Avis sur un projet de loi visant à accélérer la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État sur un projet de loi visant à accélérer la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants.

CONSEIL D’ÉTAT
Assemblée générale    
Séance du 27 octobre 2022
Section des travaux publics
N° 405769

EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS

 

1. Le Conseil d’État a été saisi le 16 août 2022 d’un projet de loi visant à accélérer la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants. Ce projet de loi a été modifié par deux saisines rectificatives reçues les 19 et 27 septembre en ce qui concerne le texte du projet. Ces saisines rectificatives ont eu pour objet de reprendre des rédactions proposées lors de l’examen du texte par le Conseil d’État, d’introduire de nouvelles rédactions pour des dispositions soulevant des difficultés et d’ajouter un article de ratification de l'ordonnance n° 2016-128 du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière nucléaire.

2. Le projet de loi, qui comprend dix articles, est organisé en trois titres, respectivement consacrés à des mesures temporaires visant à simplifier et à accélérer les procédures administratives liées à la construction de nouveaux réacteurs électronucléaires à proximité de sites nucléaires existants (Titre I), à des mesures permanentes aménageant les procédures applicables aux installations nucléaires de base en cours de fonctionnement (Titre II) et à des dispositions diverses correspondant à l’article de ratification (Titre III).

Le Conseil d’État estime que la structure du projet de loi, qu’il propose seulement de modifier par la création du titre III, est satisfaisante. Il propose de modifier les intitulés du projet de loi et des titres I et II afin qu’ils reflètent plus exactement les mesures proposées.

3. L’étude d’impact du projet demeure inégale et, sur certains points, incomplète, malgré les deux saisines rectificatives dont elle a fait l’objet, lesquelles ont apporté à la version initiale des compléments indispensables. En particulier, la réduction des délais d’instruction concernant la construction de la partie non nucléaire d’un projet de réacteur, qui est attendue de la mise en œuvre du projet de loi, devrait être mieux précisée, même si le manque d’expérience récente de construction de réacteurs nucléaires relativise les appréciations qui peuvent être portées sur ces délais. Il est, en outre, surprenant, alors que les gains de temps sont, pour l’essentiel, attendus de la centralisation des procédures, que l’incidence sur les services d’administration centrale ne fasse l’objet d’aucune évaluation. Le succès de la réforme reposera, en effet, largement sur la présence en administration centrale d’équipes qualifiées et suffisamment étoffées, quand bien même la plus grande partie de l’instruction resterait déconcentrée. Enfin, certains choix ne sont pas suffisamment justifiés. Ainsi, les éléments de l’étude d’impact relatifs à la suppression du rapport intermédiaire prévu à l’article L. 593-19 du code de l’environnement sont insuffisants (voir point 31). Il convient que l’étude d’impact soit complétée sur ces différents points avant le dépôt du projet de loi au Parlement.

4. Les consultations préalables obligatoires ont été effectuées. Le délai laissé aux organismes consultés pour rendre leurs avis, initialement extrêmement bref, a été opportunément prolongé.

5. Au-delà de ces remarques liminaires, et outre de nombreuses améliorations de rédaction qui s’expliquent d’elles-mêmes, ce projet de loi appelle, de la part du Conseil d’État, les observations suivantes.

 

SUR LES MESURES DESTINÉES A ACCÉLÉRER LES PROCÉDURES LIÉES A LA CONSTRUCTION DE NOUVELLES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES A PROXIMITÉ DE SITES NUCLÉAIRES EXISTANTS

Champ d’application

6. Les mesures destinées à simplifier et à accélérer temporairement les procédures administratives concernent des réacteurs électronucléaires qu’il est envisagé d’implanter à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre d’un réacteur nucléaire existant et pour lesquels une demande d’autorisation de création est déposée au cours des quinze ans suivant la promulgation de la loi. La notion de proximité immédiate pourra, le cas échéant, être précisée par voie réglementaire.

7. Le Conseil d’État considère que la durée de quinze ans est adaptée à l’objectif poursuivi. Il admet le choix du Gouvernement de ne pas codifier ces dispositions, conçues comme temporaires, même si leur durée d’application aurait permis cette codification.

