Avis sur une proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles

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L'Assemblée nationale a rendu public l'avis du Conseil d'État sur une proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

1.  Saisi par la présidente de l’Assemblée nationale le 27 janvier 2025 sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, présentée par Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Véronique Riotton, Mme Cyrielle Chatelain et M. Gabriel Attal, députés, le Conseil d’Etat, après en avoir examiné le contenu, formule les observations et suggestions qui suivent.

2. Cette proposition de loi comprend un article unique qui modifie les articles 222‑22 et 222‑23 du code pénal qui définissent, pour le premier les infractions d’agressions sexuelles, et pour le second l’agression sexuelle particulière que constitue le crime de viol en cas de pénétration sexuelle ou d’acte sexuel bucco-génital.

D’une part, elle inscrit l’absence de consentement de la victime dans la définition du viol et des autres agressions sexuelles, qui ensemble sont aujourd’hui caractérisés dans le code pénal comme des atteintes sexuelles commises avec violence, contrainte, menace ou surprise.

D’autre part, elle définit la notion de consentement, en précisant que celui-ci suppose d’avoir été donné librement, qu’il est spécifique, qu’il peut être retiré avant ou pendant l’acte à caractère sexuel, qu’il est apprécié au regard des circonstances environnantes et qu’il ne peut être déduit du silence ou de l’absence de résistance de la personne. Elle ajoute qu’il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis notamment avec violence, contrainte, menace ou surprise.

Elle indique enfin que l’absence de consentement peut être déduite de l’exploitation d’un état ou d’une situation de vulnérabilité, temporaire ou permanente, de la personne, ou de la personne vis-à-vis de l’auteur.

Outre des modifications visant à mettre en cohérence d’autres articles du code pénal relatifs aux agressions sexuelles avec cette redéfinition, la proposition ajoute par ailleurs, que l’agression sexuelle peut être commise « sur la personne de l’auteur ou sur la personne d’autrui », ce qui figure actuellement dans la seule définition du viol.

Enfin, la proposition de loi étend l’incrimination de viol à l’acte bucco-anal.

Considérations générales

3.  La proposition de loi fait suite au rapport d’information du 25 janvier 2025 des députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin sur la définition pénale du viol, issu des travaux de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale.

Elle vise en premier lieu à remédier aux insuffisances de la définition actuelle des agressions sexuelles, en mettant en relief le rôle central du consentement, de manière à mieux appréhender l’ensemble des situations dans lesquelles des actes sexuels peuvent être commis sans le consentement des victimes. Elle porte en second lieu au niveau législatif l’exigence d’un consentement libre et éclairé, tout en conservant les critères actuels de violence, contrainte, menace ou surprise qui induisent un défaut de consentement. A ce titre, elle a pour objectif de garantir la pleine conformité du droit national à la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite convention d’Istanbul, ratifiée par la France en 2014.

La proposition de loi ne modifie pas les dispositions spécifiques applicables à la répression des agressions sexuelles commises par des personnes majeures sur des personnes mineures qui ont été instaurées par la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste et qui suppriment la condition du consentement lorsque les actes sexuels ont été commis sur des mineurs âgés de moins de 15 ans ou de 18 ans lorsque ces actes sont incestueux.

Le principal résultat escompté est de permettre une répression accrue, en centrant les investigations, en cas de plainte pour viol, sur la manière dont l’auteur des faits peut justifier de son attention à l’existence du consentement.

S’agissant des chiffres disponibles, le Conseil d’État relève que les enquêtes de victimation indiquent que les victimes de violences sexuelles physiques portent moins souvent plainte que les victimes de plusieurs autres atteintes aux personnes. Elles montrent aussi que, parmi les victimes des différentes atteintes aux personnes, les dommages psychologiques sont plus importants pour les victimes des violences sexuelles physiques. Les statistiques du ministère de l’intérieur indiquent en outre que le nombre de plaintes enregistrées par la police et la gendarmerie a cru, entre 2016 et 2023, de 187 % pour les viols et de 106 % pour les agressions sexuelles. Les statistiques du ministère de la justice établissent également une augmentation sur cette période tant du nombre d’affaires traitées par les parquets (+ 115 % pour les viols et + 48 % pour les autres agressions sexuelles) que du nombre de condamnations prononcées (+ 41 % pour les viols et + 34 % pour les autres agressions sexuelles). Le Conseil d’État note que la part des affaires qui ne font pas l’objet de décisions de poursuites est, sur la même période, passée de 63 % à 70 % pour les viols et de 56 % à 65 % pour les autres agressions sexuelles, avec une augmentation des décisions de classements en raison du caractère insuffisamment caractérisé des faits dénoncés à l’issue des investigations réalisées.

