Avis sur un projet de loi relatif à l’industrie verte

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État sur un projet de loi relatif à l’industrie verte..

1. Le Conseil d’État a été saisi le 18 avril 2023 d’un projet de loi relatif à l’industrie verte. Ce projet de loi a été complété par une saisine rectificative reçue le 28 avril et a fait l’objet de deux études d’impact rectificatives, reçues les 5 et 10 mai.

2. Le projet de loi comporte quatorze articles. Il est organisé en trois titres, respectivement consacrés aux mesures destinées à accélérer les implantations industrielles et à réhabiliter les friches (Titre Ier), aux enjeux environnementaux de la commande publique (Titre II) et au financement de l’industrie verte (Titre III).

3. L’étude d’impact du projet apparaît globalement satisfaisante. Si elle est de grande qualité en ce qui concerne le titre III du projet, elle présente néanmoins, malgré ses rectifications, des insuffisances sur d’autres points, notamment s’agissant des mesures en faveur de l’économie circulaire, qu’il conviendra, en conséquence, de corriger.

4. Les consultations préalables obligatoires ont été effectuées. Les organismes dont la consultation était obligatoire (Conseil national de la transition écologique et Conseil national d'évaluation des normes) n’ont toutefois disposé que de très brefs délais pour rendre leurs avis, postérieurement à la saisine du Conseil d’État, auquel le temps imparti pour les prendre en compte a été plus que réduit. La régularité formelle des consultations a été certes assurée mais, comme le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de le déplorer, l’esprit qui préside à l’obligation de consulter ne peut être considéré comme respecté.

5. Au-delà de ces remarques liminaires, et outre de nombreuses améliorations de rédaction qu’il suggère au Gouvernement de reprendre, ce projet de loi appelle, de la part du Conseil d’État, les observations suivantes.

Sur les mesures destinées à accélérer les implantations industrielles et à réhabiliter les friches (Titre Ier)

Intégration des objectifs de développement industriel dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET)

6. Le projet de loi ajoute, au nombre des objectifs de moyen et long termes, énumérés par le deuxième alinéa de l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, que fixe le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires des régions métropolitaines, celui du développement industriel, afin notamment d’en orienter les implantations.

7. Le souci de cohérence a conduit le Gouvernement à ajouter, au deuxième alinéa de l’article L. 4251-1, ce nouvel objectif à celui de développement logistique et de localisation des constructions logistiques, récemment introduit dans le troisième alinéa du même article.

Le Conseil d’État estime que ce regroupement implique de supprimer du projet de loi les dispositions précisant ce dont les objectifs en question doivent tenir compte. En effet, le Conseil d’État a veillé, lors de la création du régime des SRADDET par voie d’ordonnance, à ce que soit respectée l’habilitation sur laquelle celle-ci était fondée, qui limitait les dispositions relevant du niveau législatif aux seuls éléments essentiels des documents sectoriels auxquels le SRADDET s’est substitué. De sorte qu’a été renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de définir, pour chacun des objectifs du schéma, ce qu’il recouvre, ce dont il doit tenir compte et comment il est déterminé. Il incombe donc désormais au Gouvernement comme au Parlement de maintenir cette répartition claire, tant pour faire respecter les domaines respectifs de la loi et du règlement ainsi délimités, que pour préserver la lisibilité du régime des SRADDET et, partant, la compréhension de ce qui en est attendu.

8. Le Conseil d’État juge nécessaire d’ajouter au projet de loi une disposition précisant à quelle date entrera en vigueur l’obligation, faite aux SRADDET, de fixer des objectifs de développement industriel. Il constate que, depuis moins de deux ans, de très nombreux nouveaux objectifs ont été assignés à ces schémas par des lois successives - objectif général de lutte contre l’artificialisation des sols et objectif opérationnel de réduction du rythme de l’artificialisation par tranches de dix années, objectifs régionaux de développement des énergies renouvelables, objectifs relatifs aux installations de production de biogaz et aux installations agrivoltaïques - pour lesquels le législateur a retenu des délais d’intégration différents et souvent très courts.

9. Le Conseil d’État approuve la proposition finalement faite par le Gouvernement d’effectuer l’intégration des objectifs en matière de développement logistique et industriel à l’occasion de la procédure de modification que les régions devront engager pour faire figurer dans le SRADDET les objectifs de développement des énergies renouvelables en application de la loi dite « Climat et résilience » du 22 août 2021. Il estime cependant que l’alignement du délai dans lequel le SRADDET doit avoir intégré ces objectifs sur celui dans lequel il doit intégrer les objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et de réduction de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers est une alternative envisageable : elle contribuerait à mieux assurer la cohérence interne du schéma, offrirait une meilleure visibilité aux collectivités dont les documents d’urbanisme doivent prendre en compte ces objectifs et fixerait une date précise aux régions pour procéder à cette intégration

10. En tout état de cause, le Conseil d’État recommande, afin d’éviter la déstabilisation des schémas que l’intégration des autres objectifs ne peut manquer de provoquer, de recourir à la mutualisation des procédures de modification ainsi que d’harmoniser les délais dans lesquels elles doivent aboutir, en leur fixant un terme raisonnable.

Création d’une nouvelle procédure de consultation du public sur les demandes d’autorisation environnementale

11. Le projet de loi crée, pour les demandes d’autorisation environnementale actuellement soumises à enquête publique, une procédure spécifique de consultation du public, hybride entre l’enquête publique et la participation du public par voie électronique prévue par l’article L. 123‑19 du code de l’environnement.

Organisée dans les conditions prévues pour les participations du public par voie électronique, cette consultation est conduite par un commissaire-enquêteur. Si le projet pour lequel une demande d’autorisation environnementale est présentée a fait l’objet d’une concertation préalable sous l’égide d’un garant, celui-ci est désigné comme commissaire enquêteur, sauf opposition motivée du président du tribunal administratif. Le commissaire enquêteur doit organiser deux réunions publiques au début et à la fin de la période de consultation en présence du pétitionnaire. La durée de la consultation est portée de trente jours à trois mois, ou bien, lorsque l’avis de l’autorité environnementale est requis, à une durée supérieure d’un mois au délai imparti à cette autorité.

