Le Gouvernement a décidé de rendre public l’avis portant sur un projet de loi organique relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie
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CONSEIL D’ÉTAT
Assemblée générale
Section de l’intérieur
N°393830
Séance du jeudi 30 novembre 2017
Extrait du registre des délibérations
Avis portant sur un projet de loi organique relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie
1. Le Conseil D’État a été saisi le 16 novembre 2017 d’un projet de loi organique relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle‑Calédonie. Une saisine rectificative a été transmise le 24 novembre 2017 afin de prendre en compte les observations émises par le congrès de la Nouvelle-Calédonie dans son avis rendu le 23 novembre. L’étude d’impact a été complétée les 28 et 30 novembre.
2. Ce projet de loi organique comporte six articles.
Le premier article instaure en vue du scrutin référendaire une procédure exceptionnelle d’inscription d’office sur les listes électorales générales (LEG) des communes de la Nouvelle‑Calédonie pour tous les Français qui, n’étant pas déjà inscrits sur une liste électorale, ont leur domicile réel dans une commune de Nouvelle-Calédonie ou y habitent depuis six mois au moins.
Le deuxième article modifie les dispositions organiques relatives à l’inscription d’office sur la liste électorale spéciale pour la consultation (dite « LESC ») en prévoyant que les électeurs nés en Nouvelle-Calédonie et qui y ont été domiciliés de manière continue durant trois années sont présumés y détenir le centre de leurs intérêts matériels et moraux.
Le troisième article institue un dispositif de bureaux de vote délocalisés à Nouméa pour les électeurs inscrits dans les communes de Bélep, l’île des Pins, Lifou, Maré et Ouvéa.
Le quatrième article ouvre une période complémentaire de révision des listes électorales spéciales pour l'élection des membres du congrès et des assemblées de province (dites « LESP ») l’année de la consultation.
Les cinquième et sixième articles comportent des dispositions de coordination et d’actualisation du droit applicable et déterminent la date d’entrée en vigueur du projet de loi organique.
Le projet appelle de la part du Conseil D’État les observations suivantes.
3. L’étude d’impact du projet de loi organique répond globalement aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Elle est toutefois très lacunaire s’agissant des mesures relatives au régime des procurations qui se trouverait, dans la rédaction du projet issue de la saisine rectificative, considérablement transformé. Eu égard à l’impact de ces dispositions, d’une part sur les conditions d’exercice du droit de vote par les électeurs, d’autre part sur les charges pesant sur les magistrats, officiers et agents de police judiciaire qui devraient traiter les nouveaux formulaires administratifs rendus nécessaires par les dispositions envisagées, il est impératif que l’étude soit complétée et actualisée sur cette question.
Sur le régime des listes électorales en Nouvelle-Calédonie
4. L’accord de Nouméa du 5 mai 1998 prévoit qu’au terme d’une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité sont proposés au vote des populations intéressées. L’accord détermine également la composition du corps électoral spécial appelé à participer à la consultation.
L’article 77 de la Constitution renvoie à une loi organique la détermination des conditions et des délais dans lesquels les populations intéressées seront amenées à se prononcer sur l’accession à la pleine souveraineté dans le respect des orientations de l’accord de Nouméa.
Le titre IX de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est consacré à cette consultation sur l’accession à la pleine souveraineté. Son article 218 fixe les conditions permettant d’être électeur lors du scrutin et son article 219 précise les conditions d’organisation de la consultation.
Il ressort notamment de ces dispositions que, pour prendre part au scrutin, les électeurs doivent être inscrits non seulement sur les listes électorales communales en vigueur pour les autres scrutins mais aussi sur la liste électorale spéciale pour la consultation.
En ce qui concerne l’inscription d’office sur les listes électorales générales
5. Afin de faciliter la plus large participation des électeurs, le projet de loi organique instaure en premier lieu une procédure d’inscription d’office des citoyens français en Nouvelle-Calédonie sur les listes électorales générales de ce territoire.
