CAA de DOUAI
N° 20DA00770
3ème chambre
Mme Borot, président
Mme Ghislaine Borot, rapporteur
M. Cassara, rapporteur public
CABINET WACQUET & ASSOCIÉS, avocats
Lecture du jeudi 17 mars 2022
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association club nautique de la baie de Somme a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler le titre exécutoire n° 2018-2-2 du 23 avril 2018 par lequel le maire du Crotoy a mis à sa charge une somme de 21 558 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnisation du coût des études nécessaires à la réalisation des travaux de réhabilitation du port de plaisance de la commune et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
L'association club nautique de la baie de Somme a également demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler le titre exécutoire n° 2018-2-3 du 23 avril 2018 par lequel le maire du Crotoy a mis à sa charge une somme de 460 557,80 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnisation du coût des travaux de réhabilitation du port de plaisance de la commune et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
Par un jugement n°s 1801887 - 1801891 du 20 mars 2020, le tribunal administratif d'Amiens a annulé ces titres exécutoires, a déchargé l'association de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge, a mis à la charge définitive de la commune du Crotoy les frais du constat liquidés à la somme de 1 397,42 euros toutes taxes comprises, a mis à la charge de la commune du Crotoy une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté les conclusions présentées par cette dernière au même titre.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 25 mai 2020 et le 24 février 2021, la commune du Crotoy, représentée par Me Alain Vamour, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par l'association club nautique de la baie de Somme devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de l'association club nautique de la baie de Somme la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente-rapporteure,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- les observations de Me Sophie Olejniczak, représentant la commune du Crotoy et de Me Amélie Rohaut, représentant l'association club nautique de la baie de Somme.
La commune du Crotoy, représentée par la SCP Bignon Lebray et associés, a produit une note en délibéré le 11 mars 2022.
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention conclue le 11 février 1994, la commune du Crotoy a confié à l'association club nautique de la baie de Somme (CNBS) la gestion de son port de plaisance. Cette convention a été résiliée par une décision du maire du Crotoy du 27 septembre 2011 et les ouvrages ont été remis à la commune le 11 octobre 2012. Par une ordonnance du 3 décembre 2012, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a désigné à la demande de la commune, un expert afin qu'il constate notamment l'état général des dépendances immobilières et mobilières constitutives du port de plaisance du Crotoy faisant l'objet de la convention du 11 février 1994. L'expert a remis son rapport le 15 janvier 2013.
2. Par un titre exécutoire n° 2015-6-96 du 27 juillet 2015, la commune du Crotoy a mis à la charge de l'association CNBS une somme de 491 640,34 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnisation du coût des travaux de réhabilitation du port de plaisance. Et par un titre exécutoire n° 2015-6-97 du même jour, elle a mis à sa charge la somme de 24 498 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnisation du coût des études nécessaires à la réalisation de ces travaux. Ces deux titres ont été annulés par un jugement du tribunal administratif d'Amiens du 19 janvier 2018.
3. La maire du Crotoy a émis à nouveau un titre exécutoire n° 2018-2-2 le 23 avril 2018, d'un montant de 21 558 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnisation du coût des études nécessaires à la réalisation des travaux de réhabilitation du port de plaisance de la commune. Et par un second titre exécutoire n° 2018-2-3 du même jour, la maire du Crotoy a mis à la charge de l'association, une somme de 460 557,80 euros toutes taxes comprises au titre du coût de ces travaux de réhabilitation. Par deux requêtes distinctes, l'association CNBS a demandé au tribunal administratif d'Amiens l'annulation de ces deux titres exécutoires. Par un jugement du 20 mars 2020, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir joint les deux demandes, a annulé ces deux titres exécutoires, a déchargé l'association de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge et a également mis à la charge définitive de la commune les frais du constat liquidés à la somme de 1 397,42 euros toutes taxes comprises. La commune du Crotoy relève appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir opposée par l'association CNBS :
4. Il ressort des écritures d'appel que la commune appelante doit être regardée comme demandant le rejet des deux requêtes de première instance dirigées par l'association CNBS contre les deux titres exécutoires en litige. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'association CNBS tirée de ce que les conclusions de la requête d'appel sont insuffisamment précises doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la prescription :
5. Aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes de l'article 2241 du même code : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. / Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ". Aux termes de l'article 2242 du même code : " L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ". Aux termes de l'article 2243 du même code : " L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ". Enfin, l'article 2244 du même code dispose : " Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée ".
