Avis relatif aux questions juridiques soulevées par les différentes catégories d’habitats « partagés »

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d’État portant sur les questions juridiques soulevées par les différentes catégories d’habitats « partagés »

Le Conseil d’État a été saisi, le 15 mai 2025, par le Premier ministre, d’une demande d’avis portant sur les différentes catégories d’habitats « partagés » et comportant les six questions suivantes :

1° Parmi les différents statuts susceptibles de s’appliquer à l’habitat partagé, quels sont ceux qui, en l’état actuel du droit, sont nécessairement exclusifs les uns des autres et quels sont ceux qui sont, le cas échéant, cumulables ? En vue de réduire la complexité normative, des rapprochements ou des fusions sont-ils possibles ?

2° Ces statuts permettent-ils, et à quelles conditions, la mixité des lieux de vie, autrement dit la possibilité de voir cohabiter, non seulement des personnes présentant différentes vulnérabilités, mais aussi des personnes vulnérables avec d’autres qui ne le sont pas ?

3° Certains de ces statuts relèvent de la législation des « établissements médico-sociaux » (livre III du code de l’action sociale et des familles), quand d’autres se présentent comme constituant des logements ordinaires, le cas échéant sous un mode d’occupation collective et accompagnée. Quels sont les critères qui permettent, concrètement, de les distinguer ?

En effet, pour opérer aujourd’hui cette distinction et qualifier le cas échéant un lieu de résidence « d’établissement médico-social », la jurisprudence du Conseil d’Etat repose sur une approche par faisceau d’indices, permettant d’identifier une situation dite « d’hébergement effectif » (15 mai 2013, Département de Paris, n°348292, B).

Cette jurisprudence n’a toutefois donné lieu à aucune décision depuis l’intervention de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite « loi ELAN » qui, en créant la catégorie nouvelle de « l’habitat inclusif » (article L. 281-1 du code de l’action sociale et des familles), a introduit le concept de « personne morale chargée d’assurer le projet de vie sociale et partagée » (dite « porteuse du projet partagé », ou personne « 3P »).

Cette personne morale a, comme son nom l’indique, pour mission « d’assurer le projet de vie » dans le lieu d’habitat collectif, mais – ainsi que la loi le mentionne également – sans que ses fonctions permettent de caractériser un accueil en établissement médico-social, au sens du I de l’article L. 312-1 du même code.

La question est donc de savoir, postérieurement à la loi ELAN de 2018, les critères qui pourraient être retenus, le cas échéant dans un texte réglementaire d’application, pour distinguer concrètement une simple « aide à habiter ensemble » telle qu’apportée par une personne « 3P » d’un « hébergement effectif » tel qu’assuré par le gestionnaire d’un établissement médico‑social.

4° A des fins de sécurisation des différents acteurs peut-on, en réponse à la question précédente, envisager une méthode de caractérisation plus sûre que celle du « faisceau d’indices », le cas échéant en ayant recours à des critères simples permettant, au moins, une présomption réfragable ?

5° Quelles conséquences s’évincent-elles, au vu des critères ainsi posés pour caractériser l’aide apportée par une personne « 3P », quant à l’étendue de ce que peut financer la nouvelle « aide à la vie partagée » prévue par l’article L. 281-2-1 du même code, qui peut, si le règlement départemental d’aide sociale le prévoit, être versée à la personne morale chargée d’assurer le projet de vie sociale et partagée d’un habitat inclusif ? Le cadre de définition actuel, en ce qu’il laisse chaque département en fixer le contour, soulève-t-il des difficultés juridiques au regard, notamment, du principe d’égalité devant la loi ?

6° Enfin, l’avis du Conseil d’Etat est également sollicité sur le point de savoir si, au vu des réponses aux questions qui précèdent, des modifications du cadre normatif actuel doivent être envisagées et, si oui, lesquelles.

Le Conseil d’Etat, saisi de cette demande,

Vu la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 72-2 ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de la consommation ;

Vu le code de la construction et de l’habitation ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ;

Vu la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ;

Vu la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale ;

Vu la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové ;

Vu la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement ;

Vu la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;

Vu la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 ;

Vu la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale ;

Vu la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie ;

Vu le décret n° 2016-696 du 27 mai 2016 relatif aux résidences autonomie et portant diverses dispositions relatives aux établissements sociaux et médico-sociaux pour personnes âgées ;

Est d'avis de répondre dans le sens des observations suivantes : 

1. L’expression habitat « partagé », que la demande d’avis définit comme regroupant toutes les formes d’habitat permettant aux personnes âgées ou handicapées « de vivre chez elles sans être seules » tout en ayant accès à un certain nombre de services (sanitaires, sociaux, médico‑sociaux ou autres), ne fait l’objet d’aucune définition légale. Elle est pourtant fréquemment utilisée, tout comme celles d’habitat « accompagné et partagé » ou d’habitat « regroupé », soit pour rassembler ces différentes formes d’habitat, soit pour désigner certaines d’entre elles.

2. Ces différentes formes d’habitat se distinguent, d’un côté, de l’habitat ordinaire par la possibilité qu’elles offrent à leurs habitants d’organiser, plus efficacement que dans un logement individuel, la mise à disposition de différents services d’aide et de soins, en les mettant, au moins en partie, en commun. Elles se distinguent, d’un autre côté, des solutions d’accueil collectif par le fait que la vie collective ne s’y impose pas comme dans une « institution » au sens commun du terme et que chaque personne y vit dans un espace domiciliaire qui lui est propre.

3. Au-delà de la réponse qu’elles apportent à l’aspiration croissante des personnes privées d’autonomie, âgées ou handicapées, à mieux concilier leur droit à un domicile et leur droit à un accompagnement adapté, ces différentes formes d’habitat, parce qu’elles permettent de vivre chez soi, mais sans être seul et avec des services organisés, offrent la perspective de pouvoir maintenir, dans des environnements de vie ordinaire, une plus grande diversité de personnes, mêmes vulnérables, favorisant ainsi une plus grande mixité dans l’habitat.

Les réponses apportées par le Conseil d’État aux questions de la présente demande d’avis, qui touchent à des enjeux importants des politiques publiques en faveur des personnes âgées et handicapées, ceux du logement, de l’autonomie et de la solidarité notamment, visent à permettre d’assurer le développement des différentes formes « d’habitat partagé » dans un cadre juridique clarifié et rénové, mais souple et adapté à leur diversité, et sûr pour les personnes concernées, souvent vulnérables. 

Sur la première et la deuxième question, relatives aux différents statuts susceptibles de s’appliquer à l’habitat partagé et à la mixité des lieux de vie :

4. Le Conseil d’Etat estime que l’examen des frontières, voire des superpositions, entre les différents statuts mentionnés dans la demande d’avis, permet de distinguer deux grandes familles de formes juridiques : 

5. La première  rassemble des formes juridiques d’apparitions en général plus anciennes, qui relèvent de la notion d’établissement d’hébergement et, plus spécifiquement, de la notion de « logement-foyer » au sens de l’article L. 633-1 du code de la construction et de l’habitation (CCH) : foyers de vie (I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF)), établissements pour personnes âgées dépendantes et « petites unités de vie » (I et II de l’article L. 313-12 du même code) ou résidences autonomie (III du même article).

A proprement parler, mais avec des nuances qui seront exposées plus loin, ces différentes formes de « logements-foyers » ne répondent pas exactement à la définition de l’habitat partagé indiquée au point 1, dans la mesure où l’habitant y est « accueilli », par un « établissement » placé sous la responsabilité d’un « gestionnaire ». Elles peuvent toutefois, à certaines conditions, répondre à ses objectifs essentiels, en ayant l’avantage d’y apporter des cadres juridiques et financiers éprouvés.

6. La seconde famille rassemble des formes juridiques plus variées et plus récentes de logements, en général adossées, lorsque l’occupant n’est pas propriétaire, aux législations de droit commun qui régissent les rapports locatifs : notamment la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et, dans le logement social, le livre IV du CCH. En relèvent en particulier les résidences-services (article L. 631-13 du même code), l’habitat participatif (article L. 200-1 du même code), les « lieux de vie et d’accueil » (III de l’article L. 312-1 du CASF), l’accueil familial (article L. 441-1 du même code), la cohabitation intergénérationnelle solidaire (article L. 118-1 du même code) et, enfin, l’habitat inclusif, créé à l’article L. 281-1 de ce code par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN).

7. L’habitat inclusif de l’article L. 281-1 du CASF peut prendre la forme, « soit d’un logement, meublé ou non (…) loué dans le cadre d’une colocation (…) », soit « d’un ensemble de logements autonomes destinés à l'habitation, meublés ou non » et situés dans un immeuble ou un groupe d'immeubles comprenant des locaux communs affectés à un projet de vie sociale et partagée « destinés aux personnes handicapées et aux personnes âgées qui font le choix, à titre de résidence principale, d'un mode d'habitation regroupé, entre elles ou avec d'autres personnes (…) et assorti d'un projet de vie sociale et partagée ».

Le Conseil d’Etat estime que, tout en étant loin de récapituler l’ensemble des statuts envisageables, l’habitat inclusif est le concept qui rejoint le mieux la notion d’habitat « partagé » utilisée par le Gouvernement dans la demande d’avis.

D’un côté, en effet, il exprime directement l’objectif de partager à plusieurs un « chez soi » de droit commun, pouvant servir en quelque sorte d’étalon pour l’examen des différentes formes d’habitat partagé de la « seconde famille », en recherchant chaque fois si le statut examiné peut être, soit utilisé par des habitats inclusifs de l’article L. 281-1 du CASF, soit au moins mis en cohérence avec les dispositions de cet article.

D’un autre côté, l’habitat inclusif ne se sépare pas non plus de la « première famille » de structures, celles ayant la forme de logement-foyers, puisque le législateur a expressément prévu, par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 dite « loi 3DS », que des habitats inclusifs, au sens de l’article L. 281-1 du CASF, puissent être « constitués (…) dans des logements‑foyers ».