Le projet examiné prévoit que, l’année du scrutin, et sous réserve de la possibilité pour les commissions administratives chargées d’établir la liste électorale de procéder aux vérifications nécessaires, sont inscrits d’office sur la liste électorale générale tous les électeurs qui, n’étant pas déjà inscrits sur une liste électorale, ont leur domicile réel dans une commune de la Nouvelle‑Calédonie ou qui y habitent depuis six mois au moins, sans aucune autre distinction, notamment au regard du statut civil des intéressés.
Le Conseil d’Etat constate que ces modalités correspondent aux garanties qu’il avait estimé nécessaires dans son avis rendu à la demande du Gouvernement le 7 septembre 2017, eu égard aux exigences posées par l’accord de Nouméa et au respect du principe d’égalité.
6. Le Conseil d’Etat relève par ailleurs que les conditions d’application de ces dispositions seront précisées par décret en Conseil d’Etat pris après consultation du congrès de la Nouvelle‑Calédonie, à l’instar de ce que prévoient les articles 218-1 ou 221 de la loi organique du 19 mars 1999 qui figurent aussi au titre IX de cette loi. Si aucun principe n’y fait en soi obstacle et si l’on peut comprendre le souhait du Gouvernement de s’assurer que les questions posées par l’organisation de la consultation prévue par ce titre IX seront débattues dans des conditions telles qu’elles puissent recueillir l’accord politique le plus large entre les formations représentées au congrès, le Conseil d’Etat attire l’attention du Gouvernement sur le fait que les mesures réglementaires prises dans d’autres domaines n’appellent normalement pas, eu égard à leur nature, le recueil de l’avis d’une assemblée délibérante.
En ce qui concerne l’inscription d’office sur les listes électorales spéciales
7. Le point 2.2.1 de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 prévoit que le corps électoral pour les consultations relatives à l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie est notamment composé de « ceux qui, de statut coutumier ou nés en Nouvelle-Calédonie, y ont eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux ». Sur ce fondement, l’article 218 de la loi organique n° 99‑209 du 19 mars 1999 précise que : « Sont admis à participer à la consultation les électeurs inscrits sur la liste électorale à la date de celle-ci et qui remplissent l'une des conditions suivantes (…) d) Avoir eu le statut civil coutumier ou, nés en Nouvelle-Calédonie, y avoir eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux (…) ».
Saisi de dispositions tendant à ouvrir une procédure d’inscription d’officesur les listes électorales spéciales pour les personnes nées en Nouvelle-Calédonie et présumées y détenir le centre de leurs intérêts matériels et moraux dès lors qu’elles sont inscrites sur la liste électorale spéciale des membres du congrès et des assemblées de province, ainsi que pour les électeurs nés à compter du 1er janvier 1989, qui ont fait l’objet d'une inscription d’office sur la liste électorale pour l'élection des membres du congrès et des assemblées de province et dont un des parents a été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2015-716 DC du 30 juillet 2015, jugé « qu'en présumant que les électeurs remplissant de telles conditions détiennent le centre de leurs intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie, y compris pour ceux des électeurs qui sont nés avant le 1er janvier 1989, le législateur organique n'a pas méconnu les stipulations du point 2.2.1. de l'accord de Nouméa ».
8. Il résulte des textes et de la jurisprudence constitutionnelle cités ci-dessus que l’accord de Nouméa ne fait pas obstacle à ce que le législateur organique détermine, en vue de l’inscription d’office d’électeurs appelés à prendre part à la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, des cas dans lesquels les intéressés sont présumés y détenir le centre de leurs intérêts matériels et moraux au sens de cet accord, dès lors que le critère qu’il retient est en rapport direct avec cette condition.
9. Le Conseil d’Etat retient donc la disposition qui lui est soumise, qui, pour présumer la détention du centre des intérêts matériels et moraux exigée par l’accord, se fonde sur le critère objectif d’une durée minimale de trois ans de domiciliation en Nouvelle-Calédonie.