6. En l'absence de toute autre disposition applicable, les personnes publiques sont soumises aux mêmes prescriptions que les particuliers et peuvent également les opposer, alors même que l'article 2227 du code civil qui rappelait cette règle générale a été abrogé par la loi du 17 juin 2008. Par suite, le moyen tiré de ce que la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil n'est pas applicable en l'espèce doit être écarté.
7. Il résulte de l'instruction que le délai de prescription de cinq ans dont disposait la commune du Crotoy pour mettre à la charge de l'association CNBS le coût des travaux de réhabilitation des installations en litige à raison de leur défaut d'entretien ainsi que celui des études nécessaires à cette fin, a débuté au plus tard à la date de remise du rapport du constat prescrit le 3 décembre 2012 par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, soit le 15 janvier 2013, qui permettait à la commune du Crotoy de connaître les faits la mettant en mesure d'exercer son action, sans qu'elle ait eu besoin d'attendre comme elle le soutient, la réception par l'association, le 11 juillet 2013, du courrier qu'elle lui avait adressé et auquel celle-ci n'a d'ailleurs pas répondu, la mettant en demeure de justifier de ses dépenses d'entretien.
8. Il résulte des principes dont s'inspirent les dispositions précitées des articles 2241 et 2243 du code civil que lorsque le créancier forme devant le juge administratif une demande à l'encontre du débiteur, l'interruption du délai de prescription est non avenue si cette demande est définitivement rejetée pour un motif autre que l'incompétence de la juridiction saisie ou l'existence d'une irrecevabilité régularisable. Si la commune du Crotoy se prévaut de sa demande de référé expertise, enregistrée au greffe du tribunal administratif d'Amiens le 11 décembre 2015, il résulte de l'instruction que le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande d'expertise par une ordonnance du 4 avril 2016, confirmée en appel le 7 septembre 2016. Par suite, l'interruption du délai par cette demande d'expertise est non avenue. Par ailleurs, l'annulation contentieuse d'un titre exécutoire a pour conséquence qu'il est réputé n'avoir jamais existé et fait obstacle à ce que lui soit attaché un effet interruptif de prescription. La commune du Crotoy ne peut donc soutenir que la notification des premiers titres exécutoires émis le 27 juillet 2015 à l'encontre de la société CNBS, qui ont été annulés par un jugement devenu définitif du 19 janvier 2018 du tribunal administratif d'Amiens, qui a déchargé l'association CNBS du paiement correspondant, a interrompu le cours du délai de prescription.
9. En revanche, il résulte des principes dont s'inspirent les articles 2241 et 2242 du code civil, qu'un recours juridictionnel, quel que soit l'auteur du recours, interrompt le délai de prescription et que l'interruption du délai de prescription par cette demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance. Par suite, quand bien même les titres exécutoires notifiés le 27 juillet 2015 ont disparu de l'ordonnancement juridique, le recours juridictionnel exercé par l'association CNBS à leur encontre le 22 septembre 2015 a interrompu le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance, par la lecture du jugement le 19 janvier 2018. Dès lors, les créances en litige n'étaient pas prescrites lorsque la commune du Crotoy a pris deux nouveaux titres exécutoires les 23 avril 2018.
10. Il résulte de ce qui précède que la commune du Crotoy est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a fait droit à l'exception de prescription quinquennale opposée par l'association CNBS.
11. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'association CNBS devant le tribunal administratif et la cour.
En ce qui concerne le bien-fondé des créances :
12. Lorsqu'une partie à un contrat administratif soumet au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat, mais que, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
13. Il résulte de l'instruction que les créances constatées dans les titres exécutoires en litige sont fondées sur la méconnaissance des obligations contractuelles contenues dans la convention du 11 février 1994. Comme cela a été dit au point 1, en vertu des stipulations de cette convention, la commune du Crotoy, a confié à l'association CNBS la gestion de la base de plaisance du Crotoy composée de la zone maritime portuaire de plaisance, d'une partie de terre-plein consacrée au carénage, d'appontements flottants, des passerelles d'accès, des prises d'eau et d'énergie et de toute installation nécessaire à la navigation de plaisance et à l'exploitation du bassin. La commune a fixé pour objectif à l'association CNBS d'intégrer la base dans la vie de la commune, d'organiser des activités nautiques et sa pleine utilisation sur une période aussi longue que possible dans l'année. L'association s'est engagée à conserver les biens en l'état, étant prévu par l'article 6 qu'elle participerait au financement des grosses réparations, des travaux d'extension ou d'amélioration, qui devaient faire l'objet d'un avenant de financement et d'exploitation. Elle devait également s'acquitter des impôts et contributions. Cette convention avait donc pour objet tant l'occupation même du domaine public communal constitué par le port de plaisance en vue de sa mise en valeur que le développement d'activités nautiques d'intérêt général.
