Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire.
1. Le Conseil d’État a été saisi le 12 avril 2021 d’un projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire. Ce projet de loi a été modifié par deux saisines rectificatives reçues les 14 et 17 avril 2021.
Ce projet comporte neuf articles :
- L’article 1er prévoit l’application, après la fin de l’état d’urgence sanitaire fixée au 1er juin 2021, et jusqu’au 31 octobre 2021 inclus, du régime défini par la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, en adaptant ses dispositions sur plusieurs points ;
- L’article 1er bis modifie l’article L. 3131-15 du code de la santé publique pour prévoir, à l’instar des dispositions applicables dans les collectivités d’outre-mer, que le représentant de l’Etat peut s’opposer au lieu envisagé par la personne faisant l’objet d’une mesure d’isolement ou de quarantaine prononcée par le représentant de l’Etat à son arrivée sur le territoire hexagonal, en Corse ou dans l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution lorsque ce lieu n’est pas adapté aux exigences de la mesure de placement en isolement ou en quarantaine ;
- L’article 2 vise, en cas de nécessité de déclarer localement l’état d’urgence sanitaire pendant cette période, à porter d’un à deux mois le délai au-delà duquel le Parlement doit en autoriser la prorogation ;
L’article 3 permet le versement dans le système national des données de santé (SNDS) des données collectées dans le cadre des traitements de données à caractère personnel « Contact covid » et « SI-DEP » ;
- L’article 4 est relatif aux agents habilités à constater les infractions aux règles de police sanitaire ;
- L’article 5 porte sur l’application et l’adaptation du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française ;
- L’article 6 vise à prolonger, jusqu’au 31 octobre 2021 sauf exceptions, la durée d’application de différentes mesures d’adaptation ou d’accompagnement prévues par les textes pris depuis le début de la crise sanitaire, et l’article 7 comporte des habilitations à intervenir, aux mêmes fins, par voie d’ordonnances ;
- L’article 8 modifie certaines règles du code électoral, dans le contexte de la crise sanitaire, en vue du prochain renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux, de l’Assemblée de Corse et des assemblées de Guyane et de Martinique.
2. L’étude d’impact du projet répond aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Sur les consultations préalables
3. Le comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique a été consulté, de manière facultative, sur la fin de l’application du régime de l’état d’urgence sanitaire à partir du 1er juin 2021 et son remplacement par un dispositif de sortie de crise repris de la loi du 9 juillet 2020. Il a rendu un avis le 21 avril 2021.
4. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie et l’assemblée de la Polynésie française ont également été saisis le 13 avril 2021 des dispositions prévoyant l’application de ce régime de sortie de crise dans ces territoires sous réserve de certaines adaptations. Le Conseil d’Etat relève toutefois que ces deux assemblées n’ont pas rendu d’avis exprès à la date du présent avis et que le délai de quinze jours au-delà duquel l’avis est réputé rendu en cas de consultation en urgence, en application de l’article 90 de la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et de l’article 9 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, n’est pas expiré.
Par suite, le Conseil d’Etat ne peut retenir les dispositions d’adaptation prévues par le projet. Il prévoit, en remplacement, un article habilitant le Gouvernement à procéder à cette adaptation par voie d’ordonnance sur le fondement de l’article 38 de la Constitution.
5. Les autres consultations auxquelles devait être soumis le projet de loi ont été effectuées et n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.
Sur l’application du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire du 2 juin au 31 octobre 2021 inclus
6. Le Gouvernement envisage de rétablir, en l’adaptant sur certains points, le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire défini par la loi du 9 juillet 2020. Ce régime, qui était entré en vigueur le 11 juillet 2020 et dont le terme avait été repoussé au 1er avril 2021, avait vocation à s’appliquer sur l’ensemble des territoires où l’état d’urgence sanitaire n’était pas ou plus en vigueur, afin d’aménager, après la fin de l’état d’urgence sanitaire, un allègement graduel des restrictions afin de limiter le risque de reprise épidémique tout en favorisant la reprise des activités.
