Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d’État sur les modalités de calcul des obligations d’achats, par les éditeurs de services de télévision, de droits de diffusion d’œuvres cinématographiques.
Saisi par le Premier ministre de questions relatives aux modalités de calcul des obligations d’achats, par les éditeurs de services de télévision, de droits de diffusion d’œuvres cinématographiques, le Conseil d'État (section de l'intérieur) a rendu son avis dans sa séance du 22 octobre 2019 :
1° Le deuxième alinéa de l’article 33 du décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 permet-il, dès lors qu’il fait référence au produit des abonnements résultant de l’exploitation en France d’un « service de cinéma », d’établir l’assiette de la contribution d’un éditeur à la production cinématographique en déduisant du produit des abonnements qu’il propose la part venant rémunérer d’autres services inclus par défaut dans ces abonnements, qui ne constituent pas un « service de cinéma » et ne sont pas vendus séparément par l’éditeur ? Faut-il, au contraire, s’abstenir de fractionner le produit des abonnements proposés par l’éditeur en estimant que cet alinéa ne vise pas les seuls produits issus de l’exploitation du service de cinéma mais l’ensemble du produit des abonnements résultant de l’exploitation du service et qu’ainsi, à chaque fois qu’il n’est pas possible d’identifier deux abonnements distincts, c’est l’ensemble du produit de l’abonnement insécable qui doit être pris en compte pour établir l’assiette de la contribution ?
2° Dans l’hypothèse où les produits valorisés au titre des services qui ne constituent pas des services de cinéma pourraient être retranchés de l’assiette de contribution à la production cinématographique de l’éditeur en application de l’article 33 du décret précité, selon quelles modalités y aurait-il lieu de déterminer le montant des sommes à déduire ? En particulier, le Conseil supérieur de l’audiovisuel pourrait-il admettre un retranchement des produits de ces autres services sur la base de leur prix public lorsqu’ils sont vendus séparément par les prestataires auxquels l’éditeur de service de télévision fait appel, ou bien devrait-il déterminer les produits à retrancher à partir du prix de revient de ces services pour l’éditeur en y appliquant, le cas échéant, un coefficient de marge ?
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment son article 27 ;
Vu le décret n° 90-66 du 17 janvier 1990 modifié pris pour l’application de la loi n° 861067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux concernant la diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles par les éditeurs de services de télévision ;
Vu le décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 modifié relatif à la contribution à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre, notamment ses articles 33 et 35 ;
EST D’AVIS
qu’il y a lieu de répondre aux questions posées dans le sens des observations suivantes, sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions compétentes :
1. Aux termes de l’article 27 de loi du 30 septembre 1986 susvisée : « (…) des décrets en Conseil d’État fixent les principes généraux définissant les obligations concernant : (…) 3° La contribution des éditeurs de services au développement de la production, en tout ou partie indépendante à leur égard, d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, ainsi que la part de cette contribution ou le montant affectés à l’acquisition des droits de diffusion de ces œuvres sur les services qu’ils éditent, en fixant, le cas échéant, des règles différentes pour les œuvres cinématographiques et pour les œuvres audiovisuelles et en fonction de la nature des œuvres diffusées et des conditions d’exclusivité de leur diffusion. Cette contribution peut tenir compte de l’adaptation de l’œuvre aux personnes aveugles ou malvoyantes, et, en matière cinématographique, comporter une part destinée à la distribution. (…) ».
Aux termes de l’article 6-2 du décret du 17 janvier 1990 susvisé, un « service de cinéma » se définit comme « un service de télévision dont l’objet principal est la programmation d’œuvres cinématographiques et d’émissions consacrées au cinéma et à son histoire ». Le dernier alinéa du même article énonce en outre que : « Les services mentionnés aux premier et deuxième alinéas du présent article font l’objet d’un abonnement spécifique à un ou plusieurs services ayant le même objet ».
