Avis sur un projet de loi organique et un projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée

1.    Le Conseil d’Etat a été saisi le 22 novembre 2019 d’un projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée. Le projet a fait l’objet de saisines rectificatives les 14, 17 et 21 janvier 2020.

2.    Le projet comprend 15 articles, répartis en quatre titres : le Titre I comporte des dispositions relatives au Parquet européen ; le Titre II est relatif à la justice pénale spécialisée ; le Titre III rassemble des dispositions diverses ; le Titre IV traite de l’application outre-mer et de l’entrée en vigueur.

3.    L’étude d’impact qui accompagne le projet de loi est, sous réserve de ce qui est dit au point 33, précise, documentée et complète au regard des exigences de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009.

Parquet européen (Titre I)

Organisation et mission

4.    En application de l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, adopté à Lisbonne le 31 décembre 2007, : « Le Conseil ou un groupe d’au moins neuf Etats peuvent instituer à partir d’Eurojust un parquet européen compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Il exerce devant les juridictions compétentes des Etats membres, l’action publique relative à ces infractions ». Sur ce fondement, un règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 a mis en œuvre une coopération renforcée - dont la France est partie aux côtés de 21autres Etats de l’Union - concernant le Parquet européen. Ce règlement a été précédé d’une directive (UE) 2017/1371 du 5 juillet 2017 définissant les infractions aux intérêts financiers de l’Union qui a fait l’objet d’une transposition par une ordonnance n° 2019-963 du 18 septembre 2019 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal.

5.    Organe indépendant de l’Union, doté de la personnalité juridique (art. 3 du règlement), lié par les principes de nécessité et de proportionnalité (art. 5), le Parquet européen fonctionne comme un parquet unique organisé à un double niveau, central et décentralisé (art. 8). L’échelon central, situé au siège du Parquet européen à Luxembourg, se compose du chef du Parquet européen, de ses deux adjoints, ainsi que de 22 procureurs. Il comporte, d’une part, un collège des 22 procureurs en charge de la gouvernance du Parquet et de la définition de la politique d’action publique générale (art. 9) et, d’autre part, des chambres permanentes, chargées de superviser et diriger les enquêtes et les poursuites menées par les procureurs européens délégués (art. 10). Ces derniers constituent l’échelon décentralisé du Parquet européen. Ils agissent en son nom dans leurs Etats respectifs et sont investis des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en œuvre en état des affaires (art. 12). Chaque Etat membre compte au moins deux procureurs européens délégués.

6.    Il résulte des dispositions combinées des articles 22.1, 25.2 et 27.8 du règlement, que le Parquet européen est compétent pour les fraudes portant atteinte aux dépenses, recettes et avoirs, au préjudice du budget de l’Union européenne ainsi que pour les infractions connexes. Sauf éléments liés à la gravité des faits, à leur étendue dans l’Union européenne ou à la complexité de la procédure, les fraudes hors TVA, ne sont de la compétence du Parquet européen qu’au cas où elles portent sur des montants supérieurs à 100 000 euros. Le Parquet européen est par ailleurs compétent pour les fraudes liées à la TVA à la double condition que le préjudice soit supérieur à 10 millions d’euros et que les actes incriminés soient en lien avec au moins deux Etats participants.

7.    En application de l’article 24 du règlement, les institutions, organes et organismes de l’Union et les autorités compétentes des Etats membres ont l’obligation de signaler au Parquet européen tout comportement délictueux à l’égard duquel celui-ci pourrait exercer sa compétence, tandis que les autorités judiciaires ou répressives des Etats membres, lorsqu’elles ouvrent une enquête concernant une infraction pénale à l’égard de laquelle le Parquet européen pourrait exercer sa compétence, sont tenues de l’en informer sans retard indû. Le Parquet européen exerce sa compétence, soit en ouvrant une enquête (art. 26), soit en utilisant son droit d’évocation (art. 27) lorsqu’une enquête est déjà ouverte dans un Etat membre. En cas de désaccord entre le Parquet européen et les autorités nationales chargées des poursuites sur la question de savoir si le comportement délictueux entre ou non dans le champ des infractions aux intérêts financiers de l’Union, ce sont les autorités nationales compétentes pour statuer sur la répartition des compétences en cas de poursuite à l’échelle nationale qui déterminent qui doit être compétent pour instruire l’affaire (art. 26.6).  

8.    Au moins dans les cas où l’infraction qui fait l’objet de l’enquête est passible d’au moins quatre ans d’emprisonnement, les Etats membres doivent veiller à ce que les procureurs européens délégués soient habilités à ordonner ou à demander un certain nombre de mesures d’enquête, notamment la perquisition de domiciles privés, la production de données informatiques, l’interception de communications électroniques reçues ou passées par le suspect (art. 30).

9.    Le règlement organise les modalités de renvois et de transferts des procédures aux autorités nationales (art. 34). Il fixe les garanties accordées aux suspects et aux personnes poursuivies (art. 41). Il prévoit que les actes de procédure du Parquet européen qui sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers sont soumis au contrôle des juridictions nationales compétentes conformément aux exigences et procédures prévues par le droit national, tandis que la Cour de Justice de l’Union européenne est compétente sur la validité des actes de procédure du Parquet européen pour autant qu’une telle question de validité soit soulevée devant une juridiction nationale sur la base du droit de l’Union (art. 42).  