De fait, ce régime ne recevait plus application depuis la nouvelle déclaration de l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national, à compter de 17 octobre 2020 par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020, prorogé jusqu’au 16 février 2021 par la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, puis jusqu’au 1er juin 2021 inclus par la loi n° 2021-160 du 15 février 2021.
Le projet vise ainsi à habiliter le Premier ministre, à compter du 2 juin 2021 et jusqu’au 31 octobre 2021, à prendre les mesures nécessaires à la lutte contre l’épidémie, par décret pris sur le rapport du ministre de la santé, parmi quatre catégories de mesures portant sur :
- la réglementation ou, dans certaines parties du territoire où est constatée une circulation active du virus, l’interdiction de la circulation des personnes et des véhicules et les conditions d’utilisation des transports collectifs ;
- la limitation de l’accès, voire, si les précautions ordinaires ne peuvent être observées ou dans des zones de circulation active du virus, la fermeture de catégories d’établissements recevant du public et de lieux de réunion ;
- la réglementation des réunions et rassemblements, notamment sur la voie publique ;
- l’obligation pour les personnes souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou d'une collectivité d’outre-mer de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de l’administration d’un vaccin contre la covid-19 ou un document attestant de leur rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19, ou encore toute combinaison de ces modes d’attestation.
Le Premier ministre peut habiliter les préfets à prendre ces mesures à l’échelle du département et à ordonner la fermeture des établissements ne se conformant pas à ces mesures après une mise en demeure restée sans effet.
7. Pour améliorer la lisibilité de l’état du droit, le Conseil d’Etat propose de ne pas procéder, comme le faisait le projet du Gouvernement, par rétablissement et modification de la loi du 9 juillet 2020, dont les dispositions sont sur ce point sorties de vigueur depuis le 1er avril 2021, mais d’écrire le régime applicable à l’avenir directement dans le nouveau texte, en réincorporant en tant que de besoin les dispositions de la loi du 9 juillet 2020 que le projet ne modifiait pas.
8. Sur le fond, il appartient au Conseil d’Etat de vérifier que les mesures prévues assurent, au regard des risques liés à la propagation du virus, en l’état des connaissances scientifiques, une conciliation conforme à la Constitution des nécessités de la lutte contre l’épidémie avec la protection des libertés fondamentales reconnues à tous ceux qui résident sur le territoire de la République (voir notamment pour le précédent régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire, Conseil constitutionnel, décision n° 2020-808 DC du 13 novembre 2020, paragr. 12).
9. Le Conseil d’Etat observe que la situation sanitaire, dont la dégradation a justifié la mise en œuvre de mesures supplémentaires notamment par le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021 et le décret n° 2021-384 du 2 avril 2021, reste problématique, et son évolution à court terme, incertaine. Si le taux d’incidence tend à baisser notamment dans les régions ayant fait l’objet le plus précocement des mesures de restrictions renforcées et semble se stabiliser au niveau national à la date du présent avis, il reste à un niveau élevé, supérieur à 400 pour 100 000 habitants, traduisant une circulation particulièrement active du virus. Le nombre de nouvelles contaminations se situe au-dessus de 35 000 nouveaux cas par jour. Par ailleurs, après avoir connu une augmentation presque continue, le nombre de patients en hospitalisation est désormais supérieur à 31 000, tandis que le nombre de personnes en services de soins critiques s’élève à presque 6 000 (Santé publique France, point épidémiologique COVID-19 du 15 avril 2021).
Dans son avis du 21 avril 2021, le comité de scientifiques souligne que le « retentissement de cette troisième vague est majeur pour notre système de soins, avec une occupation importante des lits de réanimation et de soins intensifs par des patients COVID souvent plus jeunes, associée à un niveau important de déprogrammation dans certaines régions ». Il relève que l’on observe « un plateau à un niveau élevé de la saturation des lits en réanimation, suggérant que la baisse pourrait se faire sur un temps long ».
