Conseil d'État
N° 434100
ECLI:FR:CECHS:2020:434100.20200930
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Laurence Franceschini, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
Lecture du mercredi 30 septembre 2020
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 30 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Madag demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 1er juillet 2019 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à ce que soit pris un décret permettant d'assurer l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-369 QPC du 28 février 2014 ;
2°) d'indiquer, dans ses motifs, les conditions dans lesquelles le Gouvernement devrait prendre les moyens réglementaires d'assurer l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 62 ;
- le code de commerce ;
- la décision n° 2013-369 QPC du 28 février 2014 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme A... B..., conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 septembre 2020, présentée par la société Madag ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Madag demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à ce que soit pris un décret permettant d'assurer l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-369 QPC du 28 février 2014 en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers alinéas de l'article L. 233-14 du code de commerce dans leur rédaction issue de la loi du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions d'adaptation du droit communautaire dans les domaines économique et financier.
2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 233-14 du code de commerce : " A défaut d'avoir été régulièrement déclarées dans les conditions prévues aux I et II de l'article L. 233-7, les actions excédant la fraction qui aurait dû être déclarée, lorsqu'elles sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou sur un marché d'instruments financiers admettant aux négociations des actions pouvant être inscrites en compte chez un intermédiaire habilité dans les conditions prévues à l'article L. 211-4 du code monétaire et financier, sont privées du droit de vote pour toute assemblée d'actionnaires qui se tiendrait jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification. / Dans les mêmes conditions, les droits de vote attachés à ces actions et qui n'ont pas été régulièrement déclarés ne peuvent être exercés ou délégués par l'actionnaire défaillant ".
3. Par sa décision n° 2013-369 QPC du 28 février 2014, le Conseil constitutionnel, après avoir relevé que ces dispositions prévoient que l'actionnaire qui n'a pas déclaré un franchissement de seuil à la hausse dans le délai prévu est privé, pendant les deux ans qui suivent la régularisation de sa déclaration, des droits de vote aux assemblées générales de la société pour les actions excédant la fraction qui aurait dû être déclarée, a considéré, d'une part, que cette privation temporaire des droits de vote ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition, d'autre part, que les atteintes au droit de propriété qui peuvent résulter de l'application de ces dispositions n'entraînent pas de privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et que, compte tenu de l'encadrement dans le temps et de la portée limitée de cette privation des droits de vote, l'atteinte à l'exercice du droit de propriété de l'actionnaire qui résulte de ces dispositions ne revêt pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que les deux premiers alinéas de l'article L. 233-14 du code de commerce, cités ci-dessus, sont conformes à la Constitution, sans assortir cette déclaration de conformité d'une réserve d'interprétation.
4. Au vu de cette décision du Conseil constitutionnel, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté, par son arrêt du 27 juin 2018, le pourvoi formé par la société Madag, en jugeant qu'en vertu de l'article L. 233-14 du code de commerce, la privation des droits de vote se poursuit jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification et que la cour d'appel avait dès lors pu déduire à bon droit qu'en l'absence de toute régularisation, la privation des droits de vote était toujours en cours.
5. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société Madag, l'arrêt rendu le 27 juin 2018 par la Cour de cassation sur son pourvoi, qui applique les dispositions de l'article L. 233-14 du code de commerce à la suite de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur sa question prioritaire de constitutionnalité, ne constitue pas un changement de circonstance de nature à justifier qu'une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces mêmes dispositions soit transmise au Conseil constitutionnel.
6. En second lieu, si la société Madag a demandé au Premier ministre que soit pris un décret permettant d'assurer l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2013-369 QPC du 28 février 2014, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision du Conseil constitutionnel, qui a jugé les dispositions législatives en cause conformes à la Constitution sans assortir sa décision d'un réserve d'interprétation, n'appelle, en tout état de cause, aucune mesure de la part du pouvoir règlementaire pour faire respecter l'autorité de chose jugée dont elle est revêtue.
7. Il résulte de ce qui précède que la requête de la société Madag doit être rejetée, y compris ses demandes à fins d'injonction et de condamnation de l'Etat à lui verser une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Madag.
Article 2 : La requête de société Madag est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Madag, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.