Adaptations du cadre procédural français à la création du Parquet européen

10.    Le projet de loi vise à adapter le code de procédure pénale à la mise en place, dans l’ordre juridictionnel français, du Parquet européen et des procureurs européens délégués. Il insère à cette fin dans son Livre IV (« De quelques procédures particulières ») un titre X bis nouveau : « Du parquet européen ». Il désigne le tribunal judiciaire et la cour d’appel de Paris comme les juridictions du fond ayant compétence exclusive pour être saisies par le procureur européen et ses délégués qui exerceront auprès d’elles le ministère public dans les domaines concernant des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Il modifie en conséquence le code de l’organisation judiciaire et tire les conséquences de la création du Parquet européen dans le code des douanes. Il prévoit la ratification de l’ordonnance n° 2019-963 du 18 septembre 2019.

11.    Le projet apporte d’abord au code de procédure pénale les modifications nécessaires pour assurer l’indépendance du procureur européen délégué, conformément aux prescriptions du règlement (UE) 2017/1939. A cette fin, les dispositions du code relatives au lien hiérarchique au sein du ministère public sont expressément exclues : le procureur européen délégué - qui sera, ainsi que l’indique l’étude d’impact, un magistrat placé en position de détachement - ne pourra recevoir aucune instruction générale ou individuelle.

12.    Le projet définit, en deuxième lieu, les modalités selon lesquelles les signalements sont adressés au Parquet européen par le procureur de la République et les conséquences procédurales attachées à la décision du Parquet européen d’exercer sa compétence sur le dessaisissement du procureur de la République ou du juge d’instruction lorsqu’une enquête ou une information judiciaire a été ouverte.

13.    Le projet de loi précise, en troisième lieu, que le procureur européen délégué conduira les investigations conformément aux dispositions applicables à l’enquête de flagrance ou à l’enquête préliminaire ou à celle du code des douanes. Pour pouvoir mener ses investigations jusqu’à leur terme et dès lors qu’il ne pourra ouvrir d’information devant un juge judiciaire, sauf à perdre la conduite de la procédure et de ne plus être en mesure d’assurer l’indépendance du ministère public exercé par le Parquet européen requise par le règlement (UE) 2017/1939, le projet lui donne compétence pour recourir à des actes qui ne peuvent être décidés, dans le droit de la procédure pénale française, que par un juge d’instruction (mise en examen, interrogatoire, délivrance d’une commission rogatoire notamment). Le procureur européen pourra placer une personne mise en examen sous contrôle judiciaire. Il devra saisir le juge des libertés et de la détention pour que soient prononcées des mesures de placement sous assignation à résidence avec surveillance électronique, de détention provisoire ou que soit décerné un mandat d’arrêt. Il ne pourra que mettre fin à ces mesures ou les modifier dans un sens favorable à la personne poursuivie. Les perquisitions, visites domiciliaires et saisies, les interceptions de correspondance, la géolocalisation ou le recours à certaines techniques spéciales d’enquête seront également décidés par le juge des libertés et de la détention sur réquisition écrite et motivée du procureur européen délégué. Le projet de loi garantit les droits des parties de la même façon que lors d’une instruction et organise la clôture de celle-ci.

14.    Le projet organise en quatrième lieu les modalités de règlement des conflits négatif et positif de compétence entre le Parquet européen et les autorité nationales (parquets nationaux et juge d’instruction).

15.    Il prévoit que les dispositions du code de procédure pénale relatifs au Parquet européen entrent en vigueur à la date fixée par la Commission européenne en application de l’article 120 du règlement (UE) 2017/1939 et au plus tôt le 20 novembre 2020.

Appréciation juridique

16.    Le Conseil d’Etat s’est attaché à vérifier la conformité de ces dispositions aux normes supérieures au regard de trois exigences.

17.    Comme il l’a relevé dans ses « réflexions sur l’institution d’un parquet européen » (étude adoptée le 24 février 2011), le Conseil d’Etat considère d’abord que l’introduction du Parquet européen dans le droit national n’appelle pas de nouvelle révision constitutionnelle. Certes la création du Parquet européen touche aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale. Mais l’institution du Parquet européen est prévue par l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dans sa rédaction résultant du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. En modifiant l’article 88-1 de la Constitution pour y écrire que « la République participe à l’Union européenne constituée d’Etats qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences » en vertu de ce traité ainsi que du traité sur l’Union européenne, la loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 février 2008 a donné l’autorisation constitutionnelle nécessaire à l’adhésion de la France au dispositif du Parquet européen. Le règlement qui a ultérieurement mis en œuvre une coopération renforcée en cette matière n’a pas apporté de modification substantielle à la portée des engagements européens auxquels le pouvoir constituant a ainsi autorisé de souscrire.