Aux termes des deux premiers alinéas de l’article 33 du décret du 2 juillet 2010 susvisé, applicable aux éditeurs de services de télévision revêtant le caractère de services de cinéma : « Pour l’application du présent chapitre, on entend par ressources totales de l’exercice, pour un éditeur de services, le total, après déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, des ressources reçues des distributeurs de services pour l’exploitation en France du service sur tout réseau et par tout procédé de communications électroniques, des recettes publicitaires, de parrainage, de téléachat et de placement de produits ainsi que des recettes issues de l’exploitation des services de télévision de rattrapage mentionnés au 14° bis de l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée. / Lorsque l’éditeur de services encaisse directement auprès des usagers du service le produit des abonnements, les ressources totales de l’exercice s’entendent alors du total, après déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, du produit des abonnements résultant de l’exploitation en France du service sur tout réseau et par tout procédé de communications électroniques, des recettes publicitaires, de parrainage, de téléachat et de placement de produits ainsi que des recettes issues de l’exploitation des services de télévision de rattrapage mentionnés au 14° bis de l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 […] ».
Le III de l’article 35 du même décret dispose que : « L’éditeur d’un service de cinéma dont les ressources sont celles définies au deuxième alinéa de l’article 33 consacre chaque année au moins 12,5 % de ses ressources totales de l’exercice en cours à l’achat de droits de diffusion d’œuvres cinématographiques européennes. / La part de cette obligation composée d’achats de droits de diffusion d’œuvres cinématographiques d’expression originale française doit représenter au moins 9,5 % des ressources totales de l’exercice […] ».
2. La mise en œuvre des obligations mises à la charge d’un éditeur de service de cinéma en matière de contribution à la production cinématographique requiert, quel que soit au demeurant le mode de distribution du service, que soit précisée la notion de « ressources totales de l’exercice » sur laquelle se fondent les dispositions citées au point précédent.
A cet égard, le Conseil d’État relève d’abord que la notion a peu évolué, mais plutôt dans le sens d’un accroissement de son champ afin de tenir compte des évolutions techniques ou commerciales, depuis qu’elle a été établie par le décret n° 95-668 du 9 mai 1995 pris pour l’application des articles 27 et 70 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication et fixant le régime applicable à certains services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre ou par satellite, auquel s’est substitué le décret n° 20011332 du 28 décembre 2001 pris pour l’application des articles 27, 28, 71 et 711 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et relatif à la contribution des éditeurs de services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique dont le financement fait appel à une rémunération de la part des usagers au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles.
L’article 33 du décret du 2 juillet 2010 continue de retenir une conception large de la notion de « ressources totales » puisque celles-ci incluent non seulement le produit des abonnements résultant de l’exploitation du service mais aussi les recettes publicitaires, le parrainage, le téléachat, le placement de produits et les recettes des services de télévision de rattrapage. Il en ressort qu’en l’état des techniques et de l’économie du secteur à leur date d’entrée en vigueur, ces dispositions ont manifestement pour objet de prendre en compte l’ensemble des ressources dont l’éditeur de service bénéficie au titre de ses activités, y compris lorsqu’elles n’ont, comme c’est le cas pour certaines d’entre elles, qu’un rapport indirect avec la programmation d’œuvres cinématographiques.
3. S’agissant plus particulièrement du « produit des abonnements résultant de l’exploitation en France du service sur tout réseau et par tout procédé de communications électroniques », une interprétation littérale des textes conduit à prendre en compte le tarif de l’ensemble des abonnements acquittés par les usagers en vue de bénéficier de services de cinéma, quand bien même ces abonnements ouvriraient l’accès à d’autres services.
En effet, les dispositions de l’article 6-2 du décret du 17 janvier 1990 citées au point 1, selon lesquelles « Les services [de cinéma] font l’objet d’un abonnement spécifique à un ou plusieurs services ayant le même objet » conduisent à considérer que, s’il est admissible qu’un éditeur de services de cinéma fournisse à ses usagers d’autres services en complément des siens, c’est à la condition qu’il propose au moins un abonnement composé uniquement de services de cinéma.
