Abandon de la théorie du ministre-juge
Les faits et le contexte juridique
M. Cadot était directeur de la voirie et des eaux de la ville de Marseille, lorsque cet emploi fut supprimé. Il réclama à la ville de Marseille des dommages-intérêts et demanda au Conseil d'État d'annuler le refus qui lui fut opposé.
Le sens et la portée de la décision
Alors qu'aucun texte n'attribuait expressément au Conseil d'État la compétence pour connaître d'un tel recours, il se reconnut néanmoins compétent pour juger la requête de M. Cadot.
Plus généralement, par cette décision, le Conseil d'État a affirmé qu'il était compétent pour connaître de tout recours en annulation dirigé contre une décision administrative, sauf si un texte en dispose autrement de façon expresse.
Cette décision marquait l'aboutissement d'un processus historique de renforcement constant de la juridiction administrative.
Les lois des 16-24 août 1790 et 16 fructidor an III avaient prévu que les contestations dirigées contre les décisions administratives devaient être adressées au ministre compétent, à charge pour lui et ses services de se prononcer sur ces contestations. En vertu de cette théorie du « ministre-juge », les ministres disposaient donc de la compétence générale pour se prononcer sur les recours dirigés contre les décisions administratives et le Conseil d'État, créé par la Constitution de l’an VIII, n'était compétent pour connaître d'un recours en annulation que dans la mesure où un texte l'avait expressément prévu. Le Conseil d'État fut institué quelques années plus tard, par la Constitution de l'an VIII ; il se vit attribuer une compétence pour se prononcer, dans certains domaines, sur les recours en annulation formés par les requérants contre les décisions administratives. Cette compétence restait limitée mais son champ s'étendit progressivement tout au long du XIXème siècle. Par ailleurs, jusqu'en 1870, le Conseil d'État fonctionnait selon le principe de la "justice retenue" : ses décisions n'étaient pas exécutoires tant qu'elles n'avaient pas été signées par le chef de l'État. La loi du 24 mai 1872 permit au Conseil d'État de passer de la justice retenue à la justice déléguée, c'est-à-dire que ses décisions devenaient exécutoires dès leur lecture, le chef de l'État, ni aucune autre personne extérieure à la juridiction, n'étant plus appelé à les signer.
La décision Cadot parachève cette évolution. Sans que cette décision ne précise sur quel raisonnement le Conseil d'État fondait sa compétence, il est clair qu'il eut le souci de garantir que toute décision administrative puisse être contestée devant un juge. A défaut d'un texte précisant quel est le juge compétent pour connaître d'un litige, il estima que la compétence lui revenait, les conseils de préfecture, ancêtres des actuels tribunaux administratifs, n'ayant alors qu'une compétence réduite. Cette décision est l’un des jalons majeurs du processus historique de renforcement de la juridiction administrative et le principe qu'elle pose, suivant lequel toute décision d'une autorité administrative doit pouvoir être contestée devant un juge, demeure au fondement du droit administratif.