Les effets attendus au niveau national des nouvelles mesures définies récemment pour lutter contre l’épidémie et, de manière durable, l’extension prévisible de la couverture vaccinale liée à l’accélération de la campagne de vaccination, qui a permis, à la date du 15 avril 2021, à 16,9 % de la population totale de recevoir une injection et 6 % deux injections, conduisent cependant le Gouvernement à envisager à moyen terme une amélioration de la situation et estimer qu’une nouvelle prorogation de l’état d’urgence sanitaire au niveau national pourrait ne pas être nécessaire au-delà du 1er juin. D’autres éléments mentionnés par le comité de scientifiques dans son avis du 21 avril, tels que la mise à disposition des autotests ou une meilleure connaissance des circonstances de contamination, peuvent contribuer à une efficacité renforcée des mesures de prévention. Tout en soulignant les effets, y compris psychiques, du prolongement de l’application de mesures de police sanitaire strictes sur la population, le comité rappelle que la circulation toujours active du virus et l’apparition de nouveaux variants au niveau international, notamment en Amérique du Sud et en Asie, rendent la situation incertaine dans les mois à venir.
Le contexte sanitaire actuel et son évolution prévisible justifient dès lors le maintien des mesures de police sanitaires nécessaires à la lutte contre l’épidémie, pour une durée adéquate.
10. Les trois premières séries de mesures mentionnées au point 6 ont, à la différence de la quatrième, été examinées par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2020-803 DC du 9 juillet 2020. Le juge constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution en estimant qu’elles conciliaient les exigences de la lutte contre l’épidémie avec la protection des libertés fondamentales, sur la base de l’appréciation alors portée par le législateur sur le risque de propagation du virus. Le Conseil d’Etat considère qu’en l’état des connaissances sur la situation prévisible au-delà du 1er juin 2021, la nécessité de ces mesures ne peut être écartée. Il rappelle que, ainsi que le Conseil constitutionnel l’a relevé au point 15 de la décision mentionnée précédemment, la notion d’« interdiction de la circulation des personnes » doit être interprétée, dans le cadre de ce régime juridique, comme ne pouvant conduire à interdire aux personnes de sortir de leur domicile ou de ses alentours.
La portée de la quatrième série de mesures prévue par le projet de loi est, quant à elle, sensiblement modifiée par rapport à la loi du 9 juillet 2020 qui, dans sa rédaction issue de la loi du 14 novembre 2020, ne visait que les déplacements par transport public, et non par tout moyen, et ne mentionnait que les résultats de tests de dépistage.
11. Le Conseil d’Etat relève tout d’abord que la possibilité de subordonner les déplacements à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou d'une collectivité d’outre-mer à un test négatif, à l’administration d’un vaccin ou au rétablissement de la personne à la suite d’une contamination, s’inscrit dans le cadre de la possibilité, prévue par le même article, de réglementer les déplacements. Pour clarifier l’articulation des différentes prérogatives en cause, le Conseil d’Etat propose de modifier le projet pour relier expressément ces deux catégories de mesures. Il rappelle d’ailleurs que, pour la même raison, les déplacements peuvent, sous réserve de stricte nécessité, être subordonnés à des conditions analogues pendant l’application de l’état d’urgence sanitaire, au titre du 1° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, comme il l’avait déjà souligné, s’agissant des transports publics aériens, dans son avis du 20 octobre 2020 (avis n° 401419, point 4).
12. Le Conseil d’Etat constate ensuite qu’une telle mesure a pour objectif de permettre de limiter les déplacements entre les territoires concernés aux personnes présentant une moindre probabilité de développer ou de transmettre la maladie et, par suite, de limiter les facteurs de propagation liés à la mobilité des personnes de manière mieux proportionnée, le cas échéant, que des restrictions plus strictes. Les trois catégories d’attestation évoquées – résultats de test, vaccination, rétablissement - correspondent d’ailleurs à celles faisant l’objet de la proposition de règlement présentée par la Commission européenne le 17 mars 2021 (« certificat vert numérique »), qui vise à définir le format et le contenu de certificats interopérables entre Etats membres, sans préjudice de la compétence des seuls Etats pour définir les cas dans lesquels de telles attestations sont exigées.
