Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à la bioéthique
1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 13 juin 2019 d’un projet de loi relatif à la bioéthique. Ce projet s’inscrit dans le cadre juridique français de la bioéthique, construit par les trois lois de juillet 1994 (n° 94-548 du 1er juillet 1994, 94-653 et 94-654 du 29 juillet 1994), la loi du 6 août 2004 (n° 2004-800) et la loi du 7 juillet 2011 (n° 2011-814). La présentation du projet répond, par ailleurs, aux dispositions de l’article 47 de la loi du 7 juillet 2011 prévoyant que cette loi fera « l'objet d'un nouvel examen d'ensemble par le Parlement dans un délai maximal de sept ans après son entrée en vigueur ».
La préparation de la réforme
2. La préparation de ce projet de loi a été conduite en application des dispositions de l’article L 1412-1-1 du code de la santé publique résultant de l’article 46 de la loi de bioéthique de 2011, prévoyant la tenue préalable d’un débat public, sous forme d’états généraux, organisés par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), « après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ». A l’issue des états généraux qui se sont réunis au premier semestre 2018, le CCNE a remis son rapport de synthèse sur les états généraux, en juin 2018, a soumis une contribution à la révision de la loi de bioéthique et émis un avis sur les thématiques abordées lors des états généraux de la bioéthique dans son avis 129 du 18 septembre 2018. D’autres réflexions ont contribué à l’élaboration du projet de loi, dont le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur la révision de la loi relative à la bioéthique et celui de l’Agence de la biomédecine « Rapport sur l’application de la loi de bioéthique ».
3. Comme il l’avait été à l’occasion de la révision des précédentes lois de bioéthique, le Conseil d’Etat a été saisi par le Premier ministre, par lettre du 6 décembre 2017, d’une demande d’étude destinée à éclairer les enjeux juridiques soulevés par cette révision. Cette étude, « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? » a été adoptée en assemblée générale le 28 juin 2018. Elle a précisé le cadre juridique de la bioéthique en France et rappelé les principes de dignité, de liberté et de solidarité sur lesquels il a été forgé ainsi que les principaux textes internationaux et européens applicables dans ces domaines.
4. Le Conseil d'État souligne l'intérêt et la pertinence d'une telle procédure pour l'élaboration d'un projet de loi réformant des éléments essentiels du cadre législatif applicable à la bioéthique. La diversité des contributions, la qualité de la réflexion et les conditions dans lesquelles le projet a pu être rédigé lui ont paru adaptées à la difficulté et à la solennité des questions posées par les enjeux du projet de loi. Il ne peut, dans ce contexte, que regretter que les conditions dans lesquelles la Commission nationale des libertés et de l'informatique (CNIL) a été consultée ne lui aient permis de prendre connaissance de l’avis de la commission que tardivement alors qu'il portait sur des dispositions substantielles du texte.
Le contexte de la réforme
5. La présente révision des lois de bioéthique vient s'inscrire dans un « modèle bioéthique » français, dont la spécificité et la cohérence ont été soulignées par le Conseil d'Etat dans son étude de 2018. Les lois de bioéthiques successives ont en effet opéré une conciliation spécifique à la France au sein du triptyque constitué par les principes de dignité, de liberté et de solidarité, en conférant une place de premier plan à la dignité de la personne humaine. Ce dernier principe, dont le Conseil constitutionnel a affirmé la valeur constitutionnelle, se traduit notamment, d’une part, par la protection particulière que les dispositions législatives accordent au corps humain, à son inviolabilité et son extra-patrimonialité, d’autre part, par les garanties dont le législateur entoure l'embryon. L’attention accordée à l'information et au consentement du patient, et le respect de son autonomie dans ses choix témoignent quant à eux de l'importance reconnue au principe de liberté, qui sous-tend également de nombreuses aspirations sociales. Enfin, le modèle français du don, le souci du législateur de ne pas considérer l'individu isolément mais de l'inscrire dans son environnement, notamment familial, ainsi que la mutualisation du financement des dépenses de santé traduisent le rôle que joue le principe de solidarité.
Ce modèle est mis en tension par plusieurs évolutions.
En premier lieu, les connaissances médicales sont profondément affectées, et parfois remises en cause, par les progrès de la génétique, de la biologie, des neurosciences, des nanotechnologies, de l'imagerie médicale et des sciences de l’informatique et du numérique. Les perspectives ouvertes par l'essor de l'intelligence artificielle et le développement exponentiel de traitements de données de santé comme par le phénomène des mégadonnées suscitent des questions nouvelles, porteuses d'espoirs médicaux sans précédent mais également de menaces pour la protection des personnes et de leur vie privée et même pour l'évolution de l'espèce humaine.
En deuxième lieu, s’expriment au sein de la société des aspirations à un assouplissement des règles fixées par les précédentes lois de bioéthique, fondées sur les principes de liberté et d’autonomie. Par ailleurs, des évolutions juridiques, telles que celles portées par la loi du 17 mai 2013 qui a ouvert le mariage aux couples de même sexe et les avis de la Cour de cassation du 22 septembre 2014, qui ont validé l’adoption d’enfants issus d’assistance médicale à la procréation (AMP) pratiquées à l’étranger par la conjointe de la mère, ont contribué à reconnaître de nouvelles formes de familles.
En dernier lieu, les possibilités offertes par internet et les nouvelles technologies, ainsi que la mobilité accrue des personnes mettent le modèle français en concurrence avec d’autres modèles à l’étranger.
6. La réflexion bioéthique, si elle demeure confrontée comme dans les lois de 1994 à de délicats problèmes concernant l'assistance médicale à la procréation ou l'utilisation des éléments et produits du corps humain, tend désormais, de manière inédite, à embrasser des champs entiers de la pratique médicale courante. Le développement de l'intelligence artificielle pourrait ainsi concerner la plupart des acteurs du système de santé et des pratiques de prévention ou de soins. Par ailleurs, les potentialités de la médecine comme l'internationalisation de l'accès à ses techniques engendrent une « bio-économie » au plan mondial, conduisant notamment à une objectivation accrue du corps par la valorisation des données de santé, au risque de sa marchandisation, ainsi qu’à l’émergence d'une médecine visant à modifier ou « augmenter » la personne humaine.
7. Le projet de loi s'inscrit ainsi également dans la perspective du développement d'un droit international et européen de la bioéthique. Les orientations du cadre international ont été établies par trois déclarations de l'Unesco, la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme du 11 novembre 1997, la Déclaration internationale sur les données génétiques humaines du 16 octobre 2003 et la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme du 19 octobre 2005. Le cadre européen a été fixé par la Convention européenne sur les droits de l'homme et de la biomédecine, dite convention d'Oviedo, du 4 avril 1997, ratifiée par la France le 13 novembre 2011 mais également par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, pour l'Union européenne, par la Charte des droits fondamentaux ainsi que par plusieurs règlements et directives.
La structure du projet de loi
8. Ce projet de loi, composé de 32 articles et organisé en sept titres, présente une particularité inédite. Le Conseil d’Etat a, en effet, été saisi, pour deux articles du projet de loi, de deux versions. Il s’agit des articles portant d’une part sur le droit d’un enfant issu d’un don de gamètes ou d’embryon d’accéder à ses origines et d’autre part sur l’établissement de la filiation des enfants conçus dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation par recours à un tiers donneur. Le Gouvernement a souhaité connaître l’avis du Conseil d’Etat sur ces propositions alternatives, avant d’arrêter le texte définitif du projet de loi.
Cette innovation, qui se justifie par le caractère particulier du projet de loi relatif à la bioéthique et par la nature des questions qu’il pose, conduit le Conseil d’Etat à préciser l’office qui est le sien dans son rôle de conseiller du Gouvernement.
Il considère, en premier lieu, qu’il relève de son office résultant de l'article 39 de la Constitution, en vertu duquel : « Les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État », d'examiner les deux versions de chacun des articles, étayées par l’étude d’impact, afin d'éclairer l’arbitrage final du Gouvernement.
Il estime, en deuxième lieu, que son premier devoir est de rechercher si le respect du droit, et notamment de la hiérarchie des normes, commande le choix d’une solution parmi les deux proposées.
Si tel n’est pas le cas, il lui appartient en troisième lieu, pour chaque article, d’analyser les enjeux et les risques juridiques de chacune des versions qui lui sont soumises, d’apprécier les conséquences de chacune d’elles sur le cadre juridique en vigueur et de s’interroger sur la cohérence des dispositions envisagées avec le modèle de bioéthique français tel qu’il a été décrit au point 5. S’il n’entre pas dans les compétences du Conseil d’Etat de se prononcer sur les objectifs politiques poursuivis, il lui incombe d’identifier et de mesurer les avantages et les inconvénients que les deux versions des articles présentent, au regard de l’intérêt général comme de la situation de l’ensemble des personnes concernées.
Au terme de ces analyses et après avoir apprécié les mérites respectifs des deux solutions, il revient au Conseil d’Etat de recommander au Gouvernement celle qui lui paraît la plus adaptée à l’objectif qu’il s’est assigné, tout en proposant, au cas où l’autre solution serait retenue, les adaptations qui lui paraissent justifiées pour des motifs de droit ou de bonne administration.
9. Par ailleurs, le projet de loi se caractérise par un choix légistique particulier. Il consacre ainsi chacun de ses articles à un sujet ou à un thème et procède à l’ensemble des modifications législatives que ce thème appelle, renonçant à la pratique habituelle consistant à modifier séparément et suivant l’ordre de sa numérotation chaque code. Le Conseil d’Etat estime que ce choix, qui facilite la compréhension des évolutions proposées, améliore leur lisibilité et se prête à une discussion parlementaire organisée par article, est opportun eu égard à la spécificité d’un projet de loi de bioéthique.
10. L’étude d’impact qui accompagne le projet est bien documentée et répond aux exigences des articles 8 et 11 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Elle comporte en particulier une présentation des avancées scientifiques sous-tendant certaines dispositions, de nombreuses données statistiques ainsi que des comparaisons européennes mais également internationales de cadres juridiques en vigueur dans des pays de traditions juridiques variées. Elle a été complétée et enrichie à la suite d’observations du Conseil d’Etat, notamment sur les dispositions relatives à un examen des caractéristiques génétiques.
Le Conseil d’Etat relève que le projet de loi a fait l’objet de nombreuses consultations dont plusieurs étaient obligatoires. Etaient ainsi requises les consultations de la Haute Autorité de santé, de la CNIL, du Conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie, de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, du conseil d’administration de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole et du Conseil national d’accès aux origines personnelles. Au-delà de ces remarques liminaires et outre certaines améliorations de rédaction qui s’expliquent d’elles-mêmes, ce projet de loi appelle, de la part du Conseil d’Etat, les observations suivantes.
Assistance médicale à la procréation (AMP)
Le cadre juridique de l’ouverture proposée
11. Comme il l’a relevé dans son étude préalable à la révision de la loi de bioéthique du 28 juin 2018 (Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?), le Conseil d’Etat rappelle que l’extension de l’accès à l’AMP, telle qu’elle est prévue par le projet de loi, relève d’un choix politique. Le droit ne commande ni le statu quo, ni l’évolution.
Ainsi, ni le fait que l’adoption soit déjà ouverte aux couples de femmes et aux personnes seules, ni le droit au respect de la vie privée, ni la liberté de procréer, pas plus que l’interdiction des discriminations ou le principe d’égalité n’imposent l’ouverture de l’AMP. Le Conseil d’Etat précise à cet égard que la notion de « droit à l’enfant » n’ayant pas de consistance juridique, l’enfant étant un sujet de droit et non l’objet du droit d’un tiers, aucune atteinte au principe d’égalité ne peut être invoquée sur ce terrain. Il ajoute que l’ouverture de l’AMP n’est pas de nature à entraîner juridiquement l’autorisation en France d’autres techniques, telle la gestation pour autrui (GPA). Il rappelle que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 17 mai 2013 sur la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, a admis que les couples formés d'un homme et d'une femme qui sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples formés de personnes de même sexe, pouvaient faire l’objet d’une différence de traitement sans pour autant qu’il ne soit porté atteinte au principe d’égalité (Décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, §44). De même, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que le fait que deux femmes ne puissent avoir recours à l’insémination artificielle avec tiers donneur en France ne pouvait être considéré comme une différence de traitement au regard de l’objet de la loi, qui est, en l’état du droit, de remédier à l'infertilité pathologique d'un couple (CEDH, Gas et Dubois c. France, 15 mars 2012, n°25951/07, §63). Enfin, récemment, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions du code de la santé publique fermant l’accès des couples de femmes à l’AMP (CE, 28 septembre 2018, n°421899). Il a estimé que le fait de réserver l’AMP aux couples de personnes de sexe différent, en âge de procréer et souffrant d’une infertilité médicalement diagnostiquée n’était pas contraire au principe d’égalité.