 

Allègement de la procédure de mise en compatibilité des documents d’urbanisme pour permettre un projet de construction de réacteur électronucléaire

8. Le projet de loi modifie la procédure de mise en compatibilité des documents d’urbanisme lorsque leur modification est nécessaire pour permettre la construction d’un réacteur électronucléaire. Il prévoit qu’un décret en Conseil d’État, et non un arrêté préfectoral comme c’est le cas dans la procédure de droit commun, pourra qualifier le projet de construction de projet d’intérêt général en application de l’article L. 102-1 du code de l’urbanisme. Lorsque le projet de construction aura été déclaré d’intérêt général, le projet de loi prévoit que la mise en compatibilité des documents d’urbanisme sera pilotée par l’État et la modification consécutive de ces documents approuvée par décret. Cette procédure se substitue au régime de droit commun, lequel laisse un délai aux établissements publics compétents en matière d’urbanisme ou aux communes, selon le cas, pour procéder à la mise en compatibilité, l’État n’intervenant qu’en cas d’absence de diligence de ces derniers. Le Conseil d’État considère que cette nouvelle procédure, qui maintient une instruction conjointe des projets par l’État et les autorités compétentes en matière d’urbanisme, ne porte pas à la libre administration des collectivités territoriales, garantie par l’article 72 de la Constitution, une atteinte excessive au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi, qui est d’accélérer et de sécuriser les procédures préalables à la construction de nouveaux réacteurs électronucléaires. Il observe, toutefois, que le gain de temps attendu ne peut être évalué avec certitude.

9. Le Conseil d’État considère que la qualification de projet d’intérêt général, qui a pour seul objet de permettre de prendre en compte un projet dans les documents d’urbanisme, n’a pas d’effet direct et significatif sur l’environnement, contrairement à la modification des documents d’urbanisme, qui permet la réalisation d’un tel projet. Au regard des exigences conventionnelles et constitutionnelles applicables aux décisions ayant une incidence sur l’environnement, seule cette modification doit donc être soumise à une procédure de participation du public.

10. En l’espèce, le projet du Gouvernement prévoit une simple mise à disposition du public du projet de modification, dans des conditions permettant de recueillir les observations du public, comme c’est le cas pour la procédure de modification simplifiée applicable, dans les conditions prévues par l’ordonnance n° 2020-745 du 17 juin 2020, aux mises en compatibilité des documents d’urbanisme avec un document supérieur par les collectivités territoriales ou leurs établissements publics.

11. Le Conseil d’État relève que les réacteurs électronucléaires figurent parmi les projets pour lesquels une saisine préalable de la Commission nationale du débat public est obligatoire afin de déterminer les modalités de participation du public préalablement à la décision du maître d’ouvrage relative au principe et aux modalités essentielles du projet, notamment sa localisation. Une procédure de débat public a ainsi été engagée sur le projet de construction de deux nouveaux réacteurs de type EPR2 à Penly (Seine-Maritime). En vertu des dispositions combinées de l’article L. 102-1 du code de l’urbanisme et des articles L. 121-8 à L. 121-13 du code de l’environnement, un projet de construction de réacteur électronucléaire ne pourra pas être qualifié de projet d’intérêt général avant la fin du débat public mais seulement après la publication, par le maître d’ouvrage, de sa décision de poursuivre le projet, pendant une durée permettant au public d’en prendre connaissance. Dans ces conditions, le Conseil d’État admet que puisse être appliquée une procédure plus légère que l’enquête publique normalement applicable en cas de mise en compatibilité des documents d’urbanisme par l’État.

12. Il considère néanmoins qu’afin de respecter les exigences constitutionnelles en matière de participation du public pour la protection de l’environnement, la procédure de simple mise à disposition du public, seule prévue dans le projet de loi, ne peut être appliquée qu’aux modifications qui ne sont pas soumises à évaluation environnementale en raison de leur absence d’effet notable sur l’environnement. Les autres modifications doivent, en revanche, être soumises à la procédure de participation du public, mieux encadrée, prévue à l’article L. 123‑19 du code de l’environnement pour les plans ou programmes non soumis à enquête publique (Conseil constitutionnel, décision n° 2014-395 QPC du 4 mai 2014, cons. 11 ; décision n° 2019‑778 DC du 21 mars 2019, par. 352 et 353). Il propose la modification du projet en ce sens, avec l’accord du Gouvernement.