En outre, alors que la procédure de délivrance des autorisations environnementales comporte actuellement trois phases - une phase d'examen de la demande, comprenant le recueil des avis obligatoires, notamment celui de l'autorité environnementale, ainsi que la réponse du pétitionnaire, puis une phase d'enquête publique sur un dossier comprenant ces avis et réponse, et, enfin, une phase de décision -, le projet de loi prévoit un déroulement simultané des phases d'examen et de consultation. La consultation publique est lancée dès que le dossier de demande d’autorisation est jugé complet et régulier, et se déroule parallèlement à l’instruction du dossier et au recueil des avis requis, qui sont mis en ligne au fur et à mesure, de même que les observations du public et les réponses du pétitionnaire. A la fin de la consultation, le commissaire enquêteur remet un rapport et des conclusions motivées. 

12. Le Conseil d’État relève que la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (dite convention d’Aarhus) et, à sa suite, la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, prévoient que le public doit être mis en mesure de participer au processus décisionnel en matière d’environnement dès le début de la procédure, c'est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et qu’il peut exercer une réelle influence. En vertu de l’article 6 de la directive, la demande d’autorisation d’un projet doit être mise précocement à la disposition du public, et par ailleurs doivent être portés à la connaissance du public, dans des délais raisonnables, les principaux rapports et avis rendus au moment de son information sur le projet, l’étude d’impact complétée, le cas échéant, des informations complémentaires recueillies auprès du maître d’ouvrage, ainsi que toute information pertinente qui deviendrait ultérieurement disponible. Des délais raisonnables doivent être prévus aux différentes étapes afin de laisser suffisamment de temps pour informer les autorités consultées et le public et leur permettre de se préparer et de participer effectivement au processus décisionnel en matière d’environnement, le délai fixé pour consulter le public sur l’étude d’impact ne pouvant être inférieur à trente jours. L’article 7 de la Charte de l’environnement de 2004, enfin, garantit le droit de toute personne d’accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.

Ni ces dispositions conventionnelles et constitutionnelles, ni la jurisprudence, n’imposent que l’avis de l’autorité environnementale sur l’étude d’impact du projet soit disponible pendant la période de recueil des observations du public, non plus que les avis des autorités consultées. Ces avis sont toutefois de nature à apporter au public des informations de nature à nourrir sa participation.

13. Le projet de loi s’attache à concilier une association précoce du public au processus de décision, au moment où le projet n’a pas encore évolué sous l’influence des avis des autorités consultées, et la possibilité pour le public d’être éclairé par ces avis avant de produire des observations, en allongeant le délai de la consultation du public. Le Conseil d’État constate que la nouvelle forme de participation du public instituée par le projet de loi permet à celui-ci de faire valoir ses observations sur le projet à un stade plus précoce. Sa durée permet par ailleurs de mettre à la disposition du public, au cours de son déroulement, les avis recueillis sur le projet, notamment celui de l’autorité environnementale. Les observations déposées en début de période au vu du dossier de demande d’autorisation, de l’étude d’impact et des échanges au cours de la première réunion publique pourront être prises en compte sans délai par le pétitionnaire et les autorités consultées. Les avis de celles-ci pourront inspirer les observations du public lors du dernier mois de la consultation et à l’occasion de la réunion publique de clôture. Le Conseil d’État estime, par suite, qu’un tel dispositif est de nature à assurer une participation effective du public et ne soulève donc pas de difficulté au regard de l'article 7 de la Charte de l'environnement et de l'article 6 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, sous réserve des nombreux compléments qu’il propose d’y apporter pour préciser et mieux encadrer cette nouvelle procédure.

14. Le Conseil d’État regrette toutefois que cette modification législative s’ajoute à toutes celles intervenues ces dernières années en matière de délivrance des autorisations administratives des projets ayant une incidence sur l’environnement, sans aucune analyse des effets de ces réformes successives. Il recommande une plus grande stabilité des procédures, les réformes devant être la conséquence d’une véritable évaluation et d’une réflexion d’ensemble. Il ne peut que relever que le séquençage actuel des phases d’examen, de consultation puis de décision pour l’instruction des demandes d’autorisation environnementale n’est que partiellement et indirectement à l’origine des délais excessifs de traitement de ces demandes et que, par suite, des réformes de procédure ne suffiront pas à accélérer la délivrance des autorisations environnementales si des mesures d’accompagnement ne sont pas prévues, tant pour parvenir à une amélioration de la qualité des dossiers de demande d’autorisation que pour assurer la mise à disposition des services instructeurs de moyens adaptés.

Mutualisation des concertations de la phase amont

15. Le chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de l’environnement organise la participation du public à l’élaboration des plans, programmes et principaux projets ayant une incidence sur l’environnement.

Le projet de loi prévoit que lorsque plusieurs projets d’aménagement ou d’équipement, susceptibles de relever de l’obligation de saisine de la Commission nationale du débat public, compétente pour décider de les soumettre à cet effet à un débat ou à une concertation préalable, sont envisagés dans les dix ans à venir, sur un même territoire délimité et homogène, il est possible d’organiser un débat public global ou une concertation préalable globale portant sur l’ensemble de ces projets. Il précise que la Commission nationale du débat public est saisie par la personne publique qui en demande l’organisation. Les projets inclus dans le débat global ou la concertation préalable globale, qui sont mis en œuvre dans les dix ans après ce débat ou cette concertation sont dispensés de débat ou de concertation préalable propre, de même que tout autre projet mis en œuvre dans le même délai sur le même territoire, s’il est cohérent avec sa vocation. La Commission nationale du débat public peut toutefois décider que certains de ces projets sont soumis à débat ou concertation préalable.

Par ailleurs, le projet de loi modifie le cinquième alinéa de l’article L. 121-9 du code de l’environnement, qui dispense de débat public ou de concertation préalable les projets ayant fait l’objet d’un débat public lors de l'élaboration d'un plan ou d'un programme et sont mis en œuvre dans les cinq ans suivant cette consultation, pour porter ce délai à dix ans.