Symétriquement, aucun principe juridique de nature constitutionnelle ou conventionnelle ne s’oppose à la réforme prévue par le projet de loi. Ainsi, le Conseil d’Etat estime que ni le principe de précaution, ni la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, dont le législateur ne peut s’abstraire dans son ouvrage mais qui doit être concilié avec d’autres intérêts tout aussi légitimes, pas plus que l’indisponibilité de l’état des personnes, ne sont de nature à faire obstacle par eux-mêmes à l’ouverture de l’AMP.
Les conditions d’accès à l’AMP
12. Le projet de loi modifie le chapitre du code de la santé publique consacré aux « dispositions générales » relatives à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Il comporte des mesures marquant une évolution majeure du cadre législatif applicable à l’AMP.
Il supprime, d’abord, l’exigence d’une infertilité pathologique pour recourir à l’assistance médicale à la procréation. Depuis les premières lois de bioéthique du 29 juillet 1994, l’accès à l’assistance médicale à la procréation est en effet subordonné à l’existence d’une infertilité pathologique ou à la nécessité d’y recourir pour éviter la transmission d’une maladie d’une particulière gravité à l’enfant ou à l’un des membres du couple. Le texte entend désormais fonder le recours à l’assistance médicale à la procréation sur le projet parental. Cette dernière notion s’entend, selon le Conseil d’Etat, comme incluant tant le projet familial des parents que l’ensemble des conditions propres à garantir l’intérêt de l’enfant.
Parallèlement à l’ouverture de l’accès à l’AMP, le texte instaure un encadrement nouveau tenant à la réalisation, pour tous les candidats à l’AMP, d’une « évaluation médicale et psychologique » par l’équipe pluridisciplinaire du centre d’AMP. Si la réalisation d’une AMP est aujourd’hui précédée d’entretiens avec l’équipe médicale, dont les résultats peuvent conduire à différer le moment auquel elle est pratiquée, l’introduction d’une évaluation illustre le passage à une philosophie différente, celle d’un projet qui doit être exposé et démontré par les demandeurs. Le Conseil d’Etat relève ainsi la cohérence d’ensemble du nouveau dispositif prévu par le projet de loi et estime qu’aucun obstacle juridique ne s’oppose à ce qu’un projet d’AMP puisse faire l’objet d’un refus par le médecin, après concertation avec l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire, ou d’un ajournement s’il estime qu’un délai de réflexion supplémentaire est nécessaire. Il souligne toutefois que cette disposition, qui confère au médecin le pouvoir de refuser ou de différer la pratique de l’AMP, est de nature à créer un contentieux contre ces décisions.
13. Le projet autorise l’accès des couples de femmes, mariées ou non, et des femmes non mariées à l’assistance médicale à la procréation. Le Conseil d’Etat constate que si le dispositif retenu est ouvert à toute femme, quelle que soit sa situation, il est nécessaire de préciser que la femme menant seule un projet d’assistance médicale à la procréation ne peut être mariée, afin d’éviter tout effet de ce projet sur son conjoint qui n’y aurait pas pris part, notamment en matière de filiation par le jeu de la présomption de paternité du mari. Le Conseil d’Etat estime qu’en l’absence d’obstacle juridique, le choix opéré relève de l’appréciation souveraine du législateur.
14. La condition d’accès à l’assistance médicale à la procréation tenant à l’âge de ses bénéficiaires est maintenue et renforcée par le renvoi à un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de l’Agence de la biomédecine, pour fixer les conditions d’âge requises, ce qui est de nature à sécuriser le dispositif et à éviter des contentieux. Le Conseil d’Etat précise que les conditions d’âge ainsi fixées devront prendre en compte, outre les risques médicaux de la procréation liés à l’âge, la place des enfants à naître dans les générations familiales. Il préfère cette dernière expression, qui lui paraît à la fois soucieuse de la situation de l’enfant et suffisamment précise et éclairante pour guider le pouvoir réglementaire, à celle d’intérêt de l’enfant, difficile à manier lorsqu’il s’agit d’envisager, de manière générale et abstraite, la situation d’enfants qui ne sont pas encore conçus.
15. Par ailleurs, le texte maintient également la condition tenant au fait d’être en vie au moment de la réalisation de l’AMP, ce qui écarte toute possibilité de recourir à l’AMP à l’aide des gamètes d’un homme décédé ou des embryons conservés par un couple dont l’homme est décédé. Cette situation aboutit à ce qu’une femme dont l’époux est décédé doive renoncer à tout projet d’AMP avec les gamètes de ce dernier ou les embryons du couple, alors qu’elle sera autorisée à réaliser une AMP seule, avec tiers donneur. Le Conseil d’Etat estime qu’il est paradoxal de maintenir cette interdiction alors que le législateur ouvre l’AMP aux femmes non mariées. Certes le principe d’égalité n’est pas méconnu dès lors que la femme seule et la femme dont le conjoint ou le concubin est décédé sont placées dans des situations différentes, notamment au regard de leur capacité à consentir librement à une AMP et au regard de la filiation de l’enfant. Dans un souci de cohérence d’ensemble de la réforme, le Conseil d’Etat recommande cependant au Gouvernement d’autoriser le transfert d’embryons et l’insémination post mortem, dès lors que sont remplies les deux conditions suivantes : d’une part une vérification du projet parental afin de s’assurer du consentement du conjoint ou concubin décédé ; d’autre part un encadrement dans le temps (délai minimal à compter du décès et délai maximal) de la possibilité de recourir à cette AMP.
16. En ce qui concerne le champ des techniques d’AMP autorisées en France, seule l’autorisation du double don de gamètes envisagée par le projet vient le modifier. Alors que la loi actuelle n’autorise la conception d’un embryon qu’avec les gamètes d’au moins l’un des membres du couple, le texte envisage de permettre la conception d’un embryon, dans le cadre d’un projet d’AMP, avec des gamètes exclusivement issus du don. Le Conseil d’Etat estime que cette autorisation est juridiquement possible et rappelle que la mise en œuvre de l’AMP demeure soumise à l’obligation de privilégier les pratiques et procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés.
La prise en charge de l’AMP par la sécurité sociale
17. Enfin, le projet étend aux couples de femmes et aux femmes non mariées la possibilité d’une prise en charge de l’assistance médicale à la procréation par la sécurité sociale dans les mêmes conditions que pour les couples composés d’un homme et d’une femme, c’est-à-dire avec une limitation ou une exonération du ticket modérateur. Cette option instaure ainsi un traitement égalitaire entre toutes les personnes bénéficiaires de la protection universelle maladie, ayant recours à une AMP, ce qui apparaît conforme au principe d’égalité devant la protection sociale comme au principe de solidarité dont l’étude du Conseil d’Etat de 2018 a rappelé qu’il constituait l’un des trois principes fondateurs du modèle bioéthique français, avec les principes de dignité et de liberté. Au demeurant, il a été relevé dans une étude réalisée par l’Agence de la biomédecine (Encadrement international de la bioéthique, actualisation 2016) que les modalités de prise en charge de l’AMP étaient de nature à influer significativement sur la demande d’AMP, une loi plus restrictive à cet égard en Allemagne ayant provoqué une chute du nombre de cycles pratiqués dans ce pays. Enfin, l’étude d’impact produite par le Gouvernement évalue entre 10 et 15 millions d’euros le coût total annuel de la prise en charge par la solidarité nationale de l’accès à l’AMP des couples de femmes et des femmes non mariées, ce qui représenterait 5% du coût total actuel de l’AMP, lequel s’élève à environ 300 millions d’euros.
Don et autoconservation de gamètes
18. Le projet de loi modifie les conditions relatives au don de gamètes. Il propose tout d’abord de ne plus subordonner un tel don au consentement de l’autre membre du couple lorsque le donneur vit en couple. La disposition qui fait de ce don un choix strictement personnel ne se heurte à aucune difficulté juridique. Le projet supprime ensuite le dispositif permettant à un donneur de gamètes de conserver, pour son utilisation personnelle ultérieure, une petite partie des gamètes prélevés pour le don. Le Conseil d’Etat y est favorable, un tel dispositif, dont l’Académie de médecine a estimé qu’il était « médicalement et éthiquement inacceptable » (Bulletin de l’Académie nationale de médecine, Rapport « La conservation des ovocytes », 2017, tome 201, n° 4 à 6), introduisant une contrepartie au don, en méconnaissance du principe de gratuité du don.
19. Enfin, le projet autorise ce qu’il est convenu de dénommer l’autoconservation de gamètes. Il s’agit notamment de permettre aux femmes d’y recourir, sous certaines conditions tenant notamment à l’âge, aux fins de mener à bien ultérieurement et personnellement un projet d’AMP. Le Conseil d’Etat considère que cette autorisation est juridiquement possible. Il constate que les conditions de sa mise en œuvre prévues par le texte visent à s’assurer que les bénéfices attendus de cette pratique sont supérieurs aux risques qu’elle induit, dans un souci d’équilibre et de respect de l’ensemble des intérêts en présence, en premier lieu de celui des femmes, souvent conduites à renoncer à leur projet de maternité en raison de l’allongement des cycles de vie. L’autoconservation de gamètes ne pourra être réalisée que dans des établissements publics de santé et des établissements privés à but non lucratif, dans le cadre du service public hospitalier. Les frais afférents aux traitements initiaux et au prélèvement des gamètes seront pris en charge dans les conditions du droit commun par la sécurité sociale, les frais de conservation des gamètes demeurant à la charge de la personne, ce qui ne se heurte à aucun obstacle de nature juridique.
Droit d’un enfant conçu dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation par recours à un tiers donneur d’accéder à ses origines
Les deux versions de l’article proposées par le Gouvernement
20. Le Conseil d’Etat a été saisi, comme cela a été dit, de deux versions alternatives de l’article 3 du projet de loi, numérotées 3 et 3bis, portant sur le droit d’un enfant issu d’un don de gamètes ou d’embryon d’accéder à ses origines. L’article 3 prévoit que tout donneur consent, avant même de procéder au don, à ce que l’enfant accède, à sa majorité, s’il le demande, à des données non identifiantes ou à son identité. L’article 3bis établit le même dispositif s’agissant des données non identifiantes mais subordonne l’accès de l’enfant à l’identité du donneur à la condition que ce dernier y consente au moment où l’enfant, devenu majeur, en fait la demande.
21. Le Conseil d’Etat considère en premier lieu qu'aucune des deux versions ne se heurte à un obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle. Il rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme juge que le droit à une vie privée et familiale garanti par le §1 de l’article 8 de la Convention comprend notamment la faculté d’établir « les détails de son identité d’être humain » (CEDH, 7 février 2002, Mikulic c. Croatie, n°53176/99, § 54 ; CEDH, 13 février 2003, Odièvre c. France, n°42326/98, § 29 ; CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c. France, n°65192/11, § 46 ; CEDH, 19 juillet 2016, Calin c. Roumanie, n°25057/11, § 83 ; voir aussi CEDH, 7 juillet 1989, Gaskin c. Royaume-Uni, n°10454/83 ;), ce qui inclut le droit à « connaître ses origines » (CEDH, 16 juin 2011, Pascaud c. France, n°19535/08, § 65 ; décision rendue à propos de l’accouchement sous X).
En outre, si dans un avis contentieux du 13 juin 2013 (CE, 13 juin 2013, n°362981), le Conseil d’Etat a estimé : « qu’en interdisant la divulgation de toute information sur les données personnelles d’un donneur de gamètes, le législateur a établi un juste équilibre entre les intérêts en présence et que, dès lors, cette interdiction n’est pas incompatible avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », il a précisé qu’il n’appartenait « qu’au seul législateur de porter, le cas échéant, une nouvelle appréciation sur les considérations d’intérêt général à prendre en compte et sur les conséquences à en tirer » (Voir également CE, 12 novembre 2015, n°372121, Cts 4 à 9 ; 28 décembre 2017, n° 396571, §2 à 6).
