Avis relatif à un projet de loi portant création de l’établissement public du commerce et de l’industrie de la collectivité de Corse

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État sur un projet de loi portant création de l’établissement public du commerce et de l’industrie de la collectivité de Corse.

1. Le Conseil d’État a été saisi le 14 mars 2025 d’un projet de loi portant création de l’établissement public du commerce et de l’industrie de la collectivité de Corse. Ce projet de loi a été modifié par une saisine rectificative reçue le 4 avril 2025.

2. Ce projet de loi, dont la genèse remonte au processus engagé par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « PACTE », afin de conduire à une évolution statutaire et institutionnelle des chambres consulaires de Corse, comprend quatre articles.

L’article 1er fixe le statut du nouvel établissement public, placé sous la tutelle de la collective de Corse, définit ses missions, organise sa gouvernance et détermine ses ressources, ainsi que le statut de son personnel.

L’article 2 prévoit le maintien du nouvel établissement public de la collectivité de Corse dans le réseau national des chambres de commerce et d’industrie (CCI), à la tête duquel est placé l’établissement public national CCI France, ainsi que diverses dispositions de coordination par voie de conséquence.

L’article 3 attribue compétence au président du conseil d’administration de l’établissement public du commerce et d’industrie de Corse pour la délivrance de la carte professionnelle d’agent immobilier.

L’article 4 comporte des dispositions relatives aux conditions d’entrée en vigueur de la loi, ainsi que des dispositions transitoires. Il fixe au 1er janvier 2026 la date à laquelle l’établissement public du commerce et de l’industrie de la collectivité de Corse créé par le projet de loi sera substitué à l’actuelle chambre de commerce et d’industrie de Corse (CCIC), établissement public de l’État. Il comporte également des dispositions prévoyant le transfert des biens, droits et obligations et des personnels de cette dernière au nouvel établissement public, ainsi que le principe d’une compensation financière des charges résultant du transfert de la tutelle de l’État à la collectivité de Corse. Il fixe le calendrier de l’élection des représentants de l’Assemblée de Corse et des représentants des professionnels au conseil d’administration du nouvel établissement public.

3. S’agissant des consultations préalables, le Conseil d’État observe que deux consultations étaient requises en l’espèce : celle de l’Assemblée de Corse et celle du comité social et économique central de l’actuelle chambre de commerce et d’industrie de Corse. En effet, d’une part, le V de l’article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales prévoit que l’Assemblée de Corse est consultée sur les projets de loi comportant des dispositions spécifiques à la Corse. D’autre part, les dispositions du 2° du II de l’article L. 2312-8 du code du travail, applicables en vertu de l’article L. 2311-1 du même code aux établissements publics administratifs qui emploient du personnel dans les conditions du droit privé, prévoient l’information et la consultation du comité social et économique, notamment, sur la modification de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise.

Le Conseil d’État relève que l’Assemblée de Corse a été consultée, et a rendu un avis favorable avec observations en date du 28 mars 2025. Il relève également que le Gouvernement a, à sa demande, suscité la consultation du comité social et économique central de la chambre de commerce et d’industrie de Corse.  

Enfin, si la consultation de l’assemblée générale de CCI France n’était pas obligatoire, le Conseil d’État estime souhaitable que le Gouvernement y procède avant l’examen du projet de loi par le Parlement.

4. Le Conseil d’État considère que l’étude d’impact, reçue le 14 mars 2025 et modifiée par la saisine rectificative du 4 avril 2025, comporte les éléments requis par l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 pris pour l’application de l’article 39 de la Constitution.

5. Au-delà de ces remarques liminaires, et outre des améliorations de rédaction qui s’expliquent d’elles-mêmes, ce projet de loi appelle, de la part du Conseil d’État, les observations suivantes.