18.    S’agissant des dispositions du projet de loi qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires du règlement de l’Union européenne, le Conseil d’Etat applique la grille de lecture dégagée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-765 DC du 12 juin 2018. Il constate qu’aucune de ces dispositions ne remet en cause une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.

19.    S’agissant des autres dispositions qui adaptent le droit répressif français pour tenir compte de l’innovation que constitue le Parquet européen, et notamment du modèle inédit de ministère public exercé par le procureur européen délégué, combinant les prérogatives du parquet et du juge d’instruction, le Conseil d’Etat considère qu’elles ne sont pas contraires aux exigences constitutionnelles. Il relève à cet égard que le procureur européen délégué ne peut avoir recours aux actes d’investigations les plus coercitifs ou aux mesures restrictives de liberté qu’avec l’autorisation du juge des libertés et de la détention et que les actes qu’il peut prendre aux lieu et place du juge d’instruction sont soumis au contrôle de la chambre de l’instruction.  

Le Conseil d’Etat estime en conséquence que le Titre I du projet de loi ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel.

Justice pénale spécialisée (Titre II)

Disposition donnant au parquet spécialisé le pouvoir de faire prévaloir l’exercice de sa compétence  

20.    Le Conseil d’Etat relève l’importance prise par la spécialisation  des juridictions répressives dans un certain nombre de domaines : loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, qui a attribué une compétence nationale spécialisée aux juridictions parisiennes pour les infractions terroristes, loi n° 94-89 du 1er février 1994 créant les pôles en matière économique et financière, loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé créant les pôles en matière sanitaire et environnementale, loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité créant les juridictions interrégionales spécialisées compétentes en matière économique et financière et pour la criminalité et la délinquance organisées, loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à créant les pôles en matière d’accidents collectifs, loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale créant le pôle cybercriminalité.
Plus récemment ont été créés deux parquets nationaux autonomes ayant une compétence nationale :
-    le parquet national financier, par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ;
-    le parquet national antiterroriste, par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.
Dans tous les cas les parquets spécialisés - nationaux autonomes ou non - disposent d’une compétence concurrente de celle qui est attribuée aux autres juridictions en application des critères habituels de compétence territoriale.

21.    Pour justifiée qu’elle soit – notamment par la gravité de certaines infractions, par la complexité de l’environnement dans lequel elles sont commises ou par la technicité du droit applicable – cette spécialisation a accru les risques de conflits de compétence entre parquets.
Si ceux-ci peuvent être surmontés lorsqu’ils se produisent entre des parquets subordonnés à l’autorité hiérarchique du même procureur général de cour d’appel, tel n’est plus le cas lorsque le conflit de compétence oppose des parquets relevant de cours d’appel différentes depuis la suppression, par la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013, du pouvoir du garde des sceaux d’adresser aux parquets des instructions individuelles versées au dossier.

22.    Le projet de loi crée un article 43-1 nouveau dans le code de procédure pénale qui prévoit que lorsque, dans le cadre d’une compétence concurrente, plusieurs parquets peuvent être compétents, le parquet bénéficiant d’une compétence spécialisée qui s’étend aux ressorts d’autres tribunaux judiciaires - spécialisés ou non - exerce sa compétence prioritairement, cet exercice prioritaire de compétence pouvant être mis en œuvre tant que l’action publique n’a pas déjà été mise en mouvement, le Conseil d’Etat propose de le préciser expressément dans le texte de l’article 43-1.

23.    Le Conseil d’Etat souscrit à l’objectif visé par le projet de loi. Il considère que le mécanisme prévu par le projet est utile pour remédier à la situation de conflit de compétences évoquée ci-dessus, en ce qu’elle concerne au moins un parquet spécialisé. Il souligne que la mise en œuvre de la priorité reconnue au parquet spécialisé par la disposition du projet demeurera assurée dans le respect de l’organisation hiérarchique du parquet, car l’exercice de ce droit de priorité s’effectuera sous le contrôle du procureur général sous l’autorité duquel tout parquet spécialisé est placé, qu’il soit autonome ou non, et quelle que soit l’étendue de sa compétence géographique. En outre, le garde des sceaux pourra, le cas échéant, adresser des instructions générales dans ce domaine sur le fondement de l’article 30 du code de procédure pénale aux procureurs généraux.

24.    Le Conseil d’Etat relève que si la disposition du projet ne permet pas de régler tous les conflits de compétence entre parquets, notamment ceux susceptibles d’opposer des parquets non spécialisés relevant de cours d’appel différentes, ou des parquets spécialisés ayant des ressorts qui ne se recoupent pas, ceux-ci pourront être réglés dans le cadre d’un dialogue entre les procureurs généraux de cour d’appel compétents. En outre, en matière de criminalité organisée et s’agissant des conflits de compétence entre parquets des juridictions mentionnées à l’article 706-75 du code de procédure pénale ayant des ressorts différents, le parquet près le tribunal judiciaire de Paris pourra, le cas échéant, exercer sa compétence prioritairement en application des dispositions combinées du dernier alinéa de cet article et de l’article 43-1 nouveau « dans les affaires qui sont ou apparaitraient d’une très grande complexité en raison notamment du ressort géographique sur lequel elles s’étendent ».