S’il peut être constaté que l’augmentation du nombre de plaintes et d’enquêtes reflète un niveau élevé de violences sexuelles, il est cependant difficile d’affirmer que celui-ci va croissant. Il est possible que pour un même taux de violence, plus nombreuses soient aujourd’hui les personnes qui déposent plainte et, par voie de conséquence, les décisions rendues par l’autorité judiciaire.

Certains praticiens soulignent que, en cette matière plus peut-être que dans toute autre, la difficulté d’établir les faits, dans le respect de la présomption d’innocence, explique une large part des décisions de classement. Les faits se déroulent très majoritairement dans l’intimité et les protagonistes se connaissent déjà dans près de la moitié des cas. Pour peu que le plaignant tarde à se manifester auprès des autorités, les éléments matériels ou circonstanciels disparaissent, et ce d’autant plus que les règles spécifiques de prescription peuvent conduire à enquêter des décennies plus tard. Enfin, l’épreuve que représente l’enquête peut dissuader des personnes en droit de déposer plainte de signaler les faits ou, s’ils l’ont fait, de participer au procès. Même si elle porte sur la clarification des éléments constitutifs des agressions sexuelles, la proposition de loi a aussi pour objectif de contribuer à modifier cette situation.

4. S’agissant des comparaisons internationales, le Conseil d’État note qu’une dizaine d’États membres de l’Union européenne ont modifié leur législation depuis 2016, notamment pour y intégrer le non-consentement comme élément constitutif de ces infractions. Les formulations et précisions retenues dans chacune des législations sont néanmoins variées. Le Conseil d’État relève que ces réformes sont intervenues dans des systèmes juridiques différents et ont modifié des législations antérieures qui n’étaient pas au même niveau d’exigence. De ces exemples il ne lui semble pas possible de tirer des enseignements clairs en l’absence d’études approfondies de droit comparé.

D’un point de vue statistique, le Conseil d’État constate que les données comparatives réalisées par Eurostat indiquent, rapporté à la population, un accroissement du nombre de plaintes pour les viols (+ 115 %) et les agressions sexuelles (+ 77 %) en moyenne dans les États de l’Union entre 2015 et 2022. La France connait sur la même période, l’une des plus fortes hausses pour les viols et les agressions sexuelles. Il ne peut donc pas être exclu que le contexte international de libération de la parole des victimes ou un meilleur accueil de cette parole par les autorités ait produit des effets dans la plupart des pays européens, tout particulièrement en France, quelle que soit la formulation de la législation définissant ces infractions.

5. Le Conseil d’État rappelle que lors de l’examen d’une proposition de loi, il lui est loisible de formuler des observations sur l’efficacité de la voie choisie pour atteindre les objectifs poursuivis par les auteurs de la proposition de loi, mais qu’il ne lui appartient pas d’apprécier les choix qui la fondent dès lors qu’il résulte de son examen que ces objectifs ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel. Il lui revient ensuite d’apprécier la cohérence interne des dispositions proposées et de suggérer, si nécessaire, les moyens de leur meilleure intégration dans le droit, de manière à faciliter la mise en œuvre du texte et contribuer à son efficacité au regard des objectifs poursuivis.

Sur l’introduction de la notion de non-consentement dans la loi

6. En consacrant dans la loi la notion centrale d’absence de consentement, la proposition de loi exprime clairement, tant dans la dimension préventive que répressive de la loi pénale, que les agressions sexuelles portent une atteinte au principe fondamental que constitue la liberté personnelle et sexuelle de chacun, qui doit être protégée, ainsi qu’au droit au respect de son intégrité physique et psychique par autrui. Cette reconnaissance explicite par la loi contribue à l’ancrage et à la pleine visibilité de cette exigence de consentement.

7.  Les exigences constitutionnelles qui s’appliquent à la loi pénale et qui découlent du principe de légalité des délits et des peines et du principe de la présomption d’innocence ont été précisées par le Conseil constitutionnel. La Cour européenne des droits de l’homme a également précisé ces mêmes exigences qui découlent des articles 6 paragraphe 2 et 7 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elles sont d’autant plus fortes qu’elles concernent ici des infractions qui revêtent pour une partie d’entre elles une qualification criminelle.

Le Conseil constitutionnel juge qu’il résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée » et de l’article 34 de la Constitution selon lequel « La loi fixe les règles concernant (…) la détermination des crimes et des délits », d’une part, la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire et, d’autre part, l’impossibilité pour les lois pénales plus sévères de s’appliquer à des infractions commises antérieurement à leur entrée en vigueur (décision n° 80‑127 DC des 19 et 20 janvier 1981 ; décision n° 2021‑933 QPC du 30 septembre 2021). Il a rappelé que « s’agissant des crimes et délits, la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés » (décision n° 2011‑164 QPC du 16 septembre 2011) et que, s’agissant des délits, « la définition d’une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci » (décisions n° 99‑411 DC du 16 juin 1999).

