Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. Retrouvez ci-dessous l'analyse que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.
NOR : ETSX1604461L
CONSEIL D’ÉTAT
Assemblée générale
Séance du jeudi 17 mars 2016
EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS
AVIS SUR UN PROJET DE LOI visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs
1. Le Conseil d’État a été saisi le vendredi 12 février 2016 d’un projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. Il énonce les principes essentiels du droit du travail qui serviront de base à une réécriture -appelée « refondation » - de la partie législative du code du travail. Il procède également à des modifications de fond relatives au temps de travail, à la négociation collective, à la restructuration des branches professionnelles, à l’embauche, au licenciement pour motif économique, au compte personnel d’activité, à la « garantie jeunes », aux incidences du développement du numérique, à l’emploi, à la formation professionnelle et à l’apprentissage, à la médecine du travail et au détachement de travailleurs.
2. Ce projet est organisé en titres et en chapitres correspondant à ses différents objets.
Le titre Ier, intitulé « Refonder le droit du travail et donner plus de poids à la négociation collective », comporte les principes essentiels dégagés par le groupe de travail présidé par M. Robert Badinter, prévoit la « refondation » du code à la lumière de ces principes et procède à une nouvelle organisation de la plupart des dispositions relatives au temps de travail.
Le titre II, intitulé « Favoriser une culture du dialogue et de la négociation », comporte des dispositions rendant les règles de négociation plus souples et renforçant la loyauté de cette négociation et la légitimité des accords collectifs, organisant la restructuration des branches professionnelles et donnant des moyens nouveaux aux acteurs du dialogue social.
Le titre III, intitulé « Sécuriser les parcours et construire les bases d’un nouveau modèle social à l’ère du numérique », comporte des dispositions qui visent à adapter le droit du travail à l’ère du numérique, procèdent à la mise en place du compte personnel d’activité et à la généralisation de la « garantie jeunes ».
Le titre IV, intitulé « Favoriser l’emploi », comporte des dispositions destinées à faciliter la vie des très petites entreprises (TPE) et à favoriser l’embauche, à renforcer la formation professionnelle et l’apprentissage et à préserver l’emploi.
Enfin, les trois derniers titres comportent des mesures de nature à moderniser la médecine du travail, à renforcer la lutte contre le travail illégal et des dispositions diverses.
Le Conseil d’État s’est interrogé sur les conditions d’application de l’article L. 1 du code du travail aux termes duquel : « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation ».
De nombreuses dispositions du projet de loi relèvent de réformes déjà engagées (exemple : la représentativité patronale prévue à l’article 19) ou présentent un caractère trop ponctuel (exemple : recours à un expert du CHSCT prévu à l’article 17) pour être qualifiées de réformes, même si elles ont une portée significative. Mais la réécriture complète, à l’article 2, des dispositions législatives relatives au temps de travail incluant une place plus importante de la négociation collective d’entreprise ou à défaut, de branche et l’intervention, à l’article 10, de l’accord majoritaire assorti d’une consultation des salariés à l’initiative des syndicats signataires minoritaires, présentent le caractère de réformes au sens de l’article L.1 précité du code du travail. Néanmoins, la ministre chargée du travail a, par lettres en date du 16 septembre 2015, transmis aux organisations d'employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel le rapport qui lui a été remis sur "La négociation collective, le travail et l'emploi" en les invitant à négocier. Ces organisations n'ont pas souhaité engager une négociation sur les thèmes de ce rapport, dont est issue une part significative des dispositions du présent projet. Tenant compte au surplus de ce qu’une concertation s’était déroulée au cours des dernières semaines et de ce qu’elle avait conduit à substantiellement modifier l’avant-projet de loi initial, le Conseil d'État a, en conséquence, admis que les dispositions de l'article L.1 avaient été respectées dans les circonstances propres aux conditions d'élaboration du projet.
4. Le projet de loi a fait l’objet d’un certain nombre d’améliorations rédactionnelles. Il a, par ailleurs, appelé de la part du Conseil d’État, les observations suivantes.
