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Ariane Web: Conseil d'État 439949, lecture du 17 avril 2020, ECLI:FR:CEORD:2020:439949.20200417

Décision n° 439949
17 avril 2020
Conseil d'État

N° 439949
ECLI:FR:CEORD:2020:439949.20200417
Mentionné aux tables du recueil Lebon

SCP ROUSSEAU, TAPIE ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du vendredi 17 avril 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 et 15 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG) et l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la délibération n° 2020-071 de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 26 mars 2020 portant communication sur les mesures en faveur des fournisseurs prenant en compte des effets de la crise sanitaire sur les marchés d'électricité et de gaz naturel, en tant que cette délibération porte sur " l'évolution du cadre de l'ARENH " et, notamment, donne une interprétation des conditions d'invocation de la force majeure et refuse de transmettre à RTE l'évolution des volumes d'ARENH livrés par la société EDF aux fournisseurs concernés liée à une demande d'activation de la clause de force majeure ;

2°) d'enjoindre à la CRE de transmettre à RTE, dès notification de la décision à venir et sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard, l'évolution des volumes d'ARENH livrés par la société EDF aux fournisseurs concernés liée à une demande d'activation de la clause de force majeure ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Les requérantes soutiennent que :
- elles justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir ;
- la délibération attaquée constitue un acte de droit souple susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux dès lors que, en premier lieu, elle est de nature à produire des effets économiques notables en influant sur le comportement des acteurs, en deuxième lieu, elle constitue une véritable prise de position de la CRE et, en dernier lieu, la société EDF se fonde sur cette délibération pour dénier aux fournisseurs alternatifs le droit d'activer la clause de force majeure ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que, en premier lieu, la délibération attaquée fait obstacle à l'adoption des mesures nécessaires pour remédier à la situation d'urgence résultant de l'épidémie du covid-19 et plus particulièrement à l'activation, qui est de plein droit, de la clause de force majeure prévue par les accords conclus entre la société EDF et les fournisseurs alternatifs, en deuxième lieu, les fournisseurs alternatifs sont exposés à un préjudice financier grave et irréversible et, en dernier lieu, la délibération attaquée est de nature à perturber le marché européen de l'électricité en empêchant les fournisseurs alternatifs de négocier une baisse des volumes d'ARENH livrés par la société EDF ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la délibération attaquée ;
- la délibération attaquée est illégale, faute d'avoir été notifiée à la Commission européenne, comme le prévoit l'article 43 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 pour les mesures destinées à garantir des conditions de concurrence équitable sur le marché ;
- elle est entachée d'incompétence dès lors, d'une part, que ni la loi, ni aucune autre disposition n'autorise la CRE à interpréter l'accord-cadre ARENH et à édicter des règles de fond relatives aux conditions dans lesquelles les fournisseurs exercent leur droit à l'ARENH et, d'autre part, que les différends liés à l'interprétation ou à l'exécution des accords-cadres ARENH relèvent de la seule compétence du tribunal de commerce de Paris ;
- elle méconnaît les clauses de l'accord-cadre et des différents accords conclus par la société EDF avec les fournisseurs alternatifs, d'une part, en retenant la définition jurisprudentielle de la notion de force majeure et, d'autre part, en appréciant de manière erronée les conséquences de la mise en oeuvre de la clause de force majeure ;
- elle est incompatible avec les objectifs de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 dès lors qu'elle méconnaît, d'une part, son article 43 qui garantit le respect de la liberté contractuelle des parties en matière de contrats de fourniture d'électricité et, d'autre part, son article 42 en vertu duquel les mesures prises pour faire face à une crise soudaine doivent provoquer le moins de perturbations possibles dans le fonctionnement du marché intérieur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2020, la Commission de régulation de l'énergie conclut au rejet de la requête. Elle soutient, à titre principal, que la demande au fond est irrecevable dès lors que sa délibération ne saurait être regardée comme un acte faisant grief ou comme un acte tendant à influer significativement sur le comportement des personnes concernées. Elle soutient, à titre subsidiaire, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite compte tenu de ce que, d'une part, l'atteinte grave et immédiate alléguée aux intérêts que les associations requérantes entendent défendre n'est pas imputable à sa délibération et n'est, de toute façon, pas établie, et de ce que, d'autre part, un intérêt public s'attache à l'exécution de sa délibération, et qu'aucun des moyens soulevés n'est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette délibération. Elle soutient enfin qu'en tout état de cause, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées dès lors que la question de l'existence ou non d'une situation de force majeure au sens des accords- cadres fait l'objet d'un désaccord entre les parties.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2020, la société Electricité de France conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'AFIEG et de l'ANODE la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient, à titre principal, que la requête est irrecevable dès lors que, d'une part, la délibération attaquée ne constitue qu'un avis qui n'apporte aucune modification à l'ordonnancement juridique et, d'autre part, les associations requérantes ne justifient pas d'un intérêt direct et certain à présenter des conclusions à fin de suspension de la délibération attaquée, à titre subsidiaire, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés n'est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la délibération attaquée.

