Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.
1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 23 décembre 2020 d’un projet de loi constitutionnelle complétant l’article premier de la Constitution et relatif à la protection de l’environnement. Il s’agit du troisième projet de réforme constitutionnelle portant sur la question environnementale soumis au Conseil d’Etat en un peu plus de trois années.
2. En juin 2018, la réforme comportait notamment une disposition ayant pour objet de modifier l’article 34 de la Constitution afin de confier au législateur outre la détermination des principes fondamentaux relatifs « à la préservation de l’environnement » ceux relatifs « à la lutte contre le changement climatique » (avis du Conseil d’Etat n° 394658 du 3 mai 2018).
En mai 2019, le projet de loi constitutionnelle « pour un renouveau de la vie démocratique » avait prévu, parmi ses treize dispositions, d’inscrire au premier alinéa de l’article premier de la Constitution que « [La France] agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques » (avis du Conseil d’Etat n° 397908 du 20 juin 2019).
Le projet de loi constitutionnelle dont le Conseil d’Etat est aujourd’hui saisi comporte un article unique inscrivant au premier alinéa de l’article premier de la Constitution que « [La France] garantit la préservation de la biodiversité et de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ». Le projet reprend dans les mêmes termes une proposition de la convention citoyenne pour le climat constituée en octobre 2019.
3. S’agissant de son office lors de l’examen d’un projet de loi constitutionnelle, le Conseil d’Etat invite à se reporter aux points 4 à 11 de son avis du 20 juin 2019. Il rappelle qu’il s’assure notamment de la cohérence interne de la mesure envisagée, de son articulation avec les dispositions existantes et veille à ce que la « plume du constituant soit limpide, concise et précise (…) et ne soit pas source de difficultés d’interprétation ».
4. Le principe de protection de l’environnement occupe déjà la plus haute place dans la hiérarchie des normes. Il est en effet inscrit dans la Charte de l’environnement résultant de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, laquelle est mentionnée dans le Préambule de la Constitution, aux côtés de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et du Préambule de la Constitution de 1946. La Charte est ainsi partie intégrante du bloc de constitutionnalité.
5. La cause environnementale fait l’objet d’un contrôle juridictionnel de plus en plus poussé, tant du juge constitutionnel que des juges administratif ou judiciaire, européen et international.
Le Conseil d’Etat relève notamment deux décisions récentes du Conseil constitutionnel qui confèrent une importance plus grande aux effets de la Charte de l’environnement.
D’abord, par une décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 (Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques), le Conseil constitutionnel a déduit du préambule de la Charte que « la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle », alors qu’il lui avait jusque-là conféré le caractère d’un objectif d’intérêt général.
Ensuite, par une décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020 (Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières), le Conseil constitutionnel a jugé que les limites apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré par l'article 1er de la Charte de l'environnement, « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ».
6. Dans son avis sur le projet de réforme constitutionnelle de juin 2019, le Conseil d’Etat avait estimé que « si l’article 1er de la Constitution n’a pas, en principe, vocation à accueillir l’énoncé de politiques publiques, (…) le caractère prioritaire de la cause environnementale, s’agissant d’un des enjeux les plus fondamentaux auxquels l’humanité est confrontée, justifie qu’elle prenne place à cet article aux côtés des principes fondateurs de la République ».
Ces considérations s’appliquent de la même façon à l’actuel projet de loi constitutionnelle. Le Conseil d’Etat rappelle cependant que si l’inscription de la préoccupation environnementale à l’article 1er de la Constitution revêt une portée symbolique qui ne peut être ignorée, elle ne lui confère, par elle-même, aucune prééminence d’ordre juridique sur les autres normes constitutionnelles.
7. Le Conseil d’État avait, dans le même avis, attiré l’attention du Gouvernement sur les conséquences lourdes et en partie imprévisibles que la disposition alors envisagée était susceptible d’avoir sur la responsabilité de l’État et des pouvoirs publics territoriaux, en leur imposant une obligation d’agir. Il avait en conséquence suggéré de substituer le verbe « favoriser » au verbe « agir », ce que le Gouvernement a retenu dans le projet soumis à la représentation nationale.
8. Aujourd’hui, le Conseil d’État prend acte de la volonté du Gouvernement de marquer plus encore l’engagement des pouvoirs publics dans la préservation de l’environnement, en « introduisant un principe d’action positif pour les pouvoirs publics et une volonté affirmée de mobiliser la Nation », ainsi qu’il est dit dans l’exposé des motifs.
Pour autant, le Conseil d’Etat attire l’attention du Gouvernement sur les conséquences que pourrait entrainer l’emploi du terme « garantit » pour qualifier l’engagement de la France en matière environnementale, ce terme étant entendu comme s’imposant aux pouvoirs publics nationaux et locaux dans leur action nationale et internationale
L’inscription de ce terme dans la Constitution, alors qu’il ne figure pas dans la Charte, n’aurait pas pour seul effet de consacrer l’état actuel de la protection constitutionnelle de l’environnement et de l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence, comme le souligne d’ailleurs le Gouvernement.
En prévoyant que la France « garantit » la préservation de la biodiversité et de l’environnement, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement résultant de l'article 2 de la Charte de l'environnement.
9. Certes, le Conseil d’Etat relève que le Gouvernement ne souhaite pas introduire une hiérarchie au sein des normes constitutionnelles, ni même instaurer un principe constitutionnel de non régression de la protection de l’environnement, principe que le Conseil constitutionnel a jusqu’à présent refusé de consacrer en l’état actuel de la Constitution ainsi qu’il l’a confirmé dans sa décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020 citée au point 5.
Pour autant, eu égard aux incertitudes qui pèsent sur les conséquences du projet de loi, et dans le souci d’éclairer aussi bien le constituant que les juges appelés à mettre en œuvre ces nouvelles dispositions, le Conseil d’Etat recommande au Gouvernement d’indiquer plus précisément, dans l’exposé des motifs du projet, les effets juridiques qu’il attend de la réforme, notamment sur la conciliation entre la préoccupation environnementale et les autres intérêts publics.
10. Compte tenu des effets potentiellement puissants et largement indéterminés résultant de l’emploi du terme « garantit » qui viennent d’être soulignés au point 8, le Conseil d’État suggère de lui préférer le terme « préserve ». Ce terme permet à la fois de répondre à la volonté du Gouvernement de renforcer l’exigence environnementale et de tenir compte de l’évolution récente de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, tout en assurant une cohérence avec la Charte de l’environnement qui emploie ce même terme en plusieurs de ses articles.
Le Conseil d’Etat estime également préférable de remplacer le terme de « biodiversité » par l’expression « diversité biologique » qui figure dans le préambule de la Charte de l’environnement, dans le même souci de maintenir la cohérence de la norme constitutionnelle. Par ailleurs, il propose, s’agissant du dérèglement climatique, de substituer au verbe « lutter » le verbe « agir » qui lui semble plus approprié.
11. Enfin, comme il l’avait fait dans son avis du 20 juin 2019, le Conseil d’État observe que le quinzième alinéa de l’article 34 de la Constitution confie à la loi le soin de déterminer les principes fondamentaux de « la préservation de l’environnement ». Le maintien sans changement de cette disposition introduirait un doute sur la compétence du législateur en matière de préservation de la diversité biologique et d’action contre le dérèglement climatique.
C’est pourquoi il propose à nouveau de modifier cet alinéa pour prévoir que la loi détermine les principes fondamentaux « du droit de l’environnement », une notion qui recouvre les trois objectifs qui seraient désormais inscrits à l’article premier.
Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 14 janvier 2021.