Sur le titre Ier tendant à refonder le droit du travail et à donner plus de poids à la négociation collective
Article 1er
5. Le Gouvernement souhaite confier à une commission d’experts et de praticiens des relations sociales la mission de refonder la partie législative du code du travail. Cette refondation s’inspirerait des « principes essentiels du droit du travail » dégagés par le comité présidé par M. Robert Badinter. Outre ses objectifs de clarification et de simplification du code du travail, cette refondation ouvrirait le champ de la négociation collective, notamment au niveau de l’entreprise, afin de laisser aux partenaires sociaux un plus grand rôle dans l’élaboration du droit du travail. Tel est l’objet de l’article 1er du projet de loi soumis au Conseil d’État.
6. Le Conseil d’État a constaté, en convergence avec les travaux du comité présidé par
M. Badinter, que les 61 principes essentiels que ce comité a dégagés sont puisés aux principales sources du droit en vigueur. Il s’agit, selon les cas, de principes constitutionnels (par exemple, le principe n° 4 consacrant le principe d’égalité), de principes conventionnels issus de la CEDH (par exemple, le principe n° 6 sur la liberté du salarié de manifester ses convictions), d’autres principes conventionnels issus d’une convention de l’OIT (par exemple, le principe n° 29 sur le préavis et l’indemnité de licenciement), de principes issus du droit de l’Union (par exemple, le principe n° 39 sur l’obligation de sécurité de l’employeur) ou de principes de niveau législatif définis dans le cadre de l’article 34 de la Constitution qui confie à la loi le soin d’édicter les principes fondamentaux du droit du travail.
7. Le Conseil d’État a estimé que la variété de ces sources et de leur niveau dans la hiérarchie des normes ne faisait nullement obstacle à ce que ces 61 principes guident les travaux de la commission de refondation du code du travail.
8. L’objectif du Gouvernement, plusieurs fois souligné dans l’exposé des motifs de son projet de loi, est de rendre le code du travail plus intelligible et de protéger par là-même les acteurs de la vie économique et sociale vis-à-vis de difficultés d’interprétation pouvant conduire à une certaine instabilité juridique et à des conséquences négatives sur l’emploi. Le Gouvernement cherche ainsi à répondre aux vives critiques dont la complexité du code fait l’objet depuis de nombreuses années.
9. Ces 61 « principes essentiels » sont, ainsi qu’il a été dit, issus du droit aujourd’hui applicable. Ils se trouvent en effet déjà inscrits dans des textes de niveau constitutionnel, conventionnel, ou législatif, sous une rédaction dont l’esprit est similaire mais dont la lettre peut comporter des différences susceptibles de nourrir des interrogations, voire des interprétations divergentes. Ainsi en est-il, par exemple, du principe n° 19 qui semble attribuer une portée générale au principe que le transfert d’entreprise emporte transfert des contrats de travail ou du principe n° 33 qui évoque la notion inhabituelle de durée « normale » du travail. C’est pourquoi le Conseil d’État estime pertinent le parti retenu par le Gouvernement de donner à ces principes essentiels le caractère d’un guide pour la refondation de la partie législative du code du travail. Le risque que les différences, telles que celles évoquées ci-dessus, ne suscitent des incertitudes ou des divergences jurisprudentielles génératrices d’instabilité juridique peut ainsi être écarté.
10. Le Conseil d'État a toutefois relevé que certaines dispositions de l’article 1er, en particulier celles portant création d'une commission administrative, présentaient un caractère réglementaire ou pouvaient être regardées comme revêtant le caractère d’une injonction du Parlement au Gouvernement : il les a par suite écartées. Pour autant, bien que les dispositions en cause eussent pu, eu égard à leur objet, faire l’objet d’un article ou d’un texte de programmation au sens de l’article 34, antépénultième alinéa de la Constitution, le Conseil d’Etat a considéré que, dans son principe, l’article 1er pouvait trouver place dans le présent projet de loi pour les motifs suivants :
a) La grande importance et les enjeux de la réforme ainsi engagée, en ce qui concerne la vie de la Nation, l’évolution du droit du travail et le rôle des acteurs sociaux dans l’élaboration de la norme justifient que les principes et le cadre de cette réforme soient inscrits dans un projet de loi soumis à l'approbation du Parlement ;
b) Cette refondation du code du travail fait corps avec le reste du projet de loi, notamment avec son article 2 qui procède, dans l'esprit même de cette refondation, à la réécriture des dispositions du code relatives à la durée du travail et qui, à cette occasion, pose une nouvelle architecture des règles applicables en la matière.
