Conseil d'État
N° 429741
ECLI:FR:CECHR:2019:429741.20190724
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Laurent Roulaud, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats
Lecture du mercredi 24 juillet 2019
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 13 avril et 5 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. C...F..., B...A...et E...D...demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le refus implicite d'abroger l'article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure qui leur a été opposé par le ministre de l'intérieur ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'abroger l'article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code pénal ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Roulaud, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. C...F..., de M. B...A...et de M. E...D...;
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions présentées en défense tendant à ce qu'il soit donné acte du désistement d'office des requérants :
1. Aux termes de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative : " En cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s'être désisté. 2018. / Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l'ordonnance de rejet mentionne qu'à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d'un mois, le requérant est réputé s'être désisté ". Il en ressort qu'il ne peut être donné acte du désistement d'office du requérant que si la notification de l'ordonnance de référé qui lui a été adressée comporte la mention prévue au second alinéa de cet article.
2. Par une ordonnance n° 429738 du 17 mai 2019, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté la demande de MMF..., A...et D...tendant à la suspension de l'exécution du refus d'abroger l'article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure qui leur a été opposé par le ministre de l'intérieur, au motif qu'aucun moyen n'était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision. Toutefois, les courriers de notification de cette ordonnance aux requérants ne mentionnent pas qu'à défaut de confirmation du maintien de leur requête en excès de pouvoir dans le délai d'un mois, ils seraient réputés s'être désistés. Il s'ensuit que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à demander qu'il soit donné acte du désistement d'office des requérants en application de ces dispositions.
Sur les interventions :
3. La Ligue des droits de l'homme et l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture justifient d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien de la requête en annulation pour excès de pouvoir du refus implicite d'abroger l'article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure. Par suite, leurs interventions sont recevables et doivent être admises.
Sur le cadre juridique régissant l'usage de la grenade GLI F4 :
4. La grenade lacrymogène instantanée modèle F4 (GLI F4) est une arme non létale à caractère explosif, en raison de sa teneur en tolite, et à triple effet lacrymogène, assourdissant et de souffle. Elle peut être lancée à la main ou au moyen d'un propulseur.
5. Aux termes des premier, sixième et septième alinéa de l'article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, un attroupement, au sens de l'article 431-3 du code pénal, c'est-à-dire tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public : " (...) peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet (...) / Toutefois les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent. / Les modalités d'application des alinéas précédents sont précisées par un décret en Conseil d'Etat (...) ". L'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure classe les matériels de guerre, armes et munitions en catégories. L'article R. 211-16 du même code dispose que " Hors les cas prévus au sixième alinéa de l'article L. 211-9, les armes à feu susceptibles d'être utilisées pour le maintien de l'ordre public sont les grenades à effet de souffle et leurs lanceurs entrant dans le champ d'application de l'article R. 311-2 et autorisées par décret ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 211-18 de ce code : " Sans préjudice des articles 122-5 et 122-7 du code pénal, peuvent être utilisées dans les deux cas prévus au sixième alinéa de l'article L. 211-9 du présent code (...) les armes à feu des catégories A, B et C adaptées au maintien de l'ordre correspondant aux conditions de ce sixième alinéa, entrant dans le champ d'application de l'article R. 311-2 et autorisées par décret ". L'article D. 211-17 de ce code précise que l'arme à feu dénommée " Grenades GLI F4 ", qui constitue une arme de catégorie A2, est susceptible d'être utilisée par les représentants de la force publique pour le maintien de l'ordre public en application des articles R. 211-16 et R. 211-18 précités. Les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger cet article.
6. En vertu de l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, qui renvoie expressément à l'article L. 211-19 du même code, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie ne peuvent faire usage de leurs armes qu'" en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée " dans les cas mentionnés à ces deux articles. L'article R. 434-18 de ce code rappelle que " Le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c'est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. Il ne fait usage des armes qu'en cas d'absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut ". L'article R. 211-13 du même code précise en matière de maintien de l'ordre que " L'emploi de la force par les représentants de la force publique n'est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l'ordre public dans les conditions définies par l'article L. 211-9. La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé ". L'article R. 211-11 prévoit à cet égard que " Pour l'application de l'article L. 211-9, l'autorité habilitée à procéder aux sommations avant de disperser un attroupement par la force : / 1° Annonce sa présence en énonçant par le haut-parleur les mots " Obéissance à la loi. Dispersez-vous " / 2° Procède à une première sommation en énonçant par haut-parleur les mots " Première sommation : on va faire usage de la force " / 3° Procède à une deuxième et dernière sommation en énonçant par haut-parleur les mots : " Dernière sommation : on va faire usage de la force " / Si l'utilisation du haut-parleur est impossible ou manifestement inopérante, chaque annonce ou sommation peut être remplacée ou complétée par le lancement d'une fusée rouge. Toutefois, si, pour disperser l'attroupement par la force, il doit être fait usage des armes mentionnées à l'article R. 211-16, la dernière sommation ou, le cas échéant, le lancement de fusée qui la remplace ou la complète doivent être réitérés ".