 

Dispense d’autorisation d’urbanisme pour les constructions, aménagements, installations ou travaux réalisés en vue de la création d’un réacteur électronucléaire et des équipements et installations nécessaires à son exploitation

13. Le projet de loi dispense de permis de construire, de permis d’aménager ou de déclaration préalable la construction du réacteur électronucléaire et des équipements et installations nécessaires à son exploitation, au sens de l’article L. 593-3 du code de l’environnement, ainsi que les travaux préalables nécessaires à cette construction. L’exploitant devra néanmoins respecter les règles de fond en matière d’urbanisme et restera redevable des mêmes taxes que s’il ne bénéficiait pas d’une telle dispense. Le respect des règles de fond sera vérifié par l’autorité administrative et celle-ci pourra imposer à l’exploitant des prescriptions complémentaires. Le Conseil d’État considère que cette dispense d’autorisation d’urbanisme ne soulève pas d’objections de nature conventionnelle ou constitutionnelle. En particulier, au regard du principe d’égalité, la dérogation au droit commun de l’urbanisme paraît pertinente et proportionnée à l’objectif poursuivi, compte tenu de la vérification par l’autorité administrative du respect des règles de fond en matière d’urbanisme avant le démarrage des travaux prévue par le projet de loi. Le Conseil d’État estime cependant nécessaire, en l’absence de codification de ces dispositions, de mentionner expressément l’application aux constructions, aménagements, installations et travaux en cause des contrôles, sanctions et autres mesures administratives prévus par le titre VIII du livre IV du code de l’urbanisme. Il propose la modification en ce sens du projet de loi.

14. Le Conseil d’État estime enfin que les modalités de la vérification du respect des règles d’urbanisme pour l’ensemble du projet, dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale ou de la décision d’autorisation de création du réacteur électronucléaire, relèvent du décret en Conseil d’État prévu pour l’application de la loi. Il appartiendra au Gouvernement de déterminer ces modalités, dans le respect du droit au recours effectif, par exemple en s’inspirant du régime existant pour les éoliennes terrestres.

 

Autorisation environnementale

15. L’autorisation environnementale requise à raison des constructions, aménagements, installations ou travaux nécessaires à la construction d’un réacteur électronucléaire et des équipements et installations nécessaires à son exploitation, au sens de l’article L. 593-3 du code de l’environnement, qui n’en sont pas dispensés en application des dispositions combinées des articles L. 593-1 et L. 593-3 du même code, sera délivrée globalement, après enquête publique, au vu d’une étude d’impact portant sur l’ensemble du projet . Le Conseil d’Etat considère que, par cohérence avec les modifications apportées aux autres décisions nécessaires à la création d’un réacteur électronucléaire, cette autorisation environnementale, et celles qui la modifieront, le cas échéant, devraient être délivrées par décret. Il propose donc l’ajout d’une disposition en ce sens dans le projet de loi.

 

Début des travaux de construction

16. Dans un souci d’accélération des travaux de construction du réacteur électronucléaire, le projet de loi autorise l’exécution des travaux autres que ceux portant sur l’« ilot nucléaire » dès que l’autorisation environnementale a été délivrée pour le projet, à raison des constructions, installations, aménagements ou travaux pour lesquels elle est requise, sous réserve que l’autorité administrative ait vérifié au préalable que ces constructions, installations, aménagements ou travaux respectent les règles d’urbanisme. Les travaux de construction des bâtiments destinés à recevoir des combustibles nucléaires ou à héberger des matériels de sauvegarde ne pourront pas débuter, en revanche, avant que la décision d’autorisation de création du réacteur électronucléaire soit intervenue, toujours sous réserve de la vérification de leur conformité aux règles d’urbanisme. Ces dispositions, qui dérogent à celles de l’article L. 425-12 du code de l’urbanisme, lesquelles autorisent l’exécution de l’ensemble des travaux à compter de la clôture de l’enquête publique sur la décision d’autorisation de création, ne soulèvent pas d’objection d’ordre juridique.