14. Toutefois, cette convention portant autorisation d'occupation du domaine public communal n'a fixé aucune contrepartie financière tenant spécifiquement à l'occupation privative de ce domaine public, en méconnaissance du principe, désormais énoncé à l'article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques et autrefois prévu dans le code du domaine de l'Etat, selon lequel sauf exception, toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique donne lieu au paiement d'une redevance. Cette illicéité avait d'ailleurs été relevée par la commune elle-même dans sa lettre de résiliation du 27 septembre 2011 qui précise que cette convention porte autorisation d'occupation du domaine public, mais qu'" aucune redevance pour l'occupation du domaine public communal n'est contractuellement imposée au CNBS ". Il ne résulte pas de l'instruction, ni n'est même allégué par les parties, que des dispositions législatives ou réglementaires auraient autorisé la commune à ne pas fixer une telle redevance. Dans ces conditions, cette illicéité de la convention, sur laquelle reposent les créances contestées, exclut le règlement du litige sur le terrain contractuel, sans que la commune soit fondée à invoquer le principe de loyauté des relations contractuelles et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres motifs soulevés d'office par la cour pour lesquels il conviendrait d'écarter l'application de la convention. Eu égard à ce qui vient d'être dit, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 13 de la convention ne peut qu'être écarté.
15. Si le juge prononce la nullité du contrat, les parties peuvent poursuivre le litige qui les oppose sur un terrain extra-contractuel en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat annulé a apporté à l'autre partie en vue d'obtenir le remboursement des dépenses qui ont été utiles ou de la faute de l'autre partie, alors même que ces moyens reposent sur des causes juridiques nouvelles.
16. En l'espèce, en réponse à l'information donnée par la cour sur l'éventualité que l'arrêt à intervenir soit fondé sur la nullité de la convention de gestion du 11 février 1994, la commune du Crotoy a fait valoir que les créances justifiant les titres exécutoires en litige pouvaient être regardées comme ayant un " fondement alternatif extracontractuel " tiré de l'enrichissement sans cause dont a bénéficié l'association CNBS " en percevant les revenus du port de plaisance sans en assurer l'entretien ". Elle doit ainsi être regardée comme ayant entendu demander au juge de procéder à une substitution de la base légale fondant les titres en litige. Toutefois, le détail des sommes réclamées montre qu'elles correspondent exclusivement au coût de différentes études et travaux de réhabilitation des installations du port que la commune estime nécessaires. Or, l'indemnisation au titre de l'enrichissement suppose qu'il soit démontré que les versements dont la collectivité demande le remboursement ont indûment enrichi l'ancien cocontractant. La circonstance que l'association se soit abstenue, selon la commune, de faire face à l'entretien des installations, si elle peut constituer une faute au regard d'une obligation de conserver le domaine public occupé en l'état, ne peut pas être pour autant regardée comme ayant, par elle-même, directement enrichi l'association, alors que comme l'indique d'ailleurs la commune, l'enrichissement de l'association procède en réalité de l'utilité procurée par l'occupation du domaine public. Dans ces conditions, la commune, qui n'a invoqué devant la cour que ce seul fondement quasi-contractuel, n'est pas fondée à soutenir que la base légale tirée d'une action au titre de l'enrichissement sans cause doit être substituée à celle de l'action contractuelle fondant initialement les titres dont s'agit. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de substitution de base légale présentée par la commune du Crotoy.
17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre ces titres exécutoires, que la commune du Crotoy n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé les deux titres exécutoires du 22 avril 2018 et a déchargé l'association CNBS de la totalité des sommes mises à sa charge.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association CNBS, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune du Crotoy demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la commune du Crotoy la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'association CNBS.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune du Crotoy est rejetée.
Article 2 : La commune du Crotoy versera à l'association CNBS la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune du Crotoy et à l'association club nautique de la baie de Somme.