7. En raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique. Cette contestation peut prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire, comme l'exprime l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de faits postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé [...] ".
Sur les moyens tirés de la méconnaissance des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
8. Il incombe au législateur, au pouvoir réglementaire et, en sa qualité de chef de service, au ministre de l'intérieur de définir, dans leur champ de compétences respectifs, les conditions d'usage de la force et les modalités d'utilisation de leurs armes par les représentants de la force publique pour le maintien de l'ordre dans le respect des exigences découlant des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui, respectivement, protège le droit à la vie et prohibe les traitements inhumains et dégradants. Il leur appartient, ce faisant, non seulement de s'abstenir de provoquer des atteintes aux droits ainsi protégés mais aussi de prendre les dispositions et mesures de précaution propres à éviter le risque qu'il y soit porté atteinte par le recours à la force et à l'usage des armes.
9. Il résulte des dispositions mentionnées aux point 5 et 6 que le recours aux grenades GLI F4, arme non létale, est limité aux seules hypothèses dans lesquelles il est nécessaire, pour le maintien de l'ordre public, de dissiper un attroupement ou, en cas d'attroupement, de riposter à des violences ou voies de fait exercées contre les représentants des forces de l'ordre, ou encore lorsque ces derniers sont dans l'impossibilité de défendre autrement le terrain occupé. L'article R. 211-11 cité au point 6 précise que la triple sommation préalable à l'emploi de la grenade GLI F4 pour dissiper un attroupement peut être réalisée au moyen d'un haut-parleur ou d'une fusée rouge afin que les personnes participant à l'attroupement comprennent l'ordre de dispersion ainsi donné. Dans tous les cas, les représentants de la force publique ne sauraient faire usage de grenades GLI F4 qu'en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée. Ces conditions d'utilisation s'imposent à l'ensemble des forces de l'ordre et leur méconnaissance est de nature à engager leur responsabilité et à fonder, le cas échéant, des poursuites pénales. La circonstance que depuis novembre 2018 l'usage de cette arme non létale par les forces de l'ordre aurait provoqué 10 blessures graves pour plus de 1700 tirs réalisés n'est pas de nature à établir que les conditions légales mises à l'utilisation des grenades GLI F4 ne pourraient être respectées. Il s'ensuit qu'eu égard à l'usage qui doit être normalement fait de cette arme non létale dans le respect des conditions d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité, le refus d'abroger les dispositions réglementaires litigieuses de l'article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure ne méconnaît pas les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les circonstances que l'Etat aurait renoncé à renouveler l'achat de ce type de grenades et que cette arme non létale ne serait plus, en règle générale, employée pour le maintien de l'ordre à l'étranger, ne sont pas à cet égard susceptibles d'entacher d'illégalité ce refus.
En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du respect de la dignité de la personne humaine et de la liberté de manifestation :
10. Le recours à la grenade GLI F4 n'a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet d'interdire le déroulement de manifestations pacifiques ou de restreindre le droit d'y prendre part. Il s'ensuit que les moyens tirés de ce que les décisions attaquées porteraient une atteinte excessive à la liberté d'expression protégée par les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à la liberté de manifestation doivent être écartés. Le recours à cette arme non létale n'a pas plus pour effet, pour les raisons indiqués au point 9, de porter atteinte à la dignité de la personne humaine.
11. Il résulte de ce qui précède que la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les interventions de la Ligue des droits de l'homme et de l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture sont admises.
Article 2 : La requête de MMF..., A...et D...est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à MM C...F..., B...A...et E...D..., à la Ligue des droits de l'homme, à l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture et au ministre de l'intérieur.
Copie sera transmise au Premier ministre.