 

Installation de nouveaux réacteurs électronucléaires sur le littoral

17. Une partie des réacteurs électronucléaires auprès desquels pourraient être construits de nouveaux réacteurs dans les conditions prévues par la présente loi sont situés sur le littoral (Penly, Gravelines, Paluel, Flamanville et Le Blayais). Ces ouvrages ont été construits avant l’entrée en vigueur de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « loi Littoral » (codifiée au chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de l’urbanisme), à l’exception du dernier réacteur de Flamanville, dont le juge administratif a jugé que son implantation ne méconnaissait pas les dispositions de cette loi (CAA Nantes, 22 avril 2008 CRIILAN et autres, n° 07NT01013). Afin de rendre possible dans tous les cas la construction de nouveaux réacteurs à proximité immédiate des réacteurs électronucléaires existant sur le littoral, le projet de loi écarte l’application de la loi Littoral à ces constructions. Il ajoute ainsi à la liste des dérogations au régime protecteur du littoral.

18. Le Conseil d’État constate que deux des sites jugés les plus propices au nouveau programme de construction de réacteurs électronucléaires (Penly et Gravelines) sont situés sur le littoral, que la proximité de la mer est nécessaire au fonctionnement de ces réacteurs, que le nombre maximum de lieux susceptibles d’être concernés, le cas échéant, est limité à cinq au total, que des réacteurs y sont déjà implantés, et que les nouveaux réacteurs seront installés à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre des anciens réacteurs, la superficie nécessaire sur chaque site étant évaluée par l’étude d’impact entre 100 et 200 hectares, y compris la surface nécessaire au chantier. L’objet de cette dérogation et son caractère strictement délimité permettent au Conseil d’État de considérer qu’elle respecte le principe de préservation de l’environnement posé par l'article 1er de la Charte de l’environnement ainsi que l’obligation faite aux politiques publiques par l'article 6 de cette Charte de concilier la protection et la mise en valeur de l'environnement avec le développement économique, et ne se heurte à aucun autre obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.

 

Reconnaissance du caractère de « raison impérative d'intérêt public majeur »

19. Des dérogations à l’interdiction, posée par l'article L. 411-1 du code de l'environnement, de porter atteinte, de quelque manière que ce soit, aux espèces protégées ainsi qu’à leurs habitats peuvent, aux termes du 4° du I de l'article L. 411-2 du même code, être délivrées, à condition «… qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante (…) et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle », et pour un motif tiré, notamment, de « c) (…) l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique (…) ». Ces trois conditions, qui transposent l'article 16, paragraphe 1, de la directive du 21 mai 1992, dite « directive Habitats », sont distinctes, cumulatives et hiérarchisées. L'intérêt public majeur de nature à justifier, au sens du c du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, la réalisation d'un projet, doit être d'une importance telle qu'il puisse être mis en balance avec l'objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages poursuivi par la législation, justifiant ainsi qu'il y soit dérogé (voir notamment CJUE, 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie ASBL, C‑411/17 ; CE 3 juin 2020 Ministre de la transition écologique et solidaire, Société La Provençale nos 425395, 425399 et 425425).

20. En vue d’accélérer la construction de réacteurs électronucléaires, le projet de loi propose de prévoir que ces projets ainsi que leurs ouvrages de raccordement aux réseaux d’énergie répondent à une raison impérative d'intérêt public majeur, dès lors que ces installations satisfont à des conditions techniques, notamment en ce qui concerne leur puissance, fixées par décret en Conseil d’État compte-tenu de la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-2 du code de l’énergie.

21. Le Conseil d’État rappelle que ni l’article 16, paragraphe 1, de la directive Habitats, ni la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ne font obstacle à ce que la loi définisse des critères permettant de considérer que certains projets répondent à une raison impérative d'intérêt public majeur, à la condition toutefois que l’encadrement ainsi institué le soit au regard de critères pertinents pour la qualification d’opération répondant à une telle raison (CE, Assemblée générale, n°405732, 15 et 22 septembre 2022, Avis sur le projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables).