La combinaison de ces dispositions avec celles du décret du 2 juillet 2010, qui font pour leur part référence aux « abonnements résultant de l’exploitation du service » en usant du pluriel et sans distinguer entre les différents types d’abonnements envisageables, tend à démontrer que les abonnements en cause ne sont pas exclusivement ceux relatifs au service de cinéma mais bien tous ceux qui, directement ou indirectement, s’y trouvent rattachés.
Il s’en déduit qu’au sens de ces dispositions, les abonnements « résultant de l’exploitation du service » de cinéma incluent ceux qui donnent conjointement accès au service de cinéma et à un ou plusieurs services d’une autre nature, par exemple ceux proposés par l’éditeur de service dans une offre groupée. Tel est également le cas de tous services dont la souscription requiert à titre préalable la souscription à un service de cinéma.
C’est d’ailleurs également la logique qui se dégage de la comparaison qu’il est possible de dresser avec les dispositions du premier alinéa de l’article 33 du décret du 2 juillet 2010, relatives aux éditeurs de services de cinéma qui ne s’auto-distribuent pas. Pour ceux-ci, les « ressources totales » s’entendent des « ressources reçues des distributeurs de services pour l’exploitation en France du service », sans qu’il y ait lieu de déterminer si les ressources versées par les distributeurs sont en lien direct avec le service de cinéma.
4. Au surplus, dans la configuration envisagée par la présente demande d’avis, qui est celle où l’usager bénéficie, à titre gratuit et sans pouvoir du reste y renoncer, d’un service complémentaire du service de cinéma auquel il est abonné, il n’existe pas de motifs de droit ou de fait de nature à adopter une lecture différente des dispositions en cause.
Conformément à ce qui a été dit au point précédent, tel pourrait seulement être le cas si l’usager du service de cinéma avait le choix entre plusieurs offres, incluant, pour l’une d’entre elles, le seul service de cinéma et, pour d’autres, des services complémentaires d’une autre nature ne requérant pas la souscription d’un abonnement à un service de cinéma et faisant l’objet d’une rémunération distincte. Ce n’est qu’à cette condition que les abonnements complémentaires pourraient être regardés comme ne résultant pas de « l’exploitation du service » au sens des dispositions analysées.
Il résulte de tout ce qui précède que l’interprétation des dispositions du deuxième alinéa de l’article 33 du décret du 2 juillet 2010 commande de considérer que l’abonnement à un service de cinéma donnant indistinctement accès à d’autres services résulte de l’exploitation du service. Son montant doit alors être inclus dans sa totalité dans l’assiette des contributions prévues pour l’achat de droits de diffusion d’œuvres cinématographiques européennes.
5. Au vu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu, pour le Conseil d’État, de se prononcer sur la seconde question posée.
6. Enfin, le Conseil d’État observe, en tout état de cause, qu’aucune disposition législative ne paraît faire obstacle à ce que le pouvoir réglementaire, à qui il appartient de fixer les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de contribution au développement de la production cinématographique et audiovisuelle, décide pour l’avenir de revoir les modalités de calcul des contributions des différentes catégories d’éditeurs de service en fonction notamment de l’évolution des techniques, des contraintes économiques propres au secteur et de l’intérêt du public.
A cet égard, le Conseil d’État estime également utile de rappeler, comme il l’avait fait dans sa note au Gouvernement en date du 26 mai 2010, que, tant pour se conformer aux prescriptions de la loi du 30 septembre 1986, qui renvoie au décret le soin d’énoncer les seuls « principes généraux » des obligations assignées aux différentes catégories d’éditeurs de services, que pour s’adapter au mieux au monde très évolutif de la communication audiovisuelle, les modalités particulières de calcul de ces contributions trouveraient plus naturellement leur place dans les conventions conclues avec chaque titulaire d’autorisation par l’autorité de régulation.
Cet avis a été délibéré par la section de l’intérieur du Conseil d’État dans sa séance du mardi 22 octobre 2019.