Article 2
11. Les dispositions de l’article 2 du projet, qui refondent les dispositions du code du travail relatives à la durée et à l’aménagement du temps de travail, aux repos et aux congés - à l’exception de celles relatives au repos hebdomadaire - distinguent, pour chaque matière, les dispositions d’ordre public, le champ de la négociation collective et les dispositions supplétives. La cohérence de cette refondation du droit relatif au temps de travail et la clarté de cette présentation du code conduisent à rendre plus nombreuses et plus lisibles les compétences dont disposent les employeurs ou les organisations professionnelles d’employeurs, d’une part, et les organisations syndicales de salariés, d’autre part, pour fixer des règles mieux adaptées aux contraintes et aux besoins respectifs des entreprises et des salariés.
S’agissant du principe constitutionnel de participation, il appartient au législateur de déterminer les conditions et les garanties de sa mise en œuvre, en distinguant le domaine normal de la négociation – pour lequel il renvoie aux accords collectifs la fixation des modalités d’application des normes qu’il édicte, même s’il lui appartient d’exercer pleinement sa compétence – et le domaine des accords dérogatoires – pour lequel il doit définir de façon précise l’objet et les conditions de cette dérogation. Le Conseil d’État a vérifié que les dispositions du présent article – et notamment la détermination du champ de la négociation collective et de celui des dispositions supplétives – ne comportaient pas de risque d’incompétence négative du législateur et ne privaient pas de garanties légales l’exigence constitutionnelle formulée au 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 relatives à la protection de la santé et au droit au repos.
Sur le titre II tendant à favoriser une culture du dialogue et de la négociation
Article 7
12. Les dispositions du projet d’article L. 2222-3-1 fixent le cadre et la portée des accords de méthode. De tels accords fixent à l’avance les conditions d’organisation de la négociation des conventions et accords qui peuvent être conclus. Le projet prévoit que, sauf si l’accord de méthode en stipule autrement, la méconnaissance de ses stipulations n’entache pas de nullité les accords conclus, dès lors qu’est respecté le principe de loyauté entre les parties. Le Conseil d’Etat a estimé que l’équilibre ainsi retenu par le Gouvernement sur la portée de tels accords de méthode est respectueux de la liberté contractuelle.
13. Les dispositions du projet d’article L. 2222-3-2 du code du travail fixent, pour les accords conclus après la promulgation de la loi, la règle d’une durée déterminée de cinq ans pour les conventions et accords collectifs, sauf stipulation expresse contraire. Ce faisant, elles ne portent une atteinte excessive ni à la liberté contractuelle, ni au principe de participation, en prévoyant une telle durée dans le silence de l’accord, dans la mesure où l’intérêt général de la négociation collective commande de ne pas conserver dans l’ordre juridique des conventions et accords qui ne sont plus réexaminés régulièrement dans leur pertinence et révisés dans leur contenu. En outre, les organisations professionnelles d’employeurs et les organisations syndicales de salariés qui ont qualité pour conclure de tels accords et conventions peuvent avoir changé à l’occasion d’une nouvelle mesure de l’audience et, par suite, d’une nouvelle appréciation de leur représentativité. En tout état de cause, les partenaires sociaux signataires de ces conventions et accords conservent la possibilité de fixer explicitement un terme différent ou de ne pas fixer de terme prédéterminé, ainsi que de conserver les stipulations de l’accord inchangées à cette échéance.
Article 10
14. Les dispositions de l’article 10 du projet, qui modifient les règles de droit commun de l’accord collectif pour prévoir leur conclusion par des organisations syndicales de salariés représentant plus de 50 % des salariés concernés, renforcent la mise en œuvre du principe de participation par la conclusion d’accords collectifs. La disposition qui permet aux organisations syndicales signataires représentant plus de 30 % des salariés de demander une consultation des salariés, pour rendre l’accord applicable en cas de vote positif de la majorité des votants, ne porte pas atteinte à ce principe.