22. S’agissant d’installations de production d’énergie renouvelable, le Conseil d’État a ainsi admis que les critères tenant au type de source renouvelable et à la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée, étaient de nature, eu égard à la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs pour cette source d’énergie, compte tenu des volets pertinents de la programmation pluriannuelle de l’énergie, à justifier la reconnaissance à certains projets de cette qualification.

23. Le Conseil d’État relève toutefois qu’en ce qui concerne les réacteurs électronucléaires de type EPR2 (Evolutionary Power Reactor 2) susceptibles d’être installés à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre d’une installation nucléaire de base existante, la nécessité de simplifier la reconnaissance d’une raison impérative d’intérêt public majeur n’est pas avérée, eu égard à la puissance prévisionnelle totale des installations projetées, à leur contribution globale attendue à la réalisation des objectifs pour cette source d’énergie, compte tenu des volets pertinents de la programmation pluriannuelle de l’énergie qui, indépendamment des objectifs qu’elle est susceptible de fixer en termes de trajectoire pour chacune des filières d’énergie, comporte également des volets relatifs à la sécurité d’approvisionnement du territoire mentionnée au 2° de l'article L. 100-1 du code de l’énergie et à la préservation du pouvoir d’achat des consommateurs et de la compétitivité des prix de l’énergie. La nécessité de légiférer pour cette catégorie de réacteurs électronucléaires n’est ainsi pas démontrée.

24. S’il s’agit d’envisager également l’octroi de la dérogation à la directive Habitats pour l’installation de réacteurs de petite ou très petite puissance (Small modular reactors dits SMR), évoqués dans la dernière version de l’étude d’impact, le Conseil d’État observe qu’il ne dispose pas des éléments d’appréciation nécessaires, s’agissant d’une filière en émergence dont les conditions techniques et les modalités de déploiement ne peuvent être définies, et dont la contribution à la réalisation des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie ne peut être évaluée, pour apprécier la conformité de la disposition législative envisagée aux exigences conventionnelles et constitutionnelles. Il ne peut que constater qu’au regard des exigences de la directive Habitats et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, le renvoi par la loi à des conditions techniques définies par voie réglementaire, avec pour seul critère une référence à la puissance de l’installation, ne permet pas d’encadrer de manière suffisante la condition tenant à l’existence d’une raison impérative d'intérêt public majeur.

25. Pour ces motifs, le Conseil d’État estime que ces dispositions ne peuvent être retenues.

 

Modification du régime de la concession d’utilisation du domaine public maritime

26. En vue d’accélérer la délivrance de la concession d’utilisation du domaine public maritime prévue à l’article L. 2124-3 du code général de la propriété des personnes publiques, nécessaire à la conduite des projets situés à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre d’une installation nucléaire de base existante implantée en façade maritime et des ouvrages permettant leur raccordement aux réseaux de transport d'électricité, le projet de loi prévoit que, par dérogation aux dispositions de l’article L. 2124-2 du même code, la concession est accordée par décret en Conseil d’État à l’issue de l’enquête publique prévue au dernier alinéa de l’article L. 2124-1 de ce code.

27. Le Conseil d’État considère que ce régime dérogatoire, qui ne concerne, au plus, que quelques projets, comme il est indiqué au point 17, qui seront nécessairement situés dans le prolongement d’installations existantes déjà implantées sur le domaine public maritime naturel, et qui mutualise les phases procédurales de la délivrance de la concession d’utilisation tout en préservant l’exigence d’une enquête publique environnementale, ne méconnaît ni les exigences constitutionnelles qui s’attachent à la protection de la propriété publique, ni celles qui s’attachent aux principes posés par la Charte de l’environnement dans ses articles 1er, 3, 6 et 7, ni aucune autre exigence constitutionnelle ou conventionnelle.