Il juge qu’en application du principe de la présomption d’innocence qui découle de l’article 9 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi », la loi ne saurait qu’exceptionnellement instituer de présomptions de culpabilité, et à condition qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, que soit assuré le respect des droits de la défense, et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité (décision n° 99‑411 DC du 19 juin 1999). De ce principe, il découle également qu’il n’appartient pas à la personne mise en cause d’apporter la preuve de son innocence, mais qu’il incombe à l’autorité de poursuite de rapporter la preuve de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction (décision n° 80‑127 DC du 20 janvier 1981).

8.  Dans ses dispositions générales, le code pénal décline ces principes en énonçant à l’article 121-1 que « Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait » et à l’article 121-3 que « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de les commettre » qui conduit à la nécessité d’établir, hors les cas spécifiques prévues par la loi l’élément intentionnel de l’infraction, à côté de son élément matériel. Le Conseil constitutionnel a sur ce point précisé que dans le silence de l’incrimination, le principe énoncé à l’article 121-3 est de plein droit applicable (décision n° 2003‑467 DC du 13 mars 2003).

9. Le Conseil d’État estime que la définition actuelle de l’agression sexuelle telle que mise en œuvre par la jurisprudence satisfait aux exigences de la convention dite convention d’Istanbul, dont l’article 36 prévoit notamment que « 1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, lorsqu’ils sont commis intentionnellement : / a) la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, à caractère sexuel, du corps d’autrui avec toute partie du corps ou avec un objet » / b) les autres actes à caractère sexuel non consentis sur autrui ; / c) le fait de contraindre autrui à se livrer à des actes à caractère sexuel non consentis avec un tiers. / 2. Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ».

Il relève en effet, d’une part, que le rapport explicatif de la convention précise que : « Dans la mise en œuvre de cette disposition, les rédacteurs ont cependant laissé le soin aux Parties de décider de la formulation exacte de la législation et des facteurs considérés comme exclusifs d’un consentement libre » (point 193).

Il note, d’autre part, que si le rapport d’évaluation de la France émis en 2019 par le Groupe d'experts indépendants sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) chargé du suivi de la mise en œuvre de la convention souligne que « S’il est vrai que les rédacteurs ont (…) laissé le soin aux Parties de décider de la formulation exacte de la législation et des facteurs considérés comme exclusifs d’un consentement libre’’, (…) le libellé retenu par le législateur français ne met pas l’accent sur la centralité de l’absence du consentement en matière de viol, cette dernière n’étant entendue qu’implicitement dans la rédaction actuelle du code pénal », cette appréciation se borne à inviter la France à une évolution sur ce point et ne caractérise pas une méconnaissance des engagements de la France dans la mise en œuvre de la convention d’Istanbul. Il souligne, toutefois, que le GREVIO attirait l’attention sur l’insécurité juridique résultant d’interprétations fluctuantes de la loi par les juridictions et sur la difficulté de bien appréhender les cas des victimes non consentantes, notamment dans des situations de sidération ou de vulnérabilité particulières.

A cet égard, le Conseil d’État constate que, pour être aujourd’hui absent de la lettre de l’incrimination, le défaut de consentement est néanmoins regardé par la jurisprudence et la pratique juridictionnelle comme un élément clef, qui est au cœur des débats judiciaires lorsque la matérialité des faits n’est pas contestée.   

Il résulte des travaux législatifs préparatoires à la loi du 23 décembre 1980 qui fonde la définition actuelle des agressions sexuelles, que le législateur a eu pour objectif de protéger le consentement des personnes en édictant des circonstances objectives propres à caractériser ce défaut de consentement et de nature à surmonter la difficulté d’établir l’absence de consentement. Par la suite, il a instauré au fil du temps plusieurs circonstances visant à sanctionner plus lourdement le défaut de consentement des personnes présentant des situations de vulnérabilité, en créant des circonstances aggravantes.  

10. Le Conseil d’État relève que la notion du défaut de consentement n’est pas une notion absente du droit pénal. Elle figure ainsi dans les infractions portant atteinte à la vie privée et à la représentation de la personne qui sont prévues par les articles 226-1 et 226‑8‑1 du code pénal ou encore dans celle relative à l’interruption volontaire de grossesse prévue par l’article 223-10 du même code et dans les infractions qui répriment les atteintes à la protection du corps humain notamment prévues par l’article 511-3 relatif au prélèvement d’organes.  