Sur le recours à la loi pour créer l’établissement public du commerce et de l’industrie de Corse :

6. En premier lieu, le Conseil d’État relève que le nouvel établissement public, parce qu’il est rattaché à la collectivité de Corse, ne peut être regardé comme entrant dans la même catégorie que les chambres de commerce et d’industrie, qui sont des établissements publics de l’État. Par conséquent, il appartient au législateur, ainsi que le fait le projet de loi, de créer l’établissement public du commerce et de l’industrie de Corse et de fixer ses règles constitutives.

7. En second lieu, le Conseil d’État estime que le choix du Gouvernement de créer un établissement public local rattaché à la collectivité de Corse, doté d’un conseil d’administration composé à majorité d’élus de cette collectivité, et appelé à reprendre à compter du 1er janvier 2026 les attributions et le personnel de l’actuelle chambre de commerce et d’industrie de Corse, tout en continuant à appartenir au réseau national des chambres de commerce et d’industrie, ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel.

Sur les règles constitutives de l’établissement public du commerce et de l’industrie de Corse :

En ce qui concerne le caractère industriel et commercial de l’établissement public du commerce et de l’industrie de Corse :

8. Alors que le projet de loi, dans la saisine initiale, attribuait à l’établissement public un caractère administratif, le Gouvernement a souhaité répondre favorablement à la demande de la collectivité de Corse, formulée dans son avis du 28 mars 2025, de qualifier, par la loi, l’établissement public ainsi créé d’établissement public industriel et commercial (EPIC).

Le Conseil d’État rappelle, en premier lieu, qu’en vertu de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, l'indication du caractère d'un établissement public, quelle que soit la collectivité à laquelle il est rattaché, ne figure pas au nombre des règles constitutives qui ressortissent à la compétence du législateur, et qu’il appartient au pouvoir réglementaire de déterminer ce caractère (CC, décisions n° 87-150 L du 17 mars 1987 et n° 89-162 L du 5 décembre 1989).

Le Conseil d’État relève, en second lieu, que si les chambres de commerce et d’industrie exercent à la fois des missions de service public administratif et des missions à caractère industriel et commercial, ces établissements publics sont regardés, en vertu d’une jurisprudence ancienne et constante, comme des établissements publics à caractère administratif (TC, 23 janvier 1978, Marchand et Syndicat CFT du Languedoc-Roussillon n° 02063 ; CC, décision  n° 87-239 DC du 30 décembre 1987 ; CE, 29 janvier 2003, Ministre de l’emploi et de la solidarité c. CCI de Tarbes, n° 242658). Il estime que l’attribution de la qualification d’EPIC à l’établissement public de commerce et d’industrie de Corse créerait, à cet égard, une discordance, source de confusion. Au demeurant, le statut d’EPIC n’est pas en l’espèce de nature à apporter une souplesse de gestion particulière, puisque le nouvel établissement public demeurera en tout état de cause soumis au droit de la commande publique, à l’instar d’un établissement public administratif, et ne recrutera à l’avenir que des salariés de droit privé, comme les autres CCI.

Il propose, en conséquence, de ne pas retenir les dispositions, résultant de la saisine rectificative, qui qualifient le nouvel établissement public d’établissement public à caractère industriel et commercial.

En ce qui concerne les règles de gouvernance de l’établissement public :

9. Le Conseil d’État prend acte de la volonté du Gouvernement de permettre à la collectivité de Corse d’attribuer au nouvel établissement public, sans appel à la concurrence, la gestion des ports et aéroports dont elle est propriétaire. Le rattachement de l’établissement public à la collectivité territoriale de Corse et l’institution d’une représentation majoritaire de cette dernière au sein du conseil d’administration visent, ainsi, à répondre aux exigences posées par le droit de la commande publique pour que puisse jouer l’exception de quasi-régie, prévue par les directives sur les marchés publics et les concessions, et en particulier à la condition tenant à la nature du contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur sur le cocontractant. Le Gouvernement souhaite en effet, en l’espèce, que cette exception puisse être mobilisée par la collectivité de Corse.