 

Recours à la procédure d’extrême urgence autorisant la prise de possession en matière d’expropriation

28. Une disposition législative expresse est nécessaire afin de permettre de recourir, le cas échant, à la procédure exceptionnelle de prise de possession immédiate de terrains, bâtis ou non bâtis, en ce qui concerne les opérations concourant à la réalisation d’installations ou d’aménagements directement liés à la préparation, à la construction et à la mise en service de réacteurs électronucléaires et des équipements et installations nécessaires à leur fonctionnement ainsi que pour la réalisation des ouvrages de raccordement aux réseaux publics d'électricité, dès lors que leur objet n’est pas au nombre de ceux énumérés par l’article L. 522-1 du code de l’expropriation pour cause d'utilité publique, qui institue une telle procédure, et que cet article exclut la prise de possession de terrains bâtis. En cela, le projet se place dans la continuité de la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche (II de l’article 39), s’agissant de l’itinéraire routier destiné à desservir le projet international de réacteur expérimental de fusion thermo nucléaire ITER implanté à Cadarache, et, plus récemment, de la loi n°2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (article 13). Ces dispositions ne soulèvent pas d'objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel.

 

Application du titre Ier de la loi

29. Le Conseil d’État propose l’insertion d’un article supplémentaire renvoyant à un décret en Conseil d’État l’ensemble des précisions nécessaires à l’application du titre Ier de la loi.

 

SUR LES MESURES RELATIVES AU FONCTIONNEMENT DES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES DE BASE EXISTANTES

Modification de la procédure de réexamen périodique des réacteurs électronucléaires au-delà de la trente-cinquième année de fonctionnement

30. Le projet de loi entend modifier la procédure de réexamen des réacteurs électronucléaires au-delà de la trente-cinquième année de fonctionnement, actuellement organisée par l’article L. 593-19 du code de l’environnement. L’enquête publique est opportunément élargie aux conclusions du rapport établi à l’issue de l’examen décennal prévu à l’article L. 593-18 du même code, afin de permettre au public d’être mieux éclairé pour donner un avis sur les dispositions spécifiques que l’exploitant se propose de prendre pour remédier aux anomalies constatées ou pour améliorer la protection des intérêts publics mentionnés à l'article L. 593-1 de ce code. Les modifications sont, quant à elles, soumises, selon leur ampleur, soit à déclaration auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire, soit à un régime d’autorisation par cette autorité, dans les conditions prévues aux articles L. 593-14 et L. 593-15 du code. Ces différentes mesures, à la fois de simplification des procédures et de renforcement de la participation du public, ne soulèvent pas d’objection juridique.

31. Le Conseil d’État observe que la suppression du rapport intermédiaire, prévu à l’article L. 593-19 du code de l’environnement, sur l’état des équipements importants pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du même code, que l’exploitant doit remettre cinq ans après le réexamen des réacteurs électronucléaires au-delà de la trente-cinquième année de fonctionnement, si elle n’appelle pas davantage d’objection d’ordre constitutionnel et conventionnel, ne fait pas l’objet, dans l’étude d’impact, d’une évaluation tenant suffisamment compte des contraintes qu’est susceptible d’induire l’exploitation, prolongée pour une longue durée, de ces installations. L’étude d’impact devra donc être également complétée sur ce point avant le dépôt du projet de loi au Parlement.

 

Mise à l’arrêt définitif d’une installation nucléaire de base ayant cessé de fonctionner depuis plus de deux ans

32. Le projet de loi remplace la mise à l’arrêt définitif de plein droit des installations nucléaires de base, lorsqu’elles ont cessé de fonctionner pendant une durée continue supérieure à deux ans, prévue par l’article L. 593-24 du code de l’environnement, par une procédure faisant intervenir un décret ordonnant, dans les mêmes conditions, cette mise à l’arrêt après avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et après que l’exploitant a été mis à même de présenter ses observations. Cette mesure, destinée à améliorer la gestion des arrêts prolongés ou successifs de fonctionnement de ces installations ne soulève pas d’objection juridique.

33. Les autres dispositions du projet de loi n’appellent pas de remarque de la part du Conseil d’État.

 

Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du 27 octobre 2022.