22. Par ailleurs, les dispositions des deux versions du projet ne méconnaissent pas le principe d’anonymat du don prévu par l’article 16-8 du code civil. En effet, ce principe demeure garanti entre donneur et receveur, au moment du don, seul l’enfant étant titulaire du droit d’accéder à ses origines et susceptible de l’exercer, s’il le souhaite, à sa majorité, dans les conditions prévues par chacune des versions du texte. A cet égard, le projet ajoute un article 16-8-1 dans le code civil afin de préciser que ce droit ne s’oppose pas au principe d’anonymat du don. En outre, il modifie l’article 511-10 du code pénal relatif à l’infraction tenant à la divulgation de l’identité du donneur ou du receveur, afin d’écarter l’exercice du droit d’accès aux origines du champ de cette infraction. Le Conseil d’Etat considère que ces dispositions clarifient la distinction à opérer entre anonymat du don et droit d’accès aux origines.
23. Le Conseil d’Etat constate que le projet de loi veille, par ailleurs, à maintenir l’impossibilité d’établir tout lien de filiation entre le donneur et l’enfant.
24. Le Conseil d’Etat rappelle que le législateur a, jusqu’ici, limité l’accès de l’enfant issu d’un don aux seules informations médicales concernant le donneur en raison de « considérations d’intérêt général (…), notamment la sauvegarde de l’équilibre des familles et le risque majeur de remettre en cause le caractère social et affectif de la filiation, le risque d’une baisse substantielle des dons de gamètes, ainsi que celui d’une remise en cause de l’éthique qui s’attache à toute démarche de don d’éléments ou de produits du corps » (CE, 28 décembre 2017, n°396571, §6). Ainsi, la question de l’accès aux origines et de ses modalités, implique de parvenir à un juste équilibre entre le droit de l’enfant au respect de sa vie privée, lequel pourrait impliquer le fait d’être en mesure d’accéder à certaines informations sur le donneur, le droit au respect de la vie privée et familiale du donneur, l’équilibre de la famille de l’enfant issu du don et le maintien d’une quantité suffisante de dons de gamètes. Les deux versions soumises au Conseil d’Etat hiérarchisent différemment les garanties apportées respectivement à l’enfant et au donneur.
25. L’article 3, qui ouvre l’accès à l’identité du donneur à la majorité de l’enfant, écarte pour les enfants issus d’un don toute différence tenant à la décision du donneur. Cette version, qui repose sur un consentement irrévocable, est de nature à sécuriser l’enfant qui saura qu’à sa majorité, il pourra, s’il le souhaite, connaître l’identité du donneur. En revanche, ce même caractère irrévocable du consentement, requis au moment du don, peut décourager les donneurs ou à tout le moins avoir un impact, difficile à anticiper, sur les dons de gamètes. A titre d’exemple, l’étude d’impact produite par le gouvernement met en évidence qu’en Suède, en Australie, en Finlande et au Royaume-Uni, l’ouverture d’un tel droit a conduit à une baisse ponctuelle des dons. Une augmentation de ceux-ci quelques mois ou années plus tard, estimée à 6% pour la Suède et à 100% pour le Royaume-Uni a été constatée. Mais le risque demeure.
26. L’article 3 bis, qui subordonne l’accès à l’identité du donneur à un accord de celui-ci au moment où l’enfant en fait la demande, permet au donneur de pouvoir exprimer un consentement à la lumière de ce que sera alors sa vie. Il préserve donc davantage son droit au respect de la vie privée et familiale. En revanche, cette solution conduit à soumettre l’enfant à un aléa. Ainsi, certains enfants issus du don auront accès à l’identité de leur donneur, d’autres non, alors même que les problèmes d’identité souvent rencontrés au cours de l’adolescence peuvent rendre cette quête nécessaire.
La solution recommandée par le Conseil d’Etat
27. Le Conseil d’Etat estime que l’article 3bis ménage au total un plus juste équilibre des intérêts en présence. D’une part, le dispositif améliore en tout état de cause l’accès de l’enfant à ses origines puisqu’il pourra, dans tous les cas et s’il le souhaite, avoir accès à des informations non identifiantes sur le donneur. Il pourra aussi avoir accès à l’identité du donneur si celui-ci y consent. D’autre part, il protège davantage le donneur en lui permettant d’exprimer son consentement ou son refus dans un contexte plus propice à une décision éclairée, celui né de sa vie privée et familiale telle qu’elle est constituée au moment où se fait la demande d’accès aux origines. Enfin, la solution est de nature à mieux prévenir le risque de décourager le don qui doit rester un acte gratuit et utile pour la collectivité. Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil d’Etat recommande de choisir la solution proposée à l’article 3bis.
La procédure
28. Avant même de procéder au don, le donneur exprime son consentement à l’accès de l’enfant, lorsqu’il sera devenu majeur et s’il le demande, à des informations non identifiantes. Il est informé par ailleurs que la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur pourra, à la majorité de l’enfant issu de son don si celui-ci en fait la demande, le contacter pour lui demander s’il consent à ce que cet enfant accède à son identité.
29. Le texte prévoit une procédure rigoureuse et protectrice, depuis le don jusqu’à l’accès de l’enfant à ses origines. Le médecin recueille, au moment du don, l’identité du donneur et des informations non identifiantes le concernant. Ces dernières informations ont vocation à permettre à l’enfant de se forger une image du donneur, notamment dans l’hypothèse où le donneur ne souhaiterait pas que l’enfant accède à son identité. L’ensemble de ces données sont ensuite transmises à l’Agence de la biomédecine, responsable de leur traitement. Par ailleurs, à la naissance de l’enfant, les informations sur celui-ci sont également transmises à l’Agence de la biomédecine, dans des conditions prévues par décret, afin de permettre l’appariement entre le donneur et l’enfant dans le traitement de données. Le texte prévoit que celles-ci sont conservées pendant une durée minimale de 80 ans, afin de ménager la possibilité pour l’enfant d’accéder aux informations relatives au donneur même à un âge avancé, dans des conditions garantissant leur sécurité, leur intégrité et leur confidentialité. Seule l’Agence de la biomédecine a accès au traitement.
30. Le Conseil d’Etat estime que la consultation de la CNIL sur ce projet de loi est obligatoire tant sur le fondement du a) du 4° du I de l’article 8 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 que sur celui du 4 de l’article 36 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD). En effet, le projet prévoyant que le traitement sera placé sous la responsabilité de l’Agence de la biomédecine, que les données seront conservées pendant une durée limitée et adéquate ne pouvant être inférieure à quatre-vingts ans et qu’il garantit la sécurité, l’intégrité et la confidentialité des données conservées, le Conseil d’État considère que le projet de loi prévoit le traitement dans certaines de ses caractéristiques essentielles au sens de la jurisprudence (CE, Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, 20 juin 2018, n° 408185 et 408192).
La CNIL a été consultée et a rendu son avis le 11 juillet 2019. Cet avis fait part de ce que les données dites non identifiantes sont en réalité susceptibles d’être indirectement identifiantes et suggère que les donneurs en soient clairement informés. Le Conseil d’État estime que ce risque doit être évalué dans l’analyse d’impact qui sera réalisée et faire l’objet d’un encadrement par les dispositions réglementaires.
31. Le projet de loi crée une commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur. Il en fixe la composition et les missions. Pour chaque demande formée par un enfant majeur issu du don, la commission s’adresse à l’Agence de la biomédecine qui lui transmet les informations non identifiantes demandées extraites du traitement. Si la demande de l’enfant porte sur l’accès à l’identité du donneur, la commission contacte le donneur et recueille son consentement à cet accès. Dans cette hypothèse, l’Agence de la biomédecine transmet à la commission, à sa demande, l’identité du donneur, cette dernière la communiquant alors à l’enfant. Le Conseil d’Etat estime que la création de cet interlocuteur unique, qui s’assure notamment de retrouver les donneurs et de leur demander leur consentement à l’accès de l’enfant majeur à leur identité, est de nature à faciliter l’exercice du droit de l’enfant et à garantir la lisibilité et la sécurité du dispositif.
Le texte prévoit en outre qu’en cas de décès du donneur, l’enfant peut accéder à son identité si celui-ci a exprimé son accord de son vivant.
Application dans le temps
32. Enfin, le projet prévoit un dispositif d’application dans le temps dont le Conseil d’Etat considère qu’il est de nature à garantir le respect du consentement du donneur, ce qui suppose de s’assurer qu’aucun donneur ne soit exposé au risque que son identité, ou des informations non identifiantes le concernant, soient révélées sans qu’il y ait préalablement consenti. Ainsi, un an après la promulgation de la loi, les nouveaux donneurs consentiront, selon les nouvelles modalités prévues par le texte, à l’accès de l’enfant à des informations non identifiantes. Les premières tentatives d’AMP réalisées à l’aide de ces nouveaux dons débuteront à une date ultérieure, fixée par décret.
A cette même date, le texte prévoit qu’il est mis fin à la conservation des gamètes et des embryons conservés en vue du don provenant de dons intervenus avant l’entrée en vigueur de la loi et pour lesquels les donneurs n’ont pas consenti à ce que l’enfant qui en est issu accède à des informations non identifiantes les concernant, ni à ce que la commission les contacte en cas de demande de l’enfant d’accéder à son identité. De la sorte, le dispositif a pour avantage de garantir qu’un enfant majeur ne peut accéder à une quelconque information sans le consentement exprès du donneur. Si elle suppose la destruction de gamètes et d’embryons, le Conseil d’Etat rappelle qu’il aurait, en tout état de cause, été mis fin à leur conservation en l’absence d’implantation, en application de l’article L. 2141-4 du code de la santé publique, dans sa version en vigueur. Le Conseil d’Etat estime, dès lors, que cette disposition ne se heurte à aucun obstacle juridique.
33. Enfin, il est prévu de permettre aux donneurs dont les dons sont intervenus avant l’entrée en vigueur de la loi, ainsi qu’aux enfants issus de leurs dons, de se manifester auprès de la commission afin que celle-ci permette l’accès aux origines de ces enfants dans l'hypothèse où un donneur et un enfant issu de son don auraient fait une démarche en ce sens auprès d'elle. Le Conseil d’Etat estime que ce dispositif préserve le droit au respect de la vie privée des anciens donneurs, tout en ménageant une possibilité pour les enfants issus de leurs dons de connaître leurs origines : l’équilibre ainsi atteint ne soulève pas de difficulté juridique
Etablissement de la filiation des enfants nés par recours à l’assistance médicale à la procréation.
34. L'ouverture aux couples de femmes ainsi qu'aux femmes non mariées de l'assistance médicale à la procréation (AMP) nécessite l’intervention de dispositions nouvelles régissant la filiation et ses effets en termes de dévolution du nom et d'autorité parentale, pour ce qui concerne les enfants nés dans ce cadre.
Etat du droit actuel
35. En l’état du droit, la filiation est, en vertu du Titre VII du code civil, établie, hors adoption (Titre VIII) et hors actions contentieuses (Chapitre III du Titre VII), par l’effet de la loi, par la reconnaissance ou par la possession d’état.
S’agissant des enfants nés par assistance médicale à la procréation, le législateur de 1994 et de 2004 a fait le choix de leur appliquer le système de filiation par « procréation naturelle » selon le modèle dit « de la vraisemblance biologique », adapté afin de sécuriser la filiation de l’enfant né dans ce cadre. En vertu des articles 311-19 et 311-20 du code civil, les époux ou concubins ayant recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur doivent exprimer leur consentement préalable devant un notaire. Ce consentement interdit toute remise en cause de la filiation au moyen d'une action en établissement ou en contestation, à moins qu'il ne soit soutenu que l'enfant n'est pas le fruit de l’assistance médicale à la procréation, ou bien que le consentement a été privé d'effet.
La filiation de l'enfant est ainsi obligatoirement établie à l'égard du couple ayant consenti à l’assistance médicale à la procréation : la maternité de la mère par l’accouchement ; la paternité du mari par le jeu de la présomption de paternité ; la paternité de l’homme non marié par la reconnaissance de l’enfant. La sécurisation du lien de filiation est également assurée par l'anonymat du donneur, ainsi que par l'exclusion d’un lien de filiation entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation.
Les deux options présentées par le projet de loi
36. La réforme rendue nécessaire par l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes non mariées repose sur la création d’un nouveau mode d’établissement de la filiation par déclaration de volonté d’être parent, fondé sur le consentement conjoint des membres du couple ou de la femme non mariée à recourir à l’assistance médicale à la procréation, ainsi que sur leur engagement écrit à devenir parents de l’enfant à naître. Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a été saisi de deux versions alternatives du projet de loi, numérotées respectivement article 4 et article 4 bis.
