Supériorité de la Constitution, dans l’ordre juridique interne, sur les traités
Faits et contexte juridique
Saisi de la légalité du décret du 20 août 1998 portant organisation de la consultation des populations de la Nouvelle-Calédonie prévue par l'article 76 de la Constitution, qui se tenait le 8 novembre 1998 et concernait l'approbation de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998, le Conseil d’Etat a été amené à trancher plusieurs questions, notamment, de droit constitutionnel. Les requérants contestaient notamment les dispositions du décret relatives à la composition du corps électoral au regard, d'une part, des articles ler et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 3 de la Constitution et, d'autre part, de divers engagements internationaux. Toutefois, en subordonnant la participation à la consultation à la condition que les électeurs aient leur domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988, le décret se bornait à faire une exacte application de l'article 76 de la Constitution et de l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988, auquel l'article 76 avait pris soin de renvoyer et dont les dispositions avaient de ce fait acquis valeur constitutionnelle. Contrôler sur ce point la conformité de ce décret à la Déclaration de 1789 et à la Constitution ainsi qu'à différents traités serait revenu, pour le juge administratif, à contrôler la conformité à ces textes de dispositions de valeur constitutionnelle.
Le sens et la portée de la décision
Le Conseil d'État s'est tout d'abord prononcé sur la notion de référendum au sens de l'article 60 de la Constitution, qui dispose que le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum, et de l'article 46 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique, qui prévoit la consultation du Conseil constitutionnel sur l'organisation des opérations de référendum. Il a jugé qu'il résultait de la combinaison de ces articles avec l'article 3 de la Constitution, que « seuls les référendums par lesquels le peuple français exerce sa souveraineté, soit en matière législative dans les cas prévus par l'article 11 de la Constitution, soit en matière constitutionnelle comme le prévoit l'article 89, sont soumis au contrôle du Conseil constitutionnel ». Aussi, le décret attaqué, ayant pour objet l'organisation d'une consultation des populations intéressées de Nouvelle-Calédonie, n'avait pas à être précédé de l'intervention du Conseil constitutionnel.
Le Conseil d'État a également, et c’est l’apport essentiel de cet arrêt, tranché de délicates questions de hiérarchie des normes.
L'Assemblée a jugé, en premier lieu, que l'article 76 de la Constitution ayant entendu déroger aux autres normes de valeur constitutionnelle, il n'y avait pas de contrariété avec ces textes. Ce faisant, elle a refusé de s'engager dans la voie de la reconnaissance d'une hiérarchie au sein même de la Constitution. En second lieu, elle a considéré que le juge national n'avait pas à contrôler la conformité d'une disposition de nature constitutionnelle à un traité, puisque les engagements internationaux n'ont pas, dans l'ordre interne, une autorité supérieure à celle de la Constitution. En effet, « la suprématie conférée [par l'article 55 de la Constitution] aux engagements internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ». Ce faisant, le Conseil d'État n'a pas contesté qu'en droit international, on ne puisse se prévaloir d'une norme interne, fût-elle constitutionnelle, pour faire échec à un engagement international. Il a néanmoins affirmé que, dans l'ordre interne, la hiérarchie des normes découle de la Constitution, qui est le texte suprême duquel toutes les autorités de l'État, et notamment ses organes juridictionnels, tirent leur pouvoir.
Le Conseil d’Etat a eu l’occasion d’affirmer par la suite qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier la conformité de la loi à la Constitution (CE, Assemblée, 5 mars 1999, Rouquette et autres, n°194658). La solution de l’arrêt Sarran a été confirmée également s’agissant du droit de l’Union européenne, dont la suprématie ne saurait prévaloir sur la Constitution dans l’ordre interne (CE, 3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, n°226514).
Toutefois, la question de la place de la Constitution et du droit de l’Union européenne a continué de faire débat. Tout d’abord, le Conseil d’Etat, dans sa décision Arcelor (CE, Assemblée, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, n°287110), tout en maintenant le contrôle de constitutionnalité d’un acte réglementaire de transposition d’une directive, s’est rallié à la position adoptée par le juge constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2004 (CC, 10 juin 2004, n°2004-496 DC), qui juge que l’article 88-1 fonde une exigence constitutionnelle de transposition en droit interne d’une directive communautaire.
Par la suite, la mise en œuvre des dispositions de la loi organique du 10 décembre 2009 a remis en débat cette question dès lors que ces dispositions confèrent un caractère prioritaire à la question de constitutionnalisé soulevée devant les juridictions ordinaires, et ce, y compris par rapport au contrôle de conventionalité. La Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt Melki et Abdeli (CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, n° C-188/10 et C-189/10) a toutefois jugé que cette caractéristique de la question prioritaire de constitutionnalité ne rendait pas ces dispositions contraires au droit de l’Union européenne en raison de la possibilité pour le juge ordinaire de suspendre les effets de la loi contraire au droit de l’Union lorsque l’urgence le commande, le temps de l’examen de cette QPC, rejoignant par là la position du Conseil d’Etat : CE, 14 mai 2010, Rujovic,n° 312305).