8. La réponse aux deux premières questions conduit ainsi à considérer successivement :

o  Les régimes ou statuts qui, parmi les formes juridiques de la « seconde famille », sont expressément compatibles, ou susceptibles d’être rendus compatibles avec l’institution d’un habitat inclusif ;

o  Les régimes ou statuts de cette même « seconde famille » qui paraissent, en revanche, incompatibles ou difficilement conciliables avec l’institution d’un habitat inclusif ;

o  Et enfin, soulevant des questions de compatibilité et de frontière plus complexes, l’ensemble des formes de la « première famille », c’est-à-dire les logements-foyers.

Sur les régimes juridiques de logement compatibles avec l’habitat inclusif :

9. Le Conseil d’Etat relève que l’article L. 281-1 du CASF énumère, comme expressément compatibles avec l’institution d’un habitat inclusif, un certain nombre de régimes juridiques relevant de la « première famille ». Mais il résulte de la lettre même de ce texte que cette énumération n’est pas limitative. D’autres formes ou statuts de cette même « famille » peuvent donc, au vu de leurs caractéristiques, être regardés comme compatibles avec l’habitat inclusif, nonobstant le silence de la loi.

a)      Sur les régimes juridiques compatibles avec l’habitat inclusif par application de la loi :

Le logement locatif social :

10. Les dispositions générales applicables au logement locatif social, qui figurent pour l’essentiel au livre IV du CCH ont été, depuis une dizaine d’années et par touches successives, rendues progressivement plus favorables à l’émergence de l’habitat inclusif.

11. Avant la création de l’habitat inclusif par la loi ELAN déjà citée, l’article 20 de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (dite « loi ASV ») a introduit au III de l’article L. 441-2 du CCH une importante dérogation aux conditions générales d’attribution des logements sociaux, en prévoyant que, dans le cadre de programmes bénéficiant d'une autorisation spécifique délivrée par le préfet, la commission d’attribution des logements et d'examen de l'occupation des logements (CALEOL) peut « attribuer en priorité tout ou partie des logements construits ou aménagés spécifiquement pour cet usage à des personnes en perte d’autonomie liée à l’âge ou au handicap ».

Ces dispositions permettent de créer, dans le logement social, des ensembles d’habitats « groupés », au sein desquels il est possible d’envisager, entre habitants, un même « projet de vie sociale et partagée ». La loi ELAN a ensuite, de façon cohérente, prévu à l’article L. 281‑1 du CASF que ces logements pouvaient être destinés à un habitat inclusif.

12. Le Conseil d’Etat relève que plusieurs autres dispositions sont ensuite venues greffer, sur ces mêmes logements dits « de l’article 20 de la loi ASV », d’autres dérogations ponctuelles à la législation générale applicable aux logements sociaux, en vue d’y rendre plus aisée la constitution d’habitats inclusifs :

L’article L. 442-8-1-2 du CCH, issu de la loi du 21 février 2022 déjà citée, a permis que les logements « article 20 loi ASV » soient loués, non seulement aux personnes âgées ou handicapées directement concernées, mais également aux organismes bénéficiant de l’agrément relatif à l’intermédiation locative et à la gestion locative sociale, prévu à l’article L. 365-4 du CCH, aux fins qu’ils puissent les sous-louer, le cas échéant dans le cadre d’une colocation, à « une ou plusieurs personnes en perte d’autonomie en raison de l’âge ou d’un handicap ».

Depuis la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie, le 2° du I de cet article L. 442-8-1-2 permet, en outre, aux organismes d’habitation à loyer modéré de louer des « locaux collectifs résidentiels » situés dans le même immeuble ou groupe d'immeubles aux porteurs d’un habitat inclusif, en vue de leur en attribuer la jouissance exclusive pour y mettre en œuvre le projet de vie sociale et partagée.

Enfin, par l’effet de cette même loi, le dernier alinéa du I du même article L. 422-8-1-2 permet la sous-location de logements « article 20 de la loi ASV »  à des salariés de la personne morale chargée d'assurer la mise en œuvre de ce projet, dite personne « 3P », ainsi qu’à des professionnels du secteur médico-social apportant un accompagnement quotidien aux habitants, dans le cadre d’un « contrat de bail régi par le chapitre II du titre VIII du livre III du code civil ».

L’ensemble de ces règles dérogatoires a ainsi largement ouvert, sur un plan juridique, le logement locatif social aux habitats inclusifs.

13. Toutefois, s’agissant de la question relative à la mixité d’habitat entre personnes vulnérables et personnes qui ne sont pas logées à ce titre, le Conseil d’Etat relève que ces dérogations reposent toutes sur la prémisse du III de l’article L. 441-2 du CCH (logements dits « article 20 de la loi ASV), c’est-à-dire sur une logique « populationnelle », de logements destinés à « des personnes en perte d’autonomie liée à l’âge ou au handicap ».

Prendre appui sur l’habitat inclusif pour susciter davantage de mixité supposerait d’ouvrir les réservations de logements dérogatoires à des critères tirés, non plus des caractéristiques des personnes elles-mêmes, mais de celles du « projet de vie sociale et partagée », lequel peut rassembler, le cas échéant, des personnes vulnérables et d’autres qui ne le sont pas.

14. Le Conseil d’Etat estime qu’une telle évolution pourrait être envisagée, sous réserve que le projet de vie sociale et partagée soit agréé par l’autorité compétente, par analogie à la façon dont est attribuée l’aide à la vie partagée sur le fondement de l’article L. 281-2-1 du CASF qui conduit déjà, implicitement, à un tel agrément par le département.

La colocation :

15. L’article L. 281-1 du CASF envisage, comme forme possible pour l’habitat inclusif, la colocation dans le parc privé comme social. Elle peut alors se faire entre des personnes qui présentent une vulnérabilité, que celle-ci soit commune ou non à tous les occupants, ou entre personnes vulnérables et d’autres qui ne le sont pas.

16. Si le logement est loué dans le parc privé, s’applique le régime de droit commun de la colocation posé à l'article 8-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, à savoir « la location d'un même logement par plusieurs locataires, constituant leur résidence principale, et formalisée par la conclusion d'un contrat unique ou de plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur (…) ». Hormis le projet de vie sociale et partagée, aucune disposition ne différencie alors la colocation faite par des personnes âgées et handicapées d’une colocation « ordinaire ».

17. Dans le logement social, ainsi qu’il a été indiqué au point 12, la location aux organismes bénéficiant de l’agrément d’intermédiation locative et de gestion locative sociale permet que la sous-location, par ces organismes, aux personnes en situation de perte d’autonomie liée à l’âge et au handicap, puisse se faire dans le cadre d’une colocation. Dans ce cas, l’article L. 442-8-4 du CCH prévoit que la colocation ne peut donner lieu qu’à la conclusion de contrats avec chaque locataire et non, comme le permet alternativement l'article 8-1 de la loi du 6 juillet 1989 dans le parc privé, d’un contrat unique entre l’organisme bailleur et l’ensemble des colocataires.

b)      Sur les régimes compatibles avec l’habitat inclusif, nonobstant le silence de la loi :

18. L’habitat inclusif est évidemment possible dans des logements dont les personnes âgées ou handicapées sont propriétaires ou copropriétaires dans le parc privé.

19. Par ailleurs, le Conseil d’Etat relève que, même sans texte l’ayant prévu, il peut également être institué dans les modes d’habitat suivants :

La cohabitation intergénérationnelle solidaire :

20. Issue, comme l’habitat inclusif, de la loi ELAN de 2018, et définie à l’article L. 118-1 du CASF, la cohabitation intergénérationnelle solidaire « permet à des personnes de soixante ans et plus de louer ou de sous-louer à des personnes de moins de trente ans une partie du logement dont elles sont propriétaires ou locataires dans le respect des conditions fixées par le contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire prévu à l'article L. 631-17 du CCH, afin de renforcer le lien social et de faciliter l'accès à un logement pour les personnes de moins de trente ans ».

21. Possible dans le parc privé comme dans le logement social, ce régime est dérogatoire à celui des baux d’habitation puisque le contrat conclu entre « cohabitants » est régi par les dispositions du code civil, sa durée et sa contrepartie financière, qui doit rester « modeste », étant librement convenues entre les parties. En outre, lorsque la personne de plus de soixante ans est elle-même locataire, le bailleur ne peut lui refuser le droit de sous-louer une partie de son logement. Enfin, par dérogation au droit commun, « Le contrat peut prévoir, en complément de la contrepartie financière, la réalisation, sans but lucratif pour aucune des parties, de menus services par la personne de moins de trente ans. / Le contrat organise une collaboration exclusive de tout lien de subordination entre les cocontractants. Il ne relève pas du code du travail » (article L. 631-18 CCH).

22. Le Conseil d’Etat relève que, en ce qu’elle permet à des personnes dépassant un certain âge de vivre sous un même toit « avec d'autres personnes » dans l’objectif de renforcer le lien social, cette cohabitation présente d’indéniables points communs avec l’habitat inclusif, avec lequel elle apparaît compatible, ce qui justifierait a minima qu’un lien soit fait dans les textes entre ces deux régimes, notamment par une référence à l’article L. 281-1 du CASF.

23. Le croisement de ces deux régimes, qui n’implique pas leur fusion en raison de leurs objets différents, peut inviter à aller plus loin, par exemple en ouvrant ce type de cohabitation à des personnes en situation de handicap.

En outre, un lien, voire une mutualisation, pourraient être faits entre, d’un côté, les structures ou associations œuvrant à la promotion de la cohabitation intergénérationnelle solidaire et, de l’autre, la personne morale chargée d'assurer le projet de vie sociale et partagée en habitat inclusif, compte tenu de la proximité de leurs missions, telles qu’elles résultent respectivement de l’arrêté du 13 janvier 2020 « relatif à la charte de la cohabitation intergénérationnelle solidaire » et de l’article D. 281-1 du CASF.