11.  La proposition de loi vise à inscrire dans la loi les évolutions jurisprudentielles qui ont conféré une large portée aux notions de violence, menace, contrainte ou surprise, en particulier à ces deux dernières, pour caractériser le défaut de consentement et réprimer ainsi l’auteur qui agit en connaissance de l’absence de tout consentement libre et éclairé de la victime, ou de l’impossibilité ou l’incapacité pour elle d’exprimer un consentement. Énonçant depuis un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 juin 1857 que « le crime de viol consiste dans le fait d’abuser une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu’il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise pour atteindre, en dehors de la volonté de la victime, le but que se propose l’auteur de l’action », la jurisprudence retient ainsi sur le fondement de la surprise ou de la contrainte des agissements qui relèvent par exemple de l’exploitation de situations d’emprise ou de la sidération, ou encore de l’emploi de stratagèmes conduisant à vicier le consentement préalablement donné.

12.  Le Conseil d’État estime que l’inscription de l’absence de consentement dans la définition des agressions sexuelles n’instaure pas, par elle-même, une présomption de culpabilité qui conduirait à priver la personne mise en cause du droit de se défendre des faits qui lui sont imputés et qu’elle n’a pas pour conséquence de caractériser l’infraction du seul fait du comportement de la victime. Il revient en effet à l’autorité de poursuite et à la juridiction de jugement d’établir, outre la matérialité des faits, l’élément intentionnel de l’infraction, c’est-à-dire la conscience chez le mis en cause d’avoir agi à l’encontre ou en l’absence du consentement de la personne.

La mention de l’absence de consentement dans la définition des agressions sexuelles n’instaure pas davantage une présomption de défaut de consentement qui impliquerait une formalisation du recueil du consentement, voire une contractualisation entre les personnes. Le Conseil d’Etat considère que la rédaction proposée n’invite nullement à rechercher un consentement explicite et formalisé ; elle indique que c’est chez l’auteur des faits qu’il faut rechercher s’il s’est assuré du consentement de l’autre.

A cet égard, le Conseil d’État souligne la pleine autonomie de la notion de consentement en matière pénale, tout particulièrement en ce qui concerne les agressions sexuelles. Ni l’existence d’un consentement civil – tel que celui donné au mariage ou à la conclusion d’un PACS, ou encore par la rédaction d’un contrat préalable par lesquelles les parties conviendraient de relations et les décriraient –, ni un accord de nature commerciale – par exemple le « consentement » à un acte de prostitution en échange d’une somme d’argent – ne peuvent permettre de présumer l’existence d’un consentement propre à écarter la qualification d’agression ou de viol. Tout au plus est-il loisible au juge de tenir compte de ces autres consentements pour apprécier l’existence de celui qui est pris en compte pour l’application de la loi pénale.

Le Conseil d’État relève ainsi que la jurisprudence, que la proposition de loi renforce en la transformant en règle générale, n’exclut pas, dans son principe, qu’une prostitution résultant du proxénétisme puisse, sans préjudice des autres cas constitutifs d’une absence de consentement, être regardée dans des cas très nombreux comme constitutive par elle-même d’une contrainte qui, si elle est connue de l’auteur des faits, ou apparente, sera susceptible d’entraîner la qualification d’agression sexuelle ou de viol.

13.   La proposition de loi conserve la référence aux quatre modes de réalisation de l’infraction que sont la violence, la menace, la contrainte ou la surprise pour caractériser le défaut de consentement afin, aux termes de l’exposé des motifs, de préserver les acquis jurisprudentiels. Le Conseil d’Etat considère que les impératifs de sécurité juridique commandent en effet le maintien de ces références, qui en outre répondent à la nécessité de caractériser l’action ou le comportement illicite de l’auteur de l’infraction conformément aux exigences qui découlent du principe de légalité des délits et des peines.  

14.  Il estime en revanche que le mot « notamment » qui figure au troisième alinéa de la proposition de loi et selon lequel « il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis notamment avec violence, contrainte, menace ou surprise » est de nature à dépasser une portée interprétative et introduit une indétermination quant à la définition d’autres circonstances de fait potentielles, que de nombreux praticiens peinent au demeurant à identifier, susceptibles de caractériser le comportement illicite de l’auteur.

A ce titre, les exigences qui s’attachent au principe de légalité des délits et des peines, tout particulièrement en matière criminelle, mais aussi au principe de clarté et d’intelligibilité de la loi pénale conduisent le Conseil d’État à recommander la suppression de cet adverbe. Il estime en effet qu’il n’est pas loisible au législateur, au regard des exigences constitutionnelles et conventionnelles, de prévoir la sanction d’un crime dont la commission résulterait « notamment » de certaines causes, sans identifier celles qui pourraient aussi être retenues, laissant une marge indéterminée d’identification des faits susceptibles d’être qualifiés de criminels.

