Avis sur un projet de loi d’orientation et de programmation portant diverses dispositions en matière pénale et de gestion des crises

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État sur un projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) et portant diverses dispositions en matière pénale et de gestion des crises.

CONSEIL D’ETAT
Commission permanente    
Séance du lundi 5 septembre 2022
N° 405710
EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS

I. Considérations générales 

1. Le 10 mars 2022 le Conseil d’Etat a examiné un projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) et portant diverses dispositions en matière pénale et sur la sécurité intérieure (AG avis du 10 mars 2022 N° 404913). Ce dernier, déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale après avoir été délibéré en conseil des ministres le 16 mars, est devenu caduc en raison du renouvellement de l’Assemblée Nationale consécutif aux élections législatives des 12 et 19 juin 2022.

2. Le Conseil d’Etat a été saisi le 5 août 2022 d’un projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur qui reprend, sans en ajouter d’autres, seize des trente-deux articles du projet de loi examiné le 10 mars : un article  approuvant le rapport annexé sur la modernisation du ministère de l’intérieur, un article de programmation des crédits qui lui seront affectés sur la période 2023-2027 , treize articles modifiant divers codes, notamment le code pénal et le code de procédure pénale, et un article habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour l’application et l’adaptation outre-mer des mesures du projet de loi.

Les articles du projet de loi sont identiques à ceux adoptés par le Conseil d’Etat le 10 mars dernier, sous réserve de ce qui est dit aux points 12 et 13.

Le rapport annexé et l’étude d’impact sont identiques à ceux qui accompagnaient le projet de loi examiné le 10 mars, à l’exception de la suppression des passages consacrés aux commentaires de mesures qui n’ont pas été reprises dans le présent projet de loi et de quelques modifications formelles.

3. Etant saisi ainsi d’un projet de loi inscrit à l’ordre du jour d’un prochain conseil des ministres, le Conseil d’Etat considère que sa consultation est obligatoire en application du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution, alors même que toutes les dispositions du projet de loi, ainsi que le rapport annexé, ont déjà été soumis à son avis dans un précédent projet de loi.

4. Le projet de loi est organisé en cinq titres, respectivement intitulés « Objectifs et moyens du ministère de l’intérieur », « Dispositions relatives à la révolution numérique du ministère », « Dispositions relatives à la proximité », « Dispositions visant à anticiper les menaces et crises », « Dispositions relatives à l’Outre-Mer ». 

5. Comme le Conseil d’Etat l’a relevé dans son avis du 10 mars dernier, le titre Ier du projet de loi relève de l’antépénultième alinéa de l’article 34 de la Constitution, aux termes duquel « Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’Etat », alors que les dispositions des titres II à V regroupent diverses dispositions modifiant ou complétant des codes et lois. La coexistence, au sein d’un même projet de loi, de dispositions programmatiques et de dispositions normatives ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, sous réserve que, aux fins d’assurer le respect des exigences de lisibilité et d’intelligibilité de la loi, les premières fassent l’objet d’une présentation clairement séparée des autres ce qui est le cas en l’espèce. 

6. Pour ce qui est de la partie normative du projet de loi, le Conseil d’Etat observe à nouveau que les neuf dixièmes des dispositions sont relatives à la procédure pénale. Aussi estime-t-il que son contenu pourrait être plus justement reflété si, comme il le propose, son intitulé était modifié dans le sens suivant : « Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) et portant diverses dispositions en matière pénale et de gestion des crises ».

7. Le Conseil d’Etat souligne que tant le rapport annexé que l’étude d’impact auraient gagné à être modifiés pour tenir compte des observations formulées dans son avis du 10 mars dernier. Aussi, s’agissant de l’étude d’impact, le Conseil d’Etat estime-t-il, comme il l’avait alors souligné, qu’eu égard à l’ambition et au champ couvert par le projet de loi, « l’action du ministère de l’intérieur » selon son exposé des motifs, elle devrait être complétée pour comporter, en introduction, une présentation de la situation et de l’évolution des phénomènes d’insécurité et de délinquance au cours de ces dernières années ainsi qu’une évaluation des résultats des nombreuses lois et mesures adoptées dans ce domaine depuis 2018. Ces données seraient en effet utiles pour apprécier la nécessité de plusieurs dispositions du projet de loi, à commencer par la trajectoire des crédits du ministère de l’intérieur pour les années 2023 à 2027, d’autant que l’exposé des motifs souligne que « Depuis 2017, un effort sans précédent pour lutter contre le crime et garantir la sécurité du quotidien a été engagé ».  