Le Conseil d’Etat estime, par suite, que de telles mesures sont par elles-mêmes de nature à concilier les nécessités de lutte contre l’épidémie avec, notamment, la liberté d’aller et venir sur le territoire national, ainsi qu’avec la libre circulation au sein de l’Union européenne.
13. Le Conseil d’Etat s’interroge toutefois sur le terme de « rétablissement » d’une personne préalablement contaminée utilisé par le projet du Gouvernement. Il relève que cette notion doit s’entendre, à la lumière des travaux européens dont elle est reprise, comme visant notamment l’écoulement d’une période minimale après un dépistage positif ou l’apparition des symptômes au-delà de laquelle la transmission du virus par la personne apparaît peu probable en l’état des connaissances. Le recours à une notion alternative ou la définition expresse dans la loi de ce terme, qui garantit à ce stade la cohérence au niveau européen, n’apparaissent pas nécessaires au respect de l'exigence constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi. Il appartiendra toutefois aux pouvoirs publics, en cas de recours effectif à cette mesure, d’apporter les précisions requises sur les conditions d’appréciation du « rétablissement » d’une personne et les modalités de délivrance de l’attestation à son bénéfice.
14. Compte tenu des informations transmises par le Gouvernement, le Conseil d’Etat propose par ailleurs de supprimer la mention de la possibilité de subordonner les déplacements à « toute combinaison » des trois attestations mentionnées au point 12, dès lors que l’exigence du cumul de plusieurs attestations n’est pas envisagée.
Le Conseil d’Etat rappelle que l’ensemble des décisions prises par le Premier ministre ou les représentants locaux de l’Etat dans ce cadre devront, sous le contrôle du juge, être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, et qu’il devra y être est mis fin sans délai dès qu’elles ne seront plus nécessaires.
15. Au bénéfice des observations qui précèdent, le Conseil d’Etat estime que le régime de sortie de crise défini par le projet du Gouvernement procède à une conciliation conforme à la Constitution des exigences en présence. Par ailleurs, le terme prévu pour l’application de ce cadre juridique, fixé au 31 octobre par le projet du Gouvernement, apparait adéquat au vu des données disponibles sur la situation sanitaire et son évolution prévisible.
Sur l’aménagement des modalités de prorogation de l’état d’urgence sanitaire en cas de déclaration sur un périmètre territorial limité
16. En l’état du droit, l’état d’urgence sanitaire, déclaré par décret en conseil des ministres, ne peut être prorogé au-delà d’une durée d’un mois que par la loi (art. L. 3131-13 du code de la santé publique). En vue de pouvoir répondre de manière adaptée à une éventuelle dégradation très localisée de la situation, le projet vise à porter ce délai d’intervention du Parlement à deux mois si l’état d’urgence sanitaire devait être déclaré entre le 2 juin 2021 et le 31 août 2021 dans une ou plusieurs circonscriptions territoriales déterminées, à la condition toutefois que ces circonscriptions représentent moins de 10 % de la population nationale.
17. Tout en mesurant les difficultés susceptibles de résulter pour les pouvoirs publics de la nécessité de prolonger des déclarations d’état d’urgence sanitaire prises à des dates différentes pour des circonscriptions territoriales distinctes, le Conseil d’Etat relève la complexité particulière du dispositif envisagé, qui supposerait d’ailleurs de prévoir dans le texte les modalités d’appréciation du franchissement du seuil en cas de déclarations successives de l’état d’urgence sanitaire ainsi que les effets du franchissement de ce seuil sur le régime auquel chacune des déclarations est soumise en fonction de sa date d’intervention. Il estime par ailleurs que le dispositif envisagé conduirait à l’application de règles disparates régissant la durée de l’état d’urgence sanitaire dans les territoires sans rapport avec leur situation sanitaire. Sans exclure la possibilité de prévoir un délai plus long pour les périodes où le Parlement n’est pas réuni, le Conseil d’Etat écarte le dispositif proposé.