L’objectif poursuivi par les auteurs de la proposition de loi en recourant à cette rédaction était de renforcer la répression de l’infraction dans les situations de vulnérabilité organisées ou exploitées par l’auteur, notamment celles nées d’un état de sidération ou d’emprise, pour contraindre la victime à un acte sexuel. Le Conseil d’Etat relève que la jurisprudence illustre la malléabilité des notions de contrainte ou de menace et estime que la référence aux quatre termes existants suffit à couvrir complètement ces situations. Il propose, pour accentuer la nécessité pour les juridictions de les bien prendre en compte et de le faire dès le stade de l’enquête, de compléter l’énoncé des contraintes en formulant ainsi la définition figurant à l’article 22-22 et valant donc tant pour l’ensemble des agressions sexuelles que pour celles de ces agressions définies comme caractérisant un viol à l’article 222-23 : « Constitue une agression sexuelle tout acte sexuel non consenti commis sur la personne de l’auteur ou sur la personne d’autrui, ou dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur. 

« Dans la présente section, le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard des circonstances environnantes. Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime (cf infra).

« Il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise quelles que soient leurs natures ». L’adjonction des mots : « quelles que soient leurs natures » après l’énoncé des quatre modalités vise à souligner leur variété (directe ou indirecte, matérielle ou psychologique, reposant sur des abus divers d’autorité, de domination, de rapports familiaux et affectifs…) pour permettre une répression accrue. C’est ainsi que l’état de sidération, ou d’emprise, serait désormais pris en considération pour caractériser l’absence de consentement, au titre de la contrainte.

Le Conseil d’État estime que le principal apport de la proposition de loi est de consolider par des dispositions expresses et générales, les avancées de la jurisprudence, nécessairement casuistique.

Cette consolidation, alors que le taux de répression des faits de viol est élevé lorsqu’ils sont l’objet d’un procès, n’augmentera probablement pas ce taux, mais a l’avantage de centrer le débat judiciaire, et donc l’écho qu’il peut avoir dans la société, sur cette réalité que le viol, comme les autres agressions sexuelles, est avant tout, un viol du consentement. Alors que les représentations du viol comme un acte de violence commis dans la rue par des inconnus sont prédominantes, l’impact de cette formulation dans la société et en particulier sur la conscience des auteurs de faits susceptibles d’être réprimés pourra être significative. Le Conseil d’État considère ainsi que la prévention de ces faits ne peut qu’être renforcée, en prenant appui sur ces dispositions plus claires et explicites qu’une référence à la jurisprudence.

Sans changer la nature de la définition de l’infraction, la rédaction proposée invite également le procureur, les enquêteurs qu’il dirige, et les juges ensuite à centrer l’établissement des faits d’abord sur l’absence de consentement, et non seulement comme auparavant sur les quatre notions de base (actes commis par violence, menace, contrainte ou surprise) et la manière dont l’auteur a apprécié le consentement et le cas échéant l’a négligé ou outrepassé. A cet égard, la démarche d’investigation que la proposition de loi se propose d’orienter n’est évidemment pas dirigée vers le plaignant, dont on ne saurait traiter la plainte en s’assurant d’abord qu’il n’avait pas consenti, mais vers l’auteur, le crime résultant de ses agissements au mépris de l’absence de consentement, avant toute recherche des quatre types d’action auxquels il a pu recourir.

Enfin, le Conseil d’État estime que si les engagements internationaux de la France n’exigent pas, juridiquement, une évolution du droit interne, comme indiqué ci-dessus au point 9, la proposition de loi inscrit explicitement celui-ci dans une convergence de vue qui s’exprime au plan européen, mais aussi au plan international sur la dimension fondamentale du consentement sexuel auquel portent atteinte les agressions sexuelles.

15.  La proposition de loi appelle d’autres observations, d’ordre rédactionnel.

D’une part, le Conseil d’État suggère de remplacer les mots : « atteinte sexuelle » par les mots : « acte sexuel » au premier alinéa de l’article 222-2 de la proposition. La formulation selon laquelle « toute atteinte sexuelle non consentie commise sur la personne de l’auteur ou sur la personne d’autrui » laisse en effet place à une ambiguïté sur ce que pourrait être, a contrario, une atteinte sexuelle consentie sur la personne d’autrui ou, de plus fort, une atteinte sexuelle consentie qui serait commise sur la personne de l’auteur.

D’autre part, il estime préférable d’inverser l’ordre des termes « autrui » et « auteur » par cohérence avec la formulation figurant dans la définition du viol, qui mentionne que l’acte de viol peut être commis « sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur ».

Enfin, dans la mesure où la proposition de loi introduit la mention du défaut de consentement comme élément constitutif de l’infraction à l’article 222-22 du code pénal qui s’applique à l’ensemble des agressions sexuelles dont le viol, le Conseil d’État n’estime pas utile de la répéter à l’article 222‑22‑2 – qui concerne l’élément matériel d’autres formes d’atteintes sexuelles : le fait d'imposer à une personne le fait de subir une atteinte sexuelle de la part d'un tiers ou de procéder sur elle-même à une telle atteinte, non plus qu’à l’article 222‑23 qui définit le viol.