24. Enfin, si la notion de « menus services » interdit à la personne « de moins de 30 ans » logée sous le mode de la cohabitation intergénérationnelle solidaire d’effectuer une prestation de travail, cela ne lui interdit pas, sous réserve de conditions qui pourraient utilement être précisées dans les textes, de participer au projet de vie sociale et partagée ou d’entretenir des liens avec les professionnels chargés d’animer ce projet, par exemple pour certaines tâches d’organisation de la vie collective.

L’habitat participatif :

25. Issu de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), l’habitat participatif constitue, selon l’article L. 200-1 du CCH, « une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s'associer, le cas échéant avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d'acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d'assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis. / (…) [L]'habitat participatif favorise la construction et la mise à disposition de logements, ainsi que la mise en valeur d'espaces collectifs dans une logique de partage et de solidarité entre habitants ».

26. Deux types de sociétés ont spécialement été créés pour mettre en œuvre l’habitat participatif, « sans préjudice des autres formes juridiques prévues par la loi » : d’un côté, les coopératives d'habitants, dont l’objet est de fournir à leurs associés la jouissance d'un logement par l'acquisition ou la construction d'un immeuble bâti et, de l’autre, les sociétés d'attribution et d'autopromotion, qui ont non seulement pour objet d'attribuer à leurs associés la jouissance d'un logement, mais qui peuvent également leur en attribuer la propriété, tout en contribuant à l'animation des lieux de vie collective.

27. Le Conseil d’Etat relève que, dans sa définition comme sa philosophie, l’habitat participatif partage plusieurs points avec l’habitat inclusif. Comme dans une copropriété ou une colocation où se pratique l’habitat inclusif, il associe, d’un côté, la propriété ou la jouissance d'un logement à titre de résidence principale et, de l’autre, l'entretien et l’animation de lieux de vie collective. Il confère également la possibilité de développer des activités et d’offrir des services aux personnes résidant dans les lieux et, à titre accessoire, à des tiers. Enfin, il pose l’obligation pour les associés, comme ce peut être le cas des habitants d’un habitat inclusif, de participer aux charges entraînées par les services collectifs et les équipements communs.

28. Cependant, aucun lien n’est fait dans les textes, en particulier à l’article L. 281-1 du CASF, entre habitat participatif et inclusif alors même que, si le premier ne s’adresse pas spécifiquement à des personnes âgées ou handicapées et s’il ne prévoit pas expressément une mixité entre personnes vulnérables et d’autres qui ne le sont pas, rien ne s’oppose à ce qu’il serve de cadre au second.

29. En outre, l’habitat participatif prévoit des outils qui peuvent utilement servir à « concrétiser » le projet de vie sociale et partagée de l’habitat inclusif : une assemblée générale où se prennent les décisions collectives, une charte fixant les règles de fonctionnement de l'immeuble, notamment les règles d'utilisation des lieux de vie collective, un règlement prévoyant les modalités de répartition des charges. Aussi, lorsque l’habitat inclusif se fait en habitat participatif, les textes devraient prévoir, dans un objectif de simplification, la mutualisation de ces « outils » de vie collective pour éviter leur superposition.

Sur les statuts juridiquement incompatibles, ou paraissant moins compatibles, avec l’habitat inclusif :

La résidence service :

 30. La résidence service réunit plusieurs attributs de l’habitat inclusif puisqu’il s’agit, selon l’article L. 631-13 du CCH, d’un « ensemble d'habitations constitué de logements autonomes permettant aux occupants de bénéficier de services spécifiques non individualisables (…) qui bénéficient par nature à l'ensemble des occupants » mais également de « services spécifiques individualisables [qui] peuvent être souscrits par les occupants auprès de prestataires ».

31. Titulaire d’un contrat de location, le locataire bénéficie donc à la fois de services répondant à ses besoins individuels mais également de services qu’il mutualise, dans une logique d’économie d’échelle, avec les autres occupants (« services non individualisables »), comme ce peut être le cas en habitat inclusif. L’article L. 631-16 du CCH autorise le bailleur de la résidence service, comme ce peut également être le cas en habitat inclusif mais sous certaines conditions précisées au point 95, à cumuler plusieurs fonctions en prévoyant que « les services spécifiques non individualisables sont fournis par un gérant, personne physique ou morale, qui est également bailleur dans le cadre des contrats de location conclus avec les occupants ».

32. Comme pour l’habitat inclusif, la résidence service ne nécessite aucune autorisation ni agrément ou déclaration et l’entrée d’un occupant ne fait l’objet d’aucune décision administrative d’orientation, pas plus qu’elle ne repose sur un niveau de perte d’autonomie ou sur un certain âge. Le Conseil d’Etat observe d’ailleurs, que l’expression courante « résidence service seniors » ajoute le substantif « senior » à un intitulé qui, juridiquement, ne le comporte pas.

33. En outre, conformément à l’article D. 631-27 du CCH, les services dits « non individualisables », c’est-à-dire susceptibles d’être liés au contrat de location, ressemblent à certains de ceux compris  dans un habitat inclusif puisqu’il s’agit de : « 1° L'accueil personnalisé et permanent des résidents et de leurs visiteurs ; / 2° La mise à disposition d'un personnel spécifique attaché à la résidence, le cas échéant complétée par des moyens techniques, permettant d'assurer une veille continue quant à la sécurité des personnes et à la surveillance des biens ; / 3° Le libre accès aux espaces de convivialité et aux jardins aménagés ».

34. Enfin, le Conseil d’Etat relève que le législateur a prévu, à l’article L. 7232-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 28 décembre 2015 déjà citée, que le gestionnaire d’une résidence service n’a pas à se soumettre à la procédure d’appel à projet prévue à l’article L. 313-1-1 du CASF pour obtenir l’autorisation d’exploiter un service d’aide à la personne destiné aux habitants de sa propre structure. Ces dispositions pourraient utilement répondre aux besoins de création ou d’extension de service d’aide à la personne destinés aux habitats inclusifs.

35. Pourtant, en vertu de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 281-1 du CASF, en vue sans doute de ne pas étendre aux résidences services les aides publiques destinées au financement de la « vie partagée », le législateur a exclu que l’habitat inclusif puisse être constitué dans des logements relevant d’une résidence service.

36. Pour le Conseil d’Etat cette interdiction traduit l’approche segmentée et peu cohérente qui prévaut aujourd’hui lorsqu’est autorisée, de manière dérogatoire ainsi qu’il est dit au point 85, l’articulation juridique d’un contrat de bail et d’un contrat de services. Dans les résidences services, l’article L. 631-16 du CCH permet une telle articulation, mais pour un ensemble de services dont le nombre est pour l’instant fortement limité par les textes réglementaires d’application. Dans l’habitat inclusif, en revanche, il existe une liaison implicite et nécessaire entre le fait d’occuper le logement et une grande diversité de services assurés, aux termes de l’article D. 281-1 du CASF, par la « personne morale chargée d’assurer le projet de vie sociale et partagée » (dite personne « 3P »), mais sans que la loi en ait autorisé la traduction juridique dans le cadre d’un contrat de bail de droit commun.

37. Le Conseil d’Etat estime que l’interdiction législative mentionnée au point 35pourrait utilement être supprimée. Serait ainsi rendu possible l’élargissement, par voie réglementaire, du champ des services « non individualisables » au moins des résidences services qui accueilleraient un habitat inclusif, de manière à couvrir, au minimum, tous les services aujourd’hui attendus d’une personne « 3P » en application de l’article D. 281-1 du CASF.

Mais il considère surtout, ainsi qu’il est dit au point 119, qu’il conviendrait de conduire une réflexion plus globale visant à réinterroger les différentes hypothèses dans lesquelles la loi permet, ou au contraire interdit, de lier un contrat de logement à un contrat de services, s’agissant de ceux qui sont plus spécifiquement destinés aux habitants vulnérables.

Les lieux de vie et d’accueil (LVA) :

38. Reconnues par la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2022 rénovant l’action sociale et médico‑sociale, ces petites structures de trois à sept personnes, animées par des « permanents de lieux de vie » qui résident sur place, sont définies essentiellement par leur fonction, celle de favoriser, par un accompagnement quotidien et continu, l’insertion sociale des personnes accueillies, en application des articles L. 312-1 et D. 316-1 et suivants du CASF. Celles-ci peuvent être des personnes en situation de handicap. En revanche, il n’est pas prévu qu’elles puissent être des personnes accueillies du seul fait de leur âge avancé.

39. Le Conseil d’Etat constate qu’aucun texte législatif ou réglementaire n’instaure d’incompatibilité entre les statuts de LVA et d’habitat inclusif. Les LVA ne constituent pas, en application du III de l’article L. 312-1 du CASF, des établissements et services sociaux ou médico-sociaux au sens du I du même article. La petite taille des structures, le mode de vie partagé et la cohabitation entre salariés et personnes accueillies – qui se traduit en particulier, à l’article L. 433-1 du CASF, par un régime de durée du travail calculé en « forfaits jours », analogue à celui qui est applicable à un habitat inclusif en vertu de l’article L. 433-2 du même code – peuvent même paraître les rapprocher.

Aussi relève-t-il que l’interdiction de principe d’instituer un habitat inclusif dans un LVA, posée à l’annexe 1 de l’instruction ministérielle DGCS-DHUP-CNSA du 4 juillet 2019, ne paraît pas se rattacher à une base juridique solide.

40. Le Conseil d’Etat constate toutefois que les LVA sont soumis à un champ très large de dispositions du livre III du CASF, en particulier le régime d’autorisation (article L. 313-1), les mesures de police administrative (articles L. 313-13 à L. 313-20) et le contrat de séjour (article L. 311-4). En conséquence de l’ensemble de ces dispositions, mais aussi de l’économie générale des textes qui régissent ces structures (leur financement par les pouvoirs publics n’est, par exemple, obligatoire que lorsque ceux-ci prennent la décision d’orienter une personne vers un lieu de vie et d’accueil), leur cadre juridique ne paraît pas adapté à des habitats inclusifs et ne pourrait le devenir qu’au prix de changements qui pourraient en dénaturer l’objet.