16. Le Conseil d’État relève que ces dispositions, auxquelles propose d’apporter des précisions avec l’accord du Gouvernement, permettent de mutualiser les concertations dites « de phase amont » sur un ensemble de projets, tout en conservant la compétence de la Commission nationale du débat public pour décider de soumettre à débat public ou à concertation préalable spécifique certains de ces projets. Il estime qu’un tel dispositif est de nature à préserver la participation effective du public préalable au dépôt des demandes d’autorisation des projets les plus importants et ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.

Mesures en faveur du développement de l’économie circulaire  

17. Ces mesures sont regroupées dans un article ayant pour objet, premièrement, d’alléger la procédure de sortie du statut de déchet lorsque sont réutilisées dans un processus de fabrication des substances ayant les mêmes caractéristiques que des matières premières, deuxièmement, d’éviter que les résidus de production produits au sein d’une plateforme industrielle, telle que définie à l’article L. 515-48 du code de l'environnement, acquièrent le statut de déchet lorsqu’ils sont utilisés dans un processus de production sur cette même plateforme, et troisièmement, de créer des sanctions administratives spécifiques en cas de méconnaissance des règles relatives aux transferts transfrontaliers de déchets.

18. S’agissant des résidus de production, le Conseil d’État propose, afin d’éviter les doutes sur le respect des dispositions de l’article 5 de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relatives aux déchets et abrogeant certaines directives, de mentionner explicitement que les résidus utilisés dans un processus de production ne devront pas avoir d’incidences globales nocives pour l’environnement ou la santé humaine.

19. Compte tenu des enjeux de la lutte contre les transferts transfrontaliers illicites de déchets, le Conseil d’État estime également nécessaire d’identifier un dispositif de sanctions administratives spécifique, distinct d’autres régimes de sanctions administratives existant par ailleurs en matière de déchets, d’en préciser le régime procédural et, afin de respecter le principe de proportionnalité, de prévoir une modulation du montant de l’amende selon la gravité des manquements commis.

20. Sous réserve des modifications et compléments rédactionnels qu’il préconise pour chacune des trois mesures, le Conseil d’État estime que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.

Rationalisation des obligations de garantie financière et renforcement des moyens d’action de l’administration à l’égard des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)

21. Ainsi que le souligne la jurisprudence du Conseil d’État (voir, notamment, CE Assemblée, 8 juillet 2005, Société Alusuisse-Lonza-France, n° 247976), en vertu des dispositions des articles L. 511-1 et suivants du code de l'environnement, il incombe à l’exploitant d’une ICPE, le cas échéant à son ayant droit ou à celui qui s’est substitué à lui, de mettre en œuvre les mesures permettant de remettre en état le site concerné. L'administration peut, à toute époque, contraindre les personnes en cause à prendre ces mesures et y faire procéder d’office et à leurs frais.

Elle dispose, à cet effet, de pouvoirs d’amende, d’astreinte et de consignation, en vertu des articles L. 171-7 et L. 171-8 du même code, concernant respectivement les installations fonctionnant sans les autorisations requises et les installations autorisées mais commettant des manquements. Ces articles, de contenu similaire mais avec quelques différences notables, prévoient une procédure de mise en demeure, pouvant être suivie notamment, selon les cas, de mesures conservatoires ou de suspension, d’exécution d’office aux frais de l’exploitant, d’amendes administratives, d’astreintes et, le cas échéant, d’une décision de fermeture.

Il est pourtant fréquent que l’administration ne soit pas en mesure d’obtenir de l’exploitant la mise en œuvre de ces mesures, notamment en cas de défaillance de ce dernier. En particulier, il arrive que les mandataires judiciaires refusent d’y procéder en excipant du manque de fonds et de l’ordre des créances privilégiées. En cas de menaces graves pour la santé ou l’environnement, il revient alors à l’Agence de la transition écologique (ADEME) d’assumer la maîtrise d’ouvrage et le coût des opérations de mise en sécurité.

Afin de remédier à cette situation, l’article L. 516-1 du code de l'environnement prévoit que la mise en activité des installations présentant des risques importants de pollution ou d'accident, des carrières et des installations de stockage de déchets est subordonnée à une garantie financière devant couvrir les frais de mise en sécurité et parfois de réhabilitation.

Cependant, ce dispositif se révèle peu efficace dans la pratique.

Le projet de loi tire les conséquences de ce retour d’expériences en renforçant les pouvoirs de l’administration à l’égard des exploitants d’ICPE en situation irrégulière et des entreprises défaillantes, tout en rationalisant le dispositif de garantie, ce qui doit lui permettre de redéployer les services concernés vers d’autres missions.

22. En premier lieu, le projet de loi prévoit de modifier l’article L. 171-7 du code de l'environnement pour prévoir une amende administrative, plafonnée à 15 000 euros, concomitamment à la mise en demeure que doit adresser l’administration à celui qui exploite une ICPE sans autorisation, puis dans le cas où cette mise en demeure n’a pas été suivie d’effet.

Le Conseil d’État estime que cette mesure ne se heurte à aucun obstacle juridique. Il est certes inhabituel qu’une sanction soit infligée en même temps qu’une mise en demeure. Mais le Conseil d’État estime que cela peut se justifier dans le cas, particulièrement grave, d’une installation telle qu’une ICPE fonctionnant sans aucune autorisation et que l’administration a l’obligation de mettre en demeure de régulariser sa situation en vertu des textes applicables. Cela ne dispense pas l’administration de mettre en œuvre une procédure contradictoire. 

23. Il est ajouté, en deuxième lieu, au même article L. 171-7, la possibilité pour l’administration d’obliger la personne concernée à consigner entre les mains d'un comptable public une somme correspondant au montant des travaux de mise en sécurité à réaliser en exécution des mesures conservatoires qu’elle a édictées. Les sommes consignées sont alors utilisées pour régler les dépenses afférentes à l’exécution d’office. Cette mesure n’appelle pas d’observations.