Sur les conditions d’entrée en vigueur de la proposition de loi

16. Le Conseil d’État observe que le droit pénal des agressions sexuelles a fait l’objet de plusieurs lois interprétatives regardant la caractérisation de la notion de contrainte, tout particulièrement dans le domaine des agressions sexuelles commises sur des mineurs.

La loi du 8 février 2010 est venue ainsi préciser dans un nouvel article 222‑22‑1 du code pénal, d’une part, que la contrainte peut être physique ou morale et, d’autre part, qu’elle peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineur et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. Dans sa décision n° 2014‑448 QPC du 6 janvier 2015, le Conseil constitutionnel a jugé que cette dernière disposition ne définit pas un élément constitutif de l’agression sexuelle en apportant des précisions sur la contrainte, mais « a pour seul objet de désigner certaines circonstances de fait sur lesquelles la juridiction saisie peut se fonder pour apprécier si, en l’espèce, les agissements dénoncés ont été commis avec contrainte ».

La loi du 3 août 1998 est venue encore préciser dans ce même article, d’une part, que s’agissant de l’autorité de fait, celle-ci peut être caractérisée sur la victime par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur et, d’autre part, que pour les mineurs de moins de 15 ans, la contrainte et l’abus de vulnérabilité sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. Les ajouts, significatifs, de cette loi à la définition du crime de viol, ont également été jugés de portée interprétative. (Cour de cassation, chambre criminelle, 12 janvier 2000 B 20). Il en avait déjà été de même lorsque confrontée pour la première fois à l’ajout de la « menace » comme élément de définition du viol en sus de la contrainte, de la violence ou de la surprise, la Cour de cassation avait jugé purement interprétative la portée de ces dispositions majeures (Cour de cassation, chambre criminelle, 14 octobre 1998, B. 730). La même qualification de loi interprétative a été donnée par un arrêt de la chambre criminelle du 17 mars 2021 (B 20.86.918) aux innovations en matière de protection des mineurs contre le viol par la loi du 3 aout 2018.

Au vu de ces précédents, portant sur la même matière que la proposition de loi, le Conseil d’Etat estime que la portée de celle-ci, au regard de son contenu, doit être regardée comme interprétative, ce qui permet son entrée en vigueur immédiate et son application aux situations en cours. Il rappelle que la qualification juridique de loi interprétative ne signifie pas que les dispositions concernées seraient dépourvues de portée novatrice ou utile et se réduiraient à un commentaire. Ces dispositions peuvent, comme en l’espèce, marquer une évolution importante, dont toutefois l’existence des linéaments et des prémices dans la jurisprudence, ou la potentialité résultant de la définition des termes qualifiant le crime, permettent de regarder le contenu comme applicable aux faits antérieurs à son adoption, et ne mettant aucunement en cause la continuation des poursuites engagées.

Sur les éléments de qualification du consentement

17. Au-delà de l’introduction dans la loi de la mention expresse du défaut de consentement, la proposition de loi apporte des précisions sur la notion de consentement afin, selon les auteurs de la proposition, de mieux caractériser l’élément intentionnel de l’infraction. Elle prévoit ainsi que le consentement s’entend :

- d’un consentement donné librement, afin de pouvoir réprimer le consentement forcé ;

- d’un consentement spécifique, afin de pouvoir réprimer la commission d’actes sexuels autres que ceux auxquelles la personne avait consenti ;

- d’un consentement qui peut être retiré avant ou pendant l’acte sexuel ;

- d’un consentement qui s’apprécie au regard des circonstances environnantes afin de s’interroger davantage qu’aujourd’hui sur le comportement de l’auteur dans le cadre des investigations en présence notamment de victimes en situation de vulnérabilité ;

- d’un consentement qui ne peut être déduit du silence ou de l’absence de résistance de la personne.

Le Conseil d’Etat observe que ces éléments de définition relèvent tout à la fois de précisions apportées sur l’élément constitutif du consentement qui regardent les conditions de la validité de ce consentement et de circonstances sur lesquelles le juge peut fonder son appréciation.