Il relève à cet égard que, comme c’est le cas pour l’ensemble des hypothèses d’inscription d’office énumérées à l’article 218-2 de la loi organique du 19 mars 1999, la présomption instituée par le texte est réfragable et qu’il appartiendra en tout état de cause aux seules commissions administratives spéciales mentionnées à cet article d’apprécier, le cas échéant sous le contrôle du juge, le bien-fondé d’une inscription d’office au titre de cette disposition.
10. Pour introduire cette disposition, le Conseil d’Etat modifie la rédaction du projet soumis par le Gouvernement, qui tendait à l’insertion d’un nouvel article 218-3 dans la loi organique. Il lui paraît en effet préférable pour la clarté et l’intelligibilité du texte de compléter le II de l’article 218-2 de cette loi, qui énonce déjà les cas dans lesquels la commission administrative spéciale procède à l'inscription d'office de certains électeurs sur la liste électorale spéciale.
Sur la mise en place de « bureaux de vote délocalisés » et le régime du vote par procuration
11. Le Conseil d'Etat observe que le projet examiné, qui consiste à permettre aux électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale des communes de Bélep, de l’Ile des Pins, de Lifou, de Maré et d’Ouvéa, de participer, s’ils en formulent la demande, à la consultation dans un bureau de vote ouvert à cet effet à Nouméa, constitue une mesure très dérogatoire au droit électoral existant. Sa mise en œuvre de manière pérenne, y compris sur le seul territoire de la Nouvelle‑Calédonie, appellerait nécessairement une révision plus large des modalités d’organisation des élections politiques : elle ne pourrait dès lors être mise en oeuvre sans une refonte du droit électoral.
12. Le Conseil d’Etat relève cependant que la mesure envisagée ne vaudra que pour la consultation référendaire et pour aucun autre scrutin. Il constate également que le choix des communes retenues repose sur des critères géographiques et démographiques objectifs, qui ne sont pas partagés par d’autres communes du territoire : les cinq communes concernées sont en effet toutes isolées de la grande terre et accessibles seulement par voie aérienne ou maritime. Elles comptent une population municipale souvent très inférieure à celle des électeurs inscrits sur les listes électorales communales, ce qui témoigne de ce qu’un grand nombre des électeurs n’y résident habituellement pas.
Eu égard, d’une part, à ces caractéristiques et, d’autre part, à la nécessité de favoriser la plus large participation possible des électeurs au scrutin concerné, le Conseil d’Etat admet que l’organisation envisagée n’est pas en elle-même de nature à porter atteinte au principe d’égalité entre les électeurs.
13. Au bénéfice des garanties qui suivent, elle ne paraît pas non plus de nature à altérer la bonne organisation du scrutin et, partant, sa sincérité.
En premier lieu, le Conseil d’Etat approuve les dispositions tendant à ce que le vote dans un bureau de vote « délocalisé » dépende du choix de l’électeur lui-même, ce choix étant simplement enfermé dans un délai d’option de nature à assurer l’information de la commune et à procéder aux opérations d’établissement des listes d’émargement.
De même, il lui paraît nécessaire, comme le prévoyait initialement la saisine du Gouvernement, d’interdire aux électeurs qui opteraient en faveur du vote « délocalisé » de donner ou recevoir procuration. En effet, dès lors que cette nouvelle modalité de participation au scrutin, qui est elle-même dérogatoire au droit commun, repose sur la volonté de l’intéressé et tend à assurer sa participation personnelle le jour du vote, il serait contradictoire, et en tout cas source de risques de fraude, de lui conserver la possibilité d’établir une procuration. Un tel choix supposerait en effet de conserver jusqu’au jour du scrutin une double organisation, avec tous les risques de confusion que cela induit.
14. En tout état de cause, le Conseil d’Etat attire l’attention du Gouvernement sur la nécessité de faire définitivement adopter, dans les plus brefs délais, le projet de loi organique qui fait l’objet du présent avis. Il souligne aussi que les délais entre l’adoption de cette loi organique et la tenue de la consultation qui aura lieu au plus tard en novembre 2018 seront particulièrement tendus. Car il conviendra entre-temps d’adopter les nombreuses mesures réglementaires nécessaires à la mise en œuvre du dispositif projeté. Il l’invite à évaluer avec soin les difficultés pratiques auxquelles ce calendrier pourrait donner lieu et à ne retenir que les modalités d’organisation les plus simples et les plus éprouvées ainsi que les moins susceptibles de donner lieu à des contestations contentieuses.