N° 429741
ECLI:FR:CECHR:2019:429741.20190724
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Laurent Roulaud, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats
Lecture du mercredi 24 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 13 avril et 5 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. C...F..., B...A...et E...D...demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le refus implicite d'abroger l'article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure qui leur a été opposé par le ministre de l'intérieur ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'abroger l'article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code pénal ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Roulaud, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. C...F..., de M. B...A...et de M. E...D...;
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions présentées en défense tendant à ce qu'il soit donné acte du désistement d'office des requérants :
1. Aux termes de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative : " En cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s'être désisté. 2018. / Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l'ordonnance de rejet mentionne qu'à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d'un mois, le requérant est réputé s'être désisté ". Il en ressort qu'il ne peut être donné acte du désistement d'office du requérant que si la notification de l'ordonnance de référé qui lui a été adressée comporte la mention prévue au second alinéa de cet article.
2. Par une ordonnance n° 429738 du 17 mai 2019, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté la demande de MMF..., A...et D...tendant à la suspension de l'exécution du refus d'abroger l'article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure qui leur a été opposé par le ministre de l'intérieur, au motif qu'aucun moyen n'était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision. Toutefois, les courriers de notification de cette ordonnance aux requérants ne mentionnent pas qu'à défaut de confirmation du maintien de leur requête en excès de pouvoir dans le délai d'un mois, ils seraient réputés s'être désistés. Il s'ensuit que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à demander qu'il soit donné acte du désistement d'office des requérants en application de ces dispositions.
Sur les interventions :
3. La Ligue des droits de l'homme et l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture justifient d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien de la requête en annulation pour excès de pouvoir du refus implicite d'abroger l'article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure. Par suite, leurs interventions sont recevables et doivent être admises.
Sur le cadre juridique régissant l'usage de la grenade GLI F4 :
4. La grenade lacrymogène instantanée modèle F4 (GLI F4) est une arme non létale à caractère explosif, en raison de sa teneur en tolite, et à triple effet lacrymogène, assourdissant et de souffle. Elle peut être lancée à la main ou au moyen d'un propulseur.
5. Aux termes des premier, sixième et septième alinéa de l'article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, un attroupement, au sens de l'article 431-3 du code pénal, c'est-à-dire tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public : " (...) peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet (...) / Toutefois les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent. / Les modalités d'application des alinéas précédents sont précisées par un décret en Conseil d'Etat (...) ". L'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure classe les matériels de guerre, armes et munitions en catégories. L'article R. 211-16 du même code dispose que " Hors les cas prévus au sixième alinéa de l'article L. 211-9, les armes à feu susceptibles d'être utilisées pour le maintien de l'ordre public sont les grenades à effet de souffle et leurs lanceurs entrant dans le champ d'application de l'article R. 311-2 et autorisées par décret ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 211-18 de ce code : " Sans préjudice des articles 122-5 et 122-7 du code pénal, peuvent être utilisées dans les deux cas prévus au sixième alinéa de l'article L. 211-9 du présent code (...) les armes à feu des catégories A, B et C adaptées au maintien de l'ordre correspondant aux conditions de ce sixième alinéa, entrant dans le champ d'application de l'article R. 311-2 et autorisées par décret ". L'article D. 211-17 de ce code précise que l'arme à feu dénommée " Grenades GLI F4 ", qui constitue une arme de catégorie A2, est susceptible d'être utilisée par les représentants de la force publique pour le maintien de l'ordre public en application des articles R. 211-16 et R. 211-18 précités. Les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger cet article.
6. En vertu de l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, qui renvoie expressément à l'article L. 211-19 du même code, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie ne peuvent faire usage de leurs armes qu'" en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée " dans les cas mentionnés à ces deux articles. L'article R. 434-18 de ce code rappelle que " Le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c'est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. Il ne fait usage des armes qu'en cas d'absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut ". L'article R. 211-13 du même code précise en matière de maintien de l'ordre que " L'emploi de la force par les représentants de la force publique n'est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l'ordre public dans les conditions définies par l'article L. 211-9. La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé ". L'article R. 211-11 prévoit à cet égard que " Pour l'application de l'article L. 211-9, l'autorité habilitée à procéder aux sommations avant de disperser un attroupement par la force : / 1° Annonce sa présence en énonçant par le haut-parleur les mots " Obéissance à la loi. Dispersez-vous " / 2° Procède à une première sommation en énonçant par haut-parleur les mots " Première sommation : on va faire usage de la force " / 3° Procède à une deuxième et dernière sommation en énonçant par haut-parleur les mots : " Dernière sommation : on va faire usage de la force " / Si l'utilisation du haut-parleur est impossible ou manifestement inopérante, chaque annonce ou sommation peut être remplacée ou complétée par le lancement d'une fusée rouge. Toutefois, si, pour disperser l'attroupement par la force, il doit être fait usage des armes mentionnées à l'article R. 211-16, la dernière sommation ou, le cas échéant, le lancement de fusée qui la remplace ou la complète doivent être réitérés ".