Sur l’effet du silence gardé

Le fait de prévoir que le consentement « ne peut être déduit » du silence ou de l’absence de « résistance de la personne » n’appelle dans son principe aucune réserve de la part du Conseil d’Etat. Cette mention vise en effet à écarter l’argument souvent tiré par les auteurs des faits du silence ou de la non résistance de la victime pour justifier de leur croyance en un assentiment qu’en réalité le contexte excluait. Toutefois, le Conseil d’Etat estime que cette utile précision ne doit pas être rédigée de manière à limiter l’appréciation du juge, y compris dans les cas où le silence gardé peut, articulé avec d’autres éléments circonstanciels, permettre de déduire le consentement. C’est en réalité du seul silence, ou de la seule absence de résistance, qu’il ne peut être déduit quoi que ce soit. Il suggère donc de préciser que « le consentement ne peut se déduire du seul silence ou de la seule absence de résistance de la personne ».  

Sur la spécificité du consentement

18.  Le Conseil d’Etat considère que l’exigence d’un consentement « spécifique » doit être interprétée de plusieurs façons. Le consentement est d’abord intrinsèquement spécifique à l’article 222-22 du code pénal, ce qui signifie qu’il ne saurait être rapproché d’un consentement existant dans d’autres domaines du droit, par exemple, comme indiqué plus haut, en matière civile ou commerciale. Il est, ensuite, spécifique à chaque affaire, ce qui renvoie à la prise en compte des circonstances de la commission des faits (cf. infra). Il est, enfin spécifique à l’acte sexuel lui-même (nature et limites de la pratique sur lequel il porte). Ces paramètres sont autant d’éléments de nature à complexifier la caractérisation de l’absence de consentement.

Ainsi explicitée, la notion de spécificité du consentement n’appelle pas de réserve.

Sur la prise en compte des circonstances environnantes

La proposition de loi ajoute que le consentement est apprécié « au regard des circonstances environnantes ». Elle rejoint les exigences formulées tant par la Cour européenne des droits de l’homme que par la Cour de cassation. Le Conseil d’État relève que cette référence qui figure dans la convention d’Istanbul, doit notamment conduire à prendre en compte les réactions comportementales des victimes qui sont dans l’incapacité de manifester une résistance ou de manifester leur absence de consentement.

Sur la prise en compte des situations de vulnérabilité

19.  Le Conseil d’État considère que la disposition de la proposition de loi qui prévoit que « l’absence de consentement peut être déduite de l’exploitation d’un état ou d’une situation de vulnérabilité temporaire ou permanente de la personne ou de la personne vis-à-vis de l’auteur » soulève deux difficultés :

D’une part, cette formulation parait assez imprécise pour entrainer la méconnaissance du principe de la légalité des délits et des peines. Dans sa décision n° 2003-461 DC du 13 mars 2003, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que l’incrimination aggravée du recours à la prostitution « lorsque [la] personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse » ne contrevient pas au principe de personnalité de la loi pénale ni au principe de légalité en considérant, d'une part, que le délit n'est constitué que si la vulnérabilité de la personne qui se prostitue est apparente ou connue de l'auteur ; que, d'autre part, cette vulnérabilité est précisément définie par son caractère « particulier et par le fait qu'elle est due à la maladie, à une déficience physique ou psychique ou à l'état de grossesse ». Le Conseil d’État estime que ces précisions devraient être apportées pour réduire le risque d’inconstitutionnalité.

D’autre part, le Conseil d’État relève que cette disposition s’articule mal avec certaines des circonstances aggravantes qui répriment plus lourdement les agressions sexuelles lorsqu’elles sont commises en exploitant un état de vulnérabilité : les 3° et 3° bis de l’article 222-24 du code pénal érigent en circonstances aggravantes d’une part le viol qui est commis « sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur » et d’autre part le viol qui est commis « sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de l'auteur ».

S’agissant des agressions sexuelles autres que le viol, l’article 222-29 du code pénal instaure de même une circonstance aggravante « lorsqu’elles sont imposées à une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse ou résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur ».

Or la disposition ajoutée conduit, du fait de sa généralité, à inclure des circonstances de fait qui pourront relever également de ces circonstances aggravantes, sauf à pouvoir identifier ce que serait une situation de vulnérabilité « particulière » visée au titre des circonstances aggravantes, ce qui imposera au juge, qui ne peut tirer de l’existence d’une circonstance aggravante l’existence d’un élément constitutif de l’infraction, d’écarter un certain nombre de situations de fait pour caractériser l’infraction elle-même.

Le Conseil d’État voit dans la juxtaposition de cette disposition avec les circonstances aggravantes précitées une source de complexité qui ne paraît pas justifiée par des impératifs répressifs. Si les auteurs de la proposition de loi indiquent en effet vouloir mieux réprimer les situations dans lesquelles le mis en cause exploite les vulnérabilités d’une personne, notamment en déployant des stratégies à cette fin, le Conseil d’État constate que les notions de contrainte ou de surprise telles qu’elles sont entendues permettent déjà de réprimer l’abus de ces situations, éclairées en outre par la référence aux circonstances environnantes telles qu’explicitées plus haut. 