Il rappelle qu’il avait également suggéré que l’étude soit complétée afin de corréler la programmation budgétaire et les moyens qui pourraient affectés au financement des nombreuses mesures de transformation du ministère annoncées dans le rapport annexé. 

Le Conseil d’Etat estime que les mesures du projet de loi, qui avaient été soumises à l’avis préalable de l’ensemble des instances dont la consultation est obligatoire à l’occasion de la préparation du projet de loi examiné par le Conseil d’Etat le 10 mars dernier, n’appellent pas de nouvelle consultation de ces instances en l’absence de changements de circonstances de droit ou de fait et dès lors que la restructuration du projet de loi résultant de la suppression de près de la moitié des mesures ne soulève pas de question nouvelle. Il relève qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, soit lors du dépôt du projet de loi de finances pour l'année 2023, le Haut Conseil des finances publiques devra être consulté sur les dispositions des projets de loi de programmation mentionnés au vingtième alinéa de l'article 34 de la Constitution ayant une incidence sur les finances publiques avant que ces projets de loi ne soient transmis au Conseil d'Etat (VII de l’article 61 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001).

8. Il observe enfin que la formulation de l’intitulé de certains titres et chapitres ne traduit pas leur contenu réel, ce qui nuit à la lisibilité du projet de loi. 

Tout en conservant l’ordre des articles du projet de loi, il propose la modification de l’intitulé des titres III et IV et une répartition différente de plusieurs articles entre ces titres. Il propose de répartir les mesures entre les cinq titres suivants:  

- Titre Ier Objectifs et moyens du ministère de l’intérieur ;

- Titre II Dispositions relatives à la révolution numérique du ministère;

- Titre III Dispositions relatives à la poursuite et la répression des infractions ;

- Titre IV Dispositions relatives à la gestion des crises

- Titre V Dispositions relatives à l’outre-mer. 

Outre ces remarques liminaires, ce projet de loi appelle de la part Conseil d’Etat les observations suivantes.

II. Dispositions de programmation budgétaire

9. Les articles 1er et 2 du projet de loi étant identiques à ceux du projet de loi adopté par le Conseil d’Etat le 10 mars dernier, tout comme le rapport annexé à l’article 1er, sous la réserve indiquée au point 2, le Conseil d’Etat renvoie aux observations formulées dans son avis du 10 mars dernier, au point 9, sur le contenu et la présentation du rapport annexé, et aux quatre premiers paragraphes du point 10, notamment sur l’absence de cohérence entre le périmètre du rapport annexé et celui de la programmation budgétaire et sur la faible pertinence du périmètre retenu, celui du ministère de l’intérieur, pour fixer  « les objectifs de l’action de l’Etat », comme le requiert l’article 34 de la Constitution.  

10. Concernant l’articulation entre ce projet de loi de programmation du ministère de l’intérieur et la prochaine loi de programmation des finances publiques pour la période 2023-2027, dont l’inscription est prévue au conseil des ministres du 26 septembre, il ressort des informations transmises par le Gouvernement au Conseil d’Etat que celle-ci devrait être votée avant l’adoption définitive du projet de loi de programmation du ministère de l’intérieur qui sera, si besoin, amendé pour être mis en cohérence avec la loi de programmation des finances publiques ainsi qu’avec la loi de finances pour 2023.