25.    Le Conseil d’Etat invite le Gouvernement à procéder, au terme d’un délai qui lui paraîtra suffisant, à une évaluation de la mise en œuvre de ce nouvel article 43-1, en vue d’apprécier s’il répond de manière satisfaisante à la résolution des différents conflits de compétence entre parquets disposant d’une compétence concurrente.

Dispositions relatives à la réponse pénale en matière d’atteintes à l’environnement.

26.    Le projet comporte deux séries de dispositions qui visent à renforcer l’efficacité de la réponse pénale aux délits réprimés par le code de l’environnement.

Sur la convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale.

27.    En premier lieu le projet crée dans un article 41-1-3 nouveau du code de procédure pénale la convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale.

Ce mécanisme transactionnel, applicable aux seules personnes morales et pour les délits réprimés par le code de l’environnement ainsi que pour des infractions connexes, à l’exclusion des crimes et délits contre les personnes prévus par le livre II du code pénal, s’inspire directement de celui existant pour les faits d’atteinte à la probité et de fraude fiscale prévu à l’article 41-1-2, issu de l’article 22 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Dans la version du projet de loi proposée par le Gouvernement, la convention peut comporter, d’une part, une amende d'intérêt public au Trésor public, proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel et, d’autre part, l’obligation pour la personne morale de se soumettre à un programme de mise en conformité, sous le contrôle des services compétents du ministère chargé de l’environnement, destiné à assurer la régularisation de la situation de l’auteur, ou la réparation du dommage écologique causé. Lorsque la victime est identifiée la convention prévoit également la réparation des préjudices subis. La convention est soumise à la validation du président du tribunal judiciaire. L’ordonnance de validation et la convention sont publiées sur les sites internet du ministère de la justice et du ministère chargé de l’environnement. L’ordonnance de validation n’a pas les effets d’un jugement de condamnation et n’est pas inscrite au casier judiciaire de la personne morale. L’exécution de la convention a pour effet d’éteindre l’action publique. En cas de mauvaise exécution de la convention, le procureur de la République peut la révoquer et mettre en mouvement l’action publique.
A l’instar de ce que prévoit l’article 41-1-2, lorsque le juge d'instruction est saisi de faits constituant un des délits réprimés par le code de l’environnement, que la personne morale mise en examen reconnaît les faits et qu'elle accepte la qualification pénale retenue, le juge peut transmettre au procureur la procédure – avec l’accord ou à la demande de ce dernier - en vue de la mise en œuvre de l’article 41-1-3.

28.    Le Conseil d’Etat, comme il l’avait énoncé dans ses avis du 24 mars 2016 (Assemblée générale avis sur un projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique n° 391262) et du 12 avril 2018 (Assemblée générale avis sur un projet de loi de programmation de la justice 2018-2022 n° 394535), rappelle que les procédures conduisant à éteindre l’action publique sans que la personne mise en cause ait été citée à comparaître à l’audience devant la juridiction de jugement, notamment les procédures de type transactionnel, ne sauraient être prévues par la loi que dans les cas où les inconvénients qu’elles comportent, tant pour la protection des droits des personnes mises en cause et de la victime que pour la sauvegarde des intérêts de la société, n’apparaissent pas disproportionnés au regard de l’intérêt que leur mise en œuvre présente pour une bonne administration de la justice.

A ce titre, s’agissant des délits de droit commun, lorsqu’une mesure alternative à la poursuite devant la juridiction de jugement conduit à l’extinction de l’action publique, elle doit en principe être soumise à la validation ou à l’homologation d’un juge. Il ne peut en aller autrement que pour des délits de faible gravité et à la condition que les mesures retenues présentent un degré de sévérité qui n’excède pas le maximum des peines en matière contraventionnelle.

29.    Le Conseil d’Etat considère que la création de la convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale qui s’applique aux délits du code de l’environnement et qui est soumise à la validation d’un juge répond aux conditions rappelées ci-dessus et ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel.
Il estime approprié le renforcement des procédures alternatives aux poursuites – procédures qui contribuent largement à un taux de réponse pénale élevé aux infractions au code de l’environnement d’après les indications données dans l’étude d’impact - lorsque les dommages, par nature plus importants, sont causés par des entreprises. A cet égard la convention d’intérêt public complète utilement, pour les délits prévus par le code de l’environnement causés par des entreprises, les instruments existants que sont la transaction pénale sous le contrôle du procureur, de l’article 173-12 du code de l’environnement et la composition pénale de l’article 41-2 du code de procédure pénale rendue applicable aux personnes morales par l’article 41-3-1 A. Il considère qu’en permettant une réponse plus rapide que la procédure de renvoi devant une juridiction de jugement pour les délits les plus graves, et une amende d’intérêt public à la hauteur des avantages tirés des manquements constatés, ce que ne garantit pas nécessairement le montant des amendes prévues dans le code de l’environnement, la convention d’intérêt public est de nature à contribuer à assurer une plus grande effectivité et un meilleur respect des prescriptions du code de l’environnement
Le Conseil d’Etat propose de modifier la rédaction du projet pour clarifier et mieux garantir le respect des engagements souscrits par la personne morale en vue de régulariser sa situation au regard des lois et règlements, dans le cadre d’un programme de mise en conformité et de réparer le préjudice écologique résultant des infractions commises. Il propose également de prévoir que l’ordonnance de validation et la convention sont publiées non seulement sur les sites internet du ministère de la justice et du ministère chargé de l’environnement, mais en outre sur le site internet de la commune sur le territoire de laquelle le délit a été commis et, à défaut, de l’établissement public de coopération intercommunale auquel celle-ci appartient.