Article 11
15. Le Conseil d’État a validé la qualification donnée par le projet d’article L. 2254-2 du code du travail à la rupture du contrat de travail du salarié qui refuse la modification de son contrat résultant de l’entrée en vigueur d’un accord d’entreprise conclu en vue de la préservation ou du développement de l’emploi, dès lors qu’aux termes de ces mêmes dispositions, ce salarié bénéficie d’une garantie de sa rémunération mensuelle strictement définie. Il n’a pas relevé de risque d’incompétence négative du législateur, dès lors que celui-ci définit de façon précise l’objet de l’accord dérogatoire – la préservation ou le développement de l’emploi – ainsi que les conditions de fond – la garantie donnée au salarié du maintien de sa rémunération mensuelle et, en cas de refus de celui-ci, les garanties liées à la procédure de licenciement – et de forme de cet accord – qui doit être un accord collectif d’entreprise assorti de la consultation des organisations syndicales signataires et des institutions représentatives du personnel sur ses conséquences pour les salariés. Cette disposition ne méconnaît pas, en outre, les stipulations de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail, dont l’article 4 subordonne la rupture du contrat de travail et le licenciement à un « motif valable » lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise ou de l’établissement.
Article 13
16. Cet article introduit dans le code du travail un article L. 2232-5-1 qui détermine l’objet de la négociation de branche comme visant à définir les garanties s’appliquant aux salariés employés par les entreprises d’un même secteur, d’un même métier ou d’une même forme d’activité et à réguler la concurrence entre les entreprises de ce champ. La régulation de la concurrence dont il s’agit doit être comprise comme respectant les principes du droit de la concurrence résultant du droit interne comme du droit de l’Union européenne et elle vise, par ailleurs, à éviter toute forme de « dumping social ».
Article 14
17. La restructuration des branches professionnelles, dont cet article confirme la nécessité et développe les méthodes, est rendue plus nécessaire encore par l’ampleur donnée par le projet de loi aux renvois à la négociation collective d’entreprise ou de branche. Or, la fusion de plusieurs branches professionnelles conduit nécessairement, dans un premier temps, à conserver les conventions et accords existant dans chacune des anciennes branches au prix d’une certaine hétérogénéité, voire d’une certaine inégalité, de traitement entre des catégories similaires de salariés que l’application des clauses variées et parfois divergentes de ces conventions et accords entraîne. L’intérêt général d’une telle restructuration justifie que, dans les champs conventionnels nouveaux, les partenaires sociaux bénéficient d’un délai pour négocier de nouveaux accords et une nouvelle convention collective permettant de rapprocher, le cas échéant par étapes, les stipulations applicables à des catégories similaires de salariés. L’intérêt général qui s’attache à la constitution de branches professionnelles d’une taille adaptée aux enjeux actuels de la négociation collective apparaît suffisant pour que puisse être admise provisoirement la persistance de différences de traitement antérieurement existantes entre les salariés. Dans ce sens, le Conseil d’État a admis l’insertion d’une disposition aux termes de laquelle les différences temporaires de traitement entre salariés résultant de la fusion ou du regroupement de branches ne peuvent être utilement invoquées pendant un délai de cinq ans.
Article 19
18. Il est procédé, par plusieurs modifications des articles L. 2152-1 et L. 2152-4, à la détermination du mode de calcul de la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs au niveau de la branche professionnelle et au niveau national et interprofessionnel. Dans la mesure où le critère retenu prend en compte à hauteur de 20 % le nombre des entreprises adhérentes et à hauteur de 80 % le nombre des salariés de ces entreprises, il conduit à modifier les équilibres résultant de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 dont les dispositions relatives à la réforme de la représentativité patronale ont été jugées conformes à la Constitution (décision n° 2015-519 QPC du 3 février 2016, MEDEF), sans que le Conseil constitutionnel ait entendu exclure d’autres mécanismes de mesure de la représentativité. Le Conseil d’État ne peut par conséquent qu’inviter le Gouvernement à documenter un tel choix afin de justifier le respect du principe de participation et du principe d’égalité devant la loi.