7. En raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique. Cette contestation peut prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire, comme l'exprime l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de faits postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé [...] ".
Sur les moyens tirés de la méconnaissance des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
8. Il incombe au législateur, au pouvoir réglementaire et, en sa qualité de chef de service, au ministre de l'intérieur de définir, dans leur champ de compétences respectifs, les conditions d'usage de la force et les modalités d'utilisation de leurs armes par les représentants de la force publique pour le maintien de l'ordre dans le respect des exigences découlant des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui, respectivement, protège le droit à la vie et prohibe les traitements inhumains et dégradants. Il leur appartient, ce faisant, non seulement de s'abstenir de provoquer des atteintes aux droits ainsi protégés mais aussi de prendre les dispositions et mesures de précaution propres à éviter le risque qu'il y soit porté atteinte par le recours à la force et à l'usage des armes.
9. Il résulte des dispositions mentionnées aux point 5 et 6 que le recours aux grenades GLI F4, arme non létale, est limité aux seules hypothèses dans lesquelles il est nécessaire, pour le maintien de l'ordre public, de dissiper un attroupement ou, en cas d'attroupement, de riposter à des violences ou voies de fait exercées contre les représentants des forces de l'ordre, ou encore lorsque ces derniers sont dans l'impossibilité de défendre autrement le terrain occupé. L'article R. 211-11 cité au point 6 précise que la triple sommation préalable à l'emploi de la grenade GLI F4 pour dissiper un attroupement peut être réalisée au moyen d'un haut-parleur ou d'une fusée rouge afin que les personnes participant à l'attroupement comprennent l'ordre de dispersion ainsi donné. Dans tous les cas, les représentants de la force publique ne sauraient faire usage de grenades GLI F4 qu'en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée. Ces conditions d'utilisation s'imposent à l'ensemble des forces de l'ordre et leur méconnaissance est de nature à engager leur responsabilité et à fonder, le cas échéant, des poursuites pénales. La circonstance que depuis novembre 2018 l'usage de cette arme non létale par les forces de l'ordre aurait provoqué 10 blessures graves pour plus de 1700 tirs réalisés n'est pas de nature à établir que les conditions légales mises à l'utilisation des grenades GLI F4 ne pourraient être respectées. Il s'ensuit qu'eu égard à l'usage qui doit être normalement fait de cette arme non létale dans le respect des conditions d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité, le refus d'abroger les dispositions réglementaires litigieuses de l'article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure ne méconnaît pas les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les circonstances que l'Etat aurait renoncé à renouveler l'achat de ce type de grenades et que cette arme non létale ne serait plus, en règle générale, employée pour le maintien de l'ordre à l'étranger, ne sont pas à cet égard susceptibles d'entacher d'illégalité ce refus.
En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du respect de la dignité de la personne humaine et de la liberté de manifestation :
10. Le recours à la grenade GLI F4 n'a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet d'interdire le déroulement de manifestations pacifiques ou de restreindre le droit d'y prendre part. Il s'ensuit que les moyens tirés de ce que les décisions attaquées porteraient une atteinte excessive à la liberté d'expression protégée par les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à la liberté de manifestation doivent être écartés. Le recours à cette arme non létale n'a pas plus pour effet, pour les raisons indiqués au point 9, de porter atteinte à la dignité de la personne humaine.
11. Il résulte de ce qui précède que la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les interventions de la Ligue des droits de l'homme et de l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture sont admises.
Article 2 : La requête de MMF..., A...et D...est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à MM C...F..., B...A...et E...D..., à la Ligue des droits de l'homme, à l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture et au ministre de l'intérieur.
Copie sera transmise au Premier ministre.