Sur la création des pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement

30.    En second lieu, le projet prévoit dans un article 706-2-3 nouveau du code de procédure pénale, que dans le ressort de chaque cour d’appel, un tribunal judiciaire est chargé du traitement des délits complexes du code de l’environnement, à l’exclusion de ceux confiés aux juridictions du littoral spécialisées par l’article 706-107 et aux juridictions interrégionales spécialisées par l’article 706-75. Les tribunaux judiciaires compétents en application de l’article 706-2-3 exerceront, dans tout le ressort de la cour d’appel, une compétence concurrente aux juridictions locales lorsque la complexité de l’affaire, en raison de sa technicité, de l’importance du préjudice ou du ressort géographique sur lequel elle s’étend, le justifie.

Le Conseil d’Etat estime que cette spécialisation, qui s’inscrit dans l’objectif de bonne administration de la justice, est de nature à renforcer l’efficacité et la cohérence de la réponse pénale aux délits du code de l’environnement les plus complexes.

Autres dispositions relatives à la justice spécialisée.

31.    Le titre II comporte d’autres dispositions relatives à la justice spécialisée qui n’appellent pas d’observation particulière du Conseil d’Etat. Elles ont pour objet :
-    de confier au procureur de la République antiterroriste la compétence d’exécution des demandes d’entraide judiciaire émanant de la Cour pénale internationale, jusqu’alors dévolue au parquet près le tribunal de Paris ;
-    de prévoir que le parquet national antiterroriste représente le ministère public aux audiences d’assises de première instance en matière de crimes contre l’humanité, de crimes de torture et de disparition forcée, et de crimes et délits de guerre ;
-    d’instituer une compétence concurrente du parquet national antiterroriste pour certains crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité ;
-    tirant les conséquences de la décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 déclarant contraire à la Constitution les dispositions du 1° de l’article 706-95-15 du code de procédure pénale relatives à la délivrance de l’autorisation de recourir aux techniques spéciales d’enquête dans certaines hypothèses, de déplacer les dispositions subsistantes du 2° de cet article et de ses premier et dernier alinéas au sein de l’article 706-95-13 du même code et, par coordination, d’abroger l’article 706-95-15 ;
-    d’attribuer au procureur de la République financier, au juge d’instruction et au tribunal correctionnel de Paris une compétence nationale concurrente pour la poursuite, l’instruction et le jugement des délits d’entente illicite, d’abus de position dominante et d’abus de dépendance économique (respectivement articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-2-2 du code de commerce).

Dispositions diverses (Titre III)

32.    Le Titre III comporte des dispositions de nature très diverse, destinées pour un grand nombre d’entre elles à tirer, dans le code de procédure pénale, les conséquences de décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation ou à procéder à des corrections légistiques.

Quatre d’entre elles appellent les observations particulières qui suivent.

Investigations techniques ou scientifiques en enquête préliminaire

33.    Aux termes de l’article 12 du code de procédure pénale « La police judiciaire est exercée sous la direction du procureur de la République » lequel peut, en application de l’article 39-3 du même code, « Dans le cadre de ses attributions de direction de la police judiciaires (…) adresser des instructions générales ou particulières aux enquêteurs. Il contrôle la légalité des moyens mis en œuvre par ces derniers, la proportionnalité des actes d’investigations au regard de la nature et de la gravité des faits, l’orientation donnée à l’enquête ainsi que la qualité de celle-ci ». Les articles 77-1, 77-1-1 et 77-1-2 définissent les types de réquisitions auxquelles les enquêteurs peuvent procéder en enquête préliminaire. Selon l’article 77-1 « S’il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, le procureur de la République, ou sur autorisation de celui-ci ‘officier ou l’agent de police judiciaire a recours à toutes personnes qualifiées ».  

Si les procureurs de la République ont pu dans les années récentes adresser aux enquêteurs de leur ressort des instructions valant autorisations permanentes de procéder aux réquisitions de l’article 77-1, encouragés en cela par la circulaire du 8 septembre 2016 du ministre de la justice relative aux mesures de simplification de la procédure pénale, ces pratiques ont été remises en cause par un arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 décembre 2019 invalidant, au visa de l’article 77-1, de telles autorisations au motif « qu’il résulte de ce texte que l’autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers de police judiciaire de faire procéder à des examens techniques ou scientifiques doit être donnée dans le cadre de la procédure d’enquête préliminaire en cours et non par voie d’autorisation générale et permanente préalable ; que cette interprétation est commandée par la nécessité de garantir la direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République ».