Sur le titre III tendant à sécuriser les parcours et à construire les bases d’un nouveau modèle social à l’ère du numérique
Article 21
19. Cet article prévoit la création d’un compte personnel d’activité constitué du compte personnel de formation, du compte personnel de prévention de la pénibilité et d’un nouveau « compte engagement citoyen » au sein d’un nouveau titre V du livre 1er de la cinquième partie du code du travail.
Le Conseil d’État a relevé, en premier lieu, que le champ d’application de cette mesure, qui s’étend, en vertu de l’article L. 5151-2, à « toute personne âgée d’au moins seize ans relevant de l’une ou l’autre des situations suivantes : / 1° Personne occupant un emploi ; (…) », n’est pas rédigé dans des termes qui excluent les agents publics. Il a toutefois pris acte de ce que les modalités prévues aux autres articles de ce titre V ne concernent que les salariés, les demandeurs d’emploi et les travailleurs indépendants, tandis que les dispositions relatives aux agents publics en ce domaine figurent à l’article 22 du projet de loi.
En deuxième lieu, le Conseil d’État a admis qu’en vertu du I de l’article L. 5151-6 du code du travail, la gestion du service en ligne permettant à chaque titulaire d’un compte personnel d’activité d’avoir connaissance des droits inscrits sur celui-ci et de les utiliser soit assurée par la Caisse des dépôts et consignations, sans préjudice des dispositions de l’article L. 4162-11 du même code confiant la gestion du compte personnel de prévention de la pénibilité à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et au réseau des organismes régionaux chargés du service des prestations d’assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale. Il a toutefois attiré l’attention du Gouvernement sur l’opportunité de prévoir la conclusion d’une convention entre la Caisse des dépôts et consignations et la Caisse nationale d’assurance vieillesse afin de préciser les modalités de cette articulation.
En troisième lieu, le Conseil d’État a relevé qu’en vertu du II de l’article L. 5151-6 du code du travail, chaque titulaire d’un compte personnel d’activité aura accès à une plateforme de services en ligne ayant, notamment, pour objet de lui fournir une « information sur ses droits sociaux » et de lui donner accès à des « services utiles à la sécurisation des parcours professionnels ». Il a admis que le périmètre des droits concernés par cette information et ces services ne soit pas plus précisément défini, dès lors que le compte personnel d’activité est un dispositif évolutif dont le périmètre a vocation à être, à terme, étendu au-delà du compte personnel de formation, du compte personnel de prévention de la pénibilité et du compte engagement citoyen.
Article 22
20. Cet article a pour objet d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin, notamment, de créer pour chaque agent public un compte personnel d’activité conçu pour informer son titulaire sur ses droits à formation et ses droits sociaux liés à sa carrière professionnelle, ainsi que pour lui permettre l’utilisation des droits qui y sont inscrits. Le Conseil d’État a estimé que ces dispositions, qui définissent avec une précision suffisante la finalité des mesures que le Gouvernement se propose de prendre et leur domaine d’intervention, ne soulevaient pas de difficulté juridique particulière au regard de l’article 38 de la Constitution.
Article 23
21. La « garantie jeunes » est une modalité spécifique du parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie faisant actuellement l'objet d'une expérimentation. Elle consiste en un accompagnement intensif et une allocation versée par l’État dont le montant est dégressif en fonction des ressources d’activité du jeune. Cet article a pour objet d’ouvrir le bénéfice de cette garantie à l’ensemble des jeunes de 16 à 25 ans qui vivent hors du foyer de leurs parents ou au sein de ce foyer sans recevoir de soutien financier de leurs parents, qui ne sont ni étudiants, ni bénéficiaires d’une formation, ni titulaires d’un emploi et dont le niveau de ressources ne dépasse pas un montant fixé par décret, dès lors qu’ils s’engagent à respecter les engagements réciproques conclus dans le cadre de leur parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie. Le Conseil d’État a estimé que ces dispositions ne soulevaient pas de difficulté juridique particulière.