Première option (article 4)
37. La première option, proposée par l’article 4 du projet, institue une filiation par déclaration de volonté pour tous les couples ayant recours à l’assistance médicale à la procréation ainsi que pour les femmes non mariées.
Un Titre VII bis nouveau du code civil intitulé « De la filiation par déclaration anticipée de volonté » est créé dans le Livre Ier du code civil après le Titre VII.
Les couples ou la femme non mariée qui recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur doivent préalablement donner, dans des conditions garantissant le secret, leur consentement à un notaire qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation ainsi que de la possibilité pour l’enfant majeur issu de la procréation médicalement assistée d’accéder à ses origines personnelles dans les conditions prévues par le code de la santé publique. Dans le même temps, les membres du couple agissant conjointement ou la femme agissant seule déclarent par écrit devant le notaire leur volonté de devenir parent de l’enfant issu de la procréation médicalement assistée.
Le consentement donné par le couple et la déclaration anticipée de volonté de devenir parent, qui sont des actes établis en la forme authentique par le notaire, interdisent toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation, à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement ou la déclaration ont été privés d’effet, à la suite du décès, du dépôt d’une demande en divorce ou en séparation de corps, en cas de signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps ou de cessation de la vie commune avant la réalisation de l’insémination ou le transfert de l’embryon.
La filiation est établie à l'égard de la mère du fait de l'accouchement et de la déclaration anticipée de volonté. Elle est également automatiquement établie à l'égard de l'autre parent, auteur conjoint de la déclaration anticipée de volonté par remise de cette déclaration à l’officier d’état civil qui en porte la mention sur l'acte de naissance. La filiation ainsi établie est assortie du principe d’interdiction d’en établir une avec le donneur.
Le projet prévoit les règles de choix et de dévolution du nom, selon des modalités comparables à ce qui est prévu au titre VII ainsi que pour la filiation adoptive au titre VIII : choix du nom de famille au moment de la déclaration de naissance, par les deux parents désignés dans la déclaration anticipée de volonté qui opteront soit pour le port du nom de l'un d'entre eux, soit pour celui de leurs deux noms accolés dans l'ordre qu'ils souhaitent, mais dans la limite d'un nom par parent. A défaut d’accord, l’officier d’état civil retiendra le nom de chacun des parents dans l’ordre alphabétique.
Seconde option (article 4 bis)
38. La seconde option, envisagée à l’article 4 bis, institue une filiation par déclaration de volonté pour les seuls couples de femmes ayant recours à la procréation médicalement assistée.
Le mode d’établissement de la filiation des enfants nés dans le cadre d’un couple composé d’un homme et d’une femme ayant eu recours à l’assistance à la procréation médicalement assistée demeure régi par les dispositions du Titre VII du code civil (consentement à l’AMP, présomption de paternité du mari, reconnaissance par le père biologique non marié). Ces dispositions s’appliquent aussi à la femme non mariée ayant recours à la procréation médicalement assistée, dans la mesure où elles sont propres à régir sa situation.
Place des nouvelles dispositions dans le code civil
39. Le Conseil d’Etat s’interroge en préalable sur la nécessité de créer, dans le Livre Ier du code civil, après le Titre VII « De la filiation », un Titre VII bis « De la filiation par déclaration anticipée de volonté », regroupant, selon les options, l'ensemble des cas de procréation par assistance médicale avec tiers donneur, ou ne traitant que de la situation des couples de femmes. Il lui apparaît toutefois que l'introduction dans le Titre VII du code civil des règles régissant l'établissement de la filiation des enfants de couples de femmes serait source de difficultés dans la mesure où l’ensemble de ce titre est construit par référence au modèle de la vraisemblance biologique et de l’altérité sexuelle des parents : il aurait donc nécessité un nombre important de modifications et de dérogations. Le Conseil d'Etat n'émet par suite pas d'objection à la création d'un Titre VII bis nouveau s’appliquant, selon le choix qui sera opéré entre les articles 4 et 4 bis, à l'ensemble des couples et personnes ayant recours à l'AMP, ou aux seuls couples de femmes.
Analyse commune des deux options
40. Le Conseil d’Etat considère qu’aucune des deux versions ne se heurte à un obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle, dans un domaine, celui de la filiation et du droit de la famille, où la compétence la plus large est reconnue au législateur.
Si, en matière de filiation, le principe d’égalité exige que tous les enfants aient les mêmes droits, sous réserve des dispositions spécifiques à l’adoption simple, autrement dit que tous les modes de filiation produisent les mêmes effets, ce même principe n’impose pas que tous les enfants se voient appliquer le même mode d’établissement de la filiation, à condition que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec la loi qui l’établit (CC, 17 mai 2013, n° 2013-669 DC, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ; CEDH, Boeckel et Gessner-Boeckel c/ Allemagne,19 février 2013, n° 8017/11). Cette exigence constitutionnelle et conventionnelle est en l’espèce satisfaite dans la mesure où le projet complète le titre liminaire du code civil par un article 6-2, applicable quelle que soit l’option qui sera finalement retenue, dont l’objet est de poser le principe selon lequel tous les enfants, sans distinction, dont la filiation est légalement établie ont dans leurs rapports avec leurs parents les mêmes droits et les mêmes devoirs, sous réserve des dispositions relatives à l’adoption simple. Ce même article indique que la filiation fait entrer l’enfant dans la famille de chacun de ses parents. Tous les enfants nés par assistance médicale à la procréation seront ainsi placés à égalité de droits et de devoirs, que leur filiation soit établie par l’effet de la volonté, ou par la vraisemblance biologique.
Mais le principe d’égalité n’impose pas, sous les réserves énoncées plus haut, un mode d’établissement de la filiation plutôt qu’un autre. Pris sous l’angle de la situation des couples, ceux composés d’un homme et d’une femme et ceux composés de deux femmes ne sont pas placés dans la même situation au regard de la procréation, ce qui peut justifier un mode d’établissement différent de la filiation dans l’un et l’autre cas. Pris sous l’angle de la situation des enfants nés d’un projet parental dans le cadre de l’AMP avec tiers donneur et donc nés selon le même mode de conception, ceux-ci ne se trouvent cependant pas placés dans la même situation au regard de la vraisemblance biologique de leur filiation, selon que le projet parental a été formé dans le cadre d’un couple composé d’un homme et d’une femme, ou de celui composé de deux femmes.
Le Conseil d’Etat estime par suite que le principe d’égalité ne commande pas de choisir, entre les deux options, la solution proposée par l’article 4.
S’agissant de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est de disposer d’une certitude juridique sur son état et de grandir dans un cadre familial stable, le Conseil d’Etat observe que les deux versions sécurisent juridiquement la filiation de manière égale et certaine. Celle-ci est dans les deux cas simultanément établie à l’égard des deux parents lorsqu’il a été recouru à la procréation médicalement assistée dans le cadre d’un couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes. S’agissant des femmes non mariées agissant seules, le recours à l’AMP ne fait pas obstacle à l’établissement ultérieur d’une deuxième filiation de l’enfant par la reconnaissance ou l’adoption plénière.
Avantages et inconvénients de la solution proposée à l’article 4
41. Le Conseil d’Etat observe que la version de l’article 4 du projet de loi, qui unifie l’établissement de la filiation par recours à la déclaration anticipée de volonté dans tous les cas où il est recouru à l’AMP avec tiers donneur, organise un régime cohérent et accessible dans sa compréhension en faisant correspondre un mode d’établissement de la filiation à un mode particulier de procréation par recours à un tiers donneur, que le couple soit formé d’un homme ou d’une femme, de deux femmes ou que le projet parental soit celui d’une femme non mariée. Les enfants nés du même processus de procréation sont tous placés dans la même situation de connaissance de leur mode de conception et d’accès éventuel à la connaissance de leurs origines à leur majorité.
Le Conseil d’Etat relève cependant que cette option supprime la possibilité pour les couples de sexe différent ayant recours à un tiers donneur pour procréer d'établir leur lien de filiation selon les modes classiques et leur impose une procédure nouvelle de déclaration anticipée de volonté, alors que rien ne vient juridiquement justifier une modification de leur situation, dès lors que le droit existant sait régler la filiation des enfants nés par recours à un tiers donneur dans un couple composé d’un homme et d’une femme. Par ailleurs, la déclaration anticipée de volonté apparaissant sur l’acte de naissance de tous les enfants nés par AMP, le projet fait prévaloir à l’égard des couples formés d’un homme et d’une femme le droit des enfants à connaître leurs origines, sur la liberté des parents de choisir ou non de révéler le mode de conception et, si oui, à quel moment. Or le principe de la révélation de cette vérité d’ordre intime et privé ainsi que le choix du moment et des modalités de l’information de l’enfant peuvent être regardés comme étant de la responsabilité des parents tant que l’enfant est mineur. Cette option conduit aussi, pour l’enfant et tout au long de sa vie, à révéler à tous les tiers qui auront à connaître de son acte de naissance, une vérité d’ordre intime qui ne leur est actuellement pas accessible.
Cette option est aussi susceptible de créer une différence de situation entre enfants nés de mêmes parents de sexe différent dans une même fratrie, en raison du mode selon lequel ils ont été conçus (procréation médicalement assistée ou procréation charnelle). Cette différence, sans constituer une rupture d’égalité, est néanmoins susceptible d’être qualifiée de trouble excessif dans la vie privée des enfants, des parents et de la famille.
Elle conduit également à distinguer sans raison majeure, au sein des couples formés d’un homme et d’une femme recourant à l’AMP, d’une part, ceux ayant eu besoin d’un don de gamètes, d’autre part, ceux dont la pathologie est surmontable par des techniques d’AMP endogènes.
La solution recommandée par le Conseil d’Etat : l’article 4 bis
42. Ces dernières considérations, ainsi que celles qui suivent, conduisent le Conseil d’Etat à retenir l’option figurant à l’article 4 bis du projet, qui tire la conséquence nécessaire et suffisante de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes : celle de la création d’un droit pour ces femmes d’établir simultanément et conjointement une filiation avec l’enfant qu’elles ont souhaité en formant ensemble un projet de parentalité, sans étendre aux couples formés d’un homme et d’une femme ou aux femmes non mariées l’innovation majeure que représente l’introduction dans le droit de la filiation d’une parentalité par effet de la volonté.
Elle préserve le cadre actuel de l’établissement de la filiation pour les couples composés d’un homme et d’une femme et leur liberté dans le choix de révéler ou de ne pas révéler à leur enfant son mode de conception. Elle assure un même traitement des couples de sexe différent, qu’ils aient eu recours ou non à un tiers donneur, ainsi que de la situation des enfants nés de ces couples.
Si, en conséquence de cette option, les enfants nés dans le cadre d’un couple de femmes sont désignés par un mode de filiation spécifique avec leurs parents au sein d'un titre dédié du code civil, le Conseil d'Etat note que cet état du droit se justifie par une différence objective de situation : la référence à une vraisemblance biologique leur est inapplicable. Cette différence de situation est en rapport avec l’objet de la loi qui est de tirer toutes les conséquences de la possibilité reconnue à un couple de femmes de poursuivre un projet parental. A cet égard, l’existence d’une double filiation maternelle et d’une impossibilité pour l’enfant de faire établir sa filiation paternelle n’apparaît pas contraire à l’intérêt supérieur de celui-ci qui est, ainsi qu’il a été dit, de disposer d’une certitude juridique sur son état et de grandir dans un cadre familial stable.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil d’Etat retient la solution proposée à l’article 4 bis. Elle est, en premier lieu, conforme au droit, et en particulier aux exigences qui découlent du principe d’égalité. Elle tire, en deuxième lieu, toutes les conséquences nécessaires, mais seulement nécessaires, de l’extension proposée dans l’accès à l’AMP, sans rien retirer à la liberté de choix, qui relève du droit au respect de la vie privée et familiale, des couples composés d’un homme et d’une femme de révéler ou pas, au moment qu’ils choisissent, à leur enfant le mode de conception de celui-ci. Elle construit, en troisième lieu, un équilibre plus satisfaisant et plus respectueux des intérêts en présence, de nature à favoriser l’acceptation de la réforme.
