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Ariane Web: CAA de NANTES 23NT02533, lecture du 12 juillet 2024

Décision n° 23NT02533
12 juillet 2024
CAA de NANTES

N° 23NT02533

3ème chambre
Mme BRISSON, présidente
M. Georges-Vincent VERGNE, rapporteur
M. BERTHON, rapporteur public
LEBEY, avocats


Lecture du vendredi 12 juillet 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le Syndicat autonome centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la note d'information du 20 janvier 2021 du centre hospitalier du Cotentin relative au temps partiel et aux heures supplémentaires non majorées et d'enjoindre à la directrice du centre hospitalier public du Cotentin d'appliquer le régime des heures supplémentaires de droit public aux agents hospitaliers travaillant à temps partiel et de reconstituer la carrière des agents concernés.
Par un jugement n° 2101641 du 23 juin 2023, le tribunal administratif de Caen a annulé la note d'information du 20 janvier 2021 du centre hospitalier public du Cotentin et enjoint à la directrice de cet hôpital d'appliquer le régime des heures supplémentaires de droit public aux agents hospitaliers travaillant à temps partiel et de réexaminer leur situation au regard des heures supplémentaires effectuées et, le cas échéant, de reconstituer les droits des agents concernés, dans un délai de six mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 23 août 2023 et 29 avril 2024, le centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes, représenté par Me Dollon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par le syndicat autonome centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'action du syndicat constituant une action en reconnaissance de droit au sens des articles L. 77-12-1 et suivants du code de justice administrative, la requête d'appel a un effet suspensif par application de l'article L. 77-12-4 de ce code ;
- la demande portée par le syndicat devant le tribunal administratif de Caen était tardive et donc irrecevable ;
- il n'a jamais été question d'appliquer au sein de l'établissement le régime des heures complémentaires prévu par le code du travail pour les salariés employés à temps partiel dans le cadre de contrats de travail de droit privé ;
- aucune disposition normative ne prévoit la réalisation d'heures supplémentaires susceptibles de donner lieu à majoration pour les salariés employés à temps partiel et dont le temps de travail effectif est inférieur au seuil de la durée hebdomadaire de travail définie à hauteur de 35 heures, ou de la durée annuelle de travail définie à hauteur de 1 607 heures ; au sein du CHPC et compte tenu de ses besoins, les postes de travail sont définies uniquement en considération de la durée de travail applicable à des postes à temps plein ; le cycle de travail est donc défini par référence à une activité à temps plein ;
- au CHPC, un seul cycle de travail correspondant à des postes de travail à temps plein est appliqué ; aucun cycle de travail n'a été arrêté au sein de l'établissement comme le permet l'article 9 du décret du 4 janvier 2002, justifiant qu'il puisse être fait application d'une majoration des heures accomplies en deçà d'un temps de travail à temps plein ;
- les compléments de rémunération sont soumis au principe de parité entre les fonctions publiques ; or s'il est expressément fait référence, pour les agents de la fonction publique territoriale employés à temps partiel, à la notion d'heures complémentaires, une majoration de ces heures est prévue uniquement pour les agents nommés dans des emplois permanents à temps non complet et non pour les agents nommés sur des emplois à temps complet mais exerçant leurs fonctions à temps partiel.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2024, le Syndicat autonome centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes, représenté par Me Poulain, demande au tribunal de rejeter la requête du centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes et de mettre à la charge de celui-ci une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
- sa demande devant le tribunal administratif de Caen n'était pas tardive ;
- la note d'information méconnaît les dispositions des décrets du 4 janvier 2002 et du 25 avril 2002 qui définissent les heures supplémentaires comme étant celles effectuées à la demande du chef d'établissement dès qu'il y a dépassement des bornes horaires définies par le cycle de travail ; en l'absence de définition d'une durée de cycle à titre de référence, ce sont les bornes horaires définies par le cycle de travail de l'agent qui doivent être prises en considération pour le calcul des heures supplémentaires majorées ;
- l'hôpital ne peut se prévaloir, sans porter atteinte à l'égalité de traitement entre agents, du fait qu'il aurait uniquement défini les postes de travail en considération de la durée de travail applicable à des postes à temps plein ;
- le CHPC a méconnu le principe à valeur constitutionnelle d'égalité de traitement entre agents publics en excluant l'ensemble des agents exerçant leurs fonctions à temps partiel du bénéfice d'une rémunération majorée de leurs heures supplémentaires ;
- le principe de parité entre fonctions publiques invoqué par le CHPC pour justifier sa position, qui n'est au demeurant appliqué qu'entre la fonction publique territoriale et la fonction publique de l'Etat, est inopérant alors qu'il ne peut en être déduit un principe d'homologie qui ferait obligation au pouvoir réglementaire d'harmoniser les règles statutaires dans les différentes fonctions publiques.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 82-1003 du 23 novembre 1982 ;
- le décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 ;
- le décret n° 2002-598 du 25 avril 2002 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- et les conclusions de M. Berthon rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le Syndicat autonome centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes était en discussion avec la direction de cet hôpital en ce qui concerne l'organisation du travail et plus particulièrement la gestion et la rémunération des heures de travail effectuées par les agents hospitaliers à temps partiel, notamment les infirmiers, en plus de leurs horaires habituels. Une note d'information datée du 20 janvier 2021 a été diffusée aux personnels, ayant pour " objet : Temps partiel heures supplémentaires non majorées ", selon laquelle les heures supplémentaires effectuées par les agents travaillant à temps partiel et n'effectuant pas la durée légale du travail ne sont pas majorées. Le syndicat a saisi le centre hospitalier d'un recours gracieux contre cette note le 29 mars 2021. Le CHPC y a répondu le 9 avril 2021 et une réunion s'est tenue le 29 juin 2021. Le CHPC relève appel du jugement du 23 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen, à la demande du syndicat autonome, a annulé la note d'information du 20 janvier 2021 et enjoint à la directrice de l'hôpital d'appliquer le régime des heures supplémentaires de droit public aux agents hospitaliers travaillant à temps partiel et de réexaminer leur situation au regard des heures supplémentaires qu'ils avaient effectuées.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable au litige : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. Les indemnités peuvent tenir compte des fonctions et des résultats professionnels des agents ainsi que des résultats collectifs des services. S'y ajoutent les prestations familiales obligatoires (...) ". Aux termes de l'article 9 du décret du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail applicable aux établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa version applicable au litige : " Le travail est organisé selon des périodes de référence dénommées cycles de travail définis par service ou par fonctions et arrêtés par le chef d'établissement après avis du comité technique d'établissement ou du comité technique. / Le cycle de travail est une période de référence dont la durée se répète à l'identique d'un cycle à l'autre et ne peut être inférieure à la semaine ni supérieure à douze semaines ; le nombre d'heures de travail effectué au cours des semaines composant le cycle peut être irrégulier. / Il ne peut être accompli par un agent plus de 44 heures par semaine. / Les heures supplémentaires et repos compensateurs sont décomptés sur la durée totale du cycle. Les repos compensateurs doivent être pris dans le cadre du cycle de travail ". Aux termes de l'article 4 du décret du 25 avril 2002 relatif aux indemnités horaires pour travaux supplémentaires, applicable aux mêmes établissements : " (...) sont considérées comme heures supplémentaires les heures effectuées à la demande du chef d'établissement, dès qu'il y a dépassement des bornes horaires définies par le cycle de travail / Le travail supplémentaire, tel que défini ci-dessus, accompli entre 21 heures et 7 heures du matin est considéré comme travail supplémentaire de nuit ".