La ministre de la transition écologique et solidaire a présenté des observations, enregistrées le 13 avril 2020.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité ;
- le code de commerce ;
- le code de l'énergie ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ;
- l'arrêté du 12 mars 2019 portant modification de l'arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été informées sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 15 avril 2020 à 18 heures.



Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. L'article L. 336-1 du code de l'énergie, issu de la loi du 7 décembre 2010 portant Nouvelle Organisation du Marché de l'Electricité, prévoit que : " Afin d'assurer la liberté de choix du fournisseur d'électricité tout en faisant bénéficier l'attractivité du territoire et l'ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire français, un accès régulé et limité à l'électricité nucléaire historique, produite par les centrales nucléaires mentionnées à l'article L. 336-2, est ouvert, pour une période transitoire définie à l'article L. 336-8, à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes. / Cet accès régulé est consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Electricité de France de l'utilisation de ses centrales nucléaires mentionnées au même article L. 336-2 ".

2. L'article L. 336-2 du même code prévoit ainsi que, jusqu'au 31 décembre 2025, Electricité de France (EDF) cède de l'électricité aux fournisseurs qui en font la demande, pour un volume maximal déterminé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) en fonction des prévisions, fournies par les entreprises intéressées, de consommation des consommateurs finals et des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes et en fonction de ce que représente la part de la production des centrales nucléaires dans la consommation totale des consommateurs finals.

3. En vertu de l'article L. 337-13 du même code, le prix de l'électricité cédé par Electricité de France en application de ces dispositions est arrêté par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie, pris sur proposition de la CRE. En vertu d'un arrêté du 17 mai 2011, ce prix est fixé à 42 euros, hors taxes, par MWh à compter du 1er janvier 2012.

4. L'article L. 336-5 du même code prévoit que le fournisseur souhaitant exercer les droits qui découlent du mécanisme d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) conclut avec EDF, dans le délai d'un mois suivant sa demande, un accord-cadre déterminant les modalités d'exercice de ces droits " par la voie de cessions d'une durée d'un an " et dont les stipulations sont conformes à un modèle déterminé par arrêté du ministre chargé de l'énergie pris sur proposition de la CRE.
5. L'article R. 336-9 du même code dispose que tout fournisseur ayant signé un accord-cadre avec EDF transmet à la CRE, au moins quarante jours avant le début de chaque période de livraison, un dossier de demande d'achat d'électricité au titre de l'ARENH. L'article R. 336-10 précise que : " La transmission d'un dossier de demande d'ARENH à la Commission de régulation de l'énergie vaut engagement ferme de la part du fournisseur d'acheter les quantités totales de produit qui lui seront cédées au cours de la période de livraison à venir calculées conformément à l'article R. 336-13 sur la base de sa demande et notifiées conformément à l'article R. 336-19 par la Commission de régulation de l'énergie ".

6. L'article R. 336-19 prévoit que trente jours au moins avant le début de chaque période de livraison, la CRE notifie :
- à chaque fournisseur, les quantités et profils des produits qu'EDF lui cède sur la période de livraison à venir ;
- au gestionnaire du réseau public de transport et à EDF la quantité d'électricité que cette société doit injecter chaque demi-heure de la période de livraison à venir au titre de l'ARENH ;
- et au gestionnaire du réseau public de transport la quantité d'électricité que reçoit, chaque demi-heure de la période de livraison à venir, chaque responsable d'équilibre des fournisseurs bénéficiaires de l'ARENH.

7. Le modèle d'accord-cadre pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique annexé, en dernier lieu, à l'arrêté du 12 mars 2019 portant modification de l'arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité rappelle, dans son article 4 que " A compter de la réception de la notification de cession annuelle d'électricité et de garanties de capacité, l'acheteur s'engage à prendre livraison de la totalité des produits cédés, objets de la notification ".

