Conseil d'État
N° 427401
ECLI:FR:CECHR:2020:427401.20201104
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Arno Klarsfeld, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du mercredi 4 novembre 2020
Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Bordeaux a refusé de lui communiquer l'intégralité des bulletins de salaire de cinq fonctionnaires de l'Education nationale.
Par un jugement n° 1603973 du 27 novembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 janvier et 27 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 50-1253 du 6 octobre 1950 ;
- le décret n° 2014-940 du 20 août 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Arno Klarsfeld, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B..., enseignant, a demandé au recteur de l'académie de Bordeaux de lui communiquer le bulletin de salaire de cinq enseignants du lycée dans lequel il était affecté. Après l'avis de la commission d'accès aux documents administratifs en date du 23 juin 2016, les bulletins lui ont été communiqués, le 13 juillet 2016, avec occultation des mentions autres que celles relatives au traitement brut, au grade, à l'échelon et à l'indice des agents concernés. M. B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 27 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du recteur de l'académie de Bordeaux refusant de lui communiquer les mentions des bulletins de salaires relatives aux heures supplémentaires et à la rémunération nette mensuelle des enseignants.
2. L'article R. 611-1 du code de justice administrative dispose que : " ( ...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.
3. Il ressort des visas du jugement attaqué qu'un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2018 au greffe du tribunal administratif de Bordeaux, a été déposé par le recteur de l'académie de Bordeaux. Ce mémoire constituait le premier mémoire en défense du recteur et n'a pas été communiqué à M. B.... Cette méconnaissance de l'obligation posée par l'article R. 611-1 du code de justice administrative, cité au point 2, ne saurait, eu égard à la motivation retenue par le tribunal, être regardée comme n'ayant pu avoir d'influence sur l'issue du litige. M. B... est dès lors fondé à soutenir que le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond.
6. D'une part, l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Sont considérés comme documents administratifs, (...), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. (...) ". Aux termes de l'article L.311-6 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, (...) / 2° portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable (...) ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
7. D'autre part, l'article 1er du décret du 6 octobre 1950 fixant les taux de rémunération des heures supplémentaires d'enseignement effectuées pour les personnels enseignants des établissements d'enseignement du second degré dispose que ces personnels " dont les services hebdomadaires excèdent les maxima de services réglementaires reçoivent, par heure supplémentaire et sous réserve des dispositions légales relatives au cumul des traitements et indemnités, une indemnité non soumise à retenue pour pension civile ". Aux termes de l'article 4 du décret du 20 août 2014 relatif aux obligations de service et aux missions des personnels enseignants exerçant dans un établissement public d'enseignement du second degré : " III. Dans l'intérêt du service, les enseignants (...) peuvent être tenus d'effectuer, sauf empêchement pour raison de santé, une heure supplémentaire hebdomadaire en sus de leur maximum de service ".
8. Le bulletin de salaire d'un agent public est un document administratif librement communicable à toute personne qui en fait la demande en application des dispositions, citées au point 6, du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve que soient occultées, préalablement à la communication, toutes les mentions qui porteraient atteinte à la protection de la vie privée ou comporteraient une appréciation ou un jugement sur la valeur de l'agent public en cause.
9. M. B... demande la communication des mentions relatives aux heures supplémentaires et à la rémunération nette figurant sur les bulletins de salaire de plusieurs enseignants de l'établissement où il enseigne. Toutefois, les mentions relatives aux heures supplémentaires et par suite à la rémunération nette sont susceptibles de révéler une appréciation sur la manière de servir des enseignants. Elles contiennent ainsi des informations que le recteur a occultées, à bon droit, avant de procéder à la communication des bulletins de salaires demandés par M. B....
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du recteur de l'académie de Bordeaux qu'il attaque. Ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions présentées au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 27 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la requête présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Bordeaux et ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'Education nationale, de la jeunesse et des sports.
N° 427401
ECLI:FR:CECHR:2020:427401.20201104
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Arno Klarsfeld, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du mercredi 4 novembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision implicite par laquelle le recteur de l'académie de Bordeaux a refusé de lui communiquer l'intégralité des bulletins de salaire de cinq fonctionnaires de l'Education nationale.
Par un jugement n° 1603973 du 27 novembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 janvier et 27 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 50-1253 du 6 octobre 1950 ;
- le décret n° 2014-940 du 20 août 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Arno Klarsfeld, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B..., enseignant, a demandé au recteur de l'académie de Bordeaux de lui communiquer le bulletin de salaire de cinq enseignants du lycée dans lequel il était affecté. Après l'avis de la commission d'accès aux documents administratifs en date du 23 juin 2016, les bulletins lui ont été communiqués, le 13 juillet 2016, avec occultation des mentions autres que celles relatives au traitement brut, au grade, à l'échelon et à l'indice des agents concernés. M. B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 27 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du recteur de l'académie de Bordeaux refusant de lui communiquer les mentions des bulletins de salaires relatives aux heures supplémentaires et à la rémunération nette mensuelle des enseignants.
2. L'article R. 611-1 du code de justice administrative dispose que : " ( ...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.
3. Il ressort des visas du jugement attaqué qu'un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2018 au greffe du tribunal administratif de Bordeaux, a été déposé par le recteur de l'académie de Bordeaux. Ce mémoire constituait le premier mémoire en défense du recteur et n'a pas été communiqué à M. B.... Cette méconnaissance de l'obligation posée par l'article R. 611-1 du code de justice administrative, cité au point 2, ne saurait, eu égard à la motivation retenue par le tribunal, être regardée comme n'ayant pu avoir d'influence sur l'issue du litige. M. B... est dès lors fondé à soutenir que le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond.
6. D'une part, l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Sont considérés comme documents administratifs, (...), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. (...) ". Aux termes de l'article L.311-6 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, (...) / 2° portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable (...) ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
7. D'autre part, l'article 1er du décret du 6 octobre 1950 fixant les taux de rémunération des heures supplémentaires d'enseignement effectuées pour les personnels enseignants des établissements d'enseignement du second degré dispose que ces personnels " dont les services hebdomadaires excèdent les maxima de services réglementaires reçoivent, par heure supplémentaire et sous réserve des dispositions légales relatives au cumul des traitements et indemnités, une indemnité non soumise à retenue pour pension civile ". Aux termes de l'article 4 du décret du 20 août 2014 relatif aux obligations de service et aux missions des personnels enseignants exerçant dans un établissement public d'enseignement du second degré : " III. Dans l'intérêt du service, les enseignants (...) peuvent être tenus d'effectuer, sauf empêchement pour raison de santé, une heure supplémentaire hebdomadaire en sus de leur maximum de service ".
8. Le bulletin de salaire d'un agent public est un document administratif librement communicable à toute personne qui en fait la demande en application des dispositions, citées au point 6, du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve que soient occultées, préalablement à la communication, toutes les mentions qui porteraient atteinte à la protection de la vie privée ou comporteraient une appréciation ou un jugement sur la valeur de l'agent public en cause.
9. M. B... demande la communication des mentions relatives aux heures supplémentaires et à la rémunération nette figurant sur les bulletins de salaire de plusieurs enseignants de l'établissement où il enseigne. Toutefois, les mentions relatives aux heures supplémentaires et par suite à la rémunération nette sont susceptibles de révéler une appréciation sur la manière de servir des enseignants. Elles contiennent ainsi des informations que le recteur a occultées, à bon droit, avant de procéder à la communication des bulletins de salaires demandés par M. B....
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du recteur de l'académie de Bordeaux qu'il attaque. Ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions présentées au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 27 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la requête présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Bordeaux et ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'Education nationale, de la jeunesse et des sports.