Service public industriel et commercial
Les faits et le contexte juridique
La colonie de Côte d’Ivoire exploitait un service de bacs sur des lagunes côtières. La société commerciale de l’Ouest africain était propriétaire d’une voiture, qui fut gravement endommagée lors du naufrage d’un de ces bacs, le bac d’Eloka. Elle assigna la colonie devant le Tribunal de Grand-Bassam et demandait la nomination d’un expert pour évaluer son préjudice. Restait à déterminer l’ordre de juridiction compétent pour statuer sur sa demande, ce qui a justifié que l’affaire soit élevée au Tribunal des conflits. L’affaire posait la question de savoir si des services entiers de l'administration pouvaient être regardés comme fonctionnant dans les mêmes conditions qu'une entreprise privée, justifiant alors la compétence du juge judiciaire pour en connaître.
Le sens et la portée de la décision
Le Tribunal des conflits a répondu positivement à cette question en admettant l'existence de services publics fonctionnant dans les mêmes conditions qu'une entreprise privée. Il a ainsi donné naissance à la notion de service public industriel et commercial (SPIC), relevant d’un régime de droit privé et de la compétence du juge judiciaire. Il était déjà admis que l’administration agisse dans certaines opérations isolées, comme un simple particulier, sans user de prérogatives de puissance publique, mais cela n’avait jamais été admis pour un service entier.
La qualification de service public industriel et commercial peut être accordée par la loi ou identifiée par le juge. Les principaux critères d’identification sont l’objet du service – ce qui est le cas par exemple du service de l’eau : TC, 21 mars 2005, Mme Alberti Scott c. Commune de Tournefort, n°C3413) - , l’origine de ses ressources - par exemple, le service de collecte et de traitement de déchets et assimilés aux déchets ménagers (TC, 12 octobre 2015, Communauté de communes de la vallée du Lot, n° C4024) - et ses modalités d’organisation et de fonctionnement.
Les relations des SPIC avec leurs usagers sont régies par le droit privé et les litiges qui en découlent sont de la compétence du juge judiciaire, y compris lorsque l’usager est une personne publique (CE, 4 novembre 2005, Ville de Dijon, n° 278895). Les contrats conclus entre les SPIC et leurs usagers sont des contrats de droit commun (CE, Section, 13 octobre 1961, Etablissements Campanon-Rey, n°44689). Les rapports des SPIC avec les tiers, et notamment la responsabilité extracontractuelle, relève également du droit privé. Enfin les agents de ces services sont, sauf exception, des agents de droit privé.
La compétence de principe du juge judiciaire n’est toutefois pas générale et les SPIC peuvent aussi relever, pour partie, de la compétence du juge administratif.En effet le caractère administratif de certains services publics résulte d’abord de leur objet. Ainsi, même si la qualification par la loi d’un établissement public industriel et commercial entraîne par principe la compétence judiciaire, les activités telles par exemple que la réglementation, la police ou le contrôle ressortissent par leur nature à la compétence du juge administratif, en raison des prérogatives de puissance publique qui s’y attachent (TC, 16 octobre 2006, Caisse centrale de réassurance c. Mutuelle des architectes français, n°C3506).
En outre, certains contrats passés par des personnes gérant un SPIC peuvent être qualifiés de contrats administratifs. Tel est le cas des contrats comportant occupation du domaine public, des contrats portant sur l'exécution de travaux publics, de ceux comportant des clauses exorbitantes du droit commun, ou encore de ceux conclus selon un régime exorbitant du droit commun (CE, Section, 19 janvier 1973, Société d’exploitation éléctrique de la rivière du Sant, n° 82238) et enfin des contrats confiant l'exécution même du service public.En outre, en matière de responsabilité extra-contractuelle des SPIC, la compétence du juge administratif prime dès lors qu’elle est engagée envers les tiers du fait des dommages de travaux publics ou des dommages causés par ces SPIC dans l’exercice de prérogatives de puissance publique.
Enfin, en ce qui concerne les litiges entre le personnel des SPIC et ces derniers, ceux-ci relèvent en principe du juge judiciaire, sauf lorsqu’il s’agit du directeur et du comptable, qui a la qualité de comptable public (CE, 26 janvier 1923, de Robert Lafrégeyre, n°62529 ; CE, Section, 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, n°15219,), et lorsque le personnel a conservé la qualité d’agent public en vertu d’un texte (CE, Assemblée, 29 janvier 1925, l’Herbier). Enfin, le juge administratif est compétent pour juger de la légalité des actes de portée générale des services publics industriels et commerciaux tels que les statuts qui les régissent, dès lors qu’ils portent sur l’organisation du service (TC, 15 janvier 1968, Compagnie Air France c/ Epoux Barbier, n° 01908).