L’accueil familial :

41. L’accueil familial, défini à l’article L. 441-1 du CASF, consiste en un accueil par une personne physique, à son domicile, à titre onéreux, de personnes âgées n’appartenant pas à sa famille. La personne qui accueille doit être agréée, l’agrément étant soumis à des conditions de continuité et de qualité de l’accueil, en particulier au regard des garanties de protection de la santé, de la sécurité et du bien-être physique et social que cet accueil doit présenter. L’accueil familial permet qu’un suivi social et médico-social soit assuré, notamment au moyen de visites au domicile de l’accueillant, en application de l’article R. 441-1 du CASF.

42. L’accueil familial est clairement au nombre des solutions de logement qui, comme l’habitat inclusif, remplissent pleinement l’objectif de « vivre chez soi, sans être seul ». On peut d’ailleurs noter qu’il bénéficie, au II de l’article L. 442-8-1 du CCH, de la même dérogation à l’interdiction de principe de sous-location dans le logement social.

43. Mais le Conseil d’Etat estime que le déploiement de l’accueil familial n’a pas vocation à s’effectuer par son rapprochement juridique avec l’habitat inclusif, compte tenu, comme pour les lieux de vie et d’accueil, de ce qu’un tel rapprochement se paierait d’une dénaturation de son concept : d’importantes contraintes pèseraient sur la configuration du domicile, qui devrait comprendre un espace commun affecté au projet de vie sociale et partagée ; le contrat définissant les conditions de l’accueil et les droits et obligations des parties devrait se concilier avec un projet de vie sociale et partagée auquel l’accueillant n’est pas tenu d’adhérer ; enfin, la vie de la famille accueillante devrait se concilier avec l’organisation d’une vie commune animée par une personne morale « 3P », ce qui est difficile à imaginer, sauf peut-être dans les cas où cette dernière se confondrait avec l’employeur de l’accueillant, en application des dispositions de l’article L. 444-1 du CASF.

Sur les logements-foyers :

44.  Comme indiqué au point 5, il existe une incompatibilité au moins formelle entre le statut de « logement-foyer » et les principes portés par l’habitat inclusif. Mais le Conseil d’Etat constate la création, par le législateur, de la notion de « logement-foyer habitat inclusif » et estime, en conséquence, que les atouts de ce statut doivent être exploités, à condition d’en lever les ambiguïtés qui demeurent.

a) Sur l’incompatibilité entre « logement-foyer » et habitat inclusif :

45. En première analyse, les logements-foyers définis à l’article L. 633-1 du CCH présentent, dans leur conception et leur définition juridique, un nombre important de points communs avec les formes de logement dans lesquelles on est « chez soi sans être seul ».

46. L’article L. 633-1 du CCH dispose ainsi que : « Un logement-foyer (…) est un établissement destiné au logement collectif à titre de résidence principale de personnes dans des immeubles comportant à la fois des locaux privatifs meublés ou non et des locaux communs affectés à la vie collective. / Il accueille notamment des personnes âgées, des personnes handicapées, des jeunes travailleurs, des étudiants, des travailleurs migrants ou des personnes défavorisées. (…) ». D’autre part, le contrat que tout résident d’un logement‑foyer doit conclure précise, conformément aux articles L. 663-2 et R. 633-2 du CCH, les « prestations obligatoires, ainsi que le montant des prestations que l'établissement propose à titre facultatif », en plus de « la désignation des locaux et équipements à usage privatif dont la personne logée a la jouissance ainsi que les espaces collectifs mis à disposition ».

47. L’existence conjointe de locaux privatifs et de « locaux communs affectés à la vie collective » entre donc en forte résonance avec ce que peut être un « projet de vie sociale et partagée » en habitat inclusif. Il s’y ajoute que les cibles populationnelles sont les mêmes et que leur plus grande diversité en logement-foyer permet d’imaginer de larges mixités d’habitat. Introduites par un « notamment », elles pourraient en principe ouvrir la voie à des logements-foyers accueillant aussi des personnes ne présentant aucune fragilité particulière.

48. Enfin, ce statut a le mérite d’offrir un cadre permettant de bénéficier de certaines aides financières à l’investissement ou au fonctionnement : notamment les primes et prêts à la construction du livre III du CCH et l’aide personnalisée au logement prévue au 5° de l’article L. 831-1 du même code.

49. Mais nonobstant ces différents éléments, le statut juridique d’ « établissement » (article L. 633-1 du CCH), placé sous la responsabilité d’un « gestionnaire » (article L. 633‑4 du même code), qui caractérise le logement-foyer, se dresse, en principe, comme un obstacle absolu à ce qu’ils puissent accueillir un habitat inclusif de l’article L. 281-1 du CASF.

50. Dans un logement-foyer, les occupants sont qualifiés de « résidents » et sont « accueillis » (I de l’article L.312-1 du CASF), ou « admis » (article L. 344-2-3 du même code) par le gestionnaire, voire, dans certains cas, « placés » par décision administrative (L. 242-4 du même code). Le résident s’y acquitte d’une redevance et non d’un loyer et il est titulaire d’un contrat d’occupation qui ne peut être assimilé à un contrat de bail (CE 5/4 SSR, 28 novembre 2014, Association droit au logement et autres, no 365285).

51. D’ailleurs, la lecture parallèle des dispositions du code de la construction et de l’habitation et du code de l’action sociale et des familles aboutit à ce qu’en principe, tout logement-foyer entre par là même, s’il « accueille des personnes âgées » ou « handicapées », dans la définition que donne de l’établissement médico-social le I de l’article L. 312-1 du CASF : « Sont des établissements médico-sociaux (…) 6° les établissements qui accueillent des personnes âgées (…) 7° les établissements (…) qui accueillent des personnes handicapées ».

52. Le Conseil d’Etat ne retient pas que l’expression « établissement qui accueille des personnes âgées » ou « handicapées » n’ait pas le même sens dans les deux codes. Il estime au contraire que le législateur et le pouvoir réglementaire ont toujours conçu ces deux législations en miroir.

Ainsi des « ponts » juridiques sont-ils posés entre les deux notions, aussi bien dans le CCH (à ses articles L. 633-3 et L. 633-5) que dans le CASF (par exemple au III de l’article L. 313-12 qui définit la résidence autonomie).

Ainsi, également, du fait que le gestionnaire ou le propriétaire d’un logement-foyer accueillant des personnes âgées et handicapées n’est pas tenu, ainsi qu’il résulte de la combinaison du 1° du I de l’article R. 353‑159 du CCH et des 2° et 3° de l’article R. 832-20 du même code, d’être titulaire de l'agrément de gestionnaire de résidence sociale ou de l'agrément d’intermédiation locative et de gestion locative sociale mentionné à l'article L. 365-4 de ce code. Car, étant réputé être gestionnaire d’un établissement médico-social, l’autorisation administrative à laquelle il est soumis à ce titre en tient lieu.

53. Il y a donc lieu de considérer que, jusqu’à la création de l’habitat inclusif par la loi ELAN du 23 novembre 2018 et, plus précisément encore, jusqu’à la modification apportée à l’article L. 281-1 du CASF par la loi du 21 février 2022 déjà citée, aucun logement-foyer ne pouvait accueillir des personnes âgées ou handicapées sans revêtir automatiquement la qualité d’établissement médico-social, laquelle est incompatible avec la qualité d’habitat inclusif.

b) Le statut de « logement-foyer habitat inclusif » doit néanmoins être exploité, en levant ses limites et ses ambiguïtés :

54. En prévoyant cette faculté pour un habitat inclusif de se constituer sous la forme du « logement-foyer », le législateur avait certainement en vue le cadre d’aides financières dont il a été question au point 48.

55. Par ailleurs, tout en le rattachant à la législation applicable aux logements-foyers non médico-sociaux, il a entendu en faire une catégorie particulière en leur sein puisqu’il a exclu, aux termes mêmes de l’article L. 281-1 du CASF, qu’il puisse s’agir d’un des types déjà existants de logements-foyers non médico-sociaux que sont les « résidences sociales », alors pourtant qu’il s’agit de logements-foyers destinées à accueillir, aux termes de l’article L. 301‑1 du CCH, les personnes « éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de [leurs] ressources ou de [leurs] conditions d’existence ».

56. Le législateur a même exclu que le logement-foyer habitat inclusif puisse se confondre avec les catégories particulières de résidences sociales que sont les « pensions de famille » (pourtant définies par la loi comme des logements-foyers destinés aux « personnes dont la situation sociale et psychologique rend difficile leur accès à un logement ordinaire ») et qui disposent déjà d’un « hôte » chargé d’une mission d’animation et de régulation de la vie quotidienne, ou les « résidences accueil » (pourtant définies par la loi comme des logements‑foyers « dédiés aux personnes ayant un handicap psychique » soit un des publics « cible » de l’habitat inclusif).

57. Le Conseil d’Etat considère que, dans le contexte où le Gouvernement exprime le souhait de promouvoir l’habitat inclusif, ces exclusions mériteraient d’être réinterrogées. Tout comme pourrait l’être la doctrine administrative qui exclut de constituer en habitat inclusif des structures assurant, en tout ou partie, la fonction de foyers de jeunes travailleurs ou de travailleurs migrants, alors que l’article L. 281‑1 du CASF ne prévoit pas une telle exclusion.

58. Symétriquement, s’agissant des logements foyers ayant la qualité d’établissements médico-sociaux, le législateur a clairement écarté l’application du raisonnement développé au point 51, ce qui exclut que le logement-foyer habitat inclusif soit assimilable à une « petite unité de vie » accueillant des personnes âgées (II de l’article L. 313-12 du CASF) ou, pour les personnes handicapées, à un « établissement d’accueil », médicalisé ou non (article D. 312‑0‑2 du même code).