24. En troisième lieu, le projet de loi limite l’obligation de garantie, prévue à l’article L. 516-1 du code de l’environnement, aux seules installations pour lesquelles la législation de l’Union européenne l’impose, soit les installations dites « Seveso », dans lesquelles des « substances, préparations ou mélanges dangereux sont présents dans des quantités telles qu'ils entraînent des dangers particulièrement importants pour la sécurité et la santé des populations voisines et pour l'environnement », et les sites de stockage géologique de dioxyde de carbone destinés à lutter contre le changement climatique. Cette mesure n’appelle pas non plus d’observations.

25. En quatrième et dernier lieu, le projet de loi tend à faciliter le recouvrement par l’État des sommes dont est redevable l’exploitant au titre des obligations de mise en sécurité en cas de liquidation judiciaire.

L’article L. 643-8 du code de commerce détermine l’ordre de priorité des créances en vue des distributions auxquelles donne lieu une liquidation judiciaire. Les créances relatives aux mesures d’astreinte et de consignation prévues aux articles L. 171-7 et L. 171-8 du code de l’environnement sont actuellement garanties par le privilège du Trésor (article 1920 du code général des impôts), situé seulement en douzième rang de cet ordre de priorité par l’article L. 643-8 du code de commerce.

Le projet de loi prévoit que les frais nécessaires à la mise en œuvre des mesures relatives à la mise en sécurité des ICPE lors de leur cessation d’activité ainsi que les créances résultant de l’obligation de consignation de ces frais seront traités de façon plus favorable au moment de la réalisation de l’actif puisqu’ils seront classés au sixième rang.

Le Conseil d’État note que le droit de l’Union européenne, qui fixe un cadre harmonisé en matière d’insolvabilité et de droit des entreprises en difficulté, est peu contraignant et renvoie aux États membres le soin de déterminer l’ordre des créances. Il estime que la mesure ne méconnaît pas le principe d’égalité, dès lors qu’elle a pour but, en relation directe avec l’objet du projet de loi, de faciliter la mise en sécurité la plus diligente possible de sites particulièrement exposés aux risques de pollution et d’accident et répond donc à un motif d’intérêt général et que les installations en cessation d’activité dont l’exploitant est défaillant se trouvent dans une situation différente des autres.

Le Conseil d’État estime toutefois nécessaire de modifier le projet de loi afin de renforcer l’effectivité de la mesure, assurer sa cohérence avec le régime techniquement très complexe des procédures collectives et des créances privilégiées, et sécuriser juridiquement le dispositif proposé.

Il relève, à cet égard, que le projet de loi comporte une forme de contradiction, dès lors que l’administration ne peut se prévaloir du nouveau privilège qu’il crée qu’après la liquidation judiciaire, dont la procédure dure, en moyenne, trente mois dans la pratique, alors que les mesures de mise en sécurité, en particulier celles relatives à l’évacuation des produits toxiques, sont urgentes.

Il suggère, pour remédier à cette difficulté, de modifier l’article L. 641-13 du code de commerce. Par exception au principe selon lequel les créances ne peuvent plus être réglées à compter de l’ouverture de la procédure collective, cet article prévoit que certaines créances prioritaires postérieures à l’ouverture ou au prononcé de la liquidation, comme celles nées des besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l'activité, sont payées à leur échéance. Le Conseil d’État propose d’y ajouter les créances concernant les opérations de mise en sécurité, compte tenu de leur caractère urgent. Il propose également de prévoir, à l’article L. 643-8 du code de commerce, que bénéficient du privilège les créances correspondantes restées impayées à l’échéance et celles résultant de l’obligation de consignation.

La combinaison de ces deux modifications permettra de clarifier les obligations de mise en sécurité, qui ont vocation à être réalisées et payées dès la phase de liquidation, et dont le solde des créances afférentes impayées est garanti lors de la répartition de l’actif par le privilège très favorable prévu par le projet de loi.

 Il aurait certes pu sembler plus naturel d’inscrire ces créances au septième rang des créances privilégiées, soit après celles « garanties par des sûretés immobilières classées entre elles dans l'ordre prévu au code civil », compte tenu de la complexité du régime de ces créances immobilières et de ce que les créances liées à la mise en sécurité présentent un lien de parenté avec celles liées à la poursuite de l’activité au cours de la période de liquidation, prévues aux 7° à 11° de l’article L. 643-8. Mais le Conseil d’État ne remet pas en cause le parti retenu. Il estime que le choix de classer les créances de mise en sécurité au sixième rang, qui est sans conséquence sur les créances prioritaires incontestables prévues en tête d’article, appartient au législateur. En outre, décaler les créances de mise en sécurité au septième rang risquerait d’amoindrir la portée de la mesure, compte tenu de la masse financière que représentent les créances relatives aux sûretés immobilières.

Ces remarques conduisent toutefois le Conseil d’État à souligner la nécessité de poursuivre les efforts de rationalisation du régime des privilèges entamés avec l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce dont est issu l’article L. 643-8.

Élargissement du champ de la déclaration de projet aux implantations industrielles vertes

26. L’intégration des projets d’implantation de certaines installations industrielles dans le champ d’application de la procédure dite de « déclaration de projet », organisée par l'article L. 300-6 du code de l'urbanisme, vise à en faciliter la réalisation puisque la déclaration de projet emporte mise en compatibilité du document d’urbanisme qui y ferait obstacle.

27. La définition générique des installations susceptibles d’en bénéficier (« installations de fabrication ou d’assemblage des produits ou équipements qui participent directement aux chaînes de valeur des activités dans les secteurs favorables au développement durable ») est suffisamment encadrée par le législateur pour qu’il puisse renvoyer au décret en Conseil d’État le soin de dresser la liste de ces technologies, qui pourrait être proche de celles dites « zéro net » qui devraient faire l’objet d’une future réglementation européenne.

28. Comme pour les autres types d’opérations au profit desquelles cette procédure de mise en compatibilité est prévue, elle n’affecte pas, par elle-même, la libre administration des collectivités territoriales dans la mesure où elle ne peut être utilisée lorsque la déclaration de projet porte atteinte au projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du document d’urbanisme.