Don croisé d’organes
43. Le projet de loi entend favoriser le développement du don croisé d’organes, pratique consistant à permettre à un receveur de bénéficier du don d’organe d’un de ses proches, non pas pour lui-même, mais au profit d’un autre receveur dont le proche donnera son organe au premier receveur. Ce don croisé permet de pallier les fréquentes incompatibilités médicales entre un receveur et son proche qui a exprimé son souhait de lui donner un organe. Devant le constat du faible développement de cette pratique, seules dix greffes étant intervenues dans le cadre d’un don croisé entre 2014 et 2016, le Gouvernement souhaite augmenter de deux à quatre le nombre de paires, composées d’un donneur et d’un receveur, susceptibles de participer à un même don croisé. En outre, il envisage de préciser que l’ensemble des opérations de prélèvement associées à un même don croisé, soit quatre prélèvements en cas de don intervenant entre quatre paires, se déroule sur une période de vingt-quatre heures, et non plus de façon simultanée. Enfin, il permet, dans ce même cadre, le recours à un prélèvement sur donneur décédé lorsqu’une incompatibilité pourrait compromettre l’ensemble des opérations. Le Conseil d’Etat estime que de telles dispositions, qui concourent à un objectif de protection de la santé, ne se heurtent à aucun obstacle juridique dès lors que le code de la santé publique prévoit des garanties suffisantes en matière de consentement des donneurs, que le nouveau cadre temporel de réalisation des opérations est de nature à en préserver le bon déroulement pour l’ensemble de la chaîne et que l’intervention d’un prélèvement sur donneur décédé est nécessaire, dans certaines circonstances, à la réussite des dons croisés au bénéfice des receveurs intéressés comme de l’ensemble des personnes en attente de greffe.
Don de cellules souches hématopoïétiques par un mineur ou un majeur protégé au bénéfice de ses parents
44. Le projet de loi envisage de permettre le don de cellules souches hématopoïétiques prélevées dans la moelle osseuse d’un mineur ou d’un majeur protégé ainsi que le don de telles cellules prélevées dans le sang périphérique d’un majeur protégé au profit de leurs père et mère. Actuellement, ce don est autorisé, en l’absence d’autre solution thérapeutique, au seul bénéfice du frère ou de la sœur et, à titre exceptionnel, des cousins germains, des oncles et tantes et des neveux et nièces. Dans un contexte où les donneurs compatibles sont rares et où l’intérêt de la greffe peut être vital pour le receveur, le projet du Gouvernement poursuit des finalités légitimes.
Le Conseil d’Etat s’assure, en premier lieu, que les modalités d’expression du consentement du mineur et du majeur protégé en garantissent l’intégrité. Le texte prévoit, pour le mineur, qu’il est représenté par un administrateur ad hoc et que le prélèvement est autorisé judiciairement, après avis rendu par un comité d’experts, composé notamment de médecins et de psychologues. S’agissant du majeur protégé, le texte prévoit la désignation d’un administrateur ad hoc. Il rend nécessaire, dans certains cas, une autorisation judiciaire de prélèvement, dans d’autres, un recueil du consentement par le juge suivi d’une autorisation rendue par un comité qui appréciera la faculté du majeur à exprimer un consentement. Le Conseil d’Etat estime que le texte apporte ainsi des garanties suffisantes, dès lors qu’il prévoit non seulement la désignation d’un administrateur ad hoc pour représenter le mineur, s’agissant d’une situation de nature à faire naître un conflit d’intérêt d’une rare intensité, mais également une intervention judiciaire pour autoriser le prélèvement.
Il estime, en second lieu, que le projet de loi n’est pas incompatible avec l’article 20 de la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine) du 4 avril 1997, dite Convention d’Oviedo, ratifiée par la France le 13 décembre 2011, qui n’autorise le prélèvement de tissus et d’organes sur un mineur qu’au bénéfice de son frère ou de sa sœur. Il note que l’article 15 du protocole additionnel à la Convention relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine du 24 janvier 2002, signé mais non ratifié par la France, écarte expressément le prélèvement de cellules du champ de cette interdiction prévue par l’article 20 de la Convention « dès lors qu’il est établi que leur prélèvement n’implique pour le donneur qu’un risque minimal et une contrainte minimale », ce qui est le cas des prélèvements envisagés. Au vu de l’analogie qui précède, le Conseil d’Etat estime que le projet de loi ne se heurte à aucun obstacle juridique d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
Consentement des majeurs protégés en matière de don d’organe ou de tissu, cellules et produits du corps humain
45. Le projet de loi prévoit des mesures de coordination en matière de consentement des majeurs protégés. Il distingue les majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation à la personne, lesquels sont soumis à des régimes dérogatoires et protecteurs, des autres majeurs protégés, notamment ceux qui bénéficient d’une simple mesure d’assistance à la personne, soumis au droit commun. Toutefois, s’agissant du prélèvement d’organes post-mortem, le texte prévoit que l’ensemble des majeurs, protégés ou non, seront soumis au même régime de droit commun de consentement présumé, sauf expression d’un refus exprès, principalement par inscription sur le registre national automatisé prévu à cet effet. Le Conseil d’Etat précise à cet égard que lorsque l’état de la personne protégée ne lui permet pas de prendre seule une décision personnelle éclairée, le juge ou le conseil de famille, s’il a été constitué, peut prévoir qu’elle bénéficie pour l’ensemble des actes relatifs à sa personne, notamment pour l’expression d’un refus de prélèvement d’organe, de l’assistance de la personne chargée de sa protection. Il estime, dès lors, que la mesure prend suffisamment en compte la nécessité de protéger les personnes vulnérables.
Accès aux informations résultant d’un examen des caractéristiques génétiques d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté ou décédée
46. Le projet de loi entend faciliter l’accès de tiers potentiellement concernés à des informations résultant d’un examen des caractéristiques génétiques d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté ou décédée.
Il propose tout d’abord, s’agissant des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté pour lesquelles l’état du droit ne permet l’examen de leur caractéristiques génétiques que dans leur intérêt propre, d’étendre la possibilité de réaliser ces examens lorsque l’intérêt, d’ordre médical, des membres de leurs familles le justifie. Le Conseil d’Etat estime que cette disposition, qui s’accompagne des garanties visant à concilier la protection du secret médical et le respect de la vie privée avec la protection de la santé, ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel. Elle ne soulève pas plus de difficultés d’ordre conventionnel, au regard notamment de l’article 13 du Protocole additionnel à la Convention européenne sur les droits de l'homme et la biomédecine, dite convention d'Oviedo, du 4 avril 1997 qui autorise, de manière dérogatoire, les examens génétiques réalisés sur des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté.
Le projet de loi introduit ensuite deux dispositions nouvelles relatives aux personnes décédées. Il autorise, en premier lieu, la réalisation d’un examen des caractéristiques génétiques d’une personne décédée lorsqu’un médecin suspecte une anomalie génétique pouvant être responsable, pour les membres de sa famille, d’une affection grave justifiant des mesures de prévention ou de soins. Ces examens, qui ne peuvent se faire qu’à partir d’échantillons prélevés ou conservés, sont insusceptibles de justifier une exhumation de la personne décédée. En outre, il doit être, au préalable, recherché l’absence d’opposition, du vivant de la personne, à la réalisation de ce type d’examen, auprès de la personne de confiance éventuellement désignée, de la famille, des proches ou de la personne qui était chargée d’une mesure juridique de protection à la personne ainsi que l’accord d’au moins un membre de la famille pour la réalisation de l’examen. Le projet prévoit, enfin, l’information, par un médecin qualifié en génétique, des membres de la famille qui le souhaitent sur les résultats de l’examen.
Le projet autorise, en second lieu, le médecin qualifié en génétique à demander, dans le cadre de la prise en charge d’un patient, la communication d’informations relatives à une personne décédée dès lors qu’elles sont nécessaires à la prise en charge de son patient.
Le Conseil d’Etat considère que ces dispositions, eu égard à leurs finalités et aux garanties apportées pour assurer le respect de la volonté des personnes concernées et protéger le secret médical ainsi que la vie privée, ne se heurtent à aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle.
Examen des caractéristiques génétiques d’une personne et information des membres de sa famille
47. Le projet de loi complète le dispositif existant d’information de la parentèle, entendue comme les personnes apparentées, à un degré plus ou moins proche, à la personne dont les caractéristiques génétiques sont analysées. Il prévoit, pour la situation des personnes majeures protégées mais aussi de celles hors d’état d’exprimer leur volonté ou décédées avant l’annonce des résultats ou avant la transmission de l’information, des dispositions proches de celles applicables lorsque la personne refuse de transmettre elle-même l’information découverte lors d’un examen génétique à ses proches et fait peser l’obligation d’information sur le médecin.
Il ajoute également des dispositions à celles permettant déjà à un tiers donneur, au sens de l’article L. 2143-1 du code de la santé publique, chez lequel une anomalie génétique pouvant être responsable d’une affection grave de nature à justifier des mesures de prévention ou de soins a été diagnostiquée, d’autoriser son médecin à saisir le responsable du centre d’assistance médicale à la procréation afin qu’il procède à l’information des personnes issues du don ou de ses parents ou de son tuteur en cas de minorité de celui-ci. Les dispositions nouvelles règlent l’hypothèse inverse. Ainsi, la personne issue d’un don de gamètes ou d’un accueil d’embryon, ou ses parents ou tuteur lorsque cette personne est mineure, pourra également, en cas de découverte d’une telle anomalie génétique, autoriser son médecin à saisir le responsable du centre d’assistance médicale à la procréation afin de transmettre l’information d’un diagnostic d’une anomalie génétique au tiers donneur concerné. Enfin, ce dispositif est étendu aux enfants nés sous X et à leurs parents de naissance. Afin de garantir l’anonymat de la transmission de l’existence d’une information médicale à caractère familial, le Conseil national de l’accès aux origines personnelles est investi d’un nouveau rôle. Saisi par le médecin prescripteur, ce Conseil sera chargé d’identifier le parent ou l’enfant concerné et de l’informer de l’existence d’une information médicale à caractère familial le concernant : il l’invitera à se rendre à une consultation médicale, sans que l’anomalie en cause ou le nom de la personne concernée par l’examen ne lui soit transmis.
Le Conseil d’Etat observe que dans les hypothèses d’accouchement sous X ou de procréation médicalement assistée avec recours à un tiers donneur, la transmission de ces informations n’est qu’une possibilité offerte aux personnes chez lesquelles une anomalie génétique pouvant entraîner une affection grave susceptible de mesures de prévention ou de soins aura été diagnostiquée, tandis qu’elle constitue une obligation pour les personnes s’inscrivant dans un lien de filiation biologique. Il admet que le motif d’intérêt général, tiré de la préservation des garanties que ces régimes particuliers apportent à ceux qui y recourent, puisse justifier le maintien de cette différence, qui existe déjà s’agissant de la possibilité offerte aux tiers donneurs chez lesquels serait diagnostiquée une anomalie génétique, dans le cadre de l’extension du dispositif aux enfants issus de dons de gamètes ou d’accueil d’embryon, aux enfants nés sous X et aux femmes ayant accouché sous X. Au vu de cette analyse, le Conseil d’Etat estime que le principe d’égalité n’est pas méconnu par la disposition introduite par le projet de loi.
48. Le projet de loi modifie l’article 16-10 du code civil, relatif au consentement exprès exigé préalablement à la réalisation d’un examen des caractéristiques génétiques d’une personne, afin de l’adapter aux dernières évolutions en matière de médecine génomique.
En premier lieu, l’avènement de technologies nouvelles permettant le séquençage de l’entier génome en moins de 48 heures, pour un coût raisonnable, donne à la problématique des découvertes incidentes, déjà connue de la médecine, une ampleur inédite en matière génétique. Le projet introduit donc dans l’information à délivrer préalablement au recueil du consentement de la personne l’hypothèse de découvertes incidentes : la personne pourra refuser la révélation de résultats relatifs à de telles découvertes incidentes et des risques que ce refus d’information fait courir aux membres de sa famille potentiellement concernés. En effet, ce refus fait obstacle à ce que le médecin prescripteur de l’examen puisse informer ces tiers des anomalies éventuellement découvertes.