59. Cela exclut aussi que le logement-foyer habitat inclusif puisse être confondu avec une catégorie d’établissement médico-social appelée « résidence autonomie », définie au III de l’article L. 313-12 du CASF. Ce point particulier soulève toutefois une question délicate.

En effet, les « résidences autonomie » accueillent des personnes âgées relativement autonomes (L’article D. 313-15 du CASF dispose que la part de leurs résidents classés dans les GIR 1 à 3 ne doit pas dépasser 20% de leur capacité). Elles leur proposent des prestations, individuelles ou collectives, dont la liste est fixée par voie réglementaire (article D. 313-16, renvoyant à l’annexe 2-3-2 du même code) et parmi lesquelles figurent des prestations d’animation de la vie sociale. A cela s’ajoute que, depuis le décret n° 2016-696 du 27 mai 2016 relatif aux résidences autonomie dont est issu l’article D. 313-24 du même code, celles-ci « peuvent, dans le cadre d'un projet d'établissement à visée intergénérationnelle, accueillir, d'une part, des personnes handicapées et, d'autre part, des étudiants ou des jeunes travailleurs dans des proportions inférieures ou égales au total à 15 % de la capacité autorisée ».

60. Il existe donc, de part et d’autre de la frontière qui sépare les logements-foyers ayant la qualité d’établissement médico-social (régis par le livre III du CASF) et ceux n’ayant pas cette qualité (régis par le chapitre III du livre VI du CCH) deux modes d’accueil, résidence‑autonomie d’un côté et logement-foyer habitat inclusif de l’autre, qui ont pourtant, dans certains cas, de fortes proximités en termes de projet et de publics accueillis. Le Conseil d’Etat ne peut que souligner le caractère peu cohérent de cette situation, dont le maintien semble peu compatible avec une stratégie de développement à grande échelle de l’habitat « partagé ».

61. Plus généralement, le Conseil d’Etat ne peut que relever le caractère encore insuffisamment défini du nouveau statut de logement-foyer habitat inclusif.

62. En premier lieu, alors qu’il s’attache à cette nouvelle qualité de « logement foyer habitat inclusif » une dérogation à toutes les garanties qu’offre le régime des établissements médico‑sociaux pour l’accueil en institution des personnes handicapées ou âgées, aucun texte n’est venu définir de procédure particulière pour sa reconnaissance administrative.

Le principe même d’une telle dérogation n’est pas en cause, dès l’instant que l’accueil en habitat inclusif relève, par hypothèse, de modalités particulières, justifiant un statut adapté pour les logements-foyers qui accueillent, sous ces modalités, des personnes âgées ou handicapées. Mais le Conseil d’Etat relève que l’accès à ce statut adapté n’est que très partiellement régulé.

63. Ainsi, seul le gestionnaire d’un logement-foyer habitat inclusif qui souhaiterait bénéficier de subventions ou de prêts à la construction de la part de l’Etat (articles D. 331-1 et suivants du CCH) et, ainsi, ouvrir droit au versement à ses résidents de l'aide personnalisée au logement (APL) devrait se soumettre, comme pour un logement‑foyer « ordinaire », à la conclusion, en application des articles L. 353-1, L. 831‑1 et R. 832‑20 du CCH, d’une convention avec l’Etat et l’organisme propriétaire conforme à une convention-type figurant en annexe (annexe 1 du III) de l’article R. 353‑159 du même code.

Le Conseil d’Etat relève, à cet égard, que les dispositions de cette annexe ont fait l’objet d’une modification, par le décret n°2021-1862 du 27 décembre 2021, pour y prévoir le cas de l’habitat inclusif.

64. Mais aucune autre formalité ne serait requise, notamment pas la délivrance d’une autorisation au titre de l’article L. 313-1 du CASF puisqu’un logement-foyer habitat inclusif n’est pas régi par le livre III de ce code. Sachant que, comme il a été dit au point 52, ce gestionnaire ne serait pas non plus tenu de recueillir l'agrément de gestionnaire de résidence sociale ou d’intermédiation locative et de gestion locative sociale.

65. Ce n’est, en somme, que si ce gestionnaire est déjà gestionnaire d’un établissement médico-social et qu’il souhaite le transformer en logement-foyer habitat inclusif qu’il devra en informer l’autorité compétente de l’Etat ou du département. Il devra en particulier déclarer ce changement au titre de l’article L. 313‑1 du CASF, afin que l’autorisation dont il bénéficie en qualité d’établissement médico-social soit, selon que le logement-foyer est intégralement ou seulement pour partie dédié à l’habitat inclusif, entièrement ou partiellement abrogée.

66. Le Conseil d’Etat estime que cette lacune juridique mérite d’être rapidement comblée.

67. Par ailleurs, le Conseil d’Etat relève que plusieurs incertitudes affectent le cadre de fonctionnement des logements-foyers habitats inclusif.

68. Ainsi, la loi n’a pas donné de guide quant au régime d’entrée dans ces logements-foyers, se bornant à préciser qu’elle se fait « le cas échéant, dans le respect (…) des conditions d'orientation (…) prévues à l'article L. 345-2-8 » du CASF, qui concerne les personnes sans domicile orientées par le service intégré d'accueil et d'orientation.

69. Le législateur n’a pas davantage précisé de quelle manière s’articule le « projet de vie sociale et partagée » propre à l’habitat inclusif avec les différents « outils » du logement-foyer déjà prévus par la loi. Par exemple, ni le CASF ni le CCH ne font de lien entre ce projet et la vie démocratique qui s’exprime dans un logement-foyer à travers le « comité de résidents » et le « conseil de concertation ». Ces instances, en particulier, la seconde qui est obligatoirement consultée sur tout projet et organisation, « dont la gestion des espaces communs », susceptibles d'avoir une incidence sur les conditions de logement et de vie, peuvent pourtant offrir un cadre pertinent, voire tenir lieu d’instances où s’exprime la prise de décision collective en habitat inclusif.

70. Tout en notant que le cadre législatif actuel du logement-foyer excède sans doute, en partie, ce qui est réservé au domaine de la loi en application de l’article 34 de la Constitution et impose, par suite, pour toute modification, l’intervention du législateur dans des domaines qui auraient pu relever du pouvoir réglementaire, le Conseil d’Etat recommande, en conséquence des points précédents, de conférer un cadre législatif plus complet au statut particulier de « logement-foyer habitat inclusif ».

71. En conclusion plus générale, le Conseil d’Etat relève que le choix – légitime – d’accompagner avec souplesse le développement progressif de ces différentes formes d’habitat se traduit aujourd’hui par un certain « désordre statutaire », qui peut faire obstacle au déploiement à plus grande échelle souhaité par le Gouvernement.

Il estime que, dans un objectif de lisibilité et de simplification du cadre normatif applicable, celui-ci pourrait être réorganisé en distinguant, en premier lieu, les logements-foyers (résidence autonomie, logement-foyer habitat inclusif), en deuxième lieu, les statuts ou régimes qui, tout en conservant leurs particularités, devraient être mieux articulés avec l'habitat inclusif (logement locatif social, en location ou colocation, cohabitation intergénérationnelle solidaire, habitat participatif et, si l'obstacle législatif est levé, résidence service) et, en troisième lieu, les logements accompagnés à objets spécifiques (tels que l’accueil familial ou les lieux de vie et d’accueil).

Sur la troisième question relative aux critères de distinction entre habitat inclusif et « hébergement effectif » au sens de la jurisprudence et la quatrième question relative à la méthode de caractérisation de l’habitat inclusif

72. Ainsi qu’il a été rappelé au point 51, la définition de l’établissement médico-social pour personnes âgées ou personnes handicapées est fixée par le I de l’article L. 312-1 du CASF dans les termes suivants : « Sont des établissements médico-sociaux (…) 6° les établissements qui accueillent des personnes âgées (…) 7° les établissements (…) qui accueillent des personnes handicapées ».

73. Pour l’application de ce texte, la jurisprudence du Conseil d’Etat est empreinte de réalisme : compte tenu de la finalité protectrice que revêt la qualification d’établissement médico-social, celle-ci peut s’imposer aux personnes concernées et être reconnue par le juge quel que soit le régime juridique sous lequel la personne qui « accueille » les personnes vulnérables a entendu se placer.

74. Par de nombreuses décisions (CE, 29 décembre 1995, Département  du Nord, n° 146270, au Recueil et SCI Résidence et services » et Association Gere  Home, n° 145008 ; CE, 16 octobre 1998, SARL Société Rhodanienne d’intendance et de  services, n° 171017 ; CE, 15 mai 2013, Département de Paris, n°348292, aux Tables), la jurisprudence a caractérisé « l’accueil » d’une personne âgée ou handicapée au sens de l’article L. 312-1 du CASF en la fondant sur la notion  « d’hébergement effectif » de cette personne par un tiers, au vu d’un « faisceau d’indices » mettant essentiellement en avant trois critères :

- le degré de perte d’autonomie des habitants ;

- l’existence de locaux communs meublés, spécialement aménagés pour l’accueil d’une population donnée ;

- et l’existence de services collectifs pourvoyant à l’entretien des habitants, voire à leur prise en charge médicale, ainsi que le lien le cas échéant établi entre le bail et le bénéfice des prestations.

75. Les considérations qui suivent entendent s’inscrire le plus possible dans cet état de la jurisprudence, tout en s’efforçant, ainsi qu’y invite le Gouvernement dans sa demande d’avis, de tenir compte de l’importante évolution du cadre législatif au cours des dix dernières années, c’est-à-dire postérieurement aux faits ayant donné lieu aux décisions les plus récentes du Conseil d’Etat statuant au contentieux.

76. A titre liminaire, il convient d’écarter l’hypothèse dans laquelle l’habitat inclusif de l’article L. 281-1 du CASF devrait être regardé comme relevant de la catégorie du « logement-foyer habitat inclusif » prévu à cet article.