29. Le Conseil d’État relève cependant que le nombre des hypothèses dans lesquelles il peut y être recouru augmente - la dernière en date, au profit de certaines installations de production d’énergies renouvelables, ayant été introduite par la loi n° 2023- 175 du 10 mars 2023 - ce qui multiplie les cas dans lesquels une modification des règles locales d’urbanisme peut être imposée aux collectivités territoriales et devrait conduire à s’interroger, à l’avenir, sur les limites à poser à ce cumul.

La conséquence qui en est tirée, par le projet de loi, n’est que formelle et consiste à réécrire le premier alinéa de l'article L. 300-6 en distinguant ces hypothèses afin d’en améliorer la lisibilité.

Dispositions instituées au profit de projets industriels dits « d’intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique »

30. Soucieux d’offrir à de très grands projets industriels des conditions d’implantation plus favorables afin de donner d’emblée à l’investisseur des perspectives de réalisation rapide, le projet de loi prévoit quatre mesures destinées à en faciliter et en accélérer la mise en œuvre.

Ces projets seront identifiés par un décret qui les qualifiera de « projet d'intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique » lorsque, par la nature de leurs productions, ils réduisent la dépendance de la France dans des secteurs stratégiques ou contribuent à la transition écologique et qu’ils revêtent un intérêt national eu égard à leur importance en termes d’investissement et de création d’emplois, des ordres de grandeurs en milliards d’euros et en milliers d’emplois étant évoqués, sans que des seuils puissent d’emblée être fixés. 

31. La première des mesures est une procédure allégée de mise en compatibilité des documents d’urbanisme largement inspirée de celle élaborée, pour les projets de construction de réacteur électronucléaire déclaré d’intérêt général, par le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires (Assemblée Générale - 27 octobre 2022 – Avis sur un projet de loi visant à accélérer la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité des sites existants – n° 405769, points 8 à 12), reprise en substance par le Parlement ainsi qu’il ressort du texte issu de la commission mixte paritaire et soumis à l’approbation des assemblées au début de ce mois.

Le champ d’application en est certes plus étendu puisqu’il n’est pas limité aux documents d'urbanisme locaux mais porte également sur les documents de planification régionale et permet non seulement la modification mais aussi la révision de l’ensemble de ces documents. Cet élargissement du champ d’application s’explique notamment par le fait que les projets en cause nécessitent souvent plusieurs centaines d’hectares d’un seul tenant. Le Conseil d’État estime qu’il est justifié au regard de l’atteinte qu’il est susceptible de porter au principe de libre administration des collectivités territoriales dès lors que de tels projets répondent aux exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation que sont son indépendance ainsi que les éléments essentiels de son potentiel économique.

Le Conseil d’État considère, en revanche, que, même limitée aux modifications qui ne sont pas soumises à évaluation environnementale, la procédure de mise à disposition du public ne saurait, en l’espèce, eu égard à l’absence de toute forme de consultation préalable obligatoire du public, telle qu’un débat public, satisfaire aux exigences constitutionnelles en matière de participation du public pour la protection de l’environnement. Il propose que la procédure de participation du public soit celle prévue par l’article L. 123-19 du code de l’environnement, ce qui reçoit l’accord du Gouvernement, tout comme la suppression de la disposition mettant à la charge du porteur de projet les frais exposés par les services de l’État pour la mise en compatibilité des documents.

32. La deuxième mesure, qui consiste à faire relever de la compétence de l’État les autorisations d’urbanisme que nécessitent travaux, installations, constructions et aménagements d’un projet d’intérêt national majeur, tient à la nécessité de coordonner et d’unifier leur instruction. Elle est de même nature que les autres projets que l'article L. 422-2 du code de l'urbanisme soustrait à la compétence de droit commun du maire dans les communes dotées d’un plan local d'urbanisme ou d’un document en tenant lieu, telles les opérations d'intérêt national. Le Conseil d’État estime que cette « recentralisation » limitée à des projets exceptionnels ne porte pas d’atteinte certaine à la Constitution à la libre administration des collectivités territoriales.

33. La troisième mesure est la possibilité de reconnaître au projet d'intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, au moment où il est identifié comme tel par décret, la qualité de « projet répondant à une raison impérative d'intérêt public majeur », au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, qualification qui constitue l’une des trois conditions prévues par le 4° du I de cet article pour que soit délivrée une dérogation à l’obligation stricte de protection de certaines espèces.

La réalisation de projets d’aménagement et d’équipement nécessite souvent de telles dérogations, qui ne peuvent cependant être sollicitées qu’à un stade relativement avancé de leur mise en œuvre, de sorte qu’un projet assez abouti peut être mis en échec si la dérogation qu’il doit obtenir ne lui est pas accordée ou est annulée parce qu’il ne répond pas à une raison impérative d'intérêt public majeur, alors même que les deux autres conditions auxquelles est soumise une dérogation seraient remplies.

A l’occasion de l’examen du projet de loi devenu la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, le Conseil d'Etat a constaté que ni le paragraphe 1 de l’article 16 de la directive « Habitats » ni, en son état actuel, la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne ne faisaient obstacle à ce que la loi définisse des critères permettant de considérer que certains projets répondent à une raison impérative d'intérêt public majeur (Assemblée Générale, 15 et 22 septembre 2022, projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables, n° 405732, points 12 à 14).

La nécessité d’un examen au cas, qui résulte de la directive selon la jurisprudence de la Cour, demeure, en tout état de cause, puisqu’il appartient à l’administration, sous le contrôle du juge, d’apprécier si le projet satisfait aux critères posés par la loi et le décret pour répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur et si les deux autres conditions prévues par le 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement sont effectivement réunies. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2023-848 DC du 9 mars 2023 (points 20 à 31), a confirmé, pour les mêmes raisons, que la présomption ainsi instituée ne méconnaissait pas l'article 1er de la Charte de l’environnement.

Toutefois, le législateur doit encadrer cette reconnaissance automatique du caractère d’opération répondant à une raison impérative d'intérêt public majeur par des critères pertinents, sauf, comme l’a souligné le Conseil Constitutionnel dans la même décision, à méconnaître la compétence que lui confère l'article 34 de la Constitution de déterminer les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement.