En second lieu, le projet précise le champ d’application de l’article 16-10 du code civil en réservant le régime de consentement qu’il instaure aux hypothèses d’examen des caractéristiques génétiques constitutionnelles d’une personne, entendues comme celles héritées ou acquises à un stade précoce du développement prénatal, réalisé à des fins médicales ou de recherche scientifique. Sont ainsi exclus de ce régime les examens des caractéristiques génétiques dites somatiques, qui analysent les caractéristiques génétiques acquises ultérieurement par une personne, comme celles se situant par exemple dans les cellules tumorales. Il place également en dehors de son champ d’application les examens des caractéristiques génétiques réalisés à des fins scientifiques à partir d’éléments du corps d’une personne prélevés à d’autres fins. Les modalités de consentement à ces examens sont en effet régies par l’article L. 1130-5 du code de la santé publique, dans sa version issue du présent projet de loi.
Le Conseil d’Etat considère que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle.
Encadrement des traitements algorithmiques de données à des fins médicales
49. Le projet de loi met en place un encadrement juridique des traitements algorithmiques de données massives, c'est-à-dire des traitements de données issus de l’intelligence artificielle, lorsqu'ils sont utilisés pour des actes à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique. Le dispositif repose tout d’abord sur une obligation d'informer la personne de l’utilisation d'un tel traitement algorithmique et de ses modalités d'action. Il impose l'intervention d'un professionnel de santé pour le paramétrage d'un tel traitement et précise que ce paramétrage peut être modifié par le professionnel de santé. Il prévoit enfin la traçabilité des données utilisées par ces dispositifs et des actions qui en résultent, ainsi que de l’accès à ces informations des professionnels de santé concernés.
Si ces dispositions ne régissent pas les décisions s'imposant aux personnes concernées puisqu’en application de l'article L 1111-4 du code de la santé publique : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé », les effets susceptibles de résulter de tels traitements pour les personnes en cause justifient que le principe posé par l'article 22 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD) et par l’article 47 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui exclut, sauf exceptions, la mise en œuvre d'une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, soit appliqué en l’espèce.
Le projet s’inscrit ainsi dans la ligne suivie par le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi d’adaptation au droit de l’Union européenne de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (Assemblée générale, 7 décembre 2017, 393836) en faveur d’une information de la personne concernée et d’une d’intervention humaine avant la prise d’une décision administrative individuelle sur le fondement d’un algorithme. Le Conseil Constitutionnel a, par une décision n°2018-765 DC du 12 juin 2018, jugé que le législateur a défini des garanties appropriées pour la sauvegarde des droits et libertés des personnes soumises aux décisions administratives individuelles prises sur le fondement d’un algorithme, dès lors que ne peuvent être utilisés, comme fondement exclusif de cette décision, des algorithmes « susceptibles de réviser eux-mêmes les règles qu’ils appliquent, sans le contrôle et la validation du responsable du traitement ».
Le Conseil d'État considère ainsi que ces dispositions, qui ne se heurtent à aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle, sont particulièrement bienvenues.
Encadrement du recours aux techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale et des dispositifs de neuro-modulation
50. Le projet de loi redéfinit les finalités permettant de recourir aux techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires. Il exclut l’utilisation de l’imagerie cérébrale fonctionnelle dans ce dernier cadre. Comme l’a proposé en 2018 le Conseil d’Etat dans son étude sur la révision de la loi de bioéthique, les termes « imagerie cérébrale » sont remplacés par « enregistrement de l’activité cérébrale », en cohérence avec les évolutions technologiques dans le champ des explorations cérébrales. Le projet de loi prévoit également de soumettre aux peines prévues par le code pénal en cas de discrimination, les discriminations fondées sur les données issues de l’enregistrement de l’activité cérébrale, en matière de prévention et de couverture des risques. Le Conseil d’Etat estime que ces dispositions, qui concourent à la protection de la dignité et de la vie privée des personnes, ne soulèvent pas de difficulté d'ordre constitutionnel ou conventionnel.
51. Le projet prévoit la possibilité d’interdire par décret, pris après avis de la Haute autorité de santé, les dispositifs ayant pour objet de modifier l’activité cérébrale présentant un danger grave ou une suspicion de danger grave pour la santé humaine. L’extrême difficulté, relevée par l’étude du Conseil d’Etat de 2018, à distinguer la neuro-amélioration à des fins de performance chez la personne non-malade et les neuro-traitements à des fins thérapeutiques, conduit à ce que les dispositions ne différencient pas l’utilisation des techniques de neuro-modulation selon leurs finalités mais selon leur dangerosité. Le Conseil d’Etat estime que les limitations à la liberté d'entreprendre qui peuvent en résulter peuvent être admises au regard du principe constitutionnel de protection de la santé (CC, 8 janvier 1991, n° 90-283 DC et 16 janvier 1991, n° 90-287 DC) comme du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine (CC, 27 juillet 1994, n° 94-343/344 DC) : elles sont en effet justifiées par l’existence d’un danger grave ou d’une suspicion de danger grave pour la santé humaine et proportionnées à ces risques.
Recherches sur l’embryon, les cellules souches embryonnaires humaines et les cellules souches pluripotentes induites
52. Le projet de loi procède à une dissociation des régimes applicables, respectivement, à la recherche sur l’embryon et à celle sur les cellules souches embryonnaires humaines. Depuis la loi n° 2013-715 du 6 août 2013 qui a autorisé sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, ces deux types de recherche obéissent à un régime commun d’autorisation par l’Agence de la biomédecine. Cette dernière délivre une autorisation après s’être assurée de la pertinence scientifique de la recherche, de son inscription dans une finalité médicale, de ce qu’aucune solution alternative n’existe, en l’état des connaissances, pour mener cette recherche sans recourir à l’embryon ou aux cellules souches embryonnaires et de ce que le protocole de recherche et sa mise en œuvre respectent les principes éthiques protégeant l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Dans sa décision n° 2013-674 DC du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de ce régime « ne méconnaissent pas le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine » eu égard, notamment, aux garanties effectives dont le législateur a entouré la délivrance de ces autorisations.
Recherches sur les cellules souches embryonnaires
Le projet de loi ne modifie pas le régime applicable aux recherches conduites sur l’embryon. En revanche, il soumet désormais les protocoles de recherches conduites sur des cellules souches embryonnaires à un régime de déclaration préalable à l’Agence de la biomédecine, qui dispose d’un délai, pendant lequel la recherche ne peut pas débuter, pour s’opposer à la recherche si la pertinence scientifique du protocole n’est pas établie, si elle ne poursuit pas une finalité médicale ou si le protocole de recherche et sa mise en œuvre ne respectent pas les principes éthiques fixés par le code civil et le code de la santé publique. Au-delà de la substitution d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation, la modification des règles régissant ces recherches tient au fait que l’équipe de recherche n’est plus appelée à démontrer qu’aucune solution alternative n’existe, en l’état des connaissances, pour mener ses travaux sans recourir à des cellules souches embryonnaires.
53. Le Conseil d’Etat estime que les cellules souches embryonnaires présentent des différences avec l’embryon qui justifient d’envisager un régime distinct. En particulier, contrairement à l’embryon, les cellules souches embryonnaires n’ont pas la capacité de se développer pour devenir un organisme viable. Elles ne disposent donc pas de la spécificité, soulignée notamment par la jurisprudence européenne (CJUE (grande chambre), 18 décembre 2014, International Stem Cell Corporation, C364/13), qui confère à l’embryon son statut particulier de « personne humaine potentielle ». Par ailleurs, la plupart des cellules souches employées aujourd’hui par la recherche sont issues de lignées constituées il y a plusieurs années, et leur utilisation n’implique pas, comme la recherche sur l’embryon, la destruction d’un embryon. A cet égard, il convient de souligner que, dans le cas où des chercheurs envisageraient de constituer une nouvelle lignée de ces cellules, ces travaux s’inscriraient dans le régime de recherche sur l’embryon, et non dans le nouveau régime établi pour les cellules souches embryonnaires. Par ailleurs, ce nouveau régime présente des garanties, telles que le pouvoir d’opposition du directeur général de l’Agence de la biomédecine et les conditions mises à la conduite de telles recherches, que le Conseil d’Etat estime appropriées. Il considère en particulier que la suppression de l’obligation de démontrer l’absence d’alternative aux cellules souches embryonnaires pour conduire la recherche ne se heurte pas à un obstacle juridique dès lors que la recherche sur ces cellules ne conduit pas à détruire un organisme en développement.
Durée maximale pour la culture des embryons
54. Par ailleurs, le projet de loi pose une interdiction de procéder à des recherches sur un embryon au-delà d’un stade de développement de quatorze jours. Jusqu’à présent, la loi est silencieuse sur ce point, ce qui confère de facto à l’Agence de la biomédecine, lorsqu’elle délivre des autorisations de protocoles de recherche, la responsabilité de vérifier que la durée de culture de l’embryon respecte les limites éthiques. Cette absence d’encadrement législatif était jusqu’à présent sans portée significative, dès lors que les chercheurs n’étaient pas techniquement en capacité de procéder à une culture in vitro de l’embryon au-delà d’un stade de développement de sept jours. Des travaux conduits par des équipes de recherche étrangères en 2016 ont toutefois témoigné de ce que cet obstacle technique était aujourd’hui surmonté. La fixation d’une durée maximale de culture constituant désormais un élément important des garanties effectives entourant la recherche sur l’embryon, le Conseil d’Etat estime qu’en inscrivant une limite au niveau législatif, le projet de loi procède à un encadrement devenu nécessaire. S’agissant de la limite de quatorze jours retenue, le Conseil d’Etat observe que, s’il n’est pas aisé de déceler, dans le développement de l’embryon, des ruptures qui permettraient d’objectiver ce choix, la durée de quatorze jours correspond à une limite éthique conforme à un large consensus international.
Recherches conduites sur les cellules souches pluripotentes induites
55. Le projet de loi procède également à un renforcement de l’encadrement de certaines recherches conduites sur des cellules souches pluripotentes induites. Ces cellules, issues d’une découverte scientifique réalisée en 2007, sont des cellules souches pluripotentes, c’est-à-dire capables de se différencier en n’importe quelle cellule de l’organisme. Elles sont « fabriquées » en laboratoire à partir de cellules adultes reprogrammées par le biais de l’injection de gènes spécifiques. Les équipes qui travaillent aujourd’hui sur de telles cellules sont déjà soumises aux dispositions législatives et règlementaires encadrant la constitution de collections d’échantillons biologiques, et, le cas échéant, à celles encadrant les recherches impliquant la personne humaine, ce qui conduit des autorités telles que le ministre de la recherche ou l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à apprécier la pertinence scientifique de telles recherches.
Le caractère pluripotent de ces cellules soulève toutefois des questions éthiques particulières, en particulier s’agissant de recherches qui conduiraient à différencier ces cellules en gamètes ou à les agréger avec des cellules précurseurs de tissus extra-embryonnaires de manière à constituer des organismes dont la structure se rapproche de celle d’un embryon. Si de telles recherches ne sont pas encore techniquement réalisables aujourd’hui, il apparaît vraisemblable qu’elles le seront dans un avenir proche. Pour cette raison, le projet de loi soumet les recherches qui poursuivraient ces objectifs à une obligation de déclaration préalable à l’Agence de la biomédecine, son directeur général disposant du pouvoir de s’opposer à ce que la recherche soit conduite si le protocole ou sa mise en œuvre ne respectent pas les principes éthiques.
Embryons surnuméraires
56. Le projet de loi instaure, s’agissant des embryons surnuméraires que les personnes à l’origine de leur conception ont consenti à donner à la recherche, une possibilité de mettre fin à leur conservation lorsqu’ils n’ont pas été inclus dans une recherche cinq ans après que ce consentement a été donné. Cette possibilité est destinée à s’appliquer également aux embryons donnés avant l’entrée en vigueur de la loi. Le Conseil d’État estime qu’aucun obstacle juridique ne s’oppose à une disposition législative autorisant les organismes qui stockent les embryons donnés à la recherche à mettre fin, au bout d’une durée donnée, à leur conservation. Il souligne que, dans sa décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a jugé que, s’il appartenait au législateur d’assortir notamment la conservation des embryons fécondés in vitro de garanties, il ne lui incombait pas d’assurer cette conservation, en toutes circonstances, et pour une durée indéterminée. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), quant à elle, n’applique pas à l’embryon le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention, ni l’article 8 de la convention, dans son volet « vie familiale », dès lors que les embryons donnés à la recherche ne font plus l’objet d’un projet parental. Si la CEDH fait bénéficier l’embryon de l’article 8, dans son volet « vie privée », elle reconnaît aux Etats partie une importante marge d’appréciation s’agissant du devenir d’embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental (CEDH, Grande chambre, 27 août 2015, Parrillo c/ Italie, n° 46470/11).