En conséquence le Conseil d’État suggère de ne pas retenir ces dispositions

20. Compte tenu de l’ensemble de ces remarques, le Conseil d’État estime que la rédaction des éléments de la définition du consentement pourrait utilement se concentrer en une énumération de qualificatifs indiquant que le « consentement doit être libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable », assortie de la précision apportée plus haut relative à l’interprétation du silence et à l’absence de résistance.

21. Le Conseil d’État constate que chacun de ces termes est en soi porteur d’une richesse de signification donnant autant de points d’appui à des poursuites mieux adaptées aux nécessités de la matière :

-   « préalable » impose du chef de l’auteur de renoncer à toute ambiguïté exploitant les circonstances et les incertitudes ; « révocable » impose une attention constante et écarte les manœuvres visant à exploiter un consentement antérieur devenu inadapté ; le Conseil d’État relève que la révocation du consentement doit intervenir avant ou pendant l’acte et ne peut être postérieure à celui-ci ;

-  « spécifique », comme indiqué plus haut rappelle l’autonomie du consentement pénal, marque la nécessaire adéquation du consentement aux circonstances de temps et de lieu, et enfin appelle une définition des actes sur lesquels il porte ;

-  « libre » renvoie aux exigences de la liberté personnelle, qui, comme l’énonce la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ;

-  « éclairé » appelle enfin l’attention sur les capacités de celui qui est réputé avoir consenti, qu’elles soient limitées par une vulnérabilité, objet d’une surprise ou de manœuvre, sous l’empire de substances amoindrissant le discernement, ou tout autre moyen résultant d’une contrainte.

Le Conseil d’État estime que, demeurant dans les limites d’une loi interprétative, ces éléments sont de nature appuyer le travail des enquêteurs dans l’établissement des faits en invitant à qualifier le consentement à leur regard.

Sur l’élargissement du champ des éléments constitutifs du viol aux actes bucco-anaux

22. La proposition de loi ajoute les actes bucco-anaux aux actes de pénétration et actes bucco-génitaux actuellement mentionnés dans la définition du viol. Ces-derniers ont eux‑mêmes été ajoutés récemment par la loi n° 2021‑478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, qui a ainsi clôturé un débat jurisprudentiel sur la nécessité de constater un fait de pénétration pour caractériser le viol en cas d’acte bucco-génital. Le Conseil d’Etat note que l’intention du législateur d’inclure des actes ne constituant pas une pénétration dans les éléments constitutifs du viol était donc déjà manifeste. L’exposé des motifs n’apporte pas de précisions sur la nécessité de ce nouvel ajout. Le Conseil d’État n’a pas d’observations à formuler sur cette extension de l’incrimination de viol., Il précise que, contrairement aux autres dispositions de la proposition de loi, cette extension du champ matériel de la définition du crime s’analyse en une disposition pénale plus sévère, qui ne serait applicable qu’aux faits commis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi.

Considérations finales

23. Le Conseil d’État estime opportun de souligner qu’au-delà des réflexions sur une redéfinition des infractions d’agressions sexuelles, de nombreux travaux, dont le rapport de la mission d’information précité, se font l’écho de difficultés rencontrées par les victimes de ces infractions dans leur parcours judiciaire, depuis le recueil de la plainte jusqu’à la phase du procès. Il insiste sur la nécessité, au regard de l’hétérogénéité des sources d’information sur les violences sexuelles, d’engager un travail scientifique approfondi permettant de mieux asseoir l’action publique lorsqu’elle repose sur les données chiffrées ainsi recueillies. Il rappelle enfin que la disponibilité de moyens d’enquête suffisants (effectifs, expertise) est essentielle pour remédier aux difficultés rencontrées dans l’exercice de la répression des violences sexuelles.

24.  Le Conseil d’État constate à cet égard que le Gouvernement a, ces dernières années, déployé différents dispositifs afin d’améliorer le traitement judiciaire des infractions sexuelles, visant notamment à mieux encourager la révélation des faits, améliorer l’efficacité des enquêtes, garantir l’information, l’accompagnement et la protection des victimes tout au long de la procédure pénale. Il en est ainsi très concrètement des conditions d’accueil des personnes portant plainte dans les services, des conditions de recueil de leurs déclarations, de la conduite des investigations, de la formation des enquêteurs et des personnels d’accueil, des modalités du recueil des preuves et de l’organisation des audiences de jugement. 

Le Conseil d’État recommande de procéder à une évaluation de ces dispositifs afin d’apprécier l’effectivité de leur déploiement et leur pertinence, d’évaluer leur complétude, en particulier pour les catégories de personnes les plus vulnérables. Une large part des améliorations que requiert la situation décrite au point 4 dépend en effet des politiques publiques et des moyens engagés en la matière.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 6 mars 2025.