Sur le régime des mesures d’isolement et de quarantaine
18. Le Conseil d’Etat rappelle que, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa du II de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, une personne faisant l’objet d’une mesure d’isolement ou de quarantaine prononcée par le représentant de l’Etat à son arrivée sur le territoire hexagonal, en Corse ou dans l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution peut, en principe, choisir le lieu de déroulement de la mesure, soit à son domicile, soit dans un autre lieu d’hébergement adapté. Par dérogation, le IV de l’article 12 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions prévoit que le représentant de l’Etat peut, dans le seul cas d’une personne arrivant dans une collectivité d’outre-mer, s’opposer au lieu envisagé pour la quarantaine si ce lieu ne répond pas aux exigences sanitaires qui justifient la mesure.
Le projet du Gouvernement envisage de modifier l’article L. 3131-15 pour prévoir que le représentant de l’Etat puisse s’opposer au lieu envisagé par la personne lorsque ce lieu n’est pas adapté aux exigences de la mesure de placement en isolement ou en quarantaine, quelle que soit la circonscription territoriale concernée ou la nature de la mesure. Il abroge, en conséquence, les dispositions spécifiques applicables dans les collectivités d’outre-mer.
19. Le Conseil d’Etat constate, en premier lieu, que la disposition envisagée a vocation à s’appliquer dans le cadre du régime juridique de l’état d’urgence sanitaire, lorsque le Premier ministre décide par décret du recours à des mesures de quarantaine ou d’isolement sur le fondement des 3° et 4° du I de l’article L. 3131-15 ainsi que, compte tenu du renvoi opéré au II de l’article L. 3131-15 par l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, lorsque le ministre chargé de la santé décide de recourir à des mesures analogues justifiées par une menace sanitaire grave.
20. Le Conseil d’Etat constate, en second lieu, que, par son objet et sa portée, cette disposition est susceptible de porter atteinte au droit des personnes concernées à mener une vie familiale normale, résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (Conseil constitutionnel, décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017, paragr. 3), à leur liberté d’aller et de venir protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (Conseil constitutionnel, décision n° 2017-631 QPC du 24 mai 2017, paragr. 10) ainsi qu’au droit au respect de la vie privée résultant de l’article 2 de cette déclaration (Conseil constitutionnel, décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, cons. 2).
Le Conseil d’Etat relève toutefois que, compte tenu des objectifs sanitaires poursuivis, la disposition envisagée vise à garantir l’efficacité des mesures de placement en isolement ou en quarantaine lorsque leur exécution dans le lieu choisi, y compris le domicile de la personne, peut porter atteinte à la santé de tiers présents sur place ou compromettre la lutte contre la propagation de l’infection. A ce titre, le Conseil d’Etat relève que la faculté d’opposition du représentant de l’Etat pourrait être mobilisée lorsqu’il apparaît que le choix du lieu, notamment parce que celui-ci serait inexistant ou impossible à identifier, vise en réalité à éluder les obligations résultant de la mesure ou lorsque le lieu choisi, par sa localisation ou ses caractéristiques, serait susceptible de limiter ou d’entraver les contrôles des autorités chargées de veiller au respect des règles de police sanitaire. Le Conseil d’Etat propose de préciser l’objet de la vérification opérée par le représentant de l’Etat, en indiquant que celui-ci peut s’opposer au lieu envisagé lorsque ce lieu ne permet pas de garantir l’effectivité de la mesure.