15. Par ailleurs, le Conseil d’Etat écarte les dispositions, introduites dans le projet de loi à la suite de l’avis émis par le congrès de Nouvelle-Calédonie, qui tendent à restreindre de manière générale, pour l’ensemble des électeurs, les modalités de recours aux procurations à l’occasion de la prochaine consultation.
Le Gouvernement n’a en effet pas été en mesure de fournir un motif d’intérêt général susceptible de fonder cette mesure dérogatoire au droit existant tel qu’il résulte de l’article L. 71 du code électoral modifié en dernier lieu par l’ordonnance n° 2003-1165 du 8 décembre 2003, alors, au contraire, qu’elle aurait nécessairement pour effet de réduire les possibilités pour les électeurs de prendre part au scrutin, en contradiction avec l’ensemble des dispositifs mis en place pour assurer la plus large participation à la consultation.
Au surplus, une telle mesure, qui consisterait à distinguer entre les cas où un justificatif est requis et ceux où une simple attestation sur l’honneur suffit, selon des critères que le projet n’énonce pas alors qu’il appartiendrait au législateur organique, sauf à méconnaître l’étendue de sa compétence, de déterminer avec précision ces différentes hypothèses, ne manquerait pas de causer d’importantes difficultés d’organisation, tant pour les citoyens habitués depuis près de 15 ans à recourir à cette modalité de vote de manière simplifiée que pour les autorités publiques dont les pratiques en la matière pourraient retrouver les mêmes variations que celles qui avaient pu être constatées avant la réforme de 2003.
Sur l’ouverture d’une période complémentaire de révision des listes électorales spéciales provinciales
16. Le Conseil d’Etat observe que le a et le b du 3° du II de l’article 218-2 de la loi organique du 19 mars 1999 instituent une présomption de détention du centre des intérêts matériels et moraux pour les personnes nées en Nouvelle-Calédonie et inscrites sur la liste électorale spéciale pour l'élection des membres du congrès et des assemblées de province (LESP) au titre du a ou du b du I de l’article 188 de la même loi, c’est-à-dire celles qui, soit remplissaient les conditions pour être inscrites sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998, soit sont inscrites sur le tableau annexe et domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection au congrès et aux assemblées de province.
Ainsi, dès lors que l’inscription sur la liste électorale spéciale provinciale ouvre, sous certaines conditions, le droit d’être inscrit sur la liste électorale spéciale à la consultation, le Conseil d’Etat n’émet pas d’objection à ce que, afin de tendre vers l’exhaustivité de cette dernière, soit introduite dans la loi organique une possibilité d’ouverture, l’année du scrutin, d’une période de révision complémentaire de la liste provinciale, comme cela est déjà prévu pour la liste électorale en vigueur et la liste électorale spéciale à la consultation.
Sur les autres dispositions
17. Le Conseil d’Etat estime nécessaires les dispositions tendant à donner une base législative aux échanges qui interviendront entre, d’une part, les différentes autorités gestionnaires des listes électorales ou des différents fichiers utilisés pour vérifier que les conditions requises pour les mesures d’inscription d’office sont remplies et, d’autre part, les différentes commissions administratives compétentes pour établir les listes électorales.
En effet, dans la mesure où les données issues des croisements entre ces fichiers serviront de fondement à l’éventuelle inscription des électeurs concernés, la mesure doit être regardée comme touchant aux « droits civiques et aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » au sens de l’article 34 de la Constitution. Il convient donc que le législateur détermine lui-même le principe de ces échanges, même si leurs modalités peuvent être fixées par le pouvoir réglementaire.
18. Les autres dispositions du projet n’appellent pas d’observations particulières de la part du Conseil d’Etat.