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N° 1
3
N°"Numéro"
N° 20DA00770
3ème chambre
Mme Borot, président
Mme Ghislaine Borot, rapporteur
M. Cassara, rapporteur public
CABINET WACQUET & ASSOCIÉS, avocats
Lecture du jeudi 17 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association club nautique de la baie de Somme a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler le titre exécutoire n° 2018-2-2 du 23 avril 2018 par lequel le maire du Crotoy a mis à sa charge une somme de 21 558 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnisation du coût des études nécessaires à la réalisation des travaux de réhabilitation du port de plaisance de la commune et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
L'association club nautique de la baie de Somme a également demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler le titre exécutoire n° 2018-2-3 du 23 avril 2018 par lequel le maire du Crotoy a mis à sa charge une somme de 460 557,80 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnisation du coût des travaux de réhabilitation du port de plaisance de la commune et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
Par un jugement n°s 1801887 - 1801891 du 20 mars 2020, le tribunal administratif d'Amiens a annulé ces titres exécutoires, a déchargé l'association de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge, a mis à la charge définitive de la commune du Crotoy les frais du constat liquidés à la somme de 1 397,42 euros toutes taxes comprises, a mis à la charge de la commune du Crotoy une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté les conclusions présentées par cette dernière au même titre.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 25 mai 2020 et le 24 février 2021, la commune du Crotoy, représentée par Me Alain Vamour, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par l'association club nautique de la baie de Somme devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de l'association club nautique de la baie de Somme la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente-rapporteure,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- les observations de Me Sophie Olejniczak, représentant la commune du Crotoy et de Me Amélie Rohaut, représentant l'association club nautique de la baie de Somme.
La commune du Crotoy, représentée par la SCP Bignon Lebray et associés, a produit une note en délibéré le 11 mars 2022.
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention conclue le 11 février 1994, la commune du Crotoy a confié à l'association club nautique de la baie de Somme (CNBS) la gestion de son port de plaisance. Cette convention a été résiliée par une décision du maire du Crotoy du 27 septembre 2011 et les ouvrages ont été remis à la commune le 11 octobre 2012. Par une ordonnance du 3 décembre 2012, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a désigné à la demande de la commune, un expert afin qu'il constate notamment l'état général des dépendances immobilières et mobilières constitutives du port de plaisance du Crotoy faisant l'objet de la convention du 11 février 1994. L'expert a remis son rapport le 15 janvier 2013.
2. Par un titre exécutoire n° 2015-6-96 du 27 juillet 2015, la commune du Crotoy a mis à la charge de l'association CNBS une somme de 491 640,34 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnisation du coût des travaux de réhabilitation du port de plaisance. Et par un titre exécutoire n° 2015-6-97 du même jour, elle a mis à sa charge la somme de 24 498 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnisation du coût des études nécessaires à la réalisation de ces travaux. Ces deux titres ont été annulés par un jugement du tribunal administratif d'Amiens du 19 janvier 2018.
3. La maire du Crotoy a émis à nouveau un titre exécutoire n° 2018-2-2 le 23 avril 2018, d'un montant de 21 558 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnisation du coût des études nécessaires à la réalisation des travaux de réhabilitation du port de plaisance de la commune. Et par un second titre exécutoire n° 2018-2-3 du même jour, la maire du Crotoy a mis à la charge de l'association, une somme de 460 557,80 euros toutes taxes comprises au titre du coût de ces travaux de réhabilitation. Par deux requêtes distinctes, l'association CNBS a demandé au tribunal administratif d'Amiens l'annulation de ces deux titres exécutoires. Par un jugement du 20 mars 2020, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir joint les deux demandes, a annulé ces deux titres exécutoires, a déchargé l'association de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge et a également mis à la charge définitive de la commune les frais du constat liquidés à la somme de 1 397,42 euros toutes taxes comprises. La commune du Crotoy relève appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir opposée par l'association CNBS :
4. Il ressort des écritures d'appel que la commune appelante doit être regardée comme demandant le rejet des deux requêtes de première instance dirigées par l'association CNBS contre les deux titres exécutoires en litige. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'association CNBS tirée de ce que les conclusions de la requête d'appel sont insuffisamment précises doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la prescription :
5. Aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes de l'article 2241 du même code : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. / Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ". Aux termes de l'article 2242 du même code : " L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ". Aux termes de l'article 2243 du même code : " L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ". Enfin, l'article 2244 du même code dispose : " Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée ".