Article 24
22. Cet article a pour objet de permettre à l’employeur, sauf opposition du salarié, de procéder à la remise du bulletin de paie sous forme électronique, dans des conditions de nature à garantir l’intégrité, la disponibilité et la confidentialité des données personnelles. Si le salarié le demande, la remise est effectuée sous la forme d’un hébergement des données par un service en ligne associé au compte personnel d’activité et mentionné au 2° du II de l’article L. 5151-6 du code du travail. En vertu du II de cet article, ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2017. Le Conseil d’État estime que ces dispositions ne soulèvent pas de difficulté juridique particulière mais alerte le Gouvernement quant à l’urgence de mettre en place ce service en ligne d’ici le 1er janvier 2017 afin d’en garantir l’effectivité.
Article 25
23. Cet article ajoute une septième rubrique à celles déjà prévues par l’article L. 2242-8 qui dresse la liste des objets de la négociation annuelle obligatoire au sein de l’entreprise afin, notamment, d’améliorer la qualité de vie au travail. Cette nouvelle rubrique porte sur les « modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion dans l’utilisation des outils numériques en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congés ».
En premier lieu, le Conseil d’État a relevé que ces dispositions ne faisaient pas obstacle à ce qu’un accord de branche définisse les modalités d’exercice par les salariés des entreprises de cette branche de leur droit à la déconnexion dans l’utilisation des outils numériques.
En second lieu, le Conseil d’État a considéré que, dans la mesure où ces dispositions précisent que le droit du salarié à la déconnexion dans l’utilisation des outils numériques a pour finalité d’assurer le respect des temps de repos et de congés, le législateur ne méconnaissait pas l’étendue de sa compétence en prévoyant qu’un accord d’entreprise pouvait en définir les modalités d’exercice.
Article 26 (du projet initial du Gouvernement)
24. Cet article avait pour objet de prévoir l’engagement, avant le 1er octobre 2016, d’une concertation avec les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel sur le développement du télétravail et du travail à distance, sur l’évaluation de la charge de travail des salariés en forfait jours, sur la prise en compte des pratiques liées aux outils numériques pour mieux articuler la vie personnelle et la vie professionnelle, ainsi que sur l’opportunité et, le cas échéant, les modalités du fractionnement du repos quotidien ou hebdomadaire des salariés. Le Conseil d’État l’a disjoint du projet de loi au motif qu’il était dépourvu de tout contenu normatif.
Article 26
25. Cet article a pour objet, d’une part, de permettre la définition, par un accord d’entreprise, des conditions et des modalités de diffusion des informations syndicales à travers les outils numériques dans l’entreprise et, d’autre part, de permettre l’élection des délégués du personnel et du comité d’entreprise par vote électronique si un accord d’entreprise ou, à défaut, l’employeur, le décide. Le Conseil d’État a attiré l’attention du Gouvernement sur la nécessité de déterminer les modalités de ce vote électronique par un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Il a également amendé le projet du Gouvernement afin de préciser que l’utilisation des outils numériques de l’entreprise par les organisations syndicales devait être compatible avec les exigences de sécurité du réseau en cause.
Sur le titre IV tendant à favoriser l’emploi
Article 29
26. Le Gouvernement procède à l’inscription dans le code du travail d’une définition plus précise, mais non exhaustive, du motif économique de licenciement. S’appuyant sur la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, le projet d’article précise le contenu du motif économique pour assurer une meilleure sécurité juridique et éviter les risques de divergences jurisprudentielles.
S’agissant du périmètre d’appréciation des difficultés économiques, des mutations technologiques ou de la nécessité d’assurer la sauvegarde de la compétitivité, il est celui de l’entreprise si cette dernière n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, celui du secteur d’activité commun aux entreprises implantées sur le territoire national auquel il appartient.
Le projet d’article complète cette définition par une disposition concernant le cas, qui ne procède ni de la fraude ni d'une décision de gestion de l'entreprise, dans lequel cette dernière organise artificiellement une situation à la seule fin de pouvoir justifier des licenciements pour motif économique. Cette disposition se fonde sur un motif d'intérêt général tenant à la préservation de l'emploi sur le territoire national, sans pour autant porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre dans les conditions reconnues par le Conseil constitutionnel notamment dans sa décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 relative à la loi de modernisation sociale. Elle ne conduit pas à permettre au juge de substituer son appréciation à celle du chef d’entreprise. Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a estimé que cette disposition visant à régir des situations s’apparentant à un abus de droit ne se heurtait pas à des difficultés constitutionnelles, mais il en a modifié sensiblement la rédaction afin de mieux en définir le champ d’application et la portée.