En conséquence de cette décision, le projet de loi introduit deux compléments à l’article 77-1 du code de procédure pénale. Le Conseil d’Etat relève que l’étude d’impact pourrait être enrichie d’une analyse des difficultés pratiques d’organisation du travail d’enquête dans les parquets auxquelles le Gouvernement entend apporter des solutions à la suite de cet arrêt. L’étude appelle des compléments sur ce point.

Autorisation préalable de procéder à certaines réquisitions

34.     La première modification a pour objet de permettre au Procureur de la République de délivrer aux enquêteurs de son ressort, par la voie d’une instruction générale prise sur le fondement de l’article 39-3, une autorisation préalable de requérir toutes personnes qualifiées afin de procéder à des examens médicaux ou psychologiques de la victime ou de procéder à des examens médicaux d’une personne poursuivie pour avoir commis une des infractions mentionnées à l’article 706-47 ou lorsque la personne suspectée est un majeur protégé. Cette autorisation a une durée maximale de six mois.

Le Conseil d’Etat rappelle qu’il résulte de l’article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous le contrôle direct et effectif de l’autorité judiciaire (décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 ct 59). Méconnaît ainsi cette exigence la permission donnée par la loi à tout enquêteur de requérir, dans une enquête préliminaire, sans autorisation du procureur de la République, tout organisme public de lui remettre des informations concernant l’enquête, dont certaines peuvent être attentatoires au respect de la vie privée (décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, ct 174 et 175). Le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse prévoir des mesures d'investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d'une gravité et d'une complexité particulières, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs, sous réserve que les restrictions qu'elles apportent aux droits et libertés constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises (décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010). Dans ce cadre le Conseil d’Etat ne voit pas d’obstacle constitutionnel à ce que la loi habilite en enquête préliminaire le procureur de la République à donner aux enquêteurs de son ressort une autorisation générale et préalable mais non permanente, pour effectuer des réquisitions à la condition que celles-ci soient précisément définies, nécessaires à la manifestation de la vérité ou prescrites par la loi et en adéquation avec les infractions auxquelles elles se rapportent. Le procureur doit être informé de ces réquisitions afin d’être en mesure d’exercer effectivement le pouvoir de contrôle de la police judiciaire qu’il tient de l’article 66 de la Constitution.

Il considère que la première modification proposée à l’article 77-1 respecte ces exigences. Les réquisitions visées sont les examens médicaux et psychologiques réalisés sur la victime ou sur la personne à l’encontre de laquelle il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis une des infractions visées à l’article 706-47 (comprenant notamment des infractions de nature sexuelle commises sur des mineurs) ou sur un majeur protégé poursuivi suspecté d’une infraction afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits. Il relève qu’il s’agit d’examens qui ne peuvent intervenir qu’avec l’assentiment de la personne et, s’agissant des victimes, souvent à la demande de celles-ci. Pour ceux pratiqués sur les personnes suspectées, ces examens sont au demeurant exigés par les dispositions des articles 706-47-1 et 706-115 du code de procédure pénale. L’autorisation a par ailleurs une durée limitée.   

Rapprochement de traces et d’empreintes génétiques, digitales ou palmaires  

35.    La deuxième modification introduite à l’article 77-1 du code de procédure pénale par le projet autorise l’officier de police judiciaire à requérir d’office et sans autorisation du procureur de la République toutes personnes qualifiées, en dehors de toute consultation des fichiers existant, aux fins de procéder à la comparaison entre une empreinte génétique issue de trace biologique et l’empreinte génétique d’une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 du code de procédure pénale ou aux fins de procéder à la comparaison entre une trace digitale ou palmaire et l’empreinte digitale ou palmaire d’une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis un crime ou un délit.

Le Conseil d’Etat relève qu’en vertu de l’article 706-54 les empreintes génétiques des personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 peuvent être conservées dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques sur décision d'un officier de police judiciaire agissant d'office. Celui-ci peut également d’office faire procéder à un rapprochement de l'empreinte de toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 avec les données incluses au fichier, sans toutefois que cette empreinte puisse y être conservée. L’article 706-56 l’autorise à procéder ou à faire procéder sous son contrôle, à l’égard des mêmes personnes à un prélèvement biologique destiné à permettre l’analyse d’identification de leur empreinte génétique. Ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a relevé que de tels actes, nécessairement accomplis dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction judiciaire placée sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction, n’impliquaient aucune intervention corporelle interne attentatoire à la dignité des personnes, ne portaient pas atteinte à la présomption d’innocence, ne soumettaient pas les intéressés à une rigueur non nécessaire et étaient aptes à contribuer à l’identification et à la recherche des auteurs d’infractions portant atteinte à la sécurité des personnes ou des biens dont la liste est donnée à l’article 706-55 du code de procédure pénale (décision n° 2010-25 QPC précitée).