Le Conseil d’Etat estime que la disposition envisagée, ainsi formulée, ne procède pas à une conciliation contraire à la Constitution entre les droits et libertés mentionnés précédemment et l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé. Il relève qu’elle a, en outre, pour effet de rétablir un régime juridique uniforme sur l’ensemble du territoire, conforme au principe d’égalité devant la loi, sans préjudice de l’adoption dans ce cadre de mesures différenciées si les nécessités de la lutte contre l’infection l’exigent au vu des circonstances locales.
21. Le Conseil d’Etat propose également une rédaction visant à clarifier l’articulation entre les dispositions en vigueur reconnaissant à la personne l’initiative de proposer le lieu d’exécution qu’elle envisage, et les nouvelles dispositions fondant le pouvoir d’opposition du représentant de l’Etat. Il précise que, lorsque le représentant de l’Etat s’oppose au lieu envisagé par la personne, le cas échéant parmi plusieurs choix proposés, le représentant de l’Etat détermine alors lui-même le lieu d’exécution de la mesure. Le Conseil d’Etat rappelle enfin qu’il appartient, le cas échéant, au décret pris par le Premier ministre sur le fondement du I de l’article L. 3131-15 de préciser, parmi les conditions d’application des mesures de quarantaine et d’isolement, les conditions dans lesquelles est alors assurée la « poursuite de la vie familiale » de la personne.
Sur les dispositions applicables aux systèmes d’information
22. Le Conseil d’Etat relève que le projet de loi précise que les données collectées par les traitements « Contact covid » et « SI-DEP », créés par voie réglementaire dans le cadre défini par l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 mentionnée précédemment, peuvent être rassemblées au sein du système national des données de santé prévu à l’article L. 1461-1 du code de la santé publique, dans la mesure où elles relèvent du champ de ce système défini au I de ce même article.
Ce versement a un effet sur les durées de conservation de ces données, qui entrent désormais dans le droit commun du système national des données de santé, lequel permet une conservation pouvant aller jusqu’à vingt ans (4° du IV de l’article L. 1461-1).
Le Conseil d’Etat rappelle que ces dispositions relèvent du domaine de la loi et considère que, compte tenu de la pseudonymisation des données qui précède nécessairement leur transfert dans le système national des données de santé, les durées de conservation qui sont susceptibles de résulter du 4° du IV de l’article L. 1461-1 ne sont pas excessives au regard de l’intérêt public qui s’attache à ce que les données de santé puissent être utilisées pour l'amélioration des connaissances sur le SARS-CoV-2 (Conseil d’Etat, 13 octobre 2020, Association Le conseil national du logiciel libre, n° 444937).
Compte tenu, en outre, de l’ensemble des exigences prévues par la loi pour restreindre l’accès aux données traitées par ce système et garantir leur sécurité, ces dispositions ne méconnaissent dès lors pas le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789 et par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (dit « RGPD »).
Sur les dispositions applicables au contrôle du respect des mesures de police sanitaire
23. L’extension des prérogatives des agents des douanes et des agents mentionnés au II de l'article L. 450-1 du code de commerce n’appelle pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.
Sur les conditions financières de résolution de contrats d’accès à des spectacles, manifestations sportives et établissements de pratique sportive
24. Pour permettre aux entreprises du spectacle, aux organisateurs de manifestations sportives et aux exploitants de salles de sport de faire face aux conséquences de la crise sanitaire sur leurs activités, l’ordonnance n° 2020-538 du 7 mai 2020 a mis en place un mécanisme de résolution des contrats faisant exception aux dispositions de l’article 1229 du code civil aux termes desquelles : « Lorsque les prestations échangées ne peuvent trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre ». Cette ordonnance a permis à ces entreprises et organisateurs de proposer à leurs clients des avoirs en lieu et place du remboursement immédiat des prestations annulées entre le 12 mars 2020 et le 15 septembre 2020. Ce mécanisme a été reconduit par une ordonnance n° 2020-1599 du 16 décembre 2020, modifiée par une ordonnance n° 2021-137 du 10 février 2021, pour la période courant du 16 décembre 2020 au 21 juin 2021. Les durées des avoirs sont de douze mois pour les spectacles, dix-huit mois pour les manifestations sportives et dix mois pour les salles de sport, ce délai s’ajoutant aux délais de notification de l’impossibilité d’assurer la prestation (trente jours) et de proposition d’une prestation de substitution (trois mois) pendant la durée de l’avoir.