Le projet de loi dote, en conséquence, le nouvel établissement public d’une gouvernance substantiellement différente de celle des autres chambres de commerce et d’industrie, en prévoyant la présence majoritaire d’élus de la collectivité de Corse au sein du conseil d’administration. Ainsi les représentants des professionnels y seraient minoritaires, alors que les autres chambres de commerce et d’industrie du réseau sont administrées exclusivement par des dirigeants d’entreprise élus.

Le Conseil d’État estime que cette règle de majorité ne devrait pas conduire, eu égard à la vocation des chambres de commerce et d’industrie, à s’écarter plus que nécessaire d’une quasi parité entre ces deux collèges. Il considère qu’il reviendra au décret en Conseil d’État d’application de la loi de fixer la part respective, au sein du conseil d’administration, des représentants de la collectivité de Corse et des professionnels en en tenant compte.

10. Le Conseil d’État estime, en outre, que les dispositions qui confient à l’assemblée de Corse, et non au décret en Conseil d’État mentionné ci-dessus, le soin de déterminer le nombre des membres siégeant au conseil d’administration de l’établissement public du commerce et de l’industrie de Corse, ne se heurtent pas à un obstacle de nature constitutionnelle tenant à ce que l’article 21 de la Constitution attribue au Premier ministre le pouvoir d’exécution des lois, sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République par l’article 13 de la Constitution. Il considère qu’une telle délégation est en l’espèce admissible, compte tenu de son caractère très restreint, limité à la seule détermination de l’effectif total du conseil d’administration de l’établissement public.

Sur les dispositions prévoyant une compensation financière au titre du transfert de tutelle opéré par le projet de loi :

11. Le projet de loi renvoie à la loi de finances pour 2026 le soin d’opérer la compensation financière qui résultera du transfert, de l’État vers la collectivité de Corse, de la tutelle exercée sur la chambre de commerce et d’industrie dont les modalités devront être prévues par le décret en Conseil d’État d’application de la loi. Le Conseil d’État note, qu’ainsi que l’indique l’étude d’impact, le montant de la compensation serait calculé sur la base de la rémunération du premier échelon du premier grade correspondant aux fractions d’emplois des agents, titulaires ou contractuels, chargés au sein des services de l’État de l’exercice de cette compétence au 31 décembre 2025, ainsi que des moyens de fonctionnement associés.

Le Conseil d’État observe que les dispositions proposées, qui se bornent à renvoyer à des dispositions devant figurer dans une future loi de finances, sont dépourvues de portée normative. Il propose donc de ne pas les retenir.  

Sur les dispositions transitoires en matière de personnel :

12. Le projet de loi comporte des dispositions prévoyant le transfert du personnel de la CCIC au nouvel établissement public, et ouvre un droit d’option aux agents de droit public de la CCIC relevant du statut fixé par la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 relative à l’établissement obligatoire d’un statut du personnel administratif des chambres d’agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers, en leur permettant de choisir entre la conservation de ce statut ou le basculement sur un contrat de droit privé.

S’agissant des institutions représentatives du personnel, le Conseil d’État relève que le projet du Gouvernement ne contient aucune disposition prévoyant le maintien en fonction à titre transitoire, jusqu’à la constitution du comité social territorial qu’il institue, du comité social et économique central, des comités sociaux et économiques d’établissement, ainsi que de la commission paritaire régionale compétente pour le personnel transféré relevant du statut de droit public. Afin d’assurer le respect du principe de participation des travailleurs garanti par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et en accord avec le Gouvernement, il propose de compléter le projet de loi sur ce point, en prévoyant également la prolongation du mandat des représentants élus du personnel de la CCI de Corse et le maintien en vigueur des conventions et accords applicables jusqu’à la mise en place du comité social territorial institué par le projet de loi.   

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’État (section de l’administration et section des finances) dans sa séance du 8 avril 2025.