8. L'article 13 du même modèle prévoit toutefois que l'exécution de l'accord-cadre pourra être suspendue, notamment, en cas de survenance d'un événement de force majeure, tel que défini à l'article 10, et que, dans cette hypothèse, " la suspension prend effet dès la survenance de l'événement de force majeure et entraîne de plein droit l'interruption de la cession annuelle d'électricité et de garanties de capacité ", la partie invoquant la force majeure devant la notifier à la CRE, à la Caisse des dépôts et consignations et à l'autre partie dans les conditions définies à l'article 10.

9. L'article 10 du modèle d'accord-cadre dispose que " La force majeure désigne un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l'exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables ". Il précise que " La Partie souhaitant invoquer le bénéfice de la force majeure devra, dès connaissance de la survenance de l'événement de force majeure, informer l'autre Partie, la CDC et la CRE, par lettre recommandée avec accusé de réception, de l'apparition de cet événement et, dans la mesure du possible, leur faire part d'une estimation, à titre indicatif, de l'étendue et de la durée probable de cet événement. / La Partie souhaitant se prévaloir d'un événement de force majeure s'efforcera, dans des limites économiques raisonnables, de limiter les conséquences de l'événement de force majeure et devra, pendant toute la durée de cet événement, tenir régulièrement l'autre Partie informée de l'étendue et de la durée probable de cet événement. / Les obligations des Parties sont suspendues pendant la durée de l'événement de Force majeure ".
10. Enfin, aux termes de l'article 19 du modèle d'accord-cadre : " En cas de litige survenu entre les parties, celles-ci s'engagent à se rencontrer en vue de chercher une solution amiable. Dans le cas où aucune solution amiable ne pourrait être trouvée dans les sept jours ouvrés suivant la survenance du litige, chacune des parties pourra saisir le tribunal de commerce de Paris. Les parties reconnaissent le tribunal de commerce de Paris comme l'unique juridiction compétente pour régler tout différend lié à l'interprétation ou à l'exécution du présent accord-cadre. "

Sur les demandes des associations requérantes :

11. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des plusieurs arrêtés successifs.

12. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés, en dernier lieu, par décret du 14 avril 2020.

13. Selon des éléments relevés par la CRE et non contredits, la crise sanitaire et les mesures décrites ci-dessus, mises en oeuvre pour faire face à l'épidémie de covid-19, ont entraîné une baisse de la consommation d'électricité en France de l'ordre de 15% en moyenne par rapport au niveau habituellement constaté au mois de mars, cette baisse de la consommation se concentrant en particulier sur le segment industriel et tertiaire. Cette baisse générale de la consommation s'est accompagnée d'une forte baisse des prix de l'électricité sur les marchés de gros, le prix du produit base pour le 2ème trimestre de 2020 étant, fin mars 2020, de 21 euros par MWh.