Sur le titre V portant sur la modernisation de la médecine préventive
Article 43
27. Cet article prévoit notamment de réserver l’examen médical d’aptitude à l’embauche, jusqu’à présent obligatoire pour tous les travailleurs, aux seuls travailleurs affectés à des postes présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, celles de leurs collègues ou des tiers évoluant dans l’environnement immédiat de travail. Le Conseil d’État a estimé qu’un tel resserrement du champ du public concerné par cet examen d’aptitude ne porte pas atteinte au droit à la protection de la santé garanti par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, en tant qu’il s’applique à la santé au travail, dès lors que, d’une part, il est justifié par la nécessité de concentrer les moyens de la médecine du travail sur les personnes les plus exposées à des risques sanitaires et que, d’autre part, la protection de la santé des autres travailleurs est garantie par leur droit, consacré par le projet de loi, à un suivi individuel de leur état de santé, conduit sous l’autorité du médecin du travail, dont les modalités et la périodicité sont fonction des conditions de travail, de l’état de santé et de l’âge du travailleur, ainsi que des risques professionnels auxquels il est exposé.
Sur le titre VI visant à renforcer la lutte contre le détachement illégal
Article 45
28. L’article 45 introduit dans le code du travail un article L. 1262-4-5, qui crée une contribution obligatoire frappant toute déclaration de détachement en France d’un travailleur employé par une entreprise établie hors du territoire national, afin de couvrir les coûts relatifs au système dématérialisé de déclaration mentionné à l’article L. 1262-2-2 du même code.
L’article 9 de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur (« règlement IMI ») dispose que, afin de respecter les stipulations de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatives à la libre prestation de services, « les États membres ne peuvent imposer que les exigences administratives et les mesures de contrôle nécessaires aux fins du contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la présente directive et la directive 96/71/CE, pour autant que celles-ci soient justifiées et proportionnées, conformément au droit de l’Union ». Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, aucune restriction ne peut être imposée par un État membre, lorsqu’elle est de nature à prohiber ou gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre État membre.
Toutefois, aux termes du même article 9 précité, « les États membres peuvent imposer d'autres exigences administratives et mesures de contrôle au cas où surviendraient des circonstances ou des éléments nouveaux dont il ressortirait que les exigences administratives et mesures de contrôle qui existent ne sont pas suffisantes ou efficaces pour permettre le contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la directive 96/71/CE et la présente directive, pour autant qu'elles soient justifiées et proportionnées », ces exigences et mesures pouvant être motivées par la protection effective du droit des travailleurs et la lutte contre le détachement illégal, qui constituent des raisons impérieuses d’intérêt général.
Le Conseil d’État a considéré que l’instauration d’une contribution obligatoire à acquitter par un employeur qui déclare le détachement en France d’un ou de plusieurs travailleurs n’est pas de nature, par elle-même, à constituer une restriction à la libre prestation de services au sein de l’Union et ne présente pas de caractère discriminatoire, à la double condition qu’aucune autre mesure moins contraignante ne soit possible pour garantir la protection effective du droit des travailleurs et que les coûts engendrés soient strictement proportionnés à ces nécessités.
Il a toutefois attiré l’attention du Gouvernement sur le fait que c’est bien l’accumulation de telles mesures de contrôle du détachement des travailleurs issus d’autres Etats membres de l’Union dans le cadre de la libre prestation des services, et non pas une mesure particulière, qui serait susceptible, à l’avenir, d’être jugée disproportionnée ou discriminatoire par la Cour de justice de l’Union européenne. Par ailleurs, il a rappelé que la contribution instituée par l’article 45 ayant le caractère d’une imposition de toutes natures au sens de l’article 34 de la Constitution, il est nécessaire que le législateur fixe avec une précision suffisante non seulement son assiette et ses modalités de recouvrement, mais également son taux, à tout le moins par référence à des éléments déterminés par la loi, notamment quant au plafond d’imposition. Le texte de l’article a été complété en ce sens.
Cet avis a été délibéré et adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 17 mars 2016.