3. Aux termes de l'article 3 du décret du 23 novembre 1982 relatif aux modalités d'application du régime de travail à temps partiel des agents titulaires des établissements d'hospitalisation publics et de certains établissements à caractère social : " Les heures supplémentaires accomplies par les fonctionnaires autorisés à travailler à temps partiel sont rémunérées dans les conditions prévues par les articles 7 et 8 du décret n° 2002-598 du 25 avril 2002 relatif aux indemnités horaires pour travaux supplémentaires ". Aux termes des articles 7 et 8 de ce décret du 25 avril 2002, dans leur rédaction applicable au litige : " A défaut de compensation sous la forme d'un repos compensateur, les heures supplémentaires sont indemnisées dans les conditions ci-dessous. / La rémunération horaire est déterminée en prenant pour base le traitement brut annuel de l'agent concerné, au moment de l'exécution des travaux, augmenté, le cas échéant, de l'indemnité de résidence, le tout divisé par 1820. / Cette rémunération est multipliée par 1,25 pour les 14 premières heures supplémentaires et par 1,27 pour les heures suivantes " et " L'heure supplémentaire est majorée de 100 % lorsqu'elle est effectuée de nuit et des deux tiers lorsqu'elle est effectuée un dimanche ou un jour férié ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les heures supplémentaires sont celles qui excèdent les bornes horaires définies par le cycle de travail. Ce cycle, défini par service ou par fonctions, dépend de l'emploi, qui peut être à temps complet ou à temps non complet, auquel est affecté l'agent, et ne saurait être affecté par la circonstance que celui-ci a été autorisé sur sa demande à exercer ses fonctions à temps partiel. La majoration, prévue aux articles 7 et 8 du décret du 25 avril 2002, doit donc s'appliquer, pour les agents à temps partiel relevant de la fonction publique hospitalière, aux seules heures qu'ils ont effectuées au-delà des bornes horaires du cycle de travail à temps complet correspondant à leur emploi et pour lesquelles ils n'ont pas bénéficié d'un repos compensateur. La note d'information en litige, en tant qu'elle rappelle qu'un agent à temps partiel effectuant des heures de travail au-delà des horaires et rythmes de travail qui lui sont personnellement assignés dans le cadre de son service à temps partiel ne peut pas bénéficier d'heures supplémentaires majorées s'il ne dépasse pas la durée légale de travail d'un temps plein dans un cycle de travail, n'est pas contraire aux règles rappelées ci-dessus. Par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen, pour annuler la note litigieuse, a retenu une telle contrariété de celle-ci aux dispositions citées aux points 2 et 3 ci-dessus. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par le syndicat autonome centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes.

Sur l'autre moyen invoqué par le syndicat autonome centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes :

5. Eu égard à la situation différente, au regard des heures de travail qu'ils accomplissent au-delà de leurs temps de travail respectifs, entre les agents travaillant à temps complet et ceux autorisés à travailler à temps partiel, le fait de rémunérer par des indemnités horaires pour travaux supplémentaires les seules heures de travail accomplies au-delà d'un cycle de travail à temps plein n'est pas contraire à l'égalité de traitement entre agents.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance du syndicat par le centre hospitalier public du Cotentin, celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la note d'information du 20 janvier 2021.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier public du Cotentin, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le Syndicat autonome centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de ce syndicat la somme de 1 500 euros à verser au centre hospitalier au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 23 juin 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par le Syndicat autonome centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.

Article 3 : Le Syndicat autonome centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes versera une somme de 1 500 euros au centre hospitalier public du Cotentin sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié au Syndicat autonome centre hospitalier public du Cotentin Cherbourg et Valognes et au centre hospitalier public du Cotentin.


Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.



Le rapporteur,





G.-V. VERGNE
La présidente,





C. BRISSON


Le greffier,



Y. MARQUIS


La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.