14. La baisse de la consommation se traduit par une baisse du chiffre d'affaires des fournisseurs d'électricité, particulièrement marquée pour ce qui concerne la clientèle industrielle et tertiaire. Ceux de ces fournisseurs qui avaient acheté par avance, à prix fixe, les quantités d'électricité qu'ils estimaient nécessaires à l'approvisionnement de leurs clients disposent, du fait de cette baisse de la consommation, d'un surplus d'électricité qu'ils doivent, ne pouvant la stocker, vendre sur le marché à un prix inférieur à celui auquel ils l'ont achetée. Il en va notamment ainsi des fournisseurs ayant exercé les droits qu'ils tiennent du mécanisme d'accès régulé à l'énergie nucléaire historique, qui ont acquis, dans les conditions prévues par les accords-cadres qu'ils ont conclus avec EDF en application des dispositions mentionnées plus haut, des quantités fixées à l'avance pour l'année 2020 au prix de 42 euros par MWh.
15. Certains de ces fournisseurs, estimant que la crise sanitaire avait la nature d'un " évènement de force majeure " au sens de l'article 10 précité du modèle annexé à l'arrêté du 12 mars 2019, ont souhaité mettre en oeuvre les stipulations de l'article 13 de ces accords-cadres qui prévoient la suspension de leur exécution, en vue de mettre fin en tout ou partie, pendant la durée de la crise sanitaire, aux livraisons des volumes d'électricité qu'ils ont acquis par avance auprès d'EDF et de leur permettre, en cas de suspension partielle, de ne pas acquérir la part d'électricité excédant la demande de leur clients, voire, en cas de suspension totale, d'acquérir sur le marché, à un prix inférieur à celui fixé dans le cadre de l'ARENH, les volumes nécessaires à la satisfaction de cette même demande. Ils ont demandé à la CRE de tirer les conséquences de leur volonté d'activer la clause de force majeure en modifiant à due concurrence les quantités d'électricité devant être injectées par EDF sur le réseau en application du mécanisme de l'ARENH, que cette commission notifie à EDF et au gestionnaire public de réseau en application de l'article R. 336-19 du code de l'énergie.
16. Par une délibération n° 2020-071 du 26 mars 2020 " portant communication sur les mesures en faveur des fournisseurs prenant en compte des effets de la crise sanitaire sur les marchés d'électricité et de gaz naturel ", la CRE :
- a relevé qu'EDF, estimant que les conditions prévues n'étaient pas réunies, avait fait part à ces fournisseurs de son opposition au déclenchement de la clause de l'article 10 du modèle d'accord-cadre ;
- a indiqué ne pouvoir à ce stade que constater le désaccord entre les parties au contrat ;
- a ajouté que, selon elle, la force majeure ne trouverait à s'appliquer que si l'acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l'exécution de l'obligation de paiement de l'ARENH, que les conséquences d'une suspension totale des contrats ARENH en raison de l'activation des clauses de force majeure seraient disproportionnées et qu'une telle situation créerait un effet d'aubaine pour les fournisseurs au détriment d'EDF qui irait à l'encontre des principes de fonctionnement du dispositif, qui reposent sur un engagement ferme des parties sur une période d'un an ;
- a indiqué qu'en conséquence, elle ne transmettrait pas à RTE une évolution des volumes d'ARENH livrés par EDF aux fournisseurs concernés liée à une demande d'activation de la clause de force majeure.

17. L'association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG) et l'association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la délibération de la CRE du 26 mars 2020 en tant qu'elle donne une interprétation des conditions de mise en oeuvre de la clause de suspension des accords-cadres pour cause de force majeure et refuse de transmettre à RTE l'évolution des volumes d'ARENH livrés par EDF aux fournisseurs concernés liée à une demande d'activation de cette clause et, d'autre part, d'enjoindre à la CRE, sous astreinte, de procéder à la notification des volumes ainsi modifiés.
18. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
19. Il ressort des pièces du dossier que les fournisseurs d'électricité dont les intérêts sont défendus par les associations requérantes sont susceptibles de subir du fait de la crise sanitaire, selon la nature de leur clientèle, une perte de chiffre d'affaires résultant tant de la baisse de la consommation de certaines catégories de clients que des mesures de report de paiement des factures d'électricité adoptées par les pouvoirs publics en faveur de certaines entreprises. Il ressort également des pièces du dossier que ceux de ces fournisseurs qui ont exercé les droits qu'ils tiennent du mécanisme d'accès régulé à l'énergie nucléaire historique, notamment ceux dont la clientèle est composée d'entreprises industrielles et tertiaires dont l'activité s'est trouvée réduite, sont susceptibles de subir des pertes résultant de l'effet combiné de l'achat d'électricité auquel elles ont procédé auprès d'EDF, pour des quantités fixées à l'avance, au prix de 42 euros par MWh et de la baisse de consommation de leur clientèle, qui les oblige à écouler la partie excédentaire de cette électricité aux prix actuels de marché, qui sont très inférieurs voire ponctuellement négatifs.
20. Les associations requérantes estiment, ainsi qu'il a été dit, que la crise sanitaire actuelle a le caractère d'un évènement de force majeure au sens de l'article 10 du modèle d'accord-cadre et soutiennent que la mise en oeuvre de la possibilité, prévue à l'article 13, de suspendre dans ce cas l'exécution des accords-cadres conclus entre les fournisseurs et EDF relève de la seule décision de la partie qui invoque la force majeure sans que soit requise une décision du juge compétent, celui-ci n'intervenant selon les requérantes qu'a posteriori en cas de contestation par l'autre partie de l'existence d'une situation permettant l'activation de la clause. La CRE joue, dans la mise en oeuvre du mécanisme de l'ARENH, un rôle de tiers de confiance destiné à éviter un échange direct d'informations entre la société EDF et les fournisseurs alternatifs, qui sont à la fois ses clients et ses concurrents, et notifie à ce titre au gestionnaire public de réseau les informations relatives aux quantités d'électricité nucléaire devant être injectées sur le réseau par EDF correspondant aux cessions réalisées au profit de ces fournisseurs au titre de l'ARENH. Selon les requérantes, la CRE serait tenue, lorsque l'une des parties exprime sa volonté de suspendre l'exécution du contrat pour cause de force majeure, de tirer les conséquences de cette décision dans les notifications qu'elle adresse au gestionnaire public de réseau en application de l'article R. 336-19 du code de l'énergie, sans disposer d'aucun pouvoir d'appréciation sur la pertinence de l'invocation de la force majeure au cas d'espèce et sans que puisse y faire obstacle l'éventuel désaccord de l'autre partie.
21. Il ressort à l'inverse de la délibération contestée que le refus de la CRE de notifier à RTE et à EDF, en application de ces dispositions, des volumes d'électricité à livrer par EDF aux fournisseurs concernés correspondant non pas aux quantités acquises par ces derniers mais à celles résultant de la volonté qu'ils ont exprimée de mettre en oeuvre de la clause de force majeure prévue par les contrats a pour seul motif le constat d'un désaccord entre les parties sur la mise en application de cette clause, que cette commission estime ne pouvoir, " en l'état ", que se borner à constater, le litige ne pouvant être tranché que par le juge compétent. Si la CRE a cru bon, en outre, d'exposer dans sa délibération du 26 mars 2020, d'une part, l'interprétation qu'elle retient des dispositions réglementaires de l'article 10 du modèle d'accord-cadre annexé à l'arrêté du 12 mars 2019 définissant la force majeure et déterminant les conditions de son invocation et, d'autre part, son analyse des conséquences sur le marché de l'électricité d'une suspension totale des contrats conclus pour la mise en oeuvre de l'ARENH du fait de l'activation des clauses de force majeure, ces considérations d'ordre général ne constituent pas le motif de son refus.