6. En l'absence de toute autre disposition applicable, les personnes publiques sont soumises aux mêmes prescriptions que les particuliers et peuvent également les opposer, alors même que l'article 2227 du code civil qui rappelait cette règle générale a été abrogé par la loi du 17 juin 2008. Par suite, le moyen tiré de ce que la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil n'est pas applicable en l'espèce doit être écarté.
7. Il résulte de l'instruction que le délai de prescription de cinq ans dont disposait la commune du Crotoy pour mettre à la charge de l'association CNBS le coût des travaux de réhabilitation des installations en litige à raison de leur défaut d'entretien ainsi que celui des études nécessaires à cette fin, a débuté au plus tard à la date de remise du rapport du constat prescrit le 3 décembre 2012 par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, soit le 15 janvier 2013, qui permettait à la commune du Crotoy de connaître les faits la mettant en mesure d'exercer son action, sans qu'elle ait eu besoin d'attendre comme elle le soutient, la réception par l'association, le 11 juillet 2013, du courrier qu'elle lui avait adressé et auquel celle-ci n'a d'ailleurs pas répondu, la mettant en demeure de justifier de ses dépenses d'entretien.
8. Il résulte des principes dont s'inspirent les dispositions précitées des articles 2241 et 2243 du code civil que lorsque le créancier forme devant le juge administratif une demande à l'encontre du débiteur, l'interruption du délai de prescription est non avenue si cette demande est définitivement rejetée pour un motif autre que l'incompétence de la juridiction saisie ou l'existence d'une irrecevabilité régularisable. Si la commune du Crotoy se prévaut de sa demande de référé expertise, enregistrée au greffe du tribunal administratif d'Amiens le 11 décembre 2015, il résulte de l'instruction que le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande d'expertise par une ordonnance du 4 avril 2016, confirmée en appel le 7 septembre 2016. Par suite, l'interruption du délai par cette demande d'expertise est non avenue. Par ailleurs, l'annulation contentieuse d'un titre exécutoire a pour conséquence qu'il est réputé n'avoir jamais existé et fait obstacle à ce que lui soit attaché un effet interruptif de prescription. La commune du Crotoy ne peut donc soutenir que la notification des premiers titres exécutoires émis le 27 juillet 2015 à l'encontre de la société CNBS, qui ont été annulés par un jugement devenu définitif du 19 janvier 2018 du tribunal administratif d'Amiens, qui a déchargé l'association CNBS du paiement correspondant, a interrompu le cours du délai de prescription.
9. En revanche, il résulte des principes dont s'inspirent les articles 2241 et 2242 du code civil, qu'un recours juridictionnel, quel que soit l'auteur du recours, interrompt le délai de prescription et que l'interruption du délai de prescription par cette demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance. Par suite, quand bien même les titres exécutoires notifiés le 27 juillet 2015 ont disparu de l'ordonnancement juridique, le recours juridictionnel exercé par l'association CNBS à leur encontre le 22 septembre 2015 a interrompu le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance, par la lecture du jugement le 19 janvier 2018. Dès lors, les créances en litige n'étaient pas prescrites lorsque la commune du Crotoy a pris deux nouveaux titres exécutoires les 23 avril 2018.
10. Il résulte de ce qui précède que la commune du Crotoy est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a fait droit à l'exception de prescription quinquennale opposée par l'association CNBS.
11. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'association CNBS devant le tribunal administratif et la cour.
En ce qui concerne le bien-fondé des créances :
12. Lorsqu'une partie à un contrat administratif soumet au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat, mais que, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
13. Il résulte de l'instruction que les créances constatées dans les titres exécutoires en litige sont fondées sur la méconnaissance des obligations contractuelles contenues dans la convention du 11 février 1994. Comme cela a été dit au point 1, en vertu des stipulations de cette convention, la commune du Crotoy, a confié à l'association CNBS la gestion de la base de plaisance du Crotoy composée de la zone maritime portuaire de plaisance, d'une partie de terre-plein consacrée au carénage, d'appontements flottants, des passerelles d'accès, des prises d'eau et d'énergie et de toute installation nécessaire à la navigation de plaisance et à l'exploitation du bassin. La commune a fixé pour objectif à l'association CNBS d'intégrer la base dans la vie de la commune, d'organiser des activités nautiques et sa pleine utilisation sur une période aussi longue que possible dans l'année. L'association s'est engagée à conserver les biens en l'état, étant prévu par l'article 6 qu'elle participerait au financement des grosses réparations, des travaux d'extension ou d'amélioration, qui devaient faire l'objet d'un avenant de financement et d'exploitation. Elle devait également s'acquitter des impôts et contributions. Cette convention avait donc pour objet tant l'occupation même du domaine public communal constitué par le port de plaisance en vue de sa mise en valeur que le développement d'activités nautiques d'intérêt général.