Dans la mesure où les officiers de police judiciaires peuvent ainsi valablement procéder d’office aux comparaisons entre les empreintes et les données incluses au fichier national automatisé des empreintes génétiques et au fichier automatisé d’empreintes digitales (pour ces dernières en application de l’article 8 du décret n° 87-249 du 8 avril 1987), le Conseil d’Etat estime que les dispositions du projet, qui portent sur des réquisitions circonscrites à des rapprochements entre un nombre limité de traces ou d’empreintes et pour les comparaisons génétiques à celles des personnes suspectées de l’un des infractions énumérées à l’article 706-55, ne se heurtent à aucune objection constitutionnelle ou conventionnelle.

Délai d’appel formé contre une décision rendue à juge unique

36.    L’article 510 du code de procédure pénale est modifié par le projet de loi pour préciser qu’en cas d’appel formé contre une décision rendue par un juge unique, l’appelant disposera d’un délai d’un mois pour demander que son affaire soit examinée par la chambre des appels correctionnels statuant en formation collégiale. Il entend ainsi tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 (cons. 297) qui a jugé que la rédaction de l’article 510 issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 portait une atteinte excessive à la garantie des droits protégée par l’article 16 de la Déclaration de 1789 en imposant à l’appelant de former sa demande d’examen en formation collégiale au sein de l’acte d’appel, qui ne peut intervenir au-delà d’un délai de dix jours à compter du prononcé du jugement. Le Conseil d’Etat estime que le projet, en fixant à un mois le délai ouvert à l’appelant pour effectuer sa demande, tire de manière appropriée les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel.

Utilisation de la visio-conférence par un détenu en matière criminelle

37.    Le projet de loi modifie le quatrième alinéa de l’article 706-71 du code de procédure pénale afin de permettre à une personne détenue en matière criminelle depuis plus de six mois dont la détention n’a pas déjà fait l’objet d’une décision de prolongation, de refuser l’utilisation par la chambre de l’instruction de la visio-conférence lorsque celle -ci statue sur l’appel portant sur une décision de refus de mise en liberté prise par le juge des libertés et de la détention. Cette modification intervient au vu de la décision n° 2019-802 QPC du 20 septembre 2019 du Conseil constitutionnel dans laquelle celui-ci a jugé que les dispositions de l’article 706-71 issues de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, en ne permettant pas à la personne détenue en matière criminelle de comparaitre physiquement devant un juge pendant une durée d’un an, portaient une atteinte excessive aux droits de la défense. Il résulte de cette décision qu’une personne placée en détention provisoire en matière criminelle doit pouvoir exiger sa comparution physique devant un juge tous les six mois.  

Toutefois, la rédaction proposée par le projet aurait permis à la personne détenue de refuser le recours à la visio-conférence autant de fois qu’elle le souhaite après les six premiers mois de sa détention provisoire avant que celle-ci ne soit prolongée au bout d’un an. Elle l’aurait en revanche empêchée de refuser cette visio-conférence lorsqu’elle aurait saisi directement la chambre de l’instruction en application du dernier alinéa de l’article 148 du code de procédure pénale, qu’elle qu’ait été la durée de sa détention. En conséquence et pour se conformer aux seules conséquences nécessaires de la décision du Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat recommande de prévoir que la comparution physique de l’intéressé ne peut s’imposer en matière criminelle à la chambre de l’instruction saisie directement ou statuant en appel d’une ordonnance de refus de mise en liberté, que si l’intéressé n’a pas personnellement comparu, sans recourir à un moyen de communication audiovisuelle, devant la chambre de l’instruction depuis au moins six mois.

Création d’une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans un ou plusieurs réseaux de transport public

38.    Le projet crée dans le code des transports une peine complémentaire de paraître dans un ou plusieurs réseaux de transport collectif de voyageurs ou dans un ou plusieurs lieux destinés à l’accès à de tels moyens de transport. Cette peine est susceptible d’être prononcée à l’égard de personnes déclarées coupables soit d’un crime, soit des délits de violences, d’agression sexuelle, d’exhibition sexuelle, de harcèlement sexuel, de vol ou d’extorsion prévus par le code pénal commis dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou dans un lieu destiné à l’accès à un moyen de transport collectif de voyageurs. Ces délits doivent avoir été commis en état de récidive légale sans qu’il soit exigé que l’infraction constituant le premier terme de la récidive ait été commise dans un transport collectif de voyageurs ou un lieu donnant accès à ce transport. La peine est prononcée pour une durée de trois ans au plus.

39.    Le Conseil d’Etat rappelle que les peines prévues par la loi ne doivent pas méconnaître les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation qui découlent de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

A cet égard, il observe que la peine complémentaire d’interdiction de séjour prévue par l’article 131-31 du code pénal, qui emporte « défense de paraître dans certains lieux déterminés par la juridiction », n’assure pas avec sécurité juridique la possibilité légale de prononcer cette peine lorsque les faits ont été commis dans des véhicules roulants. Il considère en conséquence que l’édiction d’une peine complémentaire autonome d’interdiction de paraître dans les transports collectifs ou les lieux donnant accès à ses transports, si elle est souhaitée, appelle une définition autonome.

Il estime que la peine complémentaire envisagée satisfait au principe de légalité des délits et des peines, tant au regard de la nature et de la gravité des infractions qui en permettent le prononcé, que de son principe, sa durée et de son champ matériel d’application, tous éléments que le juge appréciera au cas par cas.  