N° 434100
ECLI:FR:CECHS:2020:434100.20200930
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Laurence Franceschini, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
Lecture du mercredi 30 septembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 30 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Madag demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 1er juillet 2019 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à ce que soit pris un décret permettant d'assurer l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-369 QPC du 28 février 2014 ;
2°) d'indiquer, dans ses motifs, les conditions dans lesquelles le Gouvernement devrait prendre les moyens réglementaires d'assurer l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 62 ;
- le code de commerce ;
- la décision n° 2013-369 QPC du 28 février 2014 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme A... B..., conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 septembre 2020, présentée par la société Madag ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Madag demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à ce que soit pris un décret permettant d'assurer l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-369 QPC du 28 février 2014 en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers alinéas de l'article L. 233-14 du code de commerce dans leur rédaction issue de la loi du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions d'adaptation du droit communautaire dans les domaines économique et financier.
2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 233-14 du code de commerce : " A défaut d'avoir été régulièrement déclarées dans les conditions prévues aux I et II de l'article L. 233-7, les actions excédant la fraction qui aurait dû être déclarée, lorsqu'elles sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou sur un marché d'instruments financiers admettant aux négociations des actions pouvant être inscrites en compte chez un intermédiaire habilité dans les conditions prévues à l'article L. 211-4 du code monétaire et financier, sont privées du droit de vote pour toute assemblée d'actionnaires qui se tiendrait jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification. / Dans les mêmes conditions, les droits de vote attachés à ces actions et qui n'ont pas été régulièrement déclarés ne peuvent être exercés ou délégués par l'actionnaire défaillant ".
3. Par sa décision n° 2013-369 QPC du 28 février 2014, le Conseil constitutionnel, après avoir relevé que ces dispositions prévoient que l'actionnaire qui n'a pas déclaré un franchissement de seuil à la hausse dans le délai prévu est privé, pendant les deux ans qui suivent la régularisation de sa déclaration, des droits de vote aux assemblées générales de la société pour les actions excédant la fraction qui aurait dû être déclarée, a considéré, d'une part, que cette privation temporaire des droits de vote ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition, d'autre part, que les atteintes au droit de propriété qui peuvent résulter de l'application de ces dispositions n'entraînent pas de privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et que, compte tenu de l'encadrement dans le temps et de la portée limitée de cette privation des droits de vote, l'atteinte à l'exercice du droit de propriété de l'actionnaire qui résulte de ces dispositions ne revêt pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que les deux premiers alinéas de l'article L. 233-14 du code de commerce, cités ci-dessus, sont conformes à la Constitution, sans assortir cette déclaration de conformité d'une réserve d'interprétation.
4. Au vu de cette décision du Conseil constitutionnel, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté, par son arrêt du 27 juin 2018, le pourvoi formé par la société Madag, en jugeant qu'en vertu de l'article L. 233-14 du code de commerce, la privation des droits de vote se poursuit jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification et que la cour d'appel avait dès lors pu déduire à bon droit qu'en l'absence de toute régularisation, la privation des droits de vote était toujours en cours.
5. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société Madag, l'arrêt rendu le 27 juin 2018 par la Cour de cassation sur son pourvoi, qui applique les dispositions de l'article L. 233-14 du code de commerce à la suite de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur sa question prioritaire de constitutionnalité, ne constitue pas un changement de circonstance de nature à justifier qu'une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces mêmes dispositions soit transmise au Conseil constitutionnel.
6. En second lieu, si la société Madag a demandé au Premier ministre que soit pris un décret permettant d'assurer l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2013-369 QPC du 28 février 2014, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision du Conseil constitutionnel, qui a jugé les dispositions législatives en cause conformes à la Constitution sans assortir sa décision d'un réserve d'interprétation, n'appelle, en tout état de cause, aucune mesure de la part du pouvoir règlementaire pour faire respecter l'autorité de chose jugée dont elle est revêtue.
7. Il résulte de ce qui précède que la requête de la société Madag doit être rejetée, y compris ses demandes à fins d'injonction et de condamnation de l'Etat à lui verser une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Madag.
Article 2 : La requête de société Madag est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Madag, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.