Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État relatif à la portée de l’obligation de déclaration prévue à l’article L. 561-15 du code monétaire et financier.
Le Conseil d’État a été saisi le 13 novembre 2024 par le ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, d’une demande d’avis relative à la portée de l’obligation de déclaration prévue à l’article L. 561-15 du code monétaire et financier.
Dans le cadre du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), les professionnels mentionnés à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier sont assujettis à des obligations de vigilance à l’égard de leur clientèle, ainsi qu’à des obligations de déclaration et de transmission d’information à Tracfin, service à compétence nationale qui constitue la cellule de renseignement financier nationale mentionnée à l’article L. 561‑23 du même code. Il ressort des éléments transmis au Conseil d’État par le Gouvernement que certains des professionnels assujettis à ces obligations déclaratives, en particulier au sein des professions non financières, défendent une interprétation restrictive du champ d’application de l’obligation déclarative définie à l’article L. 561-15 du code monétaire et financier, qui devrait, selon ces derniers, se limiter aux soupçons de blanchiment.
Dans ce contexte, le Gouvernement a souhaité, en application de l'article L. 112-2 du code de justice administrative, recueillir l’avis du Conseil d’État sur les questions suivantes :
1° Le Conseil d’État peut-il confirmer que le champ des infractions visées par l’obligation déclarative prévue à l’article L. 561-15 du code monétaire et financier ne comprend pas la seule infraction de blanchiment mais toutes les infractions passibles d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou liées au financement du terrorisme ainsi que la fraude fiscale
2° Dans l’hypothèse où il ne résulterait pas clairement de la formulation de l’article L. 561‑15 du code monétaire et financier que les infractions mentionnées à la question 1° sont comprises dans le champ de l’obligation déclarative précitée, le Conseil d’État estime-t-il nécessaire de procéder à une modification législative de l’article L. 561-15 du code monétaire et financier afin de mettre fin aux divergences d’interprétation ?
Le Conseil d’État, saisi de cette demande,
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu le règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ;
Vu la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ;
Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 561-10-2 et L. 561-15 ;
Vu l’ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000 relative à la partie législative du code monétaire et financier ;
Vu l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ;
Vu l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme,
Est d’avis
de répondre dans le sens des observations suivantes :
1. Aux termes du I de l’article L. 561-15 du code monétaire et financier, les personnes assujetties aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme sont tenues de déclarer à Tracfin « les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme ». Par dérogation à ce I, le II du même article prévoit que ces personnes, en cas de soupçon portant sur l’existence d’une fraude fiscale, ne sont tenues à cette obligation déclarative que « lorsqu’il y a présence d’au moins un critère défini par décret ». Aux termes du III du même article, à l’issue de l’examen renforcé prévu au titre des obligations de vigilance par l’article L. 561-10-2 du même code, ces personnes sont également tenues d’effectuer, le cas échéant, cette déclaration.
2. Les dispositions citées au point 1 sont issues de l’article 2 de l’ordonnance n° 2009‑104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, transposant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. L’existence de cette obligation déclarative est toutefois plus ancienne, dès lors que la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants, instituant le service Tracfin, prévoyait déjà des dispositions similaires à son article 3. Celles-ci ont ensuite été codifiées à l’article L. 562-2 du code monétaire et financier par l’ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000 relative à la partie législative du code monétaire et financier, puis ont été transférées à l’article L. 561-15 par l’article 2 de l’ordonnance du 30 janvier 2009. Enfin, alors qu’il était initialement limité aux sommes et opérations paraissant provenir du trafic de stupéfiants, le champ des infractions devant faire l’objet d’une déclaration a été progressivement étendu par le législateur[1].
3. Le Gouvernement indique que certaines professions assujetties à l’obligation déclarative considèrent que celle-ci est limitée aux seules infractions de blanchiment de sommes issues d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an, ou liées au financement du terrorisme. L’interprétation de la loi que font ces professions aboutirait donc à exclure du champ de l’obligation déclarative les soupçons portant sur l’existence d’une infraction dès lors que les sommes issues de celle-ci ne font pas, par ailleurs, l’objet d’une opération de blanchiment.
Sur la première question
4. A titre liminaire, le Conseil d’État rappelle que la méconnaissance des obligations déclaratives prévues à l’article L. 561-15 du code monétaire et financier peut donner lieu à des sanctions et qu’en conséquence, les dispositions qui les établissent sont nécessairement d’interprétation stricte (CE, 16 avril 2010, n° 313456, au recueil).
5. Le Conseil d’État estime qu’il résulte des termes mêmes des dispositions du I de l’article L. 561‑15 du code monétaire et financier que l’obligation déclarative porte aussi bien sur les sommes obtenues par la commission d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an, quelle que soit la nature de cette infraction, que sur les opérations portant sur ces sommes, ces dernières pouvant, le cas échéant, traduire des faits de blanchiment.
6. Le Conseil d’État relève, en outre, que l’article 3 de la loi du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants, qui a créé cette obligation déclarative, définissait le champ de la déclaration de soupçon en distinguant explicitement, dans deux alinéas distincts, les sommes issues des infractions en cause et les opérations portant sur ces sommes. Si le texte actuel, issu de l’ordonnance du 30 janvier 2009, ne décompose plus, sous forme d’alinéas distincts, le champ de l’obligation déclarative, la modification purement rédactionnelle ainsi opérée par cette ordonnance ne saurait être regardée comme ayant entendu restreindre le champ de cette obligation.
7. Au demeurant, le Conseil d’État rappelle que l’article 33 de la directive du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme prévoit que l’entité assujettie à cette obligation déclarative doit informer la cellule de renseignement financier lorsqu’elle « sait, soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner que des fonds, quel que soit le montant concerné, proviennent d’une activité criminelle ou sont liés au financement du terrorisme (…) » (a du 1). Par suite, seule l’interprétation des dispositions de l’article L. 561-15 du code monétaire et financier retenue au point 5 ci‑dessus est compatible avec le texte de la directive.
Sur la seconde question
8. Eu égard à ce qui a été dit aux points 5 à 7, le Conseil d’État estime qu’aucune modification des dispositions de l’article L. 561-15 du code monétaire et financier n’est requise pour fonder en droit des obligations déclaratives ne se limitant pas aux seuls faits de blanchiment.
Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’État dans son Assemblée générale du jeudi 23 janvier 2025.
[1] Article 72 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ; article 70 de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 ; article 33 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 ; article 2 de l’ordonnance du 30 janvier 2009 ; article 4 de l’ordonnance n° 2016‑1635 du 1er décembre 2016.