Le Conseil d’Etat approuve le principe, introduit par une saisine rectificative, d’une modification de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, à laquelle viendra se substituer à compter du 1er octobre 2020 l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de justice pénale des mineurs, afin que le prononcé de la peine complémentaire envisagée ne puisse l’être qu’à l’égard des mineurs âgés de 16 à 18 ans et pour une durée n’excédant pas un an. Cette atténuation lui semble être commandée par les exigences constitutionnelles de l’intérêt supérieur de l’enfant et de relèvement éducatif et moral des mineurs rappelées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-797 QPC du 26 juillet 2019 (point 3).

Tout en estimant enfin qu’il convient de veiller à ne pas disperser les dispositions du droit pénal relatives aux peines complémentaires en dehors du code pénal, il estime que l’inscription de la nouvelle peine complémentaire dans le code des transports peut se justifier au regard de la plus grande lisibilité qui résulte de ce choix légistique, déjà au demeurant opéré pour la peine complémentaire de paraître dans un stade qui figure à l’article L. 332-11 du code du sport.

Enfin s’il souscrit à l’objectif de prévenir et mieux sanctionner la délinquance en augmentation dans les réseaux de transport, le Conseil d’Etat s’interroge sur l’effectivité de cette peine complémentaire dont le respect sera très difficile à contrôler compte tenu du libre accès à ces réseaux de transport. Il invite le Gouvernement à procéder à une évaluation de l’application de cette peine au terme de ses premières années de mise en œuvre.   

En ce qui concerne l’habilitation à prendre par ordonnance les mesures de financement par les notaires, les huissiers et les commissaires-priseurs judiciaires du fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice

40.    Le projet prévoit d’habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant de la loi pour assurer le financement par les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires du fonds interprofessionnel d’accès au droit et à la justice (FIADJ) mentionné à l’article L. 444-2 du code de commerce.

Ce fonds a notamment pour mission de mettre en œuvre une péréquation au sein de certaines professions juridiques réglementées afin d’encourager l’installation et le maintien de leurs membres dans certaines zones géographiques caractérisées par une insuffisance de professionnels compte tenu des besoins.

Le financement serait assuré par des contributions qui auraient la nature de créances de droit privé et seraient prélevées, d’une part, auprès des notaires et, d’autre part, auprès des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires. Les missions du FIADJ pourraient être recentrées au profit de la redistribution entre, d’une part, les notaires et, d’autre part, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires, afin de favoriser la couverture de l’ensemble du territoire par ces professionnels.

41.    Le Conseil d’Etat relève que les contributions envisagées peuvent se réclamer de la catégorie des contributions volontaires obligatoires (CVO) dont le Conseil constitutionnel a jugé qu’elles ne constituaient pas des impositions de toute nature en relevant que ces contributions étaient perçues par des organismes de droit privé, tendaient au financement d’activités menées par les organisations professionnelles au profit de leurs membres, et étaient acquittées par les membres de ces organisations (décision n° 2011-221 QPC du 17 février 2012).

Autres dispositions du Titre III

42.    Le titre III procède également à la modification des dispositions du code de procédure pénale suivantes :
- l’article 18 afin de simplifier les règles d’extension de compétence concernant les officiers de police judiciaire se déplaçant dans les ressorts limitrophes dont ils dépendent, les ressorts de la cour d’appel de Paris et de Versailles étant à cette fin considérés comme un seul et même ressort ;
- l’article 393 afin de permettre le regroupement de procédures dans le cadre d’une procédure de comparution à délai différé ;
- l’article 398-1 visant à réintégrer le délit de fausse déclaration relative à l’état civil d’une personne dans la liste des infractions pouvant être jugées par un juge unique ;

- l’article 512 afin de procéder, comme pour l’article 510, à la correction d’une erreur de renvoi ;

- les articles 706-25-12 et 706-53-10 afin d’une part, d’ôter les références au juge des libertés et de la détention qui n’est plus saisi du recours contre les décisions de refus d’effacement ou de rectification des inscriptions effectuées au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles, celui-ci relevant dorénavant de la seule compétence de la chambre de l’instruction et, d’autre part, en alignant la procédure s’agissant de la contestation des décisions de refus relatives au fichier judiciaire national des auteurs d’infractions terroristes ;

- l’article 706-112-1 afin de différer l’information donnée au tuteur ou au curateur d’une personne majeure protégée placée en garde à vue lorsque que cette mesure est conduite sous l’autorité du juge d’instruction et non plus seulement du procureur de la République ;

- l’article 711 relatif aux modalités de l’audience en chambre du conseil dans le cadre des incidents contentieux relatifs à l’exécution des sentences pénales afin de supprimer un terme source d’ambigüité ;

- l’article 362 prévoyant, lorsque la peine de sûreté est automatique, l’information des jurés par le président de la cour d’assises des conséquences de la peine prononcée sur la période de sûreté et de la possibilité de la moduler.

Ces dispositions n’appellent pas d’observation particulière de la part du Conseil d’Etat.

 

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 23 janvier 2020.