En effet, comme il a été mentionné plus haut, un tel habitat inclusif, bien que régi par les dispositions des articles L. 633-1 et suivants du CCH et ayant par suite le caractère « d’établissement » qui « accueille » des personnes âgées ou handicapées, ne constitue pas, de par la loi, un établissement médico-social au sens du livre III du CASF. En conséquence, alors même qu’il remplirait tout ou partie des critères de « l’hébergement effectif » au sens de la jurisprudence, il ne saurait être qualifié, par l’administration ou par le juge, d’établissement médico-social.

Le Conseil d’Etat constat toutefois, ainsi qu’il a été dit au point 62, qu’aucune disposition ne permet de reconnaître administrativement la qualité de logement-foyer habitat inclusif si son gestionnaire ne sollicite ni l’agrément d’intermédiation locative et de gestion locative sociale de l’article L. 365-1 du CASF, ni les prêts et subventions du titre III du livre III du CCH ou, pour ses habitants, l’aide personnalisée au logement dans les conditions du 5° de l’article L. 831-1 du CCH. Il demeure donc dans ce cas une incertitude quant à la qualification de logement-foyer et donc de logement-foyer habitat inclusif.

77. Pour en venir au cas général, le point de départ de tout constat « d’hébergement effectif » au sens de la jurisprudence réside, comme mentionné précédemment, dans l’existence préalable d’une personne, physique ou morale, qui offre le service d’un logement, sous quelque forme juridique que ce soit.

Ainsi, « l’hébergement effectif », au sens de la jurisprudence, n’apparaît que lorsque les habitants de l’habitat inclusif sont locataires, co-locataires ou sous-locataires d’un logeur : un simple service d’aide, n’offrant aucun habitat, ne peut pas être un « établissement » (CE, 17 juin 2014, Département de l’Orne, n° 355835).

78. Pour la même raison, les situations dans lesquelles les habitants d’un habitat inclusif sont propriétaires ou co-propriétaires de leur logement (notamment dans le cas des sociétés coopératives d’habitants mentionnées au point 26 ou des sociétés de personnes) sont insusceptibles de donner lieu à une qualification d’établissement médico-social.

79. Pour entrer dans la qualification d’« hébergement effectif », il est donc déterminant que le logeur fournisse aux habitants des services qui vont au-delà du seul service de « logement » tel qu’il se déduit, par exemple de l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 : délivrance d’un logement en bon état d’usage et de réparation ainsi que des équipements mentionnés au contrat de location, jouissance paisible du logement et entretien normal des locaux loués et de leurs éventuelles dépendances.

Ce contrat de « logement », élément premier et nécessaire d’une qualification d’établissement médico-social, ne paraît susceptible d’être regardé comme un contrat « d’hébergement » (et donc d’entraîner la requalification du logeur en gestionnaire « de fait » d’un établissement médico-social) que si lui sont associés, au sens juridique du terme, certains services, autres que ceux énumérés au paragraphe précédent, que l’habitant s’engage à souscrire et à payer, en sus de son loyer et des charges locatives.

Ce point rejoint le troisième critère du « faisceau » de la jurisprudence, mentionné au point 74.

80. En revanche, sous réserve de ce que serait la position du Conseil d’Etat statuant au contentieux, les deux premiers critères de la jurisprudence mériteraient d’être remis en question compte tenu de la réalité nouvelle que pose, mais aussi que veut accompagner, le nouveau cadre législatif issu, notamment, de la loi ELAN du 23 novembre 2018.

Le Conseil d’Etat estime ainsi que, dans le cadre législatif nouveau, l’actuel troisième critère de la jurisprudence, à savoir le lien entre le logement et certains services associés, pourrait se poser comme le critère déterminant de l’appréciation de l’existence d’une situation « d’hébergement effectif ».

81. S’agissant en effet du premier critère de la jurisprudence, le Conseil d’Etat relève que le législateur de 2018 a défini l’habitat inclusif comme incluant la présence, parmi les cohabitants, de personnes âgées ou handicapées, sans référence au niveau de perte d’autonomie de ces personnes. L’instruction de la demande d’avis a d’ailleurs montré que la vie à domicile, dans un cadre collectif choisi, pouvait – tout comme toute autre vie à domicile – concerner des personnes dont les besoins d’aide individuelle à l’autonomie étaient très importants.

Le critère de degré de perte d’autonomie des habitants devrait, dans ces conditions, sous réserve de l’appréciation du Conseil d’Etat statuant au contentieux, cesser d’être un élément de différenciation entre l’habitat inclusif et les établissements médico-sociaux.

82. S’agissant du deuxième critère de la jurisprudence, le Conseil d’Etat relève que l’habitat inclusif est, de par la loi et par sa nature même, un habitat spécialement aménagé pour des personnes âgées ou handicapées, comportant des locaux communs. Ce critère devrait par conséquent, sous réserve de l’appréciation du Conseil d’Etat statuant au contentieux, être lui aussi regardé comme inopérant.

83. Pour la suite de la réponse à la demande d’avis, le Conseil d’Etat retient donc que la différence entre « l’hébergement médico-social » et la simple « assistance médico-sociale à domicile », qui définit la frontière entre l’établissement médico-social et l’habitat inclusif, doit exclusivement s’établir au vu de l’existence, ou non, d’un lien juridique entre la fourniture d’un logement et la fourniture d’un service médico-social, ce lien se traduisant, quel que soit le gestionnaire du service, par l’existence de clauses qui, dans le contrat passé entre le logeur et la personne logée, permettent au premier de résilier le contrat de logement en cas de refus ou d’interruption injustifiée du contrat de service par la personne logée.

Le Conseil d’Etat souligne à cet égard que l’abandon, rendu possible par l’évolution des textes législatifs, du « faisceau d’indices » au profit d’un critère de différenciation unique et reposant sur des éléments juridiques objectivables serait, sous réserve de la position du Conseil d’Etat statuant au contentieux, de nature à simplifier substantiellement l’état du droit et à offrir davantage de prévisibilité aux différents acteurs concernés.

84. A ce stade, il importe toutefois de préciser que ce critère du lien entre contrat de logement et contrat de services n’est examiné qu’au titre de la question posée (la « requalification » du logeur en gestionnaire de fait d’un établissement médico-social), c’est-à-dire sans préjudice de la licéité d’un tel lien juridique entre les contrats au regard d’autres textes.

85. Ainsi, par exemple, un contrat de logement auquel est liée une prestation de services ne saurait être un bail d’habitation au sens de de la loi du 6 juillet 1989 précitée, le refus ou la cessation d’un contrat de services n’étant pas au nombre des clauses de résiliation de plein droit limitativement énumérés au g de son article 4.

Il en est de même dans un logement locatif social, l’occupant du logement bénéficiant du droit au maintien dans les lieux, en vertu du premier alinéa de l’article L. 442-6 du CCH pour les offices non conventionnés et de l’article L. 353-15 du même code pour les logements locatifs conventionnés, ce qui exclut, comme dans un bail d’habitation au sens de la loi du 6 juillet 1989, la possibilité pour le bailleur de mettre fin à l’occupation du logement en cas de refus ou de cessation d’un contrat de services par l’occupant.

Dans un logement locatif de droit commun, seul un contrat de sous-location peut légalement lier le bénéfice du logement à un service, sous réserve de satisfaire les conditions fixées à l’article 8 de la loi du 6 juillet 1989 et de ne pas constituer une pratique commerciale déloyale au sens de l’article L. 121-1 du code de la consommation, en particulier s’agissant de personnes vulnérables.

Dans le logement locatif social, la sous-location n’est possible, en conséquence des dispositions de l’article L.442-8 du CCH qui posent son interdiction de principe, que dans des cas limitativement prévus par la loi, dont celui des logements-foyers et ceux prévus à article L. 442-8-1-2 du même code, rappelés au point 12. Comme il est dit au point 84, la question de ce qu’autorise le statut des sous-locataires, régi sauf exceptions par les dispositions de l’article L. 442-8-2, n’est pas examinée dans le présent avis.

86. Pour l’application du critère retenu par le Conseil d’Etat, il convient de distinguer les différents types de services qui peuvent être « liés » juridiquement à un contrat de logement.

87. S’agissant tout d’abord des services proposés par la personne morale chargée d’assurer le projet de vie sociale et partagée (personne « 3P »), dont la liste est fixée à l’article D. 281-1 du CASF, le Conseil d’Etat estime que ces services, qui découlent nécessairement du « projet de vie sociale et partagée », peuvent être par conséquent, le cas échéant, liés en tout ou partie au contrat de logement sans entraîner, de ce seul fait, une requalification du logement en établissement médico-social.

Le législateur a, en effet, directement lié le rôle et donc les missions de la personne « 3P » à un logement précis au sein duquel elle exerce ses fonctions. L’article L. 281-2-1 du CASF dispose d’ailleurs que les habitants d’un habitat inclusif ne peuvent bénéficier d’une « aide à la vie partagée » versée par le département que si ce dernier passe un contrat avec la personne « 3P » « au titre des logements concernés ». L’habitant ne pouvant ainsi bénéficier de l’aide publique que dans un certain logement, pour certains services rendus par un co-contractant de l’administration, il est normal qu’un lien juridique soit établi, pour cet habitant, entre le fait d’occuper ce logement et le fait de recourir aux services de ce co-contractant.

88. De même, mais pour une autre raison, le lien qui serait susceptible d’être posé entre le contrat de logement et des services dépourvus de tout caractère sanitaire ou médico-social (services de restauration ou de blanchisserie, ou autres services de loisirs ou de culture, par exemple) doit, compte tenu de leur nature, être sans incidence sur une éventuelle requalification en établissement médico-social.