14. Toutefois, cette convention portant autorisation d'occupation du domaine public communal n'a fixé aucune contrepartie financière tenant spécifiquement à l'occupation privative de ce domaine public, en méconnaissance du principe, désormais énoncé à l'article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques et autrefois prévu dans le code du domaine de l'Etat, selon lequel sauf exception, toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique donne lieu au paiement d'une redevance. Cette illicéité avait d'ailleurs été relevée par la commune elle-même dans sa lettre de résiliation du 27 septembre 2011 qui précise que cette convention porte autorisation d'occupation du domaine public, mais qu'" aucune redevance pour l'occupation du domaine public communal n'est contractuellement imposée au CNBS ". Il ne résulte pas de l'instruction, ni n'est même allégué par les parties, que des dispositions législatives ou réglementaires auraient autorisé la commune à ne pas fixer une telle redevance. Dans ces conditions, cette illicéité de la convention, sur laquelle reposent les créances contestées, exclut le règlement du litige sur le terrain contractuel, sans que la commune soit fondée à invoquer le principe de loyauté des relations contractuelles et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres motifs soulevés d'office par la cour pour lesquels il conviendrait d'écarter l'application de la convention. Eu égard à ce qui vient d'être dit, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 13 de la convention ne peut qu'être écarté.
15. Si le juge prononce la nullité du contrat, les parties peuvent poursuivre le litige qui les oppose sur un terrain extra-contractuel en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat annulé a apporté à l'autre partie en vue d'obtenir le remboursement des dépenses qui ont été utiles ou de la faute de l'autre partie, alors même que ces moyens reposent sur des causes juridiques nouvelles.
16. En l'espèce, en réponse à l'information donnée par la cour sur l'éventualité que l'arrêt à intervenir soit fondé sur la nullité de la convention de gestion du 11 février 1994, la commune du Crotoy a fait valoir que les créances justifiant les titres exécutoires en litige pouvaient être regardées comme ayant un " fondement alternatif extracontractuel " tiré de l'enrichissement sans cause dont a bénéficié l'association CNBS " en percevant les revenus du port de plaisance sans en assurer l'entretien ". Elle doit ainsi être regardée comme ayant entendu demander au juge de procéder à une substitution de la base légale fondant les titres en litige. Toutefois, le détail des sommes réclamées montre qu'elles correspondent exclusivement au coût de différentes études et travaux de réhabilitation des installations du port que la commune estime nécessaires. Or, l'indemnisation au titre de l'enrichissement suppose qu'il soit démontré que les versements dont la collectivité demande le remboursement ont indûment enrichi l'ancien cocontractant. La circonstance que l'association se soit abstenue, selon la commune, de faire face à l'entretien des installations, si elle peut constituer une faute au regard d'une obligation de conserver le domaine public occupé en l'état, ne peut pas être pour autant regardée comme ayant, par elle-même, directement enrichi l'association, alors que comme l'indique d'ailleurs la commune, l'enrichissement de l'association procède en réalité de l'utilité procurée par l'occupation du domaine public. Dans ces conditions, la commune, qui n'a invoqué devant la cour que ce seul fondement quasi-contractuel, n'est pas fondée à soutenir que la base légale tirée d'une action au titre de l'enrichissement sans cause doit être substituée à celle de l'action contractuelle fondant initialement les titres dont s'agit. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de substitution de base légale présentée par la commune du Crotoy.
17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre ces titres exécutoires, que la commune du Crotoy n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé les deux titres exécutoires du 22 avril 2018 et a déchargé l'association CNBS de la totalité des sommes mises à sa charge.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association CNBS, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune du Crotoy demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la commune du Crotoy la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'association CNBS.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune du Crotoy est rejetée.
Article 2 : La commune du Crotoy versera à l'association CNBS la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune du Crotoy et à l'association club nautique de la baie de Somme.
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