Or, le projet de loi soumis au Conseil d’État ne définit aucun des critères auxquels serait subordonnée cette présomption et il s’est avéré, eu égard au caractère exceptionnel de ces projets, hasardeux de le faire. Ainsi, le Conseil d’État considère que la disposition proposée par le Gouvernement est entachée d’incompétence négative.

Il est cependant loisible au Gouvernement de procéder à cette qualification de projet répondant à une raison impérative d'intérêt public majeur en la justifiant, au cas par cas, au regard de son objet et de son importance et sous le contrôle du juge, à l’occasion de l’intervention du décret donnant au projet le caractère de projet d'intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique. Le Conseil d’État propose donc de substituer, avec l’accord du Gouvernement, cette possibilité à la reconnaissance automatique.

Cette qualification ne donne toutefois au porteur de projet la sécurité juridique recherchée en amont de la demande de dérogation à la protection de certaines espèces que si elle devient définitive. Cet objectif conduit à ne permettre la contestation de cette qualification qu’à l’occasion d’un recours contre le décret, cette limitation du droit au recours étant fondée sur l’intérêt général présenté par les projets d'intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique (Assemblée Générale, 15 et 22 septembre 2022, projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables, n° 405732 - point 15 et point 35 du présent avis ).

34. La quatrième mesure vise à étendre aux projets d'intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique le bénéfice des dérogations temporaires en matière de raccordement au réseau de transport d’électricité accordées, à titre temporaire, par les articles 27 et 28 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, à certaines installations de production ou de stockage d'hydrogène renouvelable ou bas-carbone, ainsi qu’à des opérations de décarbonation industrielle. Elle ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.

Reconnaissance de la raison impérative d'intérêt public majeur à une opération ou à des travaux à l’occasion de l’acte les déclarant d’utilité publique

35. Le projet de loi prévoit également que la reconnaissance de la qualité d’opération répondant à une raison impérative d'intérêt public majeur à une opération ou à des travaux déclarés d’utilité publique, peut être accordée dans l’acte déclaratif d’utilité publique lui-même, dont elle constituera une disposition distincte, et ce pour la durée de validité de la déclaration d’utilité publique (DUP) et de ses prorogations éventuelles, dans la limite de dix ans.

Dans cette hypothèse, la reconnaissance de la qualité d’opération répondant à une raison impérative d'intérêt public majeur ne pourra être contestée devant le juge administratif qu’au stade de la DUP et ne pourra plus être remise en cause lorsque la dérogation sera ultérieurement délivrée : seuls les autres critères auxquels sont soumis la dérogation pourront être contestés devant le juge administratif. C’est donc à l’autorité administrative compétente pour prendre la DUP qu’il appartiendra d’apprécier, lorsqu’il est probable ou certain qu’une dérogation « espèces protégées » sera nécessaire, si l’opération ou les travaux répondent à une raison impérative d'intérêt public majeur et notamment, s’agissant des installations de production d’énergie renouvelable et de leurs ouvrages de raccordement, s’ils répondent aux critères fixés par le projet de loi et son décret d’application.

36. Le Conseil d’État estime que rien ne s’oppose à ce qu’une telle reconnaissance puisse avoir lieu dès le stade de la DUP. Il considère que les dispositions prévues préservent le droit au recours tout en apportant aux porteurs de projets une sécurité juridique, elle aussi protégée par la jurisprudence constitutionnelle, qui admet de telles limitations lorsqu’elles sont fondées sur un objectif d’intérêt général, ce qui est le cas de la réalisation d’une opération déclarée d’utilité publique. 

Dispense d’autorisation d’exploitation commerciale pour les activités commerciales d’une zone d’activités économiques transférées en vue d’un regroupement à l’occasion d’une grande opération d'urbanisme

37. L’une des possibilités d’implantation de nouvelles installations industrielles dans les zones d'activités économiques (ZAE) consiste à y accroitre le foncier disponible, en regroupant des activités commerciales qui y sont situées. Mais de tels transferts sont soumis à l’obtention d’une nouvelle autorisation d’exploitation commerciale, ce qui constitue un obstacle important. Le projet de loi prévoit donc une exonération dans ces cas, en assortissant la dérogation de conditions précises, en particulier celle que ce regroupement s’effectue dans le cadre d’une grande opération d'urbanisme et s’inscrive dans les objectifs de celle-ci, qui satisfont à l’exigence d’un encadrement strict. Cette disposition n’appelle pas d’observation particulière de la part du Conseil d’État.

Sur les enjeux environnementaux de la commande publique (Titre II)

38. En premier lieu, le projet de loi complète l’habilitation à intervenir par ordonnance de l’article 12 de la loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, pour prévoir un nouveau cas d’exclusion des procédures de passation de la commande publique. Cette exclusion vise les entreprises ne respectant pas les obligations de publication d’informations en matière de durabilité qui leur incomberont après transposition, prévue par le même article d’habilitation, de la directive n° 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022. Cette disposition n’appelle pas de remarque de la part du Conseil d’État, sous réserve d’une modification visant à prévoir un délai propre à cette habilitation, courant à compter de la promulgation de la loi relative à l’industrie verte, de façon à éviter toute difficulté liée à la date à laquelle cette loi sera adoptée.

39. En deuxième lieu, le projet de loi prévoit que les acheteurs pourront décider d’exclure des procédures de passation des contrats de la commande publique les entreprises qui ne satisfont pas à l’obligation d’établir un bilan des émissions de gaz à effet de serre prévue par l’article L. 229-25 du code de l’environnement. Cette nouvelle cause d’exclusion ne soulève pas de difficulté d’ordre juridique, dès lors, notamment, que les directives de 2014 relatives aux marchés publics (directive 2014/24/UE) et aux concessions (directive 2014/23/UE) permettent explicitement aux États membres de prévoir de tels dispositifs. Le Conseil d’État souligne que si le projet de loi crée une possibilité et non une obligation pour les acheteurs publics, le respect du principe d’égalité impose que, lorsqu’elle est mise en œuvre, cette cause d’exclusion soit appliquée de manière identique à tous les candidats. Enfin, le Conseil d’État suggère de ne pas retenir la phrase aux termes de laquelle : « Une telle prise en compte ne peut être de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l’exécution de la prestation », dont la portée exacte est indécise dès lors que l’acheteur n’est pas tenu de mettre en œuvre cette cause d’exclusion. Pour cette même raison, il recommande au Gouvernement d’envisager la suppression de cette phrase dans les articles L. 2141-7-1 et L. 3123-7-1 du même code, relatifs à la possibilité d’exclusion pour non-respect de l’obligation d’établir un plan de vigilance, où elle a précédemment été insérée.