89. S’agissant en revanche des services médico-sociaux tels que les prestations d'aide et de soins à domicile des « services autonomie à domicile » relevant des 6° et 7° du I de l'article L. 312-1 du CASF et définis aux articles L. 313-1-3 et D. 312-1 du même code, voire de services soignants, paramédicaux ou médicaux, le risque de requalification en situation d’hébergement effectif est particulièrement fort si, pour un habitant, son logement dans les lieux est associé à la souscription obligatoire de tels services, ou en tous cas d’un nombre conséquent de ces services (CE, 15 mai 2013, Département de Paris, n° 348292, aux Tables).

90. Il s’agit là d’un point particulièrement délicat, dans la mesure où, si le recours des habitants d’un habitat inclusif à des services sanitaires ou médico-sociaux ne découle pas de la définition juridique d’un tel habitat, elle est, dans les faits, presque systématique compte-tenu de ce que ces habitants sont par hypothèse, pour une partie d’entre eux au moins, des personnes âgées ou handicapées.

91. A cela s’ajoute que le choix d’un mode d’habitat partagé résulte souvent, non seulement du désir de rompre la solitude du quotidien, mais aussi de l’intérêt, notamment économique, qu’il y a à pouvoir mettre en commun ou, au moins, à organiser de la manière la plus rationnelle et efficace possible des services d’aides individuelles. Cette organisation commune est un point central du « projet de vie sociale et partagée » qui caractérise, aux termes du 1er alinéa de l’article L. 281-1 du CASF, l’habitat inclusif.

92. Or il est, sur ce point, nécessaire que l’engagement pris par chaque habitant de recourir à ces services ne soit pas seulement un engagement mutuel « horizontal », mais soit aussi, vis‑à‑vis du logeur, une condition expresse du maintien dans les lieux et que soit donc posé un lien juridique entre le contrat de logement et certains éléments d’un contrat de services dont la souscription est obligatoire pour tout habitant (ou, pour reprendre les termes utilisés pour les résidences services, dont la souscription n’est pas  « individualisable »).

En effet, en l’absence d’un tel lien, qui doit avoir été prévu dans le « projet de vie sociale et partagée », tout nouvel arrivant pourrait choisir d’habiter les lieux sans être lié par ces éléments essentiels et tout habitant déjà installé pourrait continuer d’occuper son logement tout en décidant de ne plus concourir aux services organisés en commun.

93. Le Conseil d’Etat estime en conséquence que, lorsqu’un tel lien a été prévu et que le contrat de logement comporte des clauses qui le lient à la souscription de services médico-sociaux d’aide à la personne, ou de services soignants, paramédicaux ou médicaux, auprès de certains prestataires, l’application du critère du point 83 doit dépendre du point de savoir si le choix de ces services et de ces prestataires émane du logeur, ou s’il émane des habitants eux‑mêmes, par l’effet d’une décision collective suffisamment formalisée.

94. Le Conseil d’Etat relève en effet que dans un établissement médico-social, de telles prestations sanitaires ou médico-sociales, qui ont vocation à figurer au contrat de séjour, ne donnent pas nécessairement lieu à signature par le résident et figurent alors dans un document individuel de prise en charge (article D. 311-1 du CASF).

Dans le cadre de l’habitat inclusif, chaque habitant doit en revanche engager par sa signature les services d’aide à la personne qu’il sollicite et exercer sur eux un contrôle, de manière à en garder le choix (I de l’article D. 312-1 du même code). Mais le sens même d’un habitat inclusif, constitué autour d’un « projet de vie sociale et partagée », est que ce contrôle des services mis en commun dans le cadre du projet collectif puisse être un contrôle, le cas échéant, collectif.

95. Ainsi, le Conseil d’Etat considère qu’au regard de la question de « requalification » en établissement médico-social, il faut, tout en retenant la règle de principe fixée au point 89, accorder un traitement particulier à l’hypothèse dans laquelle, conformément à l’esprit de l’habitat inclusif, les habitants peuvent exprimer collectivement un contrôle, tant sur l’existence de la clause liant leur contrat de logement à certains services d’aide ou de soins à la personne, que sur la nature des services ainsi rattachés au logement et au choix du ou des prestataires chargés de les assurer.

96. Par suite, sans qu’il soit possible de décrire de façon exhaustive les situations qui peuvent se présenter dans toute leur diversité (notamment lorsque le projet de vie sociale et partagée rassemble, ainsi qu’y fait référence la demande d’avis du Gouvernement, des personnes vulnérables et d’autres qui ne le sont pas), le Conseil d’Etat estime, de manière générale, que dans le cas où un contrat de logement comporte une clause liant sa souscription à celle de certaines prestations d'aide ou de soins à la personne, il y a lieu, par exception à ce qui est dit au point 89, de considérer qu’un tel lien contractuel ne peut pas faire regarder le « logeur » comme un gestionnaire de fait d’un établissement médico-social, dès lors que, quelles que soient l’intensité et la nature des services en cause, ceux-ci restent librement choisis et librement révocables par l’ensemble des habitants concernés ou, pour les habitants qui feraient l’objet d’une mesure de tutelle, par la personne qui accomplit pour eux les actes d’administration, selon des procédures formalisées analogues à celles qui régissent, par exemple, les décisions prises par une collectivité de copropriétaires en application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.

97.  Il convient évidemment de souligner que la « requalification » d’un habitat inclusif en établissement médico-social reste sans incidence sur l’application des autres législations qui régissent les prestations dont bénéficient ses habitants. En particulier :

-          La souscription conjointe, par le collectif des habitants, de certains services auprès de certains prestataires doit tenir compte du caractère individuel de l’évaluation des besoins d’aide à l’autonomie, en particulier lorsqu’ils sont solvabilisés par l’allocation personnalisée d’autonomie (article L. 232-1 du CASF) ou la prestation de compensation du handicap (article L. 245-1 du même code).

-          De même, le fait que l’habitat inclusif ne soit pas un établissement médico-social ne fait pas obstacle, si la personne qui assure la fonction de « logeur » est aussi gestionnaire d’un service intervenant dans le logement, à ce qu’elle soit regardée à ce titre comme gestionnaire d’un service médico-social si celui-ci relève des dispositions des 6° ou 7° du I de l’article L.312-1 du CASF. Il s’ensuit que, dans un habitat inclusif comme dans n’importe quel domicile, un tel service ne peut exercer son activité auprès de personnes âgées ou handicapées bénéficiaires de l’aide sociale que s’il y est habilité par l’autorité compétente au titre de l’article L.313-6 du même code, ou autorisé sur le fondement de l’article L. 313-1-2 de ce code. S’appliquent alors à lui, notamment, tous les éléments de contrôle mentionnés à la section 4 du chapitre 3 du titre 1er du livre III de ce code.

98. Par ailleurs, afin de garantir la réalité et la régularité de la participation de tous les habitants à la décision collective, il conviendrait pour le Conseil d’Etat que le cadre réglementaire de l’habitat inclusif, notamment le contenu minimal que fixe au « projet de vie sociale et partagée » l’arrêté du 24 juin 2019 « relatif au modèle du cahier des charges national du projet de vie sociale et partagée de l’habitat inclusif », pris en application de l’article L. 281-1 du CASF, fasse l’objet des compléments nécessaires.

99. Enfin, il est important de rappeler qu’il résulte des termes de l’article D. 281-1 du CASF qui énumèrent les missions que doit assurer la personne « 3P » qu’il revient à cette dernière, dans son rôle de « régulation » de la vie collective, d’accompagner les habitants dans leur processus décisionnel collectif et d’« organiser des partenariats avec l’ensemble des acteurs concourant à la mise en œuvre du projet de vie sociale et partagée, notamment avec des opérateurs sociaux, médico-sociaux et sanitaires (…) dans le respect du libre choix de la personne ».

Sur la cinquième question relative à l’aide à la vie partagée

100. En application de l’article L. 281-2-1 du CASF, l’aide à la vie partagée (AVP) vise à financer le projet de vie sociale et partagée des habitants d’un habitat inclusif. Prévue par chaque règlement départemental d’aide sociale (article L. 121-3 du CASF), elle est versée directement à la personne « 3P » par le département, sous réserve d’un conventionnement entre eux. Ce même article prévoit également que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) contribue au financement de cette dépense, dans le cadre d’un accord avec chaque département portant notamment sur le montant de l’AVP et ses conditions d’attribution et comportant, en annexe, le nombre et le montant des aides retenues pour chaque habitat et leur taux de couverture par la CNSA.

101. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de l’article L. 281-2-1 du CASF, confortés par les travaux parlementaires de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021, que si l’AVP répond, dans des termes généraux, à une définition légale unique pour l’ensemble du territoire national, le principe de son introduction sur un territoire départemental est une pure faculté pour chaque département. Le concours de la CNSA au financement des dépenses départementales d’AVP constitue, par conséquent, un mécanisme de nature strictement incitative auquel le département choisit ou non d’avoir recours.

102. Dans ces conditions, eu égard à son objet et aux personnes qui peuvent en être bénéficiaires, l’AVP doit être regardée comme une aide qui relève de la compétence générale d’action sociale dont le département définit et met en œuvre la politique, en application de l’article L. 121-1 du CASF. Le Conseil d’Etat souligne à cet égard que e la loi du 21 février 2022, déjà citée, a ajouté à l’article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) un dernier alinéa qui dispose que le président du conseil départemental est compétent pour « coordonner le développement de l'habitat inclusif ».

103. Le règlement départemental d’aide sociale a dès lors vocation à fixer les conditions et les règles selon lesquelles cette aide est accordée, ainsi que son montant, dans le respect du cadre général que l’article L. 281-2-1 du CASF attribue à l’AVP, à savoir une aide « permettant aux habitants d’un habitat inclusif de financer le projet de vie sociale et partagée ».

La grande généralité de ces éléments légaux de définition de l’AVP et l’absence, pour l’instant, de tout cadre réglementaire plus précis, laissent donc, en première analyse et sous réserve de ce qui est dit aux points 109 à 111, une grande latitude aux départements.