22. La divergence d'interprétation opposant les associations requérantes à la CRE au sujet de la portée des dispositions des articles 10 et 13 du modèle d'accord-cadre a ainsi pour conséquence non pas une impossibilité générale et définitive de mise en oeuvre effective de la clause de suspension d'exécution des contrats pour cause de force majeure, mais seulement le report de cette mise en oeuvre jusqu'à ce que, pour chacun des fournisseurs concernés, le juge compétent, dont les associations requérantes indiquent qu'il a d'ores et déjà été saisi d'actions en référé par certains des fournisseurs intéressés, apprécie, au cas par cas, si les conditions posées par l'article 10 du modèle d'accord-cadre sont réunies. Par ailleurs, l'interprétation des dispositions de l'article 10 du modèle d'accord-cadre donnée par la CRE dans la délibération contestée n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet, contrairement à ce qui est soutenu, de lier l'appréciation du juge.
23. A supposer qu'en dépit des gains pouvant par ailleurs résulter de la mise en oeuvre sur longue période du mécanisme d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, dont l'objet est de leur permettre de disposer d'une source d'approvisionnement à un prix le plus souvent inférieur à celui du marché, les pertes subies, pour les motifs exposés au point 19, par les fournisseurs d'électricité concernés soient d'une ampleur telle qu'elles mettent en péril, ainsi qu'il est soutenu, leur survie à horizon de quelques mois, il n'est pas établi que ces pertes auraient un tel effet dans le délai nécessaire au juge compétent pour statuer sur les demandes dont il a été saisi.
24. Par ailleurs, et contrairement à ce qui est soutenu, la délibération contestée ne fait nullement obstacle à ce que, indépendamment de la mise en oeuvre de la clause de suspension d'exécution des contrats pour cause de force majeure, les fournisseurs concernés et EDF négocient, en application de l'article 19 du modèle d'accord cadre, des modalités dérogatoires de mise en oeuvre des obligations des parties tenant compte des circonstances particulières liées à la crise sanitaire. La CRE a au contraire, dans sa délibération, invité EDF à prendre en compte la situation individuelle des fournisseurs, en particulier ceux qui sont de petite taille et en situation de fragilité.

25. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence, au sens et pour l'application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, n'est pas satisfaite. Il n'y a pas dès lors pas lieu de faire droit aux conclusions aux fins de suspension et d'injonction présentées par les requérantes.
26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat (Commission de régulation de l'énergie) qui n'est pas, dans la présente espèce, la partie perdante. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge des associations requérantes une somme à verser à la société EDF en application de ces mêmes dispositions.

O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'AFIEG et de l'ANODE est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société EDF tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz, à l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, à la Commission de régulation de l'énergie, à la société Electricité de France et à la ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée au Premier ministre.


Voir aussi