40. Le projet de loi prévoit en troisième lieu d’introduire à l’article L. 2152-7 du code de la commande publique une définition de l’offre économiquement la plus avantageuse, de façon à y faire apparaître la possibilité de prévoir des critères environnementaux dans le choix du co‑contractant.

Le Conseil d’État recommande au Gouvernement de ne pas retenir cette disposition. En effet, l’explicitation de cette notion d’offre économiquement la plus avantageuse a été inscrite jusqu’à présent dans la partie réglementaire du code de la commande publique et aucune raison valable ne conduit à revenir sur le partage entre loi et règlement auquel il a ainsi été procédé. Le Conseil d’État note à cet égard que la partie réglementaire du code prévoit déjà que des critères environnementaux peuvent être pris en compte au titre de l’offre économiquement la plus avantageuse, de sorte que la disposition proposée ne change rien au droit positif.

En outre, le Conseil d’État relève que les dispositions de l’article L. 2152-7 ont déjà fait l’objet d’une modification, qui n’est pas encore entrée en vigueur, par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, consistant à rendre obligatoire la prise en compte d’au moins un critère environnemental. Dans la rédaction issue de la saisine rectificative, il est prévu en conséquence que la phrase insérée par le projet de loi disparaîtra à l’entrée en vigueur de celle résultant de la loi du 22 août 2021, soit au plus tard le 21 août 2026. Le Conseil d’État estime qu’un tel enchaînement de textes, dans un temps aussi court, n’est pas de bonne méthode législative et est inutilement complexe, dès lors surtout que, ainsi qu’il a été dit, la disposition prévue n’ajoute rien au droit de la commande publique. 

Sur le financement de l’industrie verte (Titre III).

Référencement dans les contrats d’assurance vie des labels reconnus par l’État au titre du financement de la transition énergétique et écologique et de l’investissement socialement responsable

41. Le projet de loi complète l'article L. 131-1-2 du code des assurances, en instaurant l’obligation pour les contrats comportant des garanties exprimées en unités de compte de référencer, pour chaque label reconnu par l’État au titre du financement de la transition énergétique et écologique et de l’investissement socialement responsable, au moins un actif.

Ces dispositions, qui ne méconnaissent pas l'article 133 de la directive 2009/138 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice, n’appellent pas d’observations particulières de la part du Conseil d’État, sous réserve d’améliorations de rédaction qu’il suggère au Gouvernement de reprendre.

42. Le Conseil d’État souligne toutefois qu’en conséquence de ces nouvelles dispositions, il convient de modifier l'article L. 224-3 du code monétaire relatif aux plans d’épargne retraite et prend acte de l’intention du Gouvernement de procéder à cette modification dans un prochain texte.

Création du « plan d’épargne avenir climat »

43. Le projet de loi crée un produit d’épargne destiné aux mineurs, le « plan d’épargne avenir climat ». Il prévoit que les versements effectués, dans la limite d’un plafond fixé par arrêté, doivent permettre à ceux-ci de se constituer un capital disponible à leur majorité. Le plan peut être proposé par un établissement de crédit ou une entreprise d’investissement, sans que son ouverture requière l’intervention du représentant légal du mineur. Pour toute ouverture d’un plan au cours de l’année de naissance du titulaire, l’Etat verse un abondement. Les encours sont gérés selon une allocation permettant d’orienter les placements vers le financement de l’économie productive et de la transition écologique, et de réduire progressivement les risques financiers à mesure que l’on se rapproche de la majorité du titulaire. L’épargne est bloquée jusqu’à la majorité du titulaire, sauf invalidité ou décès d’un des parents.

44. Le Conseil d’État note qu’une loi de finances précisera les avantages fiscaux qu’il est envisagé d’accorder à ce nouveau plan d’épargne. En accord avec le Gouvernement, il propose de compléter le projet de loi pour y inscrire le principe de la centralisation des fonds récoltés au sein d’un établissement public ainsi que le champ des mesures d’application requises par le texte, la date de son entrée en vigueur au 1er janvier 2024, l’impossibilité pour le titulaire d’ouvrir plus d’un plan d’épargne, les modalités de retrait des fonds en cas d’invalidité du titulaire ou de décès de l’un de ses parents et l’extension au représentant légal du titulaire de l’envoi des informations sur la performance du plan.

Renforcement de la capacité de l’assurance-vie et du plan d’épargne retraite à contribuer au financement d’actifs réels

45. L'article L. 131-1-1 du code des assurances autorise les contrats d’assurance vie en unités de compte à être investis, bien que destinés à des particuliers, dans des fonds d’investissement alternatifs réservés aux investisseurs professionnels, sous réserve de conditions tenant à la situation et à l’expérience financières du souscripteur.

Le projet de loi étend cette possibilité, aux mêmes conditions, aux organismes de financement spécialisés régis par les dispositions du code monétaire et financier. Un nouvel article L. 224‑3‑1 est inséré dans le code monétaire et financier pour ouvrir, en outre, les mêmes possibilités d’investissement aux plans d’épargne retraite.

46. Pour l’assurance vie et le plan d’épargne retraite, le projet de loi prévoit que les conditions tenant à la situation et aux connaissances ou à l’expérience financières du souscripteur ne sont pas exigibles, lorsque les fonds concernés ont reçu le label « ELTIF » conformément au règlement n° 2015/760 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2015 relatif aux fonds européens d’investissement à long terme et peuvent, par suite, être commercialisés auprès d’investisseurs non professionnels.