104. Toutefois la liberté de l’autorité départementale s’exercerait dans les limites fixées par la loi. Ainsi par exemple un règlement départemental d’aide sociale qui exclurait, par principe, que l’AVP puisse s’appliquer aux personnes âgées, ou à certaines catégories de personnes handicapées, ou encore qui exclurait par principe de l’AVP le financement de certaines missions pourtant imposées, par l’article D. 281-1 du CASF, à la personne « 3P », ou encore qui exclurait par principe le financement de frais nécessairement liés à la mise en œuvre de ces missions, tels que des frais de structure ou des dépenses obligatoires de formation, s’exposerait-il à une méconnaissance de la loi.

105. Il résulte du même cadre législatif général que le coût des services d’aide et de soins à domicile, même lorsque leur souscription est choisie par les habitants comme étant « non individualisable », ne saurait en principe être couvert par l’AVP.

Le Conseil d’Etat relève cependant que la frontière entre l’aide individuelle à la vie quotidienne et à la vie sociale (qui relève du « service autonomie à domicile ») et l’aide apportée à la vie collective (qui relève de la personne « 3P ») est complexe à tracer, en particulier dans des structures de petite taille où les mêmes personnes physiques peuvent être appelées à partager leur temps entre les deux missions.

106. La solvabilisation de ces deux besoins, complémentaires et imbriqués, par la même collectivité territoriale départementale, au titre de son unique mission d’action sociale, devrait être mise à profit par les départements pour éviter les affectations trop rigides de dépenses entre les différentes missions. Cette approche s’imposerait particulièrement lorsque, pour des raisons de bonne organisation et de rationalité économique, les deux services ont la même personne morale gestionnaire.

107. Il résulte de tout ce qui précède que l’AVP, lorsqu’elle est financée par un département sur ses propres ressources, peut différer, dans ses conditions et règles d’octroi ou dans son montant, d’un département à un autre. Sous réserve de ce qui est dit aux points suivants, une disparité entre départements ne peut ainsi pas être utilement contestée au nom du principe d’égalité devant la loi.

108. En revanche, il appartient à chaque département de s’assurer du respect de ce principe à l’égard des habitants d’habitats inclusifs résidant sur son propre territoire : les différences de traitement ne peuvent être justifiées, pour les conditions et montants d’AVP accordés, que par des différences de situation entre les différents habitats, liés au contenu du projet de vie sociale et partagée et des services associés, ou par l’existence d’un motif d’intérêt général.

109. Il faut toutefois apporter à ces considérations de principe une restriction d’assez grande ampleur.

En effet, si le département décide de solliciter, au titre du 4° de l’article L. 223-8 du code de la sécurité sociale, le concours de la CNSA pour le financement des dépenses départementales d’AVP et qu’un accord est conclu en ce sens conformément au troisième alinéa de l’article L. 281-2-1 du CASF, les conditions de versement, portant notamment sur le montant de l’aide et ses conditions d’attribution, sont définies dans cet accord. Ainsi qu’il a été dit plus haut, une annexe à l’accord recense alors l’ensemble des habitats inclusifs co-financés, le nombre et le montant des aides retenus pour chaque habitat et le taux de couverture de ces aides par la CNSA.

Par ces dispositions, le législateur a ainsi entendu confier à la Caisse nationale, lorsqu’elle conventionne avec les départements, une faculté d’encadrement et de contrôle des prestations d’AVP qu’elle contribue à financer, conduisant, de fait, à une validation de chacun des projets par la Caisse, qui a la même étendue que celle qu’aurait entraîné son cofinancement direct de chaque prestation d’AVP.

110. En conséquence, en vertu du principe d’égalité qui s’impose à la CNSA, caisse nationale de sécurité sociale, dans l’exercice de ses missions, il lui appartient de s’assurer de ce que l’AVP qu’elle co-finance est attribuée aux habitants des habitats inclusifs d’une manière qui respecte le principe d’égalité sur le territoire national.

111. Partant de là, compte tenu de l’obligation pour le département d’assurer une égalité de traitement entre ses propres ressortissants, ainsi qu’il a été dit au point 108, le fait de solvabiliser certains d’entre eux grâce à un concours de la CNSA sur lequel cette dernière fait peser le respect d’un principe d’égalité au niveau national, oblige ce même département à répercuter, pour l’AVP qu’il distribue le cas échéant sur ses seules ressources, les mêmes règles que celles appliquées par la CNSA.

112. Toutefois, la CNSA n’ayant pas de pouvoir réglementaire, cette forme de mise en œuvre « par ricochet » de l’égalité de traitement sur le territoire national ne peut pas reposer sur des règles générales et impératives qui gouverneraient par avance les projets proposés au cofinancement de la Caisse par un conseil départemental. La CNSA pourrait tout au plus se doter à cette fin de « lignes directrices » (CE, Section, 4 février 2015, Ministre de l’intérieur c. Cortes Ortiz n°383267, au Recueil), qui n’offrent pas un cadre aussi strict.

113. Un tel dispositif, volontairement peu contraignant sur le plan juridique, paraît avoir été adapté au lancement de l’AVP, ainsi qu’en attestent les effets massivement incitatifs qu’il a eus sur la création de cette aide par les départements.

Mais cinq années après ce lancement, le Conseil d’Etat ne peut que questionner sa soutenabilité, tant opérationnelle que juridique, au vu de l’ambition exprimée par le Gouvernement d’un développement à plus grande échelle. Dans une telle perspective, ni la validation centralisée de chacun des projets cofinancés par la CNSA, ni la seule édiction possible de « lignes directrices » par la Caisse, ne paraissent adaptées, sur le long terme, à la dispensation d’une prestation à laquelle, lorsqu’elle est même partiellement financée au titre d’un risque de sécurité sociale, s’impose le respect du principe d’égalité sur le territoire national.

114. A cela s’ajoute que, des trois ensembles de prestations permettant de couvrir les frais exposés par les habitants d’un habitat inclusif (aides au logement pour l’habitat, AVP pour le service de la personne « 3P » et prestations de compensation du handicap ou allocation personnalisée d’autonomie pour les services d’aide à la personne), l’AVP est la seule dont les conditions précises ne répondent pas, aujourd’hui, à une définition nationale.

115. Le Conseil d’Etat estime, par suite, qu’il serait opportun de mettre à l’étude l’évolution de l’aide à la vie partagée vers une prestation nationale établie par la loi et dont la gestion serait, avec les garanties nécessaires au respect du principe constitutionnel de leur autonomie financière résultant de l’article 72-2 de la Constitution, déléguée aux départements.

Une telle prestation nationale ne saurait évidemment conserver, pour sa mise en œuvre, un caractère facultatif.

Sur la sixième question relative à d’éventuelles modifications du cadre normatif actuel

116. Plusieurs évolutions du cadre normatif actuel ont été formulées dans le fil de la présente réponse à la demande d’avis, notamment aux points 14, 22, 23, 24, 28, 29, 37, 57, 60, 66, 70, 71, 98 et 115. Elles ne sont donc pas reprises ici.

117. Même si la très grande diversité des statuts examinés dans le présent avis pourrait suggérer une refonte profonde des différentes catégories d’établissements médico-sociaux relevant du livre III du CASF, voire une reconsidération du concept même « d’établissement médico-social », plusieurs évolutions plus mesurées du cadre normatif actuel paraissent en tout état de cause opportunes, sinon nécessaires.

118. Le Conseil d’Etat estime ainsi que l’article L. 281-1 du CASF pourrait faire l’objet d’une réécriture, pour lui donner, dans un but de clarification et de simplification, une fonction de récapitulation des types d’habitat pouvant constituer un habitat inclusif.

Il faudrait, d’une part, compléter ces dispositions en indiquant expressément les formes d’habitat qui ne sont pas incompatibles avec l’habitat inclusif, en particulier la cohabitation intergénérationnelle solidaire ou l’habitat participatif.

D’autre part, cette liste des compatibilités pourrait évoluer, si le législateur l’estime pertinent, pour y inclure certaines formes d’habitat actuellement incompatibles avec l’habitat inclusif telles que la résidence service, la résidence accueil ou la pension de famille. Le statut de la résidence autonomie appelle en revanche, à l’évidence, des travaux préalables plus conséquents.

Pour tous les rapprochements ainsi envisagés, il conviendrait de prévoir les modalités d’articulation entre le projet de vie sociale et partagée et les instances de vie démocratique dans ces formes d’habitat lorsqu’elles sont prévues, que ce soit en copropriété (avec la tenue d’assemblée générales ou les systèmes de majorité de votes), en logements-foyers (avec le comité de résidents et le conseil de concertation) et en habitat participatif (avec l’assemblée générale, la charte et le règlement qui les régissent).

De la même façon, il conviendrait pour le Conseil d’Etat de préciser les liens que peut avoir la personne morale chargée d’élaborer le projet de vie sociale et partagée avec certaines personnes qui, dans les autres formes d’habitat « partagé », poursuivent des missions d’animation et de régulation, assimilables en partie à celle de la personne « 3P », tels que dans la cohabitation intergénérationnelle solidaire ou, si le législateur entendait y permettre l’habitat inclusif, dans une pension de famille ou dans une résidence autonomie.

119. Enfin, il est paradoxal que, lorsqu’elles entendent se rapprocher d’un mode de vie en logement ordinaire, les personnes âgées ou handicapées qui auraient jusque-là été admises en établissement ne puissent se diriger vers l’habitat inclusif que sous un statut de sous-locataire, et pas de titulaire d’un bail locatif. Le Conseil d’Etat estime ainsi qu’il convient de mettre à l’étude, en y intégrant le cas échéant, comme évoqué au point 37, les résidences services, une évolution des dispositions de la loi du 6 juillet 1989, ainsi que de celles du CCH applicables aux logements locatifs sociaux, qui permette leur meilleure conciliation avec les situations et les publics pour lesquels se justifie l’établissement d’un lien juridique entre la disposition du logement et la souscription de certaines prestations de service.

Cet avis a été délibéré et adopté par la section sociale du Conseil d’Etat dans sa séance du mardi 15 juillet 2025.