Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis portant sur un projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2017-1177 du 19 juillet 2017 portant extension et adaptation des compléments de l'allocation aux adultes handicapés à Mayotte et modifiant les conditions d’attribution de l’allocation pour adulte handicapé
Section sociale
N°393.824
Assemblée générale du jeudi 21 décembre 2017
EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS
Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2017-1177 du 19 juillet 2017 portant extension et adaptation des compléments de l'allocation aux adultes handicapés à Mayotte et modifiant les conditions d’attribution de l’allocation pour adulte handicapé
NOR : SSAA1730863L
AVIS
1. Le Conseil d’État a été saisi le 15 novembre 2017 d’un projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2017-1177 du 19 juillet 2017 portant extension et adaptation des compléments de l'allocation aux adultes handicapés à Mayotte et modifiant les conditions d’attribution de l’allocation pour adulte handicapé qui existe dans ce territoire.
2. Dans les autres départements que Mayotte, les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) peuvent percevoir des compléments en plus de l’allocation, qui sont la majoration pour vie autonome et le complément de ressources. L’ordonnance du 19 juillet 2017 a étendu ces deux compléments à Mayotte.
3. Le projet de loi de ratification de celle-ci s’accompagne d’une modification des conditions d’attribution à Mayotte de l’AAH elle-même, destinée à en assurer la conformité à la Constitution et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
4. Dans le droit en vigueur, l’article 35 de l’ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte subordonne l’attribution de l’AAH à un étranger à l’existence d’une convention de réciprocité entre l’État dont ce dernier est ressortissant et la France. Or, des conditions rédigées en termes identiques ont été jugées contraires au principe d’égalité par le Conseil constitutionnel, s’agissant du minimum vieillesse (décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990), et aux stipulations combinées de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à cette convention par la Cour de cassation, s’agissant de l’AAH au niveau national (Soc., 31 janvier 2002, n° 00-18365). Le projet de loi de ratification dont le Gouvernement a saisi le Conseil d’État procède par conséquent à juste titre à la suppression de la condition de réciprocité.
5. Toutefois, le Conseil d’État estime que d’autres modifications de l’ordonnance du 27 mars 2002 sont nécessaires pour en assurer la constitutionnalité et la conventionnalité.
6. En premier lieu, l’article 37 de cette ordonnance, applicable selon le projet de loi aux personnes de nationalité étrangère non ressortissantes d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, subordonne l’attribution de l’AAH à la détention d’une carte de résident depuis une durée préalable fixée par décret. Or, le principe d’égalité de traitement avec les nationaux en matière d’assistance sociale ne permet pas d’instaurer une telle condition de durée préalable de détention d’un document de séjour pour certaines catégories d’étrangers, à savoir :
- les réfugiés, en vertu de l’article 23 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et de l’article 29.1 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, dite « directive qualification » ;
- les bénéficiaires de la protection subsidiaire, en vertu de l’article 29.1 de la même directive ;
- les apatrides, en vertu de l’article 23 de la convention de New York du 28 septembre 1954 sur l’apatridie ;
- les titulaires d’une carte de résident portant la mention « résident de longue durée-UE », en vertu de l’article 11.1 d) de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée.
Mayotte étant depuis le 1er janvier 2014 une région ultrapériphérique, les directives du 25 novembre 2003 et du 13 décembre 2011 y sont applicables, aucune décision du Conseil de l’Union européenne prise sur le fondement de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’ayant arrêté de mesure spécifique d’adaptation de ces textes. En outre, au vu notamment du considérant 13 de la directive du 25 novembre 2003, du considérant 45 de la directive du 13 décembre 2011 et de l’arrêt Servet Kamberaj (Grande chambre, 24 avril 2012, C-571/10) de la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État estime que l’AAH doit être regardée comme une « prestation essentielle » au sens de ces directives et qu’il n’est donc pas possible de déroger au principe d’égalité de traitement.
7. En deuxième lieu, s’il est loisible au législateur de subordonner le bénéfice de l’AAH à Mayotte, pour les nationaux comme pour les étrangers, à une condition de durée de résidence préalable, le principe d’égalité garanti par la Constitution ne permet pas de ne tenir compte pour l’appréciation de cette condition que de la résidence à Mayotte. Le Conseil d’État introduit donc dans le projet de loi une modification de l’article 35 de l’ordonnance du 27 mars 2002 afin de prendre en compte la durée de résidence sur l’ensemble du territoire français.
8. Enfin, la maîtrise de l'immigration, qui se rattache à la sauvegarde de l'ordre public, est un objectif de valeur constitutionnelle. Mayotte étant soumis à des flux d'immigration d'une ampleur exceptionnelle, des conditions d'attribution des prestations sociales aux étrangers plus restrictives que celles applicables en métropole peuvent être justifiées afin de concourir à la réalisation de cet objectif. En outre, l’article 73 de la Constitution permet au législateur de prévoir des adaptations tenant aux caractéristiques et aux contraintes particulières des départements d’outre-mer. Le droit de l’Union européenne fait également place à la préoccupation des Etats membres d’encadrer l’attribution de certaines prestations sociales dans l’objectif d’éviter que le système d’assistance sociale d’un Etat membre ne supporte une « charge déraisonnable » ou de permettre l’intégration de ressortissants de pays tiers dans les meilleures conditions (voir notamment CJUE, Grande chambre, 11 novembre 2014, Elisabeta et Florin Dano, C-333/13 et 1er mars 2016, Kreis Warendorf, C-443/14).
Le Conseil d’État considère par conséquent que pour les étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n’appartiennent pas aux catégories mentionnées au point 6, le législateur peut subordonner le droit d’un étranger à l’AAH à la détention préalable d’un document de séjour pendant une durée fixée par décret, alors qu’une telle condition n’existe pas en métropole. Il appartient au pouvoir réglementaire, dans le cadre de la mise en œuvre de cette prestation essentielle, de fixer cette durée de manière proportionnée au regard de l’objectif de maîtrise de l’immigration.