La disposition envisagée n’apparaît pas soulever d’obstacle juridique ni éthique dans la mesure où les embryons surnuméraires donnés à la recherche sont ceux pour lesquels les couples concernés ont renoncé à tout projet parental et consenti à ce qu’ils soient détruits. La recherche sur ces embryons surnuméraires interdit en effet, depuis l’origine, toute réimplantation, ce dont les personnes à l’origine de ce don sont informées. Ce consentement initial est d’autant plus éclairé que l’article L. 2151-5 du code de la santé publique prévoit, depuis que les recherches sur l’embryon surnuméraire ont été autorisées en 2004, qu’il « doit être confirmé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois ». Par ailleurs le couple donneur, qui peut révoquer son consentement tant que les recherches n’ont pas débuté, n’est jamais informé du devenir précis de son embryon. Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime que le choix du Gouvernement de ne pas prévoir de régime transitoire pour les embryons actuellement stockés peut être admis. Enfin, s’agissant de la durée de conservation de cinq ans retenue par le projet de loi, elle est en cohérence avec celle d’ores et déjà retenue dans d’autres situations. Tel est le cas lorsque les embryons donnés par le couple à l’origine de leur conception à un autre couple n’ont pas été accueillis et lorsque ce dernier couple ne donne pas d’informations sur la poursuite de son projet parental ou est en désaccord quant au devenir de ces embryons.
Modifications apportées au génome d’embryons
57. Le projet de loi réforme par ailleurs certaines dispositions régissant les modifications susceptibles d’être apportées au génome d’embryons.
Il maintient tout d’abord l’interdiction fondamentale d’apporter au génome humain, y compris au génome de l’embryon, des modifications qui seraient transmissibles à la génération suivante. Cette interdiction, qui résulte de l’article 13 de la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997, figure à l’article 16-4 du code civil, qui prohibe toute intervention sur le génome qui serait réalisée dans le but de modifier la descendance de la personne. La modification de l’article 16-4 du code civil prévue par le projet élargit en revanche légèrement le champ des finalités des interventions sur le génome susceptibles être autorisées. De telles interventions ne sont actuellement autorisées qu’à des fins de prévention et de traitement des maladies génétiques, sous réserve qu’elles ne puissent être transmises à la descendance. La possibilité d’interventions sur le génome est étendue par le projet de loi aux recherches à des fins de prévention et de traitement d’autres maladies, ainsi qu’aux recherches à des fins diagnostiques. Ces modifications, conformes aux termes de la Convention d’Oviedo, tiennent notamment compte de ce que la thérapie génique est aujourd’hui susceptible de traiter d’autres maladies que les seules maladies génétiques. Elles ne soulèvent pas de difficultés.
Le projet ouvre par ailleurs la possibilité de pratiquer, dans un cadre de recherches fondamentales autorisées par l’Agence de la biomédecine ayant une finalité médicale, des modifications du génome d’embryons surnuméraires destinés à être détruits, en supprimant l’interdiction figurant aujourd’hui à l’article L. 2151-2 du code de la santé publique de créer des embryons « transgéniques ». Le Conseil d’Etat observe que l’interdiction de créer des embryons « transgéniques » était formulée dans des termes devenus inadaptés. Elle permettait en effet d’appliquer certaines techniques de modification du génome, telles que l’inactivation d’un gène, mais faisait obstacle au recours à des techniques impliquant notamment l’insertion de nouveaux gènes, alors que ces techniques présentent les mêmes enjeux éthiques. Pour résoudre cette difficulté, le projet de loi fait le choix d’autoriser les chercheurs à employer l’ensemble des techniques d’édition du génome dans le cadre de recherches autorisées sur l’embryon destiné à être détruit. Le Conseil d’Etat estime qu’eu égard aux garanties qui l’accompagnent, ce choix ne méconnaît pas l’obligation qu’a le législateur d’assurer à l’embryon une protection adéquate.
Embryons chimériques
Enfin, le projet clarifie l’interdiction en vigueur de créer des embryons « chimériques » en interdisant l’adjonction de cellules issues d’autres espèces dans un embryon humain. Le Conseil d’Etat observe que cette rédaction ne traite pas des enjeux que peut soulever l’adjonction, à l’inverse, de cellules d’origine humaine, en particulier de cellules pluripotentes, au sein d’un embryon animal, susceptibles pourtant de soulever des questionnements éthiques soulignés notamment par le CCNE dans son avis n° 129 préalable à la présente révision de la loi de bioéthique.
Examen des caractéristiques génétiques d'une personne à des fins de recherche
58. Le projet de loi vise, d’une part, à faciliter la possibilité d’utiliser les éléments du corps d’une personne, prélevés à des fins médicales pour réaliser des examens de caractéristiques génétiques de cette personne à des fins de recherche scientifique. Il substitue à la notion de « projet de recherche » celle plus large de « programme de recherche », dont il introduit par ailleurs la définition à l’article L. 1243-3 du code de la santé publique, pour laquelle l’absence d’opposition de la personne dont les éléments seront utilisés est exigée. De plus, il limite la possibilité d’exprimer son opposition à cette utilisation jusqu’au moment de l’intervention sur l’élément concerné par la recherche.
Le projet encadre, d’autre part, les découvertes incidentes qui peuvent être réalisées au cours d’un examen des caractéristiques génétiques d’une personne réalisé à des fins de recherche scientifique. Il précise que la personne peut s’opposer à être informée d’une telle découverte alors même que ces caractéristiques génétiques peuvent être responsables d’une affection grave justifiant des mesures de prévention ou de soins à son bénéfice. Si la personne n'a pas formulé d'opposition à cette information, elle est alors informée de l’existence d’une découverte incidente et orientée vers un médecin qualifié en génétique, seul apte à lui révéler les caractéristiques génétiques en cause et les risques qui leur sont associés. Elle garde cependant la possibilité de s’opposer, à tout moment et sans formalisme, à être informée de l’existence ou du contenu d’éventuelles découvertes incidentes. Le Conseil d’Etat observe que si le projet confie aux parents investis de l’exercice de l’autorité parentale l’expression de l’opposition de leur enfant mineur, cette disposition doit être combinée au principe général posé par l’article 371-1 du code civil selon lequel les parents associent leur enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité.
Enfin, le projet met en cohérence les dispositions de l’article 75 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés avec celles du code de la santé publique auxquelles il est renvoyé pour les traitements de données réalisés dans le cadre d’une recherche nécessitant l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne. Le Conseil d’Etat ne se prononce pas sur l’articulation des mesures de mise en œuvre du dispositif, mentionnées dans l’avis de la CNIL du 11 juillet 2019, avec les règles résultant du RGPD, dont la responsabilité incombe à la personne responsable du traitement.
Ces dispositions ne présentent pas de difficulté juridique particulière.
Médecine fœtale et diagnostic prénatal
59. Le projet de loi met en cohérence la définition juridique du diagnostic prénatal avec l’évolution des connaissances et des pratiques en médecine fœtale et définit la médecine fœtale comme les soins médicaux et chirurgicaux apportés à l’embryon et au fœtus. Le but du diagnostic prénatal est étendu à la prise en charge in utero d’une affection d’une particulière gravité chez l’embryon ou le fœtus.
Les dispositions introduites précisent le contenu de l’information qui doit être délivrée à la femme enceinte sur les résultats des examens du diagnostic prénatal, en particulier génétiques, et étend l’obligation d’information sur les résultats à l’autre membre du couple lorsque la femme vit en couple. Cette information porte notamment sur la possibilité de découvertes incidentes sans relation certaine avec l’indication initiale de l’examen. Un décret en Conseil d’Etat fixera les modalités d’information sur les résultats de l’autre membre du couple.
Enfin, le projet prévoit l’établissement, par arrêté du ministre chargé de la santé, de différentes recommandations de bonnes pratiques relatives au diagnostic prénatal, notamment pour assurer l’homogénéité et la qualité des pratiques médicales et d’information de la femme ou du couple. Ces dispositions n'appellent pas d'observations du Conseil d'État.
Interruptions médicales de grossesse et interruptions volontaires partielles de grossesse multiple
60. Le projet de loi supprime la proposition systématique d’un délai de réflexion d’au moins une semaine en cas d’interruption de grossesse pour raison médicale envisagée au motif qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Le Conseil d’Etat regrette la suppression de ces dispositions qui se bornaient à imposer au médecin de proposer à la femme enceinte un délai de réflexion que cette dernière n’était pas tenue d’observer. Il aurait préféré que la disposition législative maintienne l’obligation de proposer un délai de réflexion sans nécessairement fixer la durée minimale de celui-ci. Toutefois, il reconnaît qu’il s’agit d’un choix recommandé par l’opportunité, dans la mesure où la suppression de l’obligation de proposer un tel délai de réflexion ne se heurte à aucun principe constitutionnel.
61. Par ailleurs, le projet de loi encadre les pratiques de réduction embryonnaire ou fœtale, définies par le Comité national consultatif d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, dans son avis de 1991, comme l’élimination, « en cas de grossesses multiples, [de] un ou plusieurs embryons ou fœtus sans interrompre le processus de développement des autres » (CCNE, Avis sur les réductions embryonnaires et fœtales, n° 24, 24 juin 1991). Les grossesses multiples constituent des grossesses à risque élevé pour la mère et pour les enfants à naître. Les réductions embryonnaires ou fœtales n’entrent ni dans le cadre légal de l’interruption de grossesse pour raison médicale ni dans celui de l’interruption volontaire de grossesse dès lors qu’elles n’ont pas pour objet d’interrompre une grossesse mais d’intervenir afin que cette grossesse soit conduite à son terme avec une diminution des risques résultant d’une grossesse multiple pour la mère et le ou les enfants à naître. La réduction embryonnaire conduit à détruire, sans les choisir, des embryons ou des fœtus dont la seule présence multiple menace la santé de la mère et le développement des autres embryons.
Le projet de loi précise que l’interruption volontaire partielle d’une grossesse multiple peut être pratiquée à la demande de la femme avant la fin de la douzième semaine de grossesse, lorsque celle-ci met en péril sa santé, ou celle des embryons ou des fœtus, après qu’une équipe pluridisciplinaire a rendu son avis et que deux médecins membres d’une équipe pluridisciplinaire attestent que les conditions médicales et psychologiques sont réunies.
Le projet de loi crée ainsi un nouveau régime juridique qui complète ceux de l’interruption volontaire de grossesse et de l’interruption de grossesse pour raison médicale.
Le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil Constitutionnel a jugé que la législation autorisant l’interruption volontaire de grossesse de 1975 « ne contredit pas les textes auxquels la Constitution du 4 octobre 1958 fait référence dans son préambule non plus qu’aucun article de la Constitution » (CC, 15 janvier 1975, n°74-54 DC, Ct 11). Il a ultérieurement précisé que les dispositions selon lesquelles la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut en demander l’interruption à un médecin, ne méconnaissent aucune exigence constitutionnelle (CC, 31 juillet 2014, 2014-700, Ct 4). Ces dispositions ne sont pas plus incompatibles avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CE, 21 décembre 1990, -105810-105811-105812 ; CEDH, Grande chambre, 16 décembre 2010, 25579/05, A, B et C c. Irlande).
En outre, les dispositions du projet de loi prévoient l’absence de sélection des embryons et des fœtus qui seront détruits, excluant ainsi une pratique eugénique (CC, 27 juin 2001, 2001-446 DC, Cts 5 à 7).
Au vu de cette analyse et des précautions prises par le projet de loi, le Conseil d’Etat estime que les dispositions relatives à la réduction embryonnaire ou fœtale ne se heurtent à aucun principe d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
Interruption de grossesse pour raison médicale pour les mineures
62. Le projet vise à clarifier les modalités du recueil du consentement pour une interruption de grossesse pour motif médical chez une femme mineure non émancipée, en introduisant dans le code de la santé publique des dispositions comparables à celles applicables pour le recueil du consentement pour une interruption volontaire de grossesse chez une femme mineure non émancipée.
Le Conseil d’Etat suggère d’ajouter la possibilité d’une information sur la contraception délivrée, après l’intervention, par le médecin si ce dernier estime que les circonstances rendent cette information opportune.