47. Le Conseil d’État souligne que les plans d’épargne retraite ayant donné lieu à l’ouverture d’un compte titres doivent pouvoir être investis sans restriction dans l’ensemble des fonds labellisés « ELTIF » et autorisés, en application du règlement européen n° 2015/760, à être commercialisés auprès d’investisseurs non professionnels. Il estime, par suite, que les parts de ces fonds doivent, avant l’entrée en vigueur de la révision de ce règlement, être inscrites sur la liste des titres offrant une protection suffisante de l’épargne figurant à l'article R. 224-1 du code monétaire et financier.

48. Le projet de loi prévoit également que les contrats d’assurance-vie en unités de compte offrent, comme déjà aujourd’hui les plans d’épargne retraite, la possibilité d’opter pour une gestion pilotée, selon différents profils de risque et d’allocation de l’épargne, entre lesquels le souscripteur choisit en fonction de son horizon de liquidité, de sa situation et de son expérience financière. Il précise que le ministre chargé de l’économie pourra, pour certains de ces profils, fixer une part minimum d’unités de comptes constituées d’organismes de placements collectifs investis en actifs non cotés, aussi bien pour les contrats d’assurance-vie que pour les plans d’épargne retraite.

Le Conseil d’État estime que cette mesure ne soulève pas de difficulté d’ordre constitutionnel ou conventionnel. Il suggère qu’eu égard aux objectifs poursuivis par le projet de loi, cette part minimum comprenne des unités de comptes constituées d’organismes de placement collectifs investis dans des titres émis par les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille moyenne.

49. Le projet de loi autorise, par ailleurs, les entreprises d’assurance, lorsqu’un contrat comporte des engagements exprimés en unités de compte caractérisés par une faible liquidité, à limiter par voie contractuelle les possibilités de rachat, cette limitation ne pouvant toutefois pas s’opposer à une demande de rachat intégral du contrat.

Cette disposition, qui complète les précédentes, n’appelle pas d’observations particulières de la part du Conseil d’État.

50. Le Conseil d’État estime réaliste, comme le fait le projet de loi, de fixer l’entrée en vigueur de l’ensemble des dispositions mentionnées aux points 48 à 52 douze mois après la publication de la loi et note que les dispositions mentionnées au point 51 s’appliquent aux nouveaux contrats et aux nouvelles adhésions à des contrats d’assurance de groupe déjà conclus à partir de cette entrée en vigueur.

Soutien au développement de fonds européens d’investissement de long terme

51. Afin de faciliter l’acquisition du label « ELTIF » par les fonds communs de placement à risque et les organismes de placement collectifs immobiliers, le projet de loi instaure une période de deux ans pendant laquelle ces fonds peuvent choisir d’être régis par les dispositions applicables aux fonds professionnels spécialisés.

Le Conseil d’État est d’avis que cette mesure novatrice ne soulève pas, dans son principe, de difficulté d’ordre constitutionnel ou conventionnel. Il estime toutefois nécessaire de préciser les conditions auxquelles ces fonds doivent satisfaire pour continuer à bénéficier de leur régime fiscal actuel. Il propose également au Gouvernement de préciser les droits des porteurs de parts de ces fonds, et suggère de prévoir que les dispositions relatives au droit d’option qui leur est accordé entrent en vigueur en même temps que le règlement n° 2023/606, soit le 10 janvier 2024.

52. Le projet de loi habilite enfin le Gouvernement à prendre par ordonnance, sur le territoire métropolitain et en outre-mer avec les adaptations nécessaires, diverses mesures permettant d’adapter le code monétaire et financier pour faciliter la création de fonds européens d’investissement de long terme en France et assurer leur complémentarité avec les différentes catégories de fonds existantes.

Cette habilitation, qui vise à accompagner l’entrée en vigueur de la révision du règlement n° 2015/760 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2015 par le règlement n° 2023/606 du 15 mars 2023, répond aux exigences de l’article 38 de la Constitution. Le Conseil d’État, qui constate qu’il n’est pas possible de maintenir dans le projet de loi certaines dispositions relatives à Saint‑Pierre-et-Miquelon faute d’une consultation préalable du conseil territorial, note que l’habilitation permettra d’y définir les conditions d’application des mesures du projet de loi qui font référence à ce règlement. Il attire l’attention du Gouvernement sur le fait que les ordonnances envisagées devront vraisemblablement, compte tenu de leur objectif, modifier également le code général des impôts et propose de modifier la rédaction de l’habilitation en conséquence.

Autres dispositions

53. Le projet de loi comporte d’autres dispositions qui ont pour objet notamment :

- de permettre aux exploitants d’ICPE ayant notifié leur cessation d’activité avant le 1er juin 2022 de demander à un professionnel certifié de fournir des attestations relatives à la réhabilitation de site ;

- de prévoir qu’un tiers intéressé peut se substituer à l'exploitant d’une ICPE mise à l’arrêt définitif pour réaliser des opérations de mise en sécurité ;

- de permettre au préfet de mettre en demeure l’exploitant d’une ICPE dont l’activité a cessé depuis trois ans de procéder à la mise à l'arrêt définitif sur une partie seulement du site ;

- d’étendre le régime de compensation des atteintes à la biodiversité aux actions volontaires de restauration de sites naturels ;

- de clarifier le champ d’application de l’obligation d’établir un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables, prévue à l’article L. 2111-3 du code de la commande publique ;

- de préciser les conditions d’entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets aux termes desquelles au moins un critère environnemental doit être pris en compte dans le choix de l’attributaire d’un marché public ;

 - de rendre éligibles au plan d’épargne en actions, sous réserve de certaines conditions, les actions ou parts de sociétés de libre partenariat, de sociétés de financement spécialisé ou de fonds de financement spécialisé ;

- de rendre applicables l’ensemble des modifications apportées au code des assurances aux opérations d’assurance vie des mutuelles et unions régies par le code de la mutualité ;

- d’étendre le devoir de conseil des intermédiaires et des entreprises d’assurance au cours de la vie du contrat, conformément à une recommandation de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

 

Ces dispositions n’appellent pas d’observations particulières de la part du Conseil d’État, sous réserve de précisions et d’améliorations de rédaction qu’il suggère au Gouvernement de reprendre.

Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du 11 mai 2023.