III. Dispositions modifiant et complétant divers codes

11. Le Conseil d’Etat constate, en premier lieu, que reprennent textuellement les dispositions examinées par le Conseil d’Etat dans son avis du 10 mars dernier les articles du projet de loi :

- autorisant, sous le contrôle du juge, la saisie des actifs numériques, dont la définition est donnée à l’article L. 54-10-1 du code monétaire et financier, dans les mêmes conditions que celles prévues pour la saisie des actifs bancaires par les dispositions de l’article 706-154 du code de procédure pénale (article 3);
- introduisant dans le code des assurances une disposition imposant aux entreprises d’assurance de ne rembourser à leurs assurés la rançon versée que s’ils justifient du dépôt d’une plainte au plus tard 48 heures après le paiement de cette rançon afin de lutter contre les attaques par « rançongiciel » (article 4);
- habilitant le Gouvernement à procéder par ordonnance pour engager les modifications du code des postes et des communications électroniques nécessaires au déploiement du projet « réseau radio du futur » (article 5) ;
- ouvrant la possibilité aux victimes de déposer plainte par voie de télécommunication audiovisuelle (article 6) ;
- aggravant la peine d’amende encourue pour le délit d’outrage sexiste et faisant de cet outrage un délit lorsqu’il est commis dans certaines circonstances (article 7) ;
- étendant l’usage des techniques spéciales d’enquête aux investigations visant à caractériser un abus de faiblesse en bande organisée et, en matière de criminalité organisée, autorisant le recours aux techniques spéciales d’enquêtes pour la recherche des fugitifs recherchés pour ce motif et permettant le recours à ces mêmes techniques spéciales d’enquête, ainsi qu’à la garde à vue dérogatoire, pour les crimes de meurtres et de viols sériels (article 8);
- permettant à tous les élèves policiers et gendarmes de passer l’examen d’officier de police judiciaire à l’issue de leur scolarité et prévoyant une condition d’ancienneté en service et d’expérience pour recevoir l’habilitation d’officier de police judiciaire par l’autorité judiciaire (article 9);
- supprimant l’établissement de réquisitions formelles des services enquêteurs aux services de police technique et scientifique à effet de réaliser les opérations de prélèvements, constats et expertise de leur compétence (article 11);
- ayant pour objet de dispenser les agents des forces de sécurité ou des douanes de l’obligation de produire, dans la procédure d’enquête ou d’information, une fiche relative à leur habilitation pour chaque consultation d’un traitement à peine de nullité de la procédure (article 12);
- étendant les autorisations générales de réquisitions résultant d’instructions générales du procureur de la République concernant plusieurs catégories d’infractions (article 13);
- clarifiant et renforçant, lors d’événements d’une particulière gravité et sur autorisation du préfet de zone, les prérogatives du préfet de département à l’égard des établissements publics de l’Etat et services déconcentrés ne relevant pas de son autorité, pour les seules mesures liées à la gestion de la situation (article 15);
- habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour l’application et l’adaptation outre-mer des mesures du projet de loi (article 16).

Ces dispositions n’appellent pas d’observations autres que celles formulées dans l’avis du 10 mars 2022. 

12. En deuxième lieu, les dispositions créant des assistants d’enquêtes de la police et de la gendarmerie nationales (article 10) sont, sous la réserve mentionnée ci-après, identiques à celles examinées par le Conseil d’Etat le 10 mars dernier. 

Pour les raisons énoncées dans son avis du 10 mars au point 30, le Conseil d’Etat considère que la création des assistants d’enquêtes ne méconnait aucune exigence constitutionnelle. Mais il réitère son objection à leur donner compétence pour procéder aux transcriptions des enregistrements prévus par les articles 100-5 (interception des correspondances) et 706-95-18 (enregistrements réalisés par le moyen de techniques spéciales d’enquête dans le cadre de procédure concernant la criminalité et la délinquance organisée) du code de procédure pénale, considérant que ces opérations qui exigent que ne soient retranscrits que les « éléments utiles à la manifestation de la vérité », doivent rester de la compétence des officiers de police judiciaire, ou des agents de police judiciaire agissant sous leur responsabilité, auxquels il appartient de signer les procès-verbaux correspondants. 

13. En troisième lieu, pour les raisons exposées aux points 35 à 40 de son avis du 10 mars, le Conseil d’Etat propose de ne pas retenir l’extension de la procédure d’amende forfaitaire délictuelle (article 14), étant observé que  le Gouvernement a exclu dans le présent projet de loi  qu’elle  s’applique aux mineurs de seize ans comme le Conseil d’Etat l’a  recommandé en raison des difficultés qu’une telle mesure soulève au regard du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs, dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 sur la loi d’orientation et de programmation pour la justice.

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’Etat en commission permanente dans sa séance du lundi 5 septembre 2022.