Contrôle par le juge de la qualification juridique des faits à laquelle se livre l'administration
Les faits
M. Gomel s'était vu refuser la délivrance d’un permis de construire par le Préfet de la Seine au motif que la place Beauvau à Paris, où il possédait un immeuble sur lequel il souhaitait réaliser des travaux, constituait une perspective monumentale au sens de l’article 118 de la loi du 31 juillet 1911, qui prévoyait que l'administration pouvait refuser de délivrer un permis de construire dans le but de conserver une perspective monumentale.
M. Gomel a demandé au Conseil d’État l’annulation de cette décision.
Le sens et la portée de la décision
L'arrêt Gomel marque une extension significative du contrôle qu'exerce le juge de l'excès de pouvoir sur l'administration : pour la première fois, le Conseil d'État admet de contrôler non seulement l’exactitude du raisonnement juridique suivi par l’administration mais aussi la validité de la qualification juridique des faits à laquelle elle s’est livrée pour prendre la décision attaquée. Il vérifie en d’autres termes si les faits en cause sont « de nature à » justifier la décision prise.
Avant l'arrêt du 4 avril 1914, le Conseil d'État se refusait à contrôler la qualification juridique des faits à laquelle procédait l'administration ; il se bornait à vérifier que le raisonnement de l'administration était juridiquement correct. Dans l’affaire Gomel, l'administration avait correctement raisonné : elle pouvait refuser de délivrer le permis demandé au motif que la construction envisagée porterait atteinte à une perspective monumentale puisque ce motif de refus était expressément prévu à l'article 118 de la loi de 1911.
En revanche, l'exactitude de la qualification juridique des faits à laquelle s'était livrée l'administration était beaucoup plus contestable. Elle revenait à une question : la place Beauvau était-elle une perspective monumentale au sens de l'article 118 de la loi de 1911 ? En l'espèce, le Conseil d'État répondit par la négative et annula le refus opposé à M. Gomel.
Deux ans plus tard, le Conseil d'État parachève l’évolution dessinée par l’arrêt Gomel en acceptant de contrôler l’exactitude matérielle des faits (CE, 14 janvier 1916, Camino p. 15).
Dès lors, seule l’opportunité continue aujourd’hui d'échapper au contrôle de juge de l'excès de pouvoir : lorsque les textes applicables laissent à l'administration une marge d'appréciation, ce dernier se borne à contrôler la justesse du raisonnement juridique suivi, la validité de la qualification juridique des faits opérée par l’administration et l’exactitude matérielle des faits sur lesquels elle s’est fondée mais il ne contrôle pas les raisons d'opportunité qui l’ont conduite à prendre sa décision.