Le projet de loi propose de prolonger d’une durée de neuf mois la période initiale de validité des avoirs ainsi proposés. Le délai total s’écoulant depuis la constatation de l’impossibilité d’assurer la prestation objet du contrat, pendant lequel le client ne peut exiger de remboursement, est donc porté respectivement à vingt-cinq, trente-et-un et vingt-trois mois.
25. Ainsi que le juge le Conseil constitutionnel, le législateur ne saurait sans motif d’intérêt général suffisant ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. Le Conseil d’Etat estime qu’un intérêt général suffisant, celui de garantir la pérennité des entreprises concernées, a justifié la mise en place, par les ordonnances de mai et décembre 2020, d’un dispositif remettant en cause l’équilibre initial des contrats passées par celles-ci avec leurs clients en différant les échéances de remboursement des prestations non délivrées. En revanche, il considère que le nouveau différé de remboursement proposé par le texte, même si certaines des sommes en cause peuvent être modestes, porte une atteinte excessive à cet équilibre en faisant supporter aux clients une indisponibilité trop longue des sommes qui leur étaient contractuellement dues. Le Conseil d’Etat ne retient pas en conséquence cette disposition.
Sur les dispositions visant à renouveler ou à prolonger la durée d’application de mesures prises pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire et accompagner la reprise d’activité
26. Le projet comporte des dispositions modifiant l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos, qui permet jusqu’au 30 juin 2021, par dérogation aux dispositions du code du travail, à un accord d'entreprise, ou, à défaut, un accord de branche, de déterminer les conditions dans lesquelles l'employeur est autorisé, dans la limite de six jours de congés, à imposer la prise de jours de congés payés, ou à modifier les dates de ces congés. Si l’accord l’y autorise, l’employeur peut également fractionner les congés, ou ne pas accorder un congé simultané à des conjoints ou partenaires de pacte civil de solidarité travaillant dans l’entreprise.
Le Gouvernement envisage de prolonger l’application de cette mesure jusqu’au 31 octobre 2021 et de porter de six à huit jours le nombre de congés susceptibles d’être imposés ou modifiés, afin de permettre aux entreprises de s’organiser face à l’ampleur et à la prolongation de la crise sanitaire et à ses conséquences.
Le Conseil d’Etat estime que les atteintes susceptibles d’être portées à des situations légalement acquises ou aux effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations par la mesure, dont la portée est limitée et dont la mise en œuvre est subordonnée à un accord collectif préalable, peuvent être regardées comme justifiées par un motif d’intérêt général suffisant. Elle ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle ou conventionnelle.
27. Le projet comporte des mesures visant à prolonger jusqu’au 31 octobre 2021 la durée d’application des dispositions :
- des articles 22-2, 22-4, 22-5 et 23 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, qui concernent les modalités de réunion des assemblées générales de copropriétaires ;
- des articles 3, 5 et 7 de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés ;
- de l’article 2 et, dans la rédaction proposée par le Conseil d’Etat, de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre administratif ;
- des articles 3 à 9 de l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière pénale ;
- de l’article 1er de l'ordonnance 2020-1507 du 2 décembre 2020 adaptant le droit applicable au fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives pendant l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'elle autorise ces organismes à délibérer selon un mode dématérialisé ;
- de l’article 6 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, qui déroge aux règles de réunion des organes délibérants des collectivités territoriales ;
- de l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l'exercice des compétences des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face à l'épidémie de covid-19, qui permet de réunir l’organe délibérant par visioconférence ou audioconférence ;
- des articles 41 et 52 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, dérogeant aux règles applicables au renouvellement de certain contrats et au prêt de main-d'œuvre ;
- de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-1441 du 25 novembre 2020 portant adaptation des règles relatives aux réunions des instances représentatives du personnel, étendant les conditions de recours à des modalités de réunion à distance ;
- des I, II et III de l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-1553 du 9 décembre 2020 prolongeant, rétablissant ou adaptant diverses dispositions sociales pour faire face à l'épidémie de covid-19, qui permettent aux établissements et services sociaux et médico-sociaux et aux lieux de vie et d’accueil de déroger aux règles encadrant normalement leur organisation et leur fonctionnement ;
- de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de covid-19, actuellement prévues pour les assemblées et réunions tenues jusqu’au 31 juillet 2021 ;
- de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-1502 du 2 décembre 2020 adaptant les conditions d'exercice des missions des services de santé au travail à l'urgence sanitaire.
Le projet comporte également des mesures visant à :
- faire obstacle à la modulation des financements dus en 2022 à certaines catégories d’établissements et services sociaux et médico-sociaux en raison des baisses d’activité ou de taux d’occupation constatées en 2021 ;
- prolonger, au plus tard jusqu’au 31 décembre 2021, les effets des certificats d’aptitude et des titres de formation des gens de mer mentionnées arrivées à échéance à compter du 12 mars 2020 et dont la durée de validité avait été prorogée en application de l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.
Il comporte enfin des habilitations visant, par voie d’ordonnance, à :
- prolonger ou adapter des mesures relative à l'activité partielle et à l'activité réduite pour le maintien en emploi ;
- prolonger ou anticiper la période pendant laquelle l’interruption de services ou l’expulsion des résidents pour non-paiement est proscrite (« trêve hivernale ») et préciser ses modalités d’application, notamment en matière de droit à réparation en cas de refus du concours des forces de l’ordre pour l’exécution d’une décision judiciaire d’expulsion ;
- prolonger les durées prévues en matière de revenus de remplacement pour les artistes et techniciens intermittents du spectacle.
Ces dispositions ne se heurtent à aucune objection d’ordre juridique et n’appellent pas d’observations de la part du Conseil d’Etat.
Sur le renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux, de l’Assemblée de Corse et des assemblées de Guyane et de Martinique
28. Le projet comporte des dispositions relatives à l’organisation des élections départementales, régionales et aux assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique qui se dérouleront en juin prochain. Afin d’assurer leur sécurisation sanitaire et de faciliter la participation des électeurs, il procède à diverses adaptations du droit électoral tenant compte de la crise sanitaire et de l’organisation simultanée, en métropole, de deux scrutins.
29. Le projet comporte d’abord des mesures relatives à la campagne électorale. Un site internet public permettra de consulter une version électronique des professions de foi des candidats. Le service public audiovisuel et radiophonique devra organiser un débat avant chaque tour entre les candidats têtes de liste aux élections régionales, des assemblées de Corse, de Guyane, de Martinique. Le Conseil d’Etat propose de prévoir que ce débat soit ensuite diffusé sur le site internet du service jusqu’à la fin de la campagne électorale. Les panneaux d’affichage seront installés dès que l’état ordonné des listes de candidats aux élections aura été publié par le représentant de l’Etat afin de permettre aux candidats d’apposer leurs affiches avant le début de la campagne électorale.
30. Le projet prévoit ensuite des adaptations pour faciliter l’organisation matérielle des opérations de vote. Ainsi, sous certaines conditions, les opérations pourront se dérouler en extérieur.
31. Enfin le projet assouplit les exigences relatives au matériel électoral – isoloirs et tables de dépouillement - notamment pour faciliter et fluidifier l’organisation simultanée de deux scrutins dans la même salle.
L’ensemble de ces dispositions n’appelle aucune réserve du Conseil d’Etat dès lors qu’il va de soi que la mise en œuvre de ces adaptations doit s’opérer de manière à respecter l’ensemble des règles régissant les opérations électorales et garantissant la sincérité du scrutin.
Ce projet d’avis a été délibéré et adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du mercredi 21 avril 2021.