Enfin, le projet précise qu’un médecin n'est jamais tenu de pratiquer une interruption de grossesse pour motif médical mais que, dans ce cas, il a l’obligation d’en informer l’intéressée et de lui communiquer le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention. Une disposition analogue est prévue pour la participation des sages-femmes, des infirmiers ou infirmières et des autres auxiliaires médicaux à une interruption de grossesse pour motif médical.
Greffe de tissu germinal
63. Le projet de loi étend l’utilisation de la greffe de tissu germinal, chez une personne dont la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité, au rétablissement d’une fonction hormonale, et non uniquement en vue de la préservation et de la restauration de la fertilité. En outre, il met en cohérence les règles du consentement d'une personne sous traitement médical au recueil et à la conservation de ses gamètes ou tissus germinaux, pour les majeurs protégés avec les dispositions de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, et étend aux autres majeurs protégés que le majeur sous tutelle, la procédure de consentement. Il précise les modalités selon lesquelles les personnes concernées sont consultées sur le devenir des gamètes et tissus germinaux conservés. Ces mesures n’appellent pas d’observations du Conseil d’Etat.
Missions du conseiller en génétique
64. Le projet de loi élargit les missions du conseiller en génétique en lui conférant la possibilité de prescrire certains examens de biologie médicale dans des hypothèses de consultation en génétique ou de diagnostic prénatal. Le cadre et les conditions de cette délégation de compétence, relevant normalement du médecin qualifié en génétique, seront précisés par décret en Conseil d’Etat après avis de l’Académie nationale de médecine.
Le Conseil d'État relève que les dispositions relatives à la profession de conseiller en génétique, dont les missions sont étendues par le projet, trouveraient mieux leur place dans la quatrième partie du code de la santé publique consacrée aux professions de santé
Résultats de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne
65. Le projet de loi modifie l’article L. 1131-1-3 du code de la santé publique pour autoriser, par dérogation au droit commun, la communication du résultat de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne directement par le laboratoire réalisant de tels examens au médecin prescripteur, même dans l’hypothèse où le prélèvement a été effectué au sein d’un autre laboratoire, non autorisé à pratiquer de tels examens, auquel s’est adressé le patient. Ce circuit simplifié, qui permet d’éviter que les résultats soient retournés au laboratoire d’origine, est également prévu pour les examens des caractéristiques génétiques réalisés à des fins de diagnostic prénatal.
Ces dispositions n'appellent pas d'observations du Conseil d'État.
Différenciation de la génétique constitutionnelle et de la génétique somatique
66. Le projet de loi introduit dans le code de la santé publique la définition de la génétique dite « constitutionnelle », qui consiste à analyser les caractéristiques génétiques d’une personne, héritées ou acquises à un stade précoce du développement prénatal. Il la différencie de la génétique dite « somatique », qui consiste à analyser des caractéristiques génétiques acquises ultérieurement. Dans le premier cas, le régime applicable résulte des dispositions des articles 16-10 à 16-13 du code civil et de dispositions des titres II et III du livre Ier de la première partie du code de la santé publique. Dans le second cas, le projet fixe les règles applicables en cas de découvertes incidentes de génétique « constitutionnelle » réalisées à l’occasion d’un examen de génétique somatique. Dans de telles hypothèses, la personne concernée, dont le consentement à être informée d’éventuelles découvertes incidentes doit être recueilli dans les conditions de droit commun précédant la réalisation de tout examen médical, est invitée à se rendre chez un médecin qualifié en génétique. Elle est alors soumise au régime juridique applicable aux actes relevant de la génétique constitutionnelle.
Le Conseil d’Etat estime que l’introduction et la définition de ces différents champs de la génétique dans le code de la santé publique ne rencontrent aucun obstacle juridique. Elles contribuent opportunément à une clarification du droit au regard des dernières avancées scientifiques dans ces domaines.
Utilisation du microbiote fécal et des médicaments de thérapie innovante
67. Le projet de loi crée, pour les médicaments issus du microbiote fécal, un cadre juridique spécifique dans un nouveau chapitre de la cinquième partie du code de la santé publique.
Il prévoit, en premier lieu, un régime de déclaration, auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), des centres de collectes de selles, utilisées à des fins thérapeutiques, et en exclut les collectes à fins de recherches. Il confie, en second lieu, au directeur général de cette agence le soin de définir des règles de bonnes pratiques de collecte, de contrôle, de conservation, de traçabilité et de transport des selles. L’ANSM peut suspendre ou interdire les activités des établissements ou organismes ne respectant pas les obligations de bonnes pratiques ou « en cas de risque pour la santé publique ».
68. Le projet de loi vise à établir un régime d’autorisation et de contrôle pour la fabrication des médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement à partir de prélèvements de cellules et produits du corps humain réalisé au cours d’une même intervention médicale. La préparation et la distribution de ces médicaments doivent être réalisées dans un établissement ou organisme autorisé à cet effet ou sous la responsabilité d’un tel établissement ou organisme et dans le cadre d’un contrat écrit entre les parties. La nécessité de l'administration de ces médicaments dans le cadre de la même intervention médicale est soumise à vérification par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Ces dispositions du projet de loi satisfont aux exigences, d’une part, du règlement n°1394/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les médicaments de thérapie innovante et modifiant la directive 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) n°726/2004 et, d’autre part, de la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à l'établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l'obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains, dès lors notamment qu’un régime d’autorisation et de contrôle est créé et qu’un responsable de la fabrication des produits est désigné.
Le Conseil d’Etat estime que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle. Mais il souligne que, compte tenu de leur objet qui se rattache difficilement aux questions de bioéthique, il aurait été plus adapté de les insérer dans un projet de loi relatif à la santé.
Mesures de mise en cohérence
69. Le projet de loi comprend diverses mesures de mise en cohérence de dispositions qui relèvent du champ de la bioéthique dans le code de la santé publique (examens des caractéristiques génétiques, activités de diagnostic prénatal, assistance médicale à la procréation), le code pénal (sanctions pénales en lien avec l’activité d’accueil d’embryon) et le code des douanes en matière de tissus et cellules d’origine humaine.
Ces dispositions n’appellent pas d’observations du Conseil d’Etat.
Missions du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé et compétences de l'Agence de la biomédecine
70. Le projet de loi élargit les missions du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). Il étend tout d’abord le champ des avis que peut rendre le CCNE. Il lui reviendra ainsi de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les conséquences sur la santé des progrès de la connaissance non seulement dans les domaines de la biologie, de la médecine de la santé mais aussi dans tout autre domaine, aux fins notamment d'inclure dans le champ de ses interventions les enjeux éthiques de certains progrès de la connaissance notamment en matière d’intelligence artificielle ou d’environnement. Le projet de loi assouplit en conséquence la composition de l’instance, sans en bouleverser les équilibres actuels, en vue de permettre au CCNE de s’entourer de compétences adéquates dans des domaines de recherche émergents. Il aligne également les mandats du président et de l’ensemble des membres sur une durée de trois ans, renouvelable une fois.
Il prévoit ensuite qu’en plus de l’organisation, avant chaque réforme entrant dans son champ de compétence, d’un débat public sous forme d’états généraux, le CCNE anime chaque année des débats publics en lien avec les espaces de réflexion éthique régionaux. Le débat citoyen sur les enjeux bioéthiques sera ainsi séquencé, d’une part, par les grands rendez-vous structurés que sont les états généraux et, d’autre part, par une discussion permanente nouée à l’occasion de débats publics plus souples mais plus réguliers.
Le Conseil d’Etat souligne que le Gouvernement devra veiller à ce que le renvoi au décret de l’identification des organismes pouvant désigner les membres du comité, notamment s’agissant des chercheurs, ne fragilise pas le crédit scientifique et l’indépendance de l’instance. Il suggère des modifications dans les dispositions transitoires afin de clarifier les modalités d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives à la composition et à la durée des mandats du CCNE et de garantir l’indépendance de ses membres.
71. Le projet de loi confie enfin de nouvelles compétences à l’Agence de la biomédecine, par voie de conséquence d’autres dispositions du texte. Il lui confère ainsi la mission de gestion des traitements de données relatifs aux tiers donneurs, à leurs dons et aux enfants nés de ces dons, à l’exclusion des données médicales recueillies ultérieurement au don, dans le cadre du nouveau droit des enfants, conçus dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation par recours à un tiers donneur, d’accéder à leurs origines. Il lui confie également celle de mettre en œuvre un suivi de l’état de santé des donneurs de cellules souches hématopoïétiques. Il tient enfin compte des changements dans les missions de l’Agence qu’implique l’abandon d’un régime d’autorisation des protocoles de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines au profit d’un régime de déclaration à l’Agence avec pouvoir d’opposition de son directeur général, et de l’instauration d’un régime similaire s’agissant de certaines recherches sur les cellules pluripotentes induites (iPS). Il supprime à l’inverse certaines missions qui sont apparues au Gouvernement inadéquates ou trop périphériques par rapport au cœur de métier de l’Agence, relatives au suivi des activités liées aux nanobiotechnologies, à l’élaboration d’un référentiel permettant d’évaluer la qualité des tests génétiques en accès libre et à l’information du Parlement et du Gouvernement sur les neurosciences.
Le projet de loi ajuste également la composition du conseil d’administration et du conseil d’orientation de l’Agence notamment pour y garantir la présence de représentants d’associations qui constituent des partenaires réguliers de l’Agence, telles que les associations de donneurs d’organes.
L’ensemble de ces modifications n’appelle pas d’observations de la part du Conseil d’Etat.
Habilitations à légiférer par voie d’ordonnance
72. Plusieurs habilitations sont prévues afin de permettre au Gouvernement de prendre, par ordonnances, diverses mesures relatives à la législation en matière de bioéthique.
Il s’agit, en premier lieu, d’adapter pour Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte, et d’adapter et d’étendre pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie Française, les dispositions du projet de loi ainsi que, le cas échéant, les dispositions des ordonnances prises sur le fondement d’une habilitation qu’il prévoit.
Il est proposé, en deuxième lieu, d’adapter le code de la santé publique en vue de l’entrée en application le 26 mai 2020 du règlement (UE) n° 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) n° 178/2002 et le règlement (CE) n° 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE et de l’entrée en application le 26 mai 2022 du règlement (UE) 2017/746 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro et abrogeant la directive 98/79/CE ainsi que la décision 2010/227/UE de la Commission. Ces adaptations permettront de mettre en cohérence le système national de matériovigilance et de réactovigilance avec les exigences européennes, de renforcer le rôle de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en tant qu’autorité compétente nationale, de préciser les modalités de traçabilité des dispositifs médicaux, notamment au sein des établissements de santé, de préciser les modalités de réalisation des investigations cliniques qui devront être réalisées en application de ces règlements et, enfin, de procéder à toutes les mesures de coordination, d’abrogation et de simplification nécessaires.
Le projet vise, en troisième lieu, à mettre en cohérence la législation en matière de médicaments avec le règlement (CE) n° 1394/2007 du Parlement européen et du Conseil sur les médicaments de thérapie innovante, en supprimant le régime juridique des préparations de thérapie génique et de thérapie cellulaire xénogénique et en excluant de la définition des produits cellulaires à finalité thérapeutique les préparations cellulaires ayant fait l’objet de modifications substantielles.
En dernier lieu, une habilitation est prévue pour permettre de corriger les erreurs matérielles et d’assurer la cohérence des textes issus du projet de loi. Le Conseil d’Etat s’est demandé si la reconnaissance d’une double filiation maternelle ne devait pas conduire, dans un objectif de clarté et d’intelligibilité de la loi, à revoir la rédaction de certains articles du code civil rédigés sur le modèle de l’altérité sexuelle des parents alors qu’ils seront à l'avenir applicables à deux parents de sexe féminin, comme ceux relatifs à l’établissement de l’acte de naissance (article 57) ou l’exercice de l’autorité parentale (article 372). Il considère que le Gouvernement est habilité par cette disposition à opérer les mises en cohérence que rendra nécessaire l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes.
Le Conseil d’Etat veille, dans la rédaction de ces dispositions, à définir avec une précision suffisante les finalités et le domaine d’intervention des mesures envisagées au stade de l’habilitation, sans cependant les détailler de manière excessivement contraignante au regard des finalités poursuivies, comme le rappelle la jurisprudence dégagée par le Conseil constitutionnel à propos des exigences de l’article 38 de la Constitution. Au surplus, l’étude d’impact éclaire utilement les objectifs que le Gouvernement souhaite atteindre.
Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 18 juillet 2019.