de juridiction du tribunal de grande instance de Nîmes. Malgré la mesure d'instruction diligentée par la 6ème chambre de la section du contentieux, tendant à la production des motifs qui ont fondé l'avis défavorable de la commission d'avancement sur la demande d'intégration directe au second grade de la hiérarchie judiciaire présentée au titre de l'article 22 de l'ordonnance précitée, aucun élément de nature à justifier cet avis n'a été produit par le garde des sceaux, ministre de la justice. Dès lors, faute d'une telle justification, il ressort des pièces du dossier que la commission d'avancement a commis une erreur manifeste d'appréciation et que Mme B... est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'avis défavorable rendu à ce titre par la commission d'avancement réunie les 19 et 20 mars 2018 ainsi que de l'avis de rejet de son recours gracieux émis par la commission réunie le 6 décembre 2018 en tant qu'il concerne sa demande d'intégration directe sur le fondement de l'article 22 de l'ordonnance.

5. Il ressort, en revanche, des pièces du dossier que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'avis attaqué en tant qu'il porte sur sa demande présentée au titre de l'article 23 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, dès lors que, ainsi que le fait valoir le ministre, celle-ci ne justifie pas remplir la condition de quinze années d'exercice professionnel la qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires fixée par cet article.

Sur l'injonction :

6. Compte tenu de la situation de Mme B..., il est enjoint à la commission d'avancement de prendre, après réexamen de son dossier, une nouvelle décision sur sa demande d'intégration directe dans la magistrature en application de l'article 22 de l'ordonnance précitée, dans un délai de deux mois à compter de la présente décision.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative :

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme B... au titre de ces dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : L'avis défavorable à la candidature de Mme B... émis par la commission d'avancement réunie les 19 et 20 mars 2018 et l'avis de rejet de son recours gracieux rendu par la même commission d'avancement dans sa séance du 6 décembre 2018, en tant qu'ils concernent sa demande d'intégration directe au second grade de la hiérarchie judiciaire sur le fondement de l'article 22 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la commission d'avancement de prendre, après réexamen du dossier, une nouvelle décision sur la demande d'intégration directe de Mme B... dans la magistrature en application de l'article 